Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980924


Dossier : IMM-4667-97

Entre :

     ANGE OROZOKOSSE

     DJAZA ELISE DIDI

     Partie requérante

Et:

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la section du statut de réfugié rendue le 24 octobre 1997 à l'effet que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Le requérant, M. Ange Orozokosse et sa conjointe de fait, Mme Djaza Elise Didi, sont citoyen de la Côte d'Ivoire. La FESCI, un mouvement étudiant, a été fondée en avril 1990 ayant comme premier but de défendre les intérêts des étudiants. Le requérant, membre de la FESCI, a prétendu avoir été nommé délégué pour organiser les rencontres, les conférences, les assemblés générales ainsi que les marches. Il a soumis que le gouvernement le considérait comme un déstabilisateur.

[3]      La FESCI fut interdite par le gouvernement en 1991 suite à la mort d'un jeune étudiant militant du PDCE, le parti au pouvoir. En raison de son appartenance à ce mouvement, le requérant aurait, entre juin 1991 et juin 1995, été arrêté et détenu à quatre reprises. Selon le requérant, lui-même et plusieurs de ses confrères auraient été détenus pour l'enquête relativement à cet assassinat et auraient été libérés le lendemain, faute de preuve.

[4]      Le 18 février 1992, le requérant aurait été arrêté une seconde fois alors qu'il participait à une marche de protestation à cause du refus du gouvernement de punir les militaires jugés responsables d'intervention brutale et arbitraire lors d'un rassemblement à la cité universitaire. Il a déclaré que les militaires l'auraient maltraité et l'auraient libéré dès le lendemain.

[5]      En 1993, le requérant a été nommé délégué de la Faculté de médecine et a débuté son internat à l'hôpital universitaire de la ville d'Abidjan. Le 15 mai 1994, le requérant et plusieurs autres étudiants auraient été arrêtés lors d'une assemblée de la FESCI pendant laquelle il y aurait eu l'intervention des militaires et saccage des biens de l'État. Il aurait été accusé d'incitation et de participation à la violence; détenu et victime de mauvais traitement pendant quatre mois puis libéré sans accusation.

[6]      Le 24 juin 1995, lors d'une marche de manifestation des différents partis de l'opposition et de la FESCI, il aurait été arrêté et détenu dans une prison d'Abidjan sous des conditions pénibles. Le 27 février 1996, il aurait été malade et transporté d'urgence au Centre hospitalier d'Abidjan où, lors d'un moment d'inattention d'un garde, il se serait évadé. Il a par la suite planifié son évasion du pays.

[7]      La requérante a prétendu que sa craine de persécution repose sur le militantisme de son mari. Elle est entrée au Canada six mois après l'arrivée de ce dernier. Elle a indiqué que vers le 16 février 1996, alors que son époux était en détention, elle et sa nièce ont été violées par des militaires qui ont également saccagé sa demeure. Elle a déclaré avoir porté plainte à la caserne militaire le lendemain de cet incident, mais aucune suite n'a été donnée. Elle a donc décidé de s'enfuir à Burkina Faso où elle a séjourné pendant neuf mois avant de rejoindre son mari au Canada.

[8]      Les requérants ont six enfants qui demeurent toujours en Côte d'Ivoire chez leurs grands-parents.

[9]      Le 24 octobre 1997, le tribunal a déterminé que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention à cause d'une crainte bien fondée de persécution en raison des opinions politiques du requérant. En arrivant à cette décision, le tribunal a déclaré:

     Le tribunal est d'avis que plusieurs éléments de la preuve dont certains essentiels à la demande du revendicateur et de la revendicatrice ne sont ni crédibles, ni digne de foi. En conséquence, les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve.         

[10]      Le Statut de réfugié, dans son analyse, a tout d'abord considéré si le requérant était un étudiant et plus particulièrement s'il était un "étudiant actif" lui permettant d'être membre de la FESCI. À ce sujet, le tribunal a fait les remarques suivantes:

     Dans son témoignage, le demandeur est catégorique; une des conditions esentielles pour appartenir à la FESCI est d'être reconnu comme un "étudiant actif" et le demandeur qui aurait commencé son internat en septembre 1993, se considère dans son FRP, comme tel, c'est-à-dire, un étudiant à part entière.         
     ...le demandeur n'a déposé aucun document faisant foi de son enregistrement comme étudiant à l'université...pour les années scolaires 1993-1994 et 1994-1995. De plus, le demandeur a mis en preuve une carte professionnelle et un bulletin de salaire...Or ces documents...indiquent que le demandeur a été embauché et rétribué à partir du 19 septembre 1993 comme médecin et, ils contredisent les prétentions du demandeur à l'effet qu'il auraiti été un "étudiant actif".         

[11]      Par la suite, le tribunal a analysé la question à savoir si le requérant devait être considéré étudiant à l'université de 1993 à 1995. À ce sujet, le tribunal s'exprimait comme suit:

     Ce fait est important car ce ne peut être qu'à ce titre que ses collègues l'auraient délégué à la FESCI our les représenter, et que la FESCI serait devenue le centre de son activité politique et la raison pour laquelle il aurait été détenu arbitrairement.         

[12]      Confronté par la preuve documentaire indiquant que tous les étudiants arrêtés le 15 mai 1994 (la troisième arrestation du requérant) avaient été relâchés le 31 mai 1994, le tribunal demanda au requérant pourquoi on l'avait détenu pendant quatre mois. Ce dernier a indiqué qu'aux yeux du gouvernement il était considéré comme un pré-fonctionnaire, n'ayant pas le statut étudiant et donc pas un étudiant à part entière. Il recevait un salaire de médecin. Le tribunal a conclu que cette explication affaiblissait la prétention du requérant à l'effet qu'il avait été un étudiant actif au sein de son milieu universitaire. Le tribunal a ajouté que le requérant avait indiqué dans son FRP qu'il avait été interne dans un centre universitaire sans indiquer l'endroit. Questionné sur ce fait, il a répondu que suite à sa libération en septembre 1994 il aurait été trop tard pour s'inscrire à l'hôpital universitaire d'Abidjan et qu'il aurait donc continué son internat dans une autre ville. Le tribunal trouvait cette explication étrange du fait que le requérant continuait de représenter ses collègues de la Faculté de médecine de la ville dL'Abidjan en dépit de son absence.

[13]      Le tribunal a également remarqué que le requérant avait témoigné qu'en raison de ses activités au sein de la FESCI, il était "incontournable". Cependant, il indique qu'il n'avait déposé aucune carte de membre de la FESCI bien qu'il avait soumis d'autre cartes d'indentité. Le requérant aurait expliqué qu'il ne possédait pas cette carte parce qu'il avait quitté le pays clandestinement. Le tribunal a remarqué que le requérant aurait dû déployer plus d'efforts pour récupérer l'ultime preuve de sa participation active à la FESCI qui est à l'origine de ses quatre arrestations puisqu'il avait en sa possession plusieurs autres cartes et un certificat d'identification.

[14]      Le tribunal a conclu que les connaissances du requérant des participants de la FESCI entre 1990 et 1995 n'étaient ni à la hauteur de ses prétentions, ni en harmonie avec la preuve documentaire.

[15]      Le tribunal a de plus déclaré que le fait que le requérant avait été arrêté quatre fois entre 1991 et 1995 ne concordait pas avec la réponse de sa conjointe dans son FRP. Elle avait expliqué qu'avant l'événement de la fin juin 1995, elle et son mari vivaient paisiblement avec leurs quatre enfants.

[16]      De plus, le tribunal a remarqué qu'il existait une contradiction importante au sujet de la quatrième arrestation du requérant:

     Dans son FRP, le demandeur ne donne pas de date précise à laquelle il aurait subi une quatrième arrestation. Il raconte que le 24 juin 1995 des faits graves se sont produits lors d'une marche de contestation...les manifestations se sont poursuivies et ont amené les forces à l'ordre à procéder à des arrestations, dont la sienne. Dans son témoignage, il aurait été arrêté dès le 24 juin 1995, lors de la réunion qui a suivi la marche en question...Cette contradiction est importante quant à la crédibilité du demandeur.         

[17]      Pour ces raisons le tribunal a conclu que plusieurs éléments de la preuve des requérants n'étaient ni crédibles ni dignes de foi et leur demande fut rejetée.

[18]      La question la plus importante soulevée dans la présente affaire est la suivante:

     Est-ce que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que plusieurs éléments soumis par les requérants n'étaient ni crédibles, ni dignes de foi et qu'ils ne s'étaient pas déchargés de leur fardeau de preuve?         

[19]      Les éléments suivants ont été déterminés non crédibles et sont contestés:

     - les prétentions du requérant à l'effet qu'il ait été un étudiant actif à l'université d'Abidjan entre 1993 et 1995         
     - les connaissances du requérant n'étaient ni à la hauteur de ses prétentions ni en harmonie avec la preuve documentaire         
     - l'absence d'une carte de membre considérée comme élément crucial à la revendication du requérant         
     - le témoignage de la requérante n'a pas été considéré comme preuve de persécution indirecte         
     - suggestion que seulement une partie de la preuve était crédible         

Le requérant soumet que puisque le tribunal n'a mis en doute que certains aspects de la preuve, il est donc justifié de penser que sa conclusion ne peut supporter une détermination d'un manque de crédibilité générale; une partie de la preuve était crédible (épisodes 1990-1993) et l'autre pas (1993-1995). Il prétend que le tribunal aurait dû apprécier la preuve dans son ensemble, compte tenu qu'il suggérait qu'un certain nombre d'éléments de preuve étaient crédibles. De plus, le tribunal a tiré une inférence abusive quand il a déterminé qu'il existait une différence entre un "étudiant actif" et un "étudiant à part entière". Il est à noter qu'entre 1993 et 1995 le requérant était à la fois étudiant et interne; sa préoccupation d'interne ne l'empêchait pas d'agir auprès de la FESCI comme étudiant puisque son internat ne constituait que la phase transitoire entre ses études et son ultime profession.

[20]      Le requérant déclare que le tribunal a commis une erreur de droit quand il a déterminé que ses connaissances politiques n'étaient ni à la hauteur de ses prétentions, ni en harmonie avec la preuve documentaire. Plus particulièrement, il soumet avoir fait preuve de connaissance plus que moyenne du contexte socio-politique qui a vu naître les épisodes de persécution et soutient que la preuve documentaire corrobore tous ces épisodes.

[21]      Le requérant soulève que le tribunal s'est servi du fait qu'il ne possédait pas une carte de membre de la FESCI, une question secondaire selon lui, pour mettre en doute l'essentiel de son témoignage. Compte tenu des traitements infligés aux membres de la FESCI, la possession de cette carte aurait pu compromettre sa sécurité ainsi qu'augmenter les risques d'être détenu par le gouvernement.

[22]      Finalement, le requérant soumet que le tribunal n'a pas examiner les effets négatifs que ses démêlés politiques engendraient pour la requérante. Selon lui, le tribunal n'a fait aucune analyse sur ce point et s'est contenté de transporter sa conclusion de non-crédibilité du requérant sur sa conjointe.

[23]      L'intimé soutient que le tribunal était en droit de conclure que le témoignage du requérant n'était pas crédible puisqu'il contredisait la preuve documentaire. Le tribunal a pleine compétence d'évaluer la valeur probante de la preuve et il peut accorder plus de poids à la preuve documentaire qu'aux témoignages des revendicateurs.

[24]      L'intimé soumet que le requérant pouvait dificilement prétendre être édutiant tout en effectuant une distinction afin d'être en conformité avec la preuve documentaire. De plus, il souligne que le requérant n'avait pas les connaissances d'une personne se disant "incontournable" dans le parti. Pour ces motifs, le tribunal n'a pas cru que le revendicateur était membre du FESCI entre 1993 et 1995.

[25]      Le tribunal n'a pas cru que le requérant avait été arrêté, détenu et maltraité par les autorités, plus particulièrement entre 1993 et 1995. Il n'a pas accepté le témoignage de la requérante au sujet de son viol car elle lui semblait invraisemblable que cette dernière se serait plainte à l'organisme auquel appartenaient les individus responsables du viol.

[26]      L'intimé soumet également que le tribunal n'était pas tenu se prononcer sur la crédibilité de chacun des éléments de preuve dans la mesure où elle a conclu que le requérant n'était pas crédible sur les éléments essentiels de sa revendication. De plus, les requérants ne se sont pas acquittés du lourd fardeau qui leur incombait de démontrer que les conclusions du tribunal relatives à leur crédibilité étaient perverses, capricieuses et rendues sans considération de la preuve.

[27]      L'intimé indique de plus que le défaut du requérant de fournir une carte de membre de la FESCI n'était pas un élément majeur mais plutôt un élément qui s'est ajouté aux nombreuses contradictions relativement à son appartenance à cet organisme. L'argument du requérant à l'effet que la possession de cette carte augmenterait des risques pour ce dernier ne devrait pas être considéré par cette Cour puisque cette allégation n'est pas appuyé dans l'affidavit du requérant ni soulevé devant le tribunal.

[28]      Finalement, en ce qui concerne la requérante, l'intimé soumet que dans la mesure où le tribunal n'a pas cru que le requérant ait eu des démêlés politiques, il n'avait pas à examiner les problèmes de la requérante qui n'avaient aucun lien avec les motifs prévus à la Convention.

[29]      La détermination de la crédibilité est une question de fait1. La formation de la CISR qui entend une demande de statut de réfugié se trouve dans une position unique pour évaluer la crédibilité du demandeur; les conclusions de fait fondées sur les contradictions internes, les incohérences et les déclarations évasives sont "le fondement même du pouvoir discrétionnaire du juge des faits"2. Les conclusions portant sur la crédibilité doivent donc faire l'objet d'une grande retenue lors du contrôle judiciaire et ne peuvent être infirmées, sauf si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le tribunal disposait3. Donc, tel qu'énoncé par le juge Noël de cette Cour dans la cause Oduro v. M.E.I.4 :

                 However, it is not for me to substitute my discretion for that of the Board. The question I must consider is whether it was open for the Board on the evidence to conclude as it did...the fact that I might have seen the matter differently does not allow me to intervene in the absence of an overriding error.                 

[30]      De la même façon dans Aguebor c. M.E.I5., la Cour a énoncé:

                 There is no longer any doubt that the Refugee Division, which is a specialized tribunal, has complete jurisdiction to determine the plausibility of testimony: who is in a better position than the Refugee Division to gauge the credibility of an account and to draw the necessary inferences? As long as the inferences drawn by the tribunal are not unreasonable as to warrant our intervention, its findings are not open to judicial review.                 

[31]      Le revendicateur soumet que dans ce dossier la question soulignée comme étant la plus importante soulevée par la décision du tribunal est à savoir si le statut du requérant a été correctement déterminé. Était-il étudiant et donc pouvait-il être actif au sein du parti de la FESCI? Selon lui, le tribunal a erré sur ce point.

[32]      Je n'accepte pas la prétention du requérant à l'effet que la seule question ou la question principale sur laquelle s'est appuyé le tribunal pour rendre sa décision concerne son statut d'étudiant actif et de membre de la FESCI. La preuve devant moi démontre clairement que le tribunal a décelé de nombreuses contradictions dans les témoignages des requérants. Tel que je l'ai indiqué précédemment, le Statut de réfugié se trouve dans une position unique pour évaluer la crédibilité d'un demandeur.

[33]      En l'espèce, je suis satisfait que la décision du Statut de réfugié est bien fondée. Il n'y a pas de question sérieuse à certifier. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 24 septembre 1998

__________________

     1 White c. R.,[1947] R.C.S. 268.

     2 Dan-Ash c. M.E.I. (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.); Giron c. Canada (M.E.I.) (1992), 143 N.R. 238.

     3 Rajaratnam c. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

     4 Oduro c. M.E.I. (1993) F.C.J. No. 56 (C.F. D.G.).

     5 Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.