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Date : 20000301


Dossier : IMM-2192-99



ENTRE :


PUNITHAVATHY PUNNIASINGAM



demanderesse


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D"ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON



[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire visant une décision, datée du 1er avril 1999, dans laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n"était pas une réfugiée au sens de la Convention, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration1.


Le contexte

[2]      La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka d"origine tamoule. Jusqu"en juin 1997, elle vivait avec son époux et ses trois enfants dans la région de Vanni, dans la partie nord du Sri-Lanka. Elle travaillait en tant qu"institutrice adjointe. Son époux était agriculteur.

[3]      Pendant les années et les mois avant juin 1997, la région dans laquelle la demanderesse et les autres membres de sa famille vivaient était contrôlée par les Tigres tamouls. Les Tigres ont enjoint à la demanderesse de distribuer de la documentation et se dire favorable à leur cause, en classe, ce qu"elle a refusé de faire.

[4]      En mai 1997, l"armée sri lankaise a investi les villages à proximité de l"endroit où vivaient la demanderesse et les autres membres de sa famille. La demanderesse et d"autres résidents de son village craignaient que l"armée investirait leur village et arrêterait leurs enfants, au motif que ces derniers pouvaient être des partisans des Tigres. À cette époque, les Tigres avaient demandé à la demanderesse et son époux que les deux enfants aînés se joignent à eux. En conséquence, en juin 1997, l"époux de la demanderesse et les deux enfants aînés ont quitté le nord du pays à destination de Colombo, où ce dernier espérait trouver du travail par l"entremise d"un ami.

[5]      Après le départ de son époux et ses deux enfants aînés, la demanderesse a été harcelée par les Tigres, qui lui ont fait des menaces, de même qu"à l"enfant qui était restée avec elle. Après que d"autres menaces leur ont été faites en novembre 1997, la revendicatrice et son enfant, qui était son enfant la plus jeune, se sont enfuis dans le but de se joindre au reste de la famille, à Colombo. Il ne faut pas se surprendre que la demanderesse et son enfant ont été détenues, interrogées, maltraitées et retardées avant d"arriver enfin à Colombo.

[6]      En arrivant à Colombo, la demanderesse et son enfant se sont rendues compte que les autres membres de la famille n"étaient pas parvenus à s"y établir avec succès. Ils avaient tous quitté le Sri Lanka. La demanderesse et son enfant ignoraient où ils se trouvaient.

[7]      La demanderesse et l"enfant se sont cachées à Colombo pendant environ une semaine, après quoi elles ont aussi quitté le Sri Lanka, avec l"aide des parents de la demanderesse, qui se trouvaient au Canada. Elles sont arrivées au pays le 22 mai 1998 et se sont empressées de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention.

[8]      À la mi-février 1999, l"époux de la demanderesse a communiqué avec elle depuis Moscou, où il se trouvait en compagnie des deux enfants aînés. La demanderesse a obtenu très peu d"autres renseignements concernant leurs statuts et leurs projets.

La décision de la Section du statut de réfugié

[9]      La SSR a déterminé que la plus jeune enfant de la demanderesse avait une crainte fondée d"être persécutée si elle était obligée de retourner au Sri Lanka, vu son âge et sa vulnérabilité face aux Tigres, qui pourraient la recruter. En conséquence, l"enfant a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[10]      La SSR est parvenue à une autre conclusion pour ce qui est de la demanderesse. Elle a conclu :

[TRADUCTION] ... vu que les enfants aînés et l"époux de la revendicatrice ne se trouvent plus au Sri Lanka, [et, implicitement, que sa plus jeune enfant ne serait pas obligée de retourner au Sri Lanka] la formation est d"avis qu"il est moins que possible que cette revendicatrice âgée de 42 ans risquerait d"être persécutée par les TLET [les Tigres] si elle retournait au Sri Lanka.

Plus loin dans ses motifs, la SSR a écrit :

[TRADUCTION] ... la formation estime que, compte tenu de son âge, la revendicatrice ne fait pas partie de la catégorie de personnes auxquelles les LTET [les Tigres] s"intéressent.

la SSR a conclu, en ce qui concerne la demanderesse :

[TRADUCTION] La revendicatrice a dit qu"elle avait peur des TLET [les Tigres] et de l"ASL [l"armée sri lankaise]. Cependant, compte tenu du témoignage et de la preuve documentaire, la formation n"est pas convaincue que de telles craintes ont un fondement objectif.

[11]      Bien que la SSR ait fait une brève remarque sur la question de savoir si une possibilité de refuge intérieur s"offrait à la demanderesse à Colombo, je suis convaincu que la conclusion qu"elle a tirée à cet égard n"était pas au coeur de sa décision.

L"analyse

[12]      La SSR, dans ses motifs, ne renvoie pas à la preuve documentaire dont elle disposait concernant la nature impitoyable de la vengeance des Tigres et du traitement qu"ils faisaient subir aux individus qu"ils considéraient comme des traîtres. La demanderesse a refusé de collaborer avec les Tigres en distribuant de la documentation et se disant partisane de leur cause, en classe. En outre, les Tigres ont vu qu"elle avait contribué à empêcher ses deux enfants aînés à se joindre à eux et à permettre à ces derniers de s"enfuir en compagnie de leur père. Enfin, elle a mis son plus jeune enfant en sécurité, à l"abri des Tigres. La SSR n"a pas analysé le risque auquel la demanderesse serait exposée de la part des Tigres, vu la probabilité que ceux-ci la considèrent comme une traître, si elle devait retourner dans la partie nord du Sri Lanka.

[13]      En outre, la SSR n"a pas reconnu que la demanderesse, qui est maintenant incapable d"établir de façon crédible où se trouvent son époux et ses deux enfants aînés, pourrait être perçue par l"armée sri lankaise dans le nord du pays comme étant l"épouse et la mère de trois personnes qui ont fort bien pu disparaître de la circulation parce qu"elles se sont jointes aux Tigres. La SSR n"a nullement analysé le risque auquel la demanderesse serait exposée en raison d"une telle perception de la part de l"armée sri lankaise.

[14]      La SSR semble faire porter son analyse exclusivement sur le risque, auquel la demanderesse serait exposée, si elle devait retourner dans la partie nord du Sri Lanka, d"être recrutée de force par les Tigres.

[15]      Je suis convaincu que ces omissions de l"analyse de la SSR constituent une erreur susceptible de contrôle. Bien que la SSR ait pu raisonnablement parvenir à la conclusion qu"elle ne disposait pas de suffisamment de preuve pour conclure que la crainte de la demanderesse d"être persécutée si elle devait retourner dans la partie nord du Sri Lanka avait un fondement objectif, son analyse est loin d"être complète et suffisante pour étayer une telle conclusion.

La conclusion

[16]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR qui fait l"objet du présent contrôle est annulée, et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention que la demanderesse a présentée est renvoyée à la Commission de l"immigration et du statut de réfugié pour qu"une formation différemment constituée procède à une nouvelle audition et tranche l"affaire à son tour.

[17]      Aucune question n"est certifiée.


" Frederick E. Gibson "

                                         J.C.F.C.


TORONTO (ONTARIO)

Le 1er mars 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  IMM-2192-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          PUNITHAVATHY PUNNIASINGAM

                         c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :              LE MARDI 29 FÉVRIER 2000

LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  MERCREDI 1ER MARS 2000


ONT COMPARU :                  Mme Helen Luzius

                             Pour la demanderesse

                         M. Marcel Larouche

                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Helen P. Luzius

                         Barrister and Solicitor

                         372, rue Bay, pièce 1610

                         Toronto (Ontario)

                         M5H 2W9

                             Pour la demanderesse

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada

                             Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA



Date : 20000301


Dossier : IMM-2192-99



Entre :

PUNITHAVATHY PUNNIASINGAM



demanderesse


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur






MOTIFS D"ORDONNANCE



__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

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