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                                                                                                                                           Date : 20000630

                                                                                                                             Dossier : IMM-5981-98

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

Entre

                                                              JASVIR SINGH HEER

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                                      LE MINISTRE

                                                                                                                                                      défendeur

                                           ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)

Le juge PELLETIER

[1]         Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la section du statut) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication de ce statut par le demandeur Jasvir Singh Heer, par ce motif qu'il n'était pas digne de foi. L'avocat de ce dernier conclut à l'infirmation de ce verdict d'incrédibilité. Il s'est assigné par là une tâche difficile.


[2]         M. Heer raconte que sa famille était politiquement active au sein de la communauté sikh en Inde. Son frère Kuldip était soupçonné par la police de faire partie de la Fédération estudiantine sikh. Lors des élections de février 1997, Kuldip militait activement pour le parti Akai Dal (Mann). En juin 1997, la police a fait une descente dans la demeure familiale; Kuldip et le demandeur ont été arrêtés et accusés d'avoir donné asile à des militants. En août 1997, lors d'une nouvelle descente de police, deux autres de ses frères ont été arrêtés pour la même raison. Lorsque son père se rendit au poste de police pour protester, il a été lui aussi arrêté et battu. Le demandeur et son frère Kuldip se sont cachés puis se sont enfuis dans une autre ville. Après avoir été averti par un policier qu'il serait arrêté de nouveau s'il ne quittait pas l'Inde, le demandeur a été envoyé à l'étranger, et il est arrivé au Canada le 30 août 1997.

[3]         Dans ses motifs de décision, la section du statut met en doute le témoignage du demandeur, qu'elle rejette sur plusieurs points. Elle relève le fait qu'il s'exprime assez bien dans son formulaire de renseignements personnels, mais plutôt mal en personne. Elle note qu'il n'est pas en mesure de dire à quelle « Fédération » appartient son frère. Elle ne conçoit pas qu'il ait déclaré que son frère avait été arrêté le « 9-6-97 » , mais n'ait pu préciser quel était le mois. Interrogé sur la source des détails de l'histoire de sa vie, il a commencé par dire que c'était sa mère, pour déclarer ensuite que le récit avait été écrit par un ami. Il a dit ne pas connaître le nom de cet ami, mais a déclaré ensuite que celui-ci s'appelait Singh Baba. La section du statut a fini par conclure que les renseignements contenus dans le récit de l'appelant ne provenaient d'aucune des personnes qu'il mentionnait.

[4]         Le demandeur a aussi produit le rapport d'une psychologue attestant qu'il souffrait de syndrome de stress post-traumatique tenant aux difficultés qu'il avait connues dans son pays d'origine. Ce rapport note qu'il ne peut se rappeler aucune des dates importantes dans le récit de sa vie; pourtant ce même rapport donne ces dates. Si le demandeur lui-même ne peut pas se les rappeler, où la psychologue a-t-elle puisé ces renseignements pour faire son rapport?


[5]         La conclusion finale de la section du statut est que l'histoire du demandeur est une histoire imaginaire, inventée par quelqu'un d'autre et qu'il a apprise par coeur. Les divers éléments qui ont attiré l'attention de la section du statut, comme la date de l'arrestation du frère, le nom officiel de la Fédération, et la source des éléments d'information contenus dans le formulaire de renseignements personnels, sont les preuves qu'elle invoque pour conclure que l'histoire racontée par le demandeur est pure invention. Malgré les meilleurs efforts déployés par l'avocat de ce dernier pour expliquer chacun de ces éléments, il n'a pas réussi à convaincre la Cour que la section du statut est parvenue à une conclusion déraisonnable.

[6]         La section du statut est habilitée à tirer des conclusions en matière de crédibilité, lesquelles ne doivent pas être remises en question à moins qu'elles ne soient dénuées de fondement :

S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe n'habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure à l'absence de crédibilité. Voir Dan-Ash c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.), où le juge Hugessen a fait observer ce qui suit, à la page 35 :

¼ à moins que l'on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d'une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au-delà de laquelle les contradictions d'un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.

(Rajaratnam c. Canada, [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.F.), arrêt prononcé par le juge Stone)

[7]         L'avocat du demandeur soutient que les difficultés de son client doivent être considérées à la lumière du rapport psychologique susmentionné. La section du statut a conclu que ce rapport n'avait guère de valeur probante puisqu'il était fondé sur une version des événements qu'elle a rejetée. Il appartenait à la section du statut de se prononcer sur la force probante à reconnaître au rapport de la psychologue. Ainsi que l'a fait observer le juge MacKay dans Pehtereva c. Canada, [1995] A.C.F. no 1491 :

Déterminer le poids à donner au témoignage, y compris celui d'un expert, relève du pouvoir du tribunal qui l'entend. C'est seulement dans un cas très extraordinaire qu'une cour intervient à l'occasion d'un contrôle judiciaire, en raison du poids attribué par le tribunal au témoignage. C'est seulement lorsqu'il est clair, à l'occasion du contrôle, que le tribunal a agi déraisonnablement et qu'il y a preuve que ses conclusions ont été tirées de façon abusive qu'une cour de révision intervient.


[8]         Un rapport d'expert ne peut servir à faire foi de l'articulation des faits sur laquelle il s'appuie. Si cette articulation des faits est rejetée, comme c'était le cas en l'espèce, l'avis de l'expert est dénué de fondement. C'est la conclusion qu'a tirée la section du statut. Elle avait compétence pour le faire.

[9]         La décision rendue en l'espèce par la section du statut n'est pas déraisonnable et ne doit pas être remise en question.

[10]       Aucune question n'a été proposée pour certification.

                                                                     ORDONNANCE

La Cour déboute le demandeur de son recours en contrôle judiciaire.

                                                                                                                             Signé : J.D. Denis Pelletier           

                                                                                                 _________________________________

                                                                                                                                                                 Juge                             

Traduction certifiée conforme,

Martine Brunet, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                    AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :                                     IMM-5981-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Jasvir Singh Heer

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 8 décembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PELLETIER

LE :                                                          30 juin 2000

ONT COMPARU:

Me Jean-François Bertrand                                  pour le demandeur

Me François Joyal                                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jean-François Bertrand                                  pour le demandeur

M. Morris Rosenberg                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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