Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20000622

                                                                                                                    Dossier : IMM-3434-99

Entre

                                             REFFAT JAHAN et ANGKON JAHAN

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge DAWSON

[1]         Reffat Jahan, citoyenne bangladaise âgée de 40 ans, revendique le statut de réfugiée au sens de la Convention par crainte d'être persécutée du fait de son sexe.

[2]         Angkon Jahan est sa fille. Elle a sept ans, et sa revendication du statut de réfugiée est tributaire de celle de sa mère.

[3]         La demanderesse fait valoir qu'après son mariage en 1990 au Bangladesh, elle a été fréquemment battue par son mari, même pendant sa grossesse. Voici ce qu'elle affirme à ce sujet :

[TRADUCTION]

Mon persécuteur de mari, qui est rancunier et effrayant, mettait ma vie en danger et m'a finalement forcée à m'enfuir du pays.


[4]         Par décision en date du 22 juin 1999, la section du statut de réfugié, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a rejeté la revendication par ce motif que le récit fait par Mme Jahan des sévices infligés par son mari n'étaient pas dignes de foi, et aussi que les éléments de preuve produits n'établissaient pas que les autorités de son pays n'avaient pas les moyens ou la volonté de la protéger, elle et sa fille.

[5]         Les demanderesses concluent à l'annulation de la décision de la section du statut et le renvoi de leurs revendications à une autre formation de cette dernière pour nouvelle instruction.

Les conclusions sur la crédibilité

[6]         En ce qui concerne la conclusion tirée par la section du statut en matière de crédibilité, l'avocate du défendeur a, durant les débats, fort impartialement qualifié d' « embarrassantes » au moins certaines références faites par cette dernière aux éléments de preuve produits ainsi que les conclusions qu'elle en tirait.

[7]         Malgré ces réserves, elle a soutenu de façon convaincante que dans les circonstances de la cause, le facteur déterminant était la disponibilité de la protection de l'État. J'en conviens.

La disponibilité de la protection de l'État

[8]         En ce qui concerne la disponibilité de la protection de l'État, voici ce qu'on peut lire dans les motifs de décision de la section du statut :

[TRADUCTION]

Le tribunal n'ajoute pas foi au récit des sévices infligés par le mari. À même supposer qu'il soit digne de foi, il s'agirait alors d'examiner si les actes de violence redoutés, maintenant que la demanderesse est divorcée de son mari, constituent une atteinte à un droit fondamental de la personne sous l'un des chefs visés à la Convention, et dans quelles circonstances on peut dire que ce risque de violence tient au défaut de protection de l'État.

Il semble d'après les preuves administrées qu'à la fin des années 1980 et au début des années 1990, il n'y avait guère de possibilité d'intervention et de soutien en faveur des droits des femmes. Cependant, les documents plus récents ne corroborent pas l'état d'impuissance rapporté par la demanderesse dans son FRP et durant son témoignage de vive voix.


En premier lieu, les deux fois où la demanderesse a demandé l'aide de la police, elle l'a obtenue, bien que le résultat final ne fût pas ce qu'elle voulait. En second lieu, il ressort des tendances constatées que les problèmes confrontés par les femmes connaissent plus de publicité et que la société y est plus sensibilisée.

Le tribunal sait aussi que la grande majorité des divorces déclarés à la mairie de Dhaka est en accroissement, et dans la grande majorité des cas, le divorce a eu lieu à l'initiative de l'épouse. La société elle-même commence à faire une brèche dans les interdits religieux. Le contexte social est aussi en évolution. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a aucune difficulté pour les femmes.

Cependant, le gouvernement n'a pas jeté l'éponge, ni n'a laissé les femmes à leur sort. Il poursuit ses efforts pour réduire la discrimination dont elles souffrent, ainsi que les attitudes et les abus ont elles sont victimes. Il a accru les mesures visant à combattre les abus manifestes. On peut lire ce qui suit dans la pièce A-8 :

Des sections d'enquête spéciales, composées de femmes-agents, ont été mises en place dans quatre postes de police à titre d'essai pour enquêter sur les plaintes faites par des femmes. Si les résultats sont satisfaisants, d'autres sections pourront être instituées dans d'autres régions du pays. Le département des Affaires de femmes a aussi créé une section qui donne des consultations juridiques dans les cas de violence contre des femmes.

Le 28 mai 1998, la presse bangladaise rapporte que vers la fin d'avril, le ministère de l'Intérieur a approuvé la proposition de création d'une section spéciale au sein de la Brigade criminelle pour enquêter sur les crimes commis contre des femmes et des enfants, y compris le détournement, l'attaque à l'acide, les sévices contre des enfants et le viol. La section composée de 250 membres qui aura la responsabilité de tous les districts et régions métropolitaines du pays, sera dirigée par un commissaire secondé par un inspecteur.

On constate une conscience accrue des problèmes de la part des autorités, des médias et des organisations de femmes.

Sur le plan financier, des programmes ont été mis en place pour assurer des crédits pour un plus grand nombre de femmes, et en fait les perspectives d'emploi ont été plus favorables pour les femmes que pour les hommes, ces dernières années.

Cet aperçu est important en ce qu'il permet de mieux saisir le contexte social en évolution au Bangladesh. Tout bien considéré, il serait injuste de dire que l'État bangladais n'a pas les moyens ou la volonté de protéger la demanderesse. Elle n'a pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l'État, telle que la définit l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. Bien qu'à ses yeux, cette protection ne soit peut-être pas parfaite, le tribunal a aussi examiné l'affaire sous l'angle de la question de savoir si cette protection est suffisante, selon le critère défini dans la jurisprudence Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), et développé dans Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F); (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 81; 126 N.R. 126 (C.A.F.). Les preuves administrées ne permettent pas de conclure à l'impuissance ou à la répugnance de l'État à aider la demanderesse. [notes de bas de page occultées]

[9]         À moins que le point litigieux ne soit l'interprétation d'un texte de loi, la norme applicable au contrôle judiciaire des décisions de la section du statut est celle de la décision manifestement déraisonnable; cf. Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.


[10]       Malgré l'argumentation fort éloquente de l'avocat de Mme Jahan et de sa fille, il m'est impossible de conclure que l'interprétation faite par la section du statut des preuves produites sur la disponibilité de la protection de l'État, était manifestement déraisonnable.

[11]       La question de la disponibilité de la protection de l'État en est une qui relève de la compétence et de l'expertise de la section du statut. Celle-ci était saisie d'éléments de preuve dont elle pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l'État.

[12]       Il est vrai que d'autres auraient pu tirer une autre conclusion des preuves et témoignages produits, mais il y avait bien des preuves à l'appui de sa conclusion. Rien ne justifie donc que la Cour intervienne et annule la décision de la section du statut.

[13]       Les avocats des deux parties n'ont suggéré aucune question à certifier; aucune question ne sera donc certifiée.

                                                                                                                    Signé : Eleanor R. Dawson          

                                                                                            ________________________________

                                                                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario),

le 22 juin 2000

Traduction certifiée conforme,

Martine Brunet, LL. L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :                                    IMM-3434-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Reffat Jahan et al. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                19 mai 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MME LE JUGE DAWSON

LE :                                                      22 juin 2000

ONT COMPARU:

M. Douglas Lehrer                                            pour les demanderesses

Mme Diane Dagenais                                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

VanderVennen Lehrer                           pour les demanderesses

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


                                                                                                                                 Date : 20000622

                                                                                                                    Dossier : IMM-3434-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 22 juin 2000

En présence de Madame le juge Dawson

Entre

                                             REFFAT JAHAN et ANGKON JAHAN

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                   JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                    Signé : Eleanor R. Dawson          

                                                                                            ________________________________

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme,

Martine Brunet, LL. L.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.