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Date : 20041122

Dossier : T-1491-04

Référence : 2004 CF 1640

ENTRE :

                                                               ALAIN DICAIRE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                   AÉROPORTS DE MONTRÉAL

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la défenderesse (ADM) afin d'obtenir la radiation de la demande de contrôle judiciaire logée par le demandeur.

Contexte

[2]                Les faits essentiels à l'origine du présent dossier peuvent être résumés de la manière suivante.


[3]                Le 4 octobre 1990, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada a conclu avec le demandeur un bail agricole aux termes duquel ce dernier a loué un terrain agricole avec bâtiment dessus construit, soit les lots 77-20, 77-23, 77-24 et 77-25 du cadastre de Mirabel, pour une période de vingt ans et trois mois commençant le 1er septembre 1990 et se terminant le 30 novembre 2010.

[4]                Toujours le 4 octobre 1990, un deuxième bail agricole a été conclu entre ces mêmes parties. En vertu de ce deuxième bail, le demandeur a loué un autre terrain agricole avec bâtiment dessus construit, soit les lots 66-85, 77-91, 77-92 et 77-93 du cadastre de Mirabel, et ce, pour la même période que le précédent bail.

[5]                Aux termes d'un acte de cession intervenu le 31 juillet 1992, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada a cédé à ADM tous ses droits, titres et intérêts dans les multiples baux agricoles entourant l'aéroport de Mirabel dont, bien sûr, les baux du demandeur discutés plus avant.

[6]                Il faut savoir ici à titre d'information que le 21 novembre 1989, en vertu des pouvoirs qui lui étaient conférés par la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, telle qu'amendée, le ministre de la Consommation et des Corporations avait, par l'émission de lettres patentes, constitué ADM en corporation.

[7]                Depuis le 1er septembre 1992, le demandeur aurait toutefois fait défaut de payer les loyers applicables aux baux agricoles précédemment énoncés.

[8]                Outre le défaut d'acquitter les loyers applicables aux baux agricoles depuis le 1er septembre 1992, le demandeur aurait fait défaut de payer les taxes municipales pour les années 1999-2000 et les taxes scolaires pour les années 1998, 1999 et 2000, sommes que la défenderesse a dû payer le 24 octobre 2000, en lieu et place du demandeur.

[9]                Le 25 février 2003, la défenderesse, en raison de ces défauts, a mis en demeure le demandeur de se conformer aux conditions stipulées dans les baux agricoles qui sont intervenus entre les parties le 4 octobre 1990.

[10]            Malgré cette mise en demeure, le demandeur aurait refusé de payer à la défenderesse les sommes dues et exigibles en vertu de ces baux agricoles.

[11]            En raison de l'omission par le demandeur d'acquitter le loyer et le paiement des taxes scolaires et municipales, la défenderesse a, le 21 juillet 2003, signifié une requête introductive d'instance à la Cour du Québec, chambre civile, district de Montréal, demandant que le demandeur soit condamné à payer les sommes dues à la défenderesse, la résiliation immédiate des baux agricoles et l'éviction du demandeur des lieux loués.

[12]            Le 13 mai 2004, la défenderesse obtenait un jugement qui accueillait sa requête introductive d'instance du 21 juillet 2003 et par lequel les baux agricoles intervenus entre les parties étaient résiliés à compter dudit jugement. Ledit jugement indiquait également que le demandeur devait quitter les lieux loués dans un délai de 48 heures suivant la signification du jugement.

[13]            Il ressort que de la conclusion des baux jusqu'à leur résiliation, le demandeur aurait exploité les lots loués à des fins d'acériculture.

[14]            Le 25 juin 2004, le demandeur n'ayant toujours pas quitté les lieux loués, un bref d'expulsion et de mise en possession a été émis par la Cour du Québec suivant lequel il était ordonné au demandeur de quitter les lieux loués au plus tard le 29 juin 2004 à minuit.

[15]            Le 30 juin 2004, en raison du défaut de la part du demandeur de se conformer au bref émis le 25 juin précédent, des huissiers ont procédé à l'expulsion du demandeur des lieux loués.

[16]            Le 13 août 2004, le demandeur - qui se représente seul - a déposé sa demande de contrôle judiciaire. Le demandeur se décrit à l'affidavit qu'il a souscrit en réponse à la requête à l'étude comme étant un : « ex acériculteur[,] ex aménagiste forestier, attaquant de l'environnement, pédagogue forestier, chercheur autodidacte [et] maître sucrier ... » .

[17]            Dans sa demande, le demandeur requiert essentiellement de cette Cour qu'elle ordonne à ADM de mettre en application le Rapport d'information LAU-X-92FI de Forêts Canada et intitulé Aménagement de l'érablière : guide de protection de la santé des arbres (ci-après le Guide) et d'appliquer les règles de l'art en acériculture.

[18]            De façon plus particulière suivant le demandeur, ce sont les règles de l'art contenues à ce Guide et touchant divers aspects de l'entaillage des érables qui ne seraient pas respectées par certains autres locatataires d'ADM qui jouissent toujours, eux, de baux sur lesquels ils exploitent des érablières de diverses tailles (ci-après les locataires existants). Le demandeur cherche en somme à mettre indirectement au pas les locataires existants quant à l'entaillage des érables.

[19]            On retient que l'ordonnance recherchée par le demandeur est somme toute de la nature d'un mandamus puisque ce dernier cherche à forcer l'application du Guide par ADM à l'encontre des locataires existants.

Analyse

[20]            Dans sa requête en rejet, ADM soulève premièrement que le demandeur n'a pas l'intérêt suffisant pour présenter sa demande de contrôle judiciaire.

[21]            Pour les motifs qui suivent, je pense qu'il est clair et évident que cette prétention est fondée.

[22]            Cette conclusion fera en sorte qu'il ne sera pas nécessaire d'aborder formellement les autres aspects soulevés par ADM dans sa requête.

[23]            Il est certain que depuis le 13 mai 2004, jour du jugement où les baux du demandeur ont été résiliés, ou du moins depuis le 30 juin 2004, jour de l'expulsion du demandeur des lieux loués, ce dernier n'est plus « directement touché » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, telle qu'amendée, par l'objet de sa demande de contrôle judiciaire, soit le respect forcé du Guide par ADM et les locataires existants. Ce paragraphe 18.1(1) se lit :

18.1(1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touchépar l'objet de la demande.

[Non souligné dans l'original.]

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[24]            En conséquence, le demandeur doit obtenir que lui soit reconnue la qualité pour agir dans l'intérêt public (la qualité pour agir) pour bénéficier de l'intérêt suffisant pour ester en justice et ainsi éviter la radiation de sa demande de contrôle judiciaire.

[25]            Or, dans l'évaluation de l'octroi de la qualité pour agir, il ressort que le mérite d'un recours est un aspect important à considérer. Tel que la Cour l'a indiqué dans l'arrêt Sierra Club of Canada v. Canada (Minister of Finance) et al. (1998), 157 F.T.R. 123, en page 232 :

It seems now to be settled law that the seriousness of the issues raised by a public interest applicant encompasses both the importance of the issues and the likelihood of their being resolved in favour of the applicant. Given the discretionary nature of public interest standing, and its concern to ensure that scarce public resources are not squandered and other litigants are not subjected to further delay, it seems appropriate that the merits of the claim should be taken into consideration: Canadian Council of Churches v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 1 S.C.R. 236; Hy and Zel's Inc. v. Ontario (Attorney General); Paul Magder Furs Ltd. v. Ontario (Attorney General), [1993] 3 S.C.R. 675.

[26]            En l'espèce, le demandeur invoque les clauses 8.1 et 15.23 des baux qui le liaient à ADM pour soutenir l'obligation d'ADM d'agir en vertu du Guide.

[27]            On doit présumer en premier lieu ici que ces clauses se retrouvent bel et bien également de façon standard aux baux des locataires existants. Ces clauses se lisent :

8.1 (1) Le Locataire a l'obligation d'utiliser les Lieux Loués aux fins d'exploitation agricole uniquement et il doit faire cette exploitation lui-même sur une base continue selon les règles de l'art et conformément aux normes fédérales, provinciales et municipales, notamment en matière de protection de l'environnement.

        (2) Notamment, le Locataire convient de labourer les chaumes, les prés et les pâturages nécessitant un relèvement. Il convient d'effectuer les pratiques culturales de façon efficace et selon les normes reconnues afin d'empêcher la dégradation du sol ou la diminution de sa productivité. Le labour, l'amendement, la fertilisation et l'ensemencement s'effectuent notamment selon les recommandations du Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).


15.23     Le Locataire se conforme entièrement aux dispositions et aux exigences des lois, règlements, règles, ordonnances et directives fédéraux, provinciaux et municipaux applicables aux Lieux Loués, notamment en matière de protection de l'environnement.

[28]            Ici, il est indéniable que le demandeur ne saurait avoir plus de droits que ceux que peut avoir ADM contre les locataires existants en vertu des clauses précitées des baux. Or, il est plus que douteux que le Guide et les recommandations qu'il peut contenir constituent des « normes fédérales » au sens de la clause 8.1 ou une « règle ou directive » au sens de la clause 15.23. Partant il est peu assuré que ADM aurait pu forcer le respect du Guide à l'encontre des locataires existants même si elle avait voulu le faire (il est à noter que la Cour n'a pu retrouver au dossier de réponse du demandeur sur la présente requête ou à l'affidavit du demandeur en vertu de la règle 306 une copie complète dudit Guide, et ce, même si le demandeur a bénéficié de beaucoup de temps pour produire ces deux documents de plaidoirie).

[29]            Qui plus est, tel que mentionné précédemment, le Guide demeure en bout de course un guide, rien de plus. En conséquence, il n'y a pas en l'espèce contre ADM un devoir légal d'agir. Conséquemment, il ne saurait donc être question d'octroyer au mérite une ordonnance de la nature d'un mandamus.


[30]            Cette appréciation du mérite de la demande de contrôle judiciaire du demandeur dans le cadre de la présente requête m'amène à conclure que cette demande aurait très peu de chance de succès au mérite. Partant, il y a lieu à ce stade-ci dans le cadre de la présente requête de refuser d'octroyer au demandeur la qualité pour agir. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire du demandeur se doit pour ce motif d'être radiée.

[31]            J'aimerais ajouter ici en terminant que nul ne doute des bonnes intentions qu'entretient le demandeur face à la problématique de l'entaillage des érablières et de celle présente, plus particulièrement, dans l'environnement entourant l'aéroport de Mirabel. Toutefois, je pense que l'on peut importer ici les propos suivants de cette Cour dans l'arrêt Shiell v. Atomic Energy Control Board (Can.) et al. (1995), 98 F.T.R. 75, pages 79-80, où la Cour a refusé à Madame Shiell la qualité pour agir alors que Madame Shiell cherchait à empêcher l'opération d'une corporation impliquée dans l'exploitation de l'uranium :

[10] Cameco submits that the applicant is in the same position on this application as she was in the case of Shiell v. Amok Ltd. and Saskatchewan Mining Development Corp. et al. ((1987), 58 Sask. R. 141; 27 Admin. L.R. 1 (Q.B.)) In that case, this same applicant sought an injunction preventing the respondent Amok from reprocessing leach tails produced by an uranium mining operation pursuant to a Ministerial decision authorizing such processing. After a careful review of the relative jurisprudence. Barclay J. stated (page 14):

I am satisfied that the plaintiff does not have a direct personal interest in the alleged improper granting of the ministerial approval under section 16 of the Environmental Assessment Act. If it was sufficient for the plaintiff to be interested in the sense that she is concerned about the environment and environmental issues, then it is difficult to conceive of cases where this criteria would not be met. In my respectful view, to be afforded standing the plaintiff must be affected in the sense that the issue has some direct impact on her. This is clearly distinguishable from the Finlay case in which the respondent had a direct personal interest in the issue as deductions were being made from his cheques.


[11] As in Amok, the applicant does not have a direct personal interest in these proceedings and, accordingly, the decision in Finlay v. Canada, ([1986] 2 S.C.R. 607, 71 N.R. 338; [1987] 1 W.W.R. 603; 33 D.L.R. (4th) 321) has no relevance. She lives at Nipawin Saskatchewan, several hundred miles from the respondent's Key Lake operation. Her interest is neither direct nor personal. The decision a quo will not affect her in any way different from that felt by any other member of the general public. At page 625 [W.W.R.] of the Finlay case. Le Dain J. stated:

The judicial concern about the allocation of scarce judicial resources and the need to screen out the mere busybody is addressed by the requirements affirmed in Borowski that there be a serious issue raised and that a citizen have a genuine interest in the issue.

[12] This concern expressed by the Supreme Court of Canada has been repeated in the more recent decision in Canadian Council of Churches v. Canada et al., ([1992 1 S.C.R. 236; 132 N.R. 241; 8 C.R.R. (2d) 145; 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.r. (2d) 229; 5 C.P.C.(3d) 20; 16 Imm L.R.(2d) 161), where Cory J. stated (page 204 [D.L.R.]):

I would stress that the recognition of the need to grant public interest standing in some circumstances does not amount to a blanket approval to grant standing to all who wish to litigate an issue. It is essential that a balance be struck between ensuring access to the Courts and preserving judicial resources; It would be disastrous if the Courts were allowed to become hopelessly overburdened as a result of the unnecessary proliferation of marginal or redundant suits brought by well-meaning organizations pursuing their own particular cases certain in the knowledge that their cause is all important. It would be detrimental, if not devastating, to our system of justice and unfair to private litigants.

[13] On the basis of the jurisprudence cited supra, I have reluctantly come to the conclusion that this applicant does not enjoy the necessary standing to make this application for judicial review. I say "reluctantly" because I have no doubt about the applicant's bonafide interest and concern relative to the issues raised by this application. However, that interest and that concern do not per se, confer the requisite "standing" entitling her to continue with this application.

[14] For these reasons, the application for judicial review is dismissed.

[Non souligné dans l'original.]

[32]            Les propos précités de l'arrêt Shiell s'appliquent, en faisant les adaptations nécessaires, au demandeur même si ce dernier habite un abri provisoire, soit une tente, en bordure des lieux qu'il louait jadis d'ADM.

[33]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera radiée, le tout avec dépens. Une ordonnance sera émise en conséquence.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 22 novembre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-1491-04

ALAIN DICAIRE

                                                                   demandeur

et

AÉROPORTS DE MONTRÉAL

                                                                défenderesse


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            15 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   22 novembre 2004

ONT COMPARU :


M. Alain Dicaire

POUR LE DEMANDEUR

Me Vincent Thibeault

Me Nicolas Courcy

POUR LA DÉFENDERESSE



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Lavery, de Billy

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE


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