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Date : 20020517

Référence neutre : 2002 CFPI 582

                                                        Dossier T-2206-99

ENTRE :

                          SANDRA MARY DUBEY

                                                    Partie demanderesse

                                  - et -

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                                                        Dossier T-2207-99

ENTRE :

                         BARBARA ALBERTA DUBEY

                                                    Partie demanderesse

                                  - et -

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Le 18 novembre 1999, Madame Sue Campbell, de Citoyenneté et Immigration Canada, décidait que les demanderesses n'avaient pas droit à un certificat de citoyenneté canadienne.

[2]                 Il s'agit donc, en l'instance, d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Mme Campbell. De plus, par avis de question constitutionnelle, les demanderesses contestent la validité, l'applicabilité ou l'effet constitutionnel de l'alinéa 4b) et des sous-alinéas 9(1)i) et ii) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1946, ch. 15; S.R.C. 1970, c. C-19 (la « Loi de 1947 » ); les alinéas 3(1)d), 5(2)b), 11a) et b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1996, ch. 1929 (la « Loi de 1977 » ).

[3]                 Les faits pertinents sont fort simples et ils peuvent se résumer comme suit. Les demanderesses, Barbara Alberta Dubey et Sandra Mary Dubey, sont nées respectivement le 28 septembre 1943 et le 24 décembre 1945, aux États-Unis. Les parents des demanderesses sont Marie Adélia St-Jean, née au Canada le 12 mai 1915 de Adélard St-Jean et de Maria Dumont, et Albert Dubey, né aux États-Unis le 27 décembre 1915 de Thomas Dubey et de Henedire Dumont.

[4]                 Les parents des demanderesses se sont mariés aux États-Unis le 9 juillet 1935. À compter de cette date, Marie Adélia St-Jean, la mère des demanderesses, a vécu aux États-Unis et a été naturalisée américaine le 27 mars 1944.

[5]                 Par l'effet de l'alinéa 4(1)a) de la Loi de 1947, Marie Adélia St-Jean, depuis 1947, est et a toujours été citoyenne canadienne. C'est pourquoi, au mois de mars 1998, un certificat de citoyenneté lui a été décerné.

[6]                 Il est à noter que lors de la naissance des demanderesses, leur père, Albert Dubey, n'avait pas le statut de sujet britannique et, par conséquent, les demanderesses n'ont pas acquis ce statut[1]. De plus, lors de l'adoption de la Loi de 1947, les demanderesses ne sont pas devenues des citoyennes canadiennes, vu que leur père n'était pas un sujet britannique au moment de leur naissance[2].

[7]                 Les demanderesses, qui ont toujours vécu aux États-Unis, ont déposé le 28 avril 1998 des demandes de certificat de citoyenneté, aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi de 1977[3]. Le 18 novembre 1999, Mme Campbell écrivait aux demanderesses pour les aviser que leurs demandes de certificat était refusée.


[8]                 Dans McLean c. M.C.I, [2001] C.A.F. 10, décision du 8 juin 2001, la Cour d'appel fédérale avait à se prononcer sur des questions similaires à celles soulevées dans la présente affaire. Le demandeur Lloyd Lewis McLean, comme les demanderesses en l'instance, était né hors du Canada d'une mère née au Canada [en 1922] et d'un père né aux États-Unis [en 1921]. Ses parents se sont mariés en 1942, et se sont installés dans l'état de l'Iowa, où le demandeur est né le 4 novembre 1943.

[9]                 Au mois de novembre 1997, M. McLean demandait l'émission d'un certificat attestant sa citoyenneté canadienne, au motif qu'il était né aux États-Unis en 1943 d'une mère canadienne. Le 27 juillet 1998, sa demande était refusée. M. McLean déposait dès lors une demande de contrôle judiciaire visant à annuler la décision refusant l'émission du certificat. De plus, comme en l'instance, M. McLean déposait un avis de question constitutionnelle, alléguant que le refus de lui émettre le certificat portait atteinte à ses droits, lesquels étaient protégés par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ). Le juge-en-chef adjoint Richard (tel était alors son titre), en concluant que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée, était d'avis que la Charte ne pouvait s'appliquer, inter alia, parce que M. McLean en recherchait une application rétroactive.


[10]            M. McLean portait la décision du juge Richard en appel et le 8 février 2001, la Cour d'appel fédérale rejetait son appel. Après un résumé des faits pertinents, dont le fait que M. McLean avait fait l'objet d'enquêtes tenues aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration, R.S.C. 1985, ch. I-2, le juge Noêl signalait qu'au cours de ces enquêtes, M. McLean avait invoqué son statut de citoyenneté à l'encontre des mesures d'expulsion prises contre lui. Lors de chacune de ces enquêtes, l'arbitre avait conclu que M. McLean n'était pas citoyen canadien et donc n'avait pas droit à l'émission d'un certificat de citoyenneté. Pour situer le débat dans son contexte, le juge Noël, aux paragraphes 5 à 8 de ses motifs, reproduisait, avec quelques commentaires, les dispositions législatives pertinentes de la Loi de 1947, ainsi que de la Loi de 1977. Voici comment s'exprimait le juge Noël:

[5]           Afin de placer la question soulevée dans l'appel dans son contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de citoyenneté canadienne a été introduite le 1er janvier 1947, avec l'adoption de la Loi sur la citoyenneté canadienne (la Loi de 1947). Les articles 4 et 5 de la Loi de 1947 sont rédigés comme suit.

4. Une personne, née avant l'entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance [Non souligné dans l'original]

[...]

b) Lorsqu'elle est née hors du Canada [...] et que son père ou, dans le cas d'une personne née hors du mariage, sa mère

(i) est né (ou née) au Canada [...] et n'était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

[...]

si' à l'entrée en vigueur de la présente loi, ladite personne n'est pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d'une résidence permanente ou est mineure.

5. Une personne, née après l'entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance [Non souligné dans l'original]

[...]

b) Si elle est née hors du Canada [...], et si


(i) son père ou, dans le cas d'un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada [...], ou parce qu'il lui a été accordé un certificat de citoyenneté ou du fait d'avoir été citoyen canadien lors de la mise en vigueur de la présente loi.

[6]           Un enfant né hors du Canada dans les liens du mariage obtenait donc la citoyenneté si son père était né au Canada; l'article 4 établissait ceci pour les enfants nés avant 1947 et l'article 5 faisait de même pour ceux nés après 1947. Toutefois, ce droit n'était pas accordé à un enfant dans les liens du mariage d'une mère canadienne (à moins, bien sûr que le père soit aussi né au Canada)

[7]           Cette différence de traitement a été partiellement corrigée en 1977, avec l'abrogation de la Loi de 1947 et son remplacement par la Loi actuelle. L'alinéa 5(2)b) actuel est rédigé comme suit

5. (2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté

[...]

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu'il autorise, à la personne qui, née à l'étranger avant le 15 février 1977 d'une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l'ancienne loi [Non souligné dans l'original]

[8]           Comme on peut le voir, cette disposition étendait le droit à la citoyenneté canadienne aux seules personnes qui pouvaient se prévaloir du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1947 (soit les personnes nées après 1947. Les enfants nés avant 1947 et qui sont dans une situation semblable ne se voient pas accorder le droit à la citoyenneté.

[11]            En l'instance, les demanderesses, nées avant le 1er janvier 1947 ( « nées avant 1947 » ), n'ont pas droit à la citoyenneté canadienne. Comme le fait remarquer le juge Noël dans McLean, précité, l'article 4 de la Loi de 1947 ne conférait la citoyenneté canadienne qu'aux enfants nés à l'étranger, avant 1947, d'un père né au Canada. Par conséquent, l'enfant né à l'étranger, avant 1947, d'une mère née au Canada dans les liens du mariage, ne se voyait pas conférer la citoyenneté canadienne.

[12]            La Loi de 1977 a remédié, en partie, à ce problème en ce qu'elle permet aux personnes nées à l'étranger, après 1947, d'une mère canadienne, d'obtenir la citoyenneté canadienne. Ce remède, par ailleurs, n'est pas disponible pour les personnes nées à l'étranger, avant 1947, d'une mère canadienne dans les liens du mariage.

[13]            Les demanderesses, tout comme l'avait fait M. McLean, invoquent au soutien de leurs prétentions, la décision de la Cour suprême du Canada dans Benner c. Secrétaire d'état du Canada, [1997] 1 R.C.S. 358. M. Benner, étant né à l'étranger, après 1947 [1962] , d'une mère canadienne dans les liens du mariage, pouvait se prévaloir de l'alinéa 5(2)b) de la Loi de 1977. Toutefois, la procédure permettant à une personne née à l'étranger, après 1947, d'obtenir la citoyenneté canadienne était différente, selon que la personne était née d'un père canadien ou d'une mère canadienne. En bref, une personne née à l'étranger d'un père canadien, avant le 14 février 1977, pouvait revendiquer la citoyenneté dès l'enregistrement de sa naissance. Quant à la personne née à l'étranger d'une mère canadienne, avant le 15 février 1977, mais après 1947, elle devait présenter une demande de citoyenneté, et cette procédure comportait, inter alia, l'obligation de prêter un serment d'allégeance et de se soumettre à une vérification d'antécédents judiciaires et à une enquête de sécurité.


[14]            La Cour suprême du Canada a conclu que ces exigences, qui n'existent plus dans la loi actuelle, enfreignaient le paragraphe 15(1) de la Charte parce qu'elles imposaient aux personnes nées à l'étranger d'une mère canadienne des conditions plus exigeantes que celles imposées aux personnes nées à l'étranger d'un père canadien.

[15]            Selon les demanderesses, la décision de la Cour suprême du Canada dans Benner, précité, est à l'effet qu'il est discriminatoire de traiter différemment les enfants nés à l'étranger, dans la mesure où leur demande d'un certificat de citoyenneté se fonde sur leur père canadien ou leur mère canadienne. Selon les demanderesses, le refus de Mme Campbell d'émettre les certificats qu'elles revendiquent ne fait que confirmer qu'elles sont bien fondées d'invoquer l'article 15 de la Charte.

[16]            Dans McLean, précité, la Cour d'appel fédérale a disposé de l'appel en prenant pour acquis que le raisonnement de la Cour suprême dans Benner, précité, était applicable aux personnes nées à l'étranger, avant le 1er janvier 1947, des liens du mariage et dont la mère était née au Canada. En d'autres mots, la Cour d'appel fédérale a disposé du litige en prenant pour acquis qu'il y avait discrimination au sens de l'article 15 de la Charte. Néanmoins, la Cour d'appel a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. McLean parce qu'il tentait d'obtenir une application rétroactive de la Charte.


[17]            Selon la Cour d'appel fédérale, le fait que M. McLean avait, à de nombreuses reprises, invoqué son statut de citoyen canadien à l'encontre des mesures de déportation prises contre lui avant la date d'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte, ne pouvait que mener à la conclusion que M. McLean tentait d'obtenir une application rétroactive de la Charte. Aux paragraphes 22, 23 et 24, le juge Noël s'exprime comme suit:

[22]         Selon moi, cette distinction importe peu. Le statut de citoyen d'une personne (ou l'absence de ce statut) a des conséquences non seulement en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais aussi en vertu d'autres lois qui font appel à cette notion. Par conséquent, le moment qui importe au vu du critère adopté par la Cour suprême dans l'arrêt Benner n'est pas la date à laquelle M. Benner avait fait une demande en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais bien la date à laquelle il s'est pour la première fois « ... heurté à un texte de loi qui tenait compte du fait qu'il n'était pas citoyen canadien » [le souligné est le mien].

[23]         Dans l'arrêt Benner, ce moment est arrivé lorsque M. Benner a demandé la citoyenneté et où on la lui a refusé. Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, ce moment se situe au moment où M. Andrews a demandé à être admis au barreau de la Colombie-Britannique et s'est vu opposer un refus. En l'instance, ce moment se situe à la date à laquelle l'appelant s'est opposé à son expulsion au motif qu'il était un citoyen canadien et qu'on a décidé que ce n'était pas le cas. Dans chacun de ces cas, le moment en cause est celui où le statut de la personne en question lui a été reproché et l'a privée du droit d'obtenir un avantage.

[24]         L'application du critère énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Benner aux faits en l'instance mène tout droit à la conclusion que l'appelant connaissait bien les dispositions de la Loi et qu'il les avait maintes fois invoquées avant que la Charte n'entre en vigueur. Selon moi, le juge des requêtes n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu que l'appelant recherchait une application rétroactive de la Charte.


[18]            La position du défendeur est à l'effet que la Loi de 1977 n'est pas contraire à l'article 15 de la Charte, puisqu'elle ne traite pas de façon différente les personnes nées à l'étranger avant 1947, d'un père ayant le statut de sujet britannique, et celles dont c'est la mère qui avait le statut de sujet britannique. Selon le défendeur, vu l'alinéa 3(1)d) de la Loi de 1977[4], aucune personne née avant 1947 ne peut prétendre être un citoyen canadien, à l'exception des personnes qui étaient des citoyens le 14 février 1977. De plus, le défendeur soumet que les demanderesses ne peuvent invoquer l'article 15 de la Charte pour se plaindre de discrimination sous la Loi de 1947, car ce serait demander l'application rétroactive de celle-ci.

[19]            À mon avis, le défendeur a raison de prétendre que l'application de l'article 15 de la Charte, en l'instance, aurait un effet rétroactif. Je m'explique.

[20]            Comme je viens de l'indiquer, la Loi de 1977 n'a pas remédié au fait que les personnes nées avant 1947 hors du Canada d'une mère canadienne, ne pouvaient obtenir la citoyenneté canadienne. En effet, l'alinéa 3(1)d) de la Loi de 1977, dont les demanderesses contestent la validité, l'applicabilité ou l'effet constitutionnel, a pour effet de « consacrer » la situation légale qui existait en date du 14 février 1977. Puisqu'à cette date, les demanderesses n'avaient pas la qualité de citoyen et qu'elles ne pouvaient l'obtenir en vertu des dispositions de la Loi de 1977, Mme Campbell a refusé de leur émettre les certificats de citoyenneté qu'elles demandaient.

[21]            Vu l'alinéa 3(1)d) de la Loi de 1977, les demanderesses attaquent la constitutionnalité des alinéas 4b) et des sous-alinéas 9(1)c)i) et ii) de la Loi de 1947, qui se lisent comme suit:



4. Une personne, née avant l'entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

[...]

b) lorsqu'elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et que son père ou, dans le cas d'une personne née hors du mariage, sa mère

i)     est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et ntait pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

ii)    était, à la naissance de ladite personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien,

si, à l'entrée en vigueur de la présente loi, ladite personne n'est pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d'une résidence permanente ou est mineure.

      ***************

9. (1) Une personne, autre qu'un citoyen canadien de naissance, est citoyen canadien

(a)    Si elle a obtenu un certificat de naturalisation, ou si son nom était inclus dans un tel certificat, et qu'elle ne soit pas devenue étrangère lors de l'entrée en vigueur de la présente loi; ou

(b)    Si, immédiatement avant la mise en vigueur de cette loi, elle était un sujet britannique possédant un domicile canadien;

ou, dans le cas d'une femme,

(c)    Lorsque,

       i)     avant l'entrée en vigueur de la présente loi, elle était mariée à une personne qui, si cette loi était entrée en vigueur immédaitement avant le mariage, aurait été citoyen canadien de naissance comme le stipule l'article quatre de la présente ou citoyen canadien comme le prévoient les alinéas (a) et (b) du présent paragraphe et lorsque,

     ii)      à l'entrée en vigueur de la présente loi, elle est sujet britannique et a été licitement admise au Canada en vue d'une résidence permanente.

4. A person, born before the commencement of this Act, is a natural-born Canadian citizen:

[...]

b) if he was born outside of Canada elsewhere than on a Canadian ship and his father, or in the case of a person born out of wedlock, his mother

i)     was born in Canada or on a Canadian ship and had not become an alien at the time of that person's birth, or

ii)    was, at the time of that person's birth, a British subject who had Canadian domicile,

if, at the commencement of this Act, that person has not become an alien, and has either been lawfully admitted to Canada for permanent residence or is a minor.

      ****************

9.    (1) A person other than a natural-born Canadian citizen, is a Canadian citizen, if he

(a)    Was granted, or his name was included in a certificate of naturalization and he has not become an alien at the commencement of this Act; or

(b)    Immediately before the commencement of this Act, was a British subject who had Canadian domicile;

or in the case of a woman,

(c)    If she

       (i)    before the commencement of this Act was married to a man who, if this Act had come into force immediately before the marriage, would have been a natural-born Canadian citizen as provided in section four of t his Act or a Canadian citizen as provided in paragraphs (a) and (b) of this subsection and

      ii)     at the commencement of this Act, is a British subject and has been lawfully admitted to Canada for permanent residence.


[22]            À mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans Benner, précité, n'est d'aucune utilité pour les demanderesses en ce qui concerne l'aspect rétroactif de l'application de l'article 15 de la Charte en l'instance. Il ne peut faire de doute que la conclusion de la Cour suprême dans Benner, précité, selon laquelle l'application de l'article 15 de la Charte n'avait pas d'effet rétroactif, ne peut s'appliquer en l'instance.

[23]            La conclusion de la Cour suprême dans Benner, précité, résulte, à mon avis, du fait que les dispositions attaquées et trouvées discriminatoires étaient celles de la Loi de 1977, qui conféraient à M. Benner un droit à la citoyenneté, mais assorti d'un traitement différent des personnes nées à l'étranger d'un père canadien.

[24]            À mon avis, le passage suivant du jugement du juge Iacobucci dans Benner, précité, démontre que n'eût été du remède apporté par la Loi de 1977 aux personnes nées à l'étranger avant le 15 février 1977, mais après le 1er janvier 1947, il est fort probable que la Cour suprême n'aurait pas conclu que l'application de la Charte ne donnait pas lieu à la rétroactivité. Aux pages 388 et 389, le juge Iacobucci s'exprime comme suit:


Lorsqu'on applique l'art. 15 à des questions de statut, ou à ce que Driedger, précité, appelle « le fait d'être quelque chose » , l'élément important n'est pas le moment où la personne acquiert le statut en cause, mais celui auquel ce statut lui est reproché ou la prive du droit d'obtenir un avantage. En l'espèce, ce moment est celui où le greffier intimé a examiné et rejeté la demande de l'appelant. Étant donné que cela s'est produit bien après l'entrée en vigueur de l'art. 15, l'examen en regard de la Charte du traitement réservé à l'appelant par l'intimé ne met pas en jeu l'application rétroactive ou rétrospective de ce texte. [le souligné est le mien]

Le juge Létourneau a déclaré, à la p. 291, qu' « [i]l ne suffit pas au demandeur de dire qu'il souffre encore des effets d'un acte discriminatoire qui s'est produit ou d'une loi discriminatoire que existait avant la Charte. Autrement, tous les cas de discrimination depuis le début du siècle pourraient être portés en justice sous le régime de l'article 15, à condition que la victime souffre encore des effets de la discrimination passée » . Cette affirmation est certes juste, mais, en toute déférence, je ne crois pas qu'elle décrit exactement la situation de l'appelant. Si ce dernier avait demandé la citoyenneté avant l'entrée en vigueur de l'art. 15 et qu'on la lui avait refusée, il ne pourrait maintenant se présenter devant la Cour et demander l'application de cet article à ce refus. Ce n'est cependant pas ce qui s'est produit. Jusqu'à ce que l'appelant présente sa demande, , en 1988, la loi régissant son droit à la citoyenneté ne s'était jamais appliqué à lui. La Loi établissait simplement quels seraient ses droits en matière de citoyenneté lorsqu'il ferait une demande en ce sens, et non quels étaient ces droits.

Je souligne que ces droits ont effectivement changé entre le moment où l'appelant est né et celui où il a demandé la citoyenneté. Sous le régime de la Loi de 1947, les personnes dans la situation de l'appelant n'avaient aucun droit particulier de demander la citoyenneté - cette loi ne comprenait aucune disposition à leur égard. La Loi de 1977 a changé cet état de chose et créé un droit restreint à la citoyenneté pour les personnes comme l'appelant. Lorsqu'il a finalement demandé la citoyenneté en 1989, ce sont ces droits qu'appliquaient à sa situation, et non ceux prescrits par la Loi antérieure qui était en vigueur au moment de sa naissance.

Pour dire les choses simplement, j'estime que la discrimination, si discrimination il y a eu, ne s'est pas produite avant que l'État ait rejeté concrètement la demande de citoyenneté de l'appelant en s'appuyant sur des critères qui, de prétendre l'appelant, violent l'art. 15 de la Charte. Jusqu'à ce qu'il ait tenté d'obtenir la citoyenneté et qu'on la lui ait refusée, l'appelant ne pouvait pas vraiment prétendre avoir fait l'objet de discrimination. Il n'avait pas de cause d'action sur laquelle fonder une demande: Reference re Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), précité. Sa demande a été rejetée le 17 octobre 1989, longtemps après l'entrée en vigueur de l'art. 15. Ce rejet peut donc être examiné eu égard de la Charte.


[25]            Il est clair, des propos du juge Iacobucci, que ce dernier considère comme facteur pertinent et, par conséquent, comportant des conséquences juridiques importantes, le fait que la Loi de 1977 a créé un droit à la citoyenneté pour les personnes comme M. Benner. Le juge Iacobucci fait remarquer que c'est sous la Loi de 1977 que les droits de M. Benner doivent être considérés, et non sous la Loi de 1947.

[26]            C'est pourquoi, à mon avis, que le juge Iacobucci, aux pages 396 et 397, prend la peine de signaler que ce n'est pas la Loi de 1947 qui est en litige devant la Cour, mais la Loi de 1977. Le juge Iacobucci s'exprime comme suit:

Il ne suffit pas non plus d'affirmer que la source véritable du traitement différent appliqué aux enfants nés à l'étranger d'une mère canadienne est la Loi de 1947, et non la Loi actuelle. La Loi de 1947 n'existe plus. Fait plus important encore, l'appelant ne l'a pas attaquée et cette loi n'est pas en litige en l'espèce. Les récriminations de l'appelant visent uniquement le fonctionnement de la Loi actuelle et le traitement qu'elle lui applique du fait que seulement sa mère était canadienne. Dans la mesure où la Loi actuelle perpétue la discrimination créée par la loi qui l'a précédée, elle peut elle-même être examinée en regard de l'art. 15, et c'est tout ce que l'appelant nous a demandé de faire. [...]


[27]            En l'instance, les demanderesses me demandent de déclarer inopérant, inter alia, l'alinéa 3(1)d) de la Loi de 1977. À mon avis, une telle déclaration n'est pas suffisante pour permettre aux demanderesses d'avoir gain de cause. Pour ce faire, les demanderesses doivent nécessairement attaquer, comme elles l'ont fait, la Loi de 1947, et plus particulièrement, l'alinéa 4b) de cette Loi, qui conférait la citoyenneté seulement aux personnes nées avant 1947 à l'étranger d'un père canadien. La conséquence de cette disposition fait en sorte que les demanderesses n'ont jamais pu acquérir la citoyenneté canadienne. Comme je l'ai déjà indiqué, la Loi de 1977 ne permet pas aux personnes nées à l'étranger avant 1947, d'une mère canadienne, d'acquérir la citoyenneté.

[28]            À mon avis, n'eut été du remède apporté par la Loi de 1977 aux personnes telles M. Benner, ce dernier n'aurait pu contester avec succès la Loi de 1977. À cet égard, les propos du juge Létourneau dans Benner v. Canada, [1994] 1 F.C. 250, sont tout à fait pertinents. Aux pages 288 à 290 (paragraphes 52 à 55), le juge Létourneau s'exprime comme suit:

L'avocat de l'appelant soutient que l'alinéa 5(2)b) de la Loi de 1977 est d'application rétrospective puisque qu'il définit pour l'avenir l'effet juridique d'un fait antérieur, c'est-à-dire la naissance de l'appelant, qui avait eu lieu en 1962, donc quelque 15 ans avant l'adoption de cette Loi. Pour reprendre ses propres termes, l'alinéa 5(2)b) est à la fois prospectif et rétrospectif, en ce que l'application qui en est prospective se rapporte à un fait antérieur. Je ne mets pas en doute cette assertion qui constitue la première étape de son raisonnement visant à démontrer que l'application de l'article 15 de la Charte aux faits de la cause n'est nullement rétrospective. Il ajoute que l'article 15 n'entre pas en jeu à l'égard du fait antérieur, c'est-à-dire de la naissance de l'appelant, mais à l'égard des effets de la Loi de 1977, c'est-à-dire de son application prospective aux personnes nées à l'étranger avant le 15 février 1977 du mariage de leur mère. Il en conclut que l'application de l'article 15 de la Charte aux faits de la cause ne constitue pas une application rétrospective. Cet argument, aussi attrayant qu'il puisse paraître à première vue, n'est pas valide.


Ce dont l'appelant se plaint réellement, c'est le fait qu'il s'est vu refuser la citoyenneté canadienne parce qu'il est né en 1962 à l'étranger d'un mariage de sa mère canadienne et non pas d'un père canadien. La cause de cette soi-disant discrimination est indubitablement le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté de 1947, et non pas la Loi de 1977 qui, au contraire, vise à remédier aux effets de l'ancienne Loi. Si en 1977 le législateur n'avait réparé l'injustice invoquée qu'à l'égard des personnes nées après le 15 février et avait ignoré le cas de l'appelant et des personnes se trouvant dans la même situation, et s'il n'avait pris aucune mesure pour réparer les torts passés, l'appelant aurait à contester maintenant la Loi de 1947 qui lui déniait le droit à la citoyenneté. Tout comme dans la cause R. c. Stevens où il était soutenu que le paragraphe 146(1) du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34), adopté avant la Charte, violait l'article 7 de cette dernière, l'appelant soutient en l'espèce que le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté de 1947 va à l'encontre de l'article 15 de la Charte. Tout comme dans la cause Stevens, il est indubitable que cet appel vise à l'application rétrospective de la Charte à une loi antérieure en raison d'un fait antérieur (sa naissance en 1962). [Non souligné dans l'original]

Il en est de même de la Loi de 1977. En premier lieu, ce n'est pas cette Loi qui est la cause de la soi-disant discrimination ou qui faisait de l'appelant un étranger; c'est le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1947 qui a eu cet effet. La nouvelle Loi ne fait qu'essayer de remédier à cette situation. Elle prend acte de la nationalité étrangère de l'appelant et ne fait que le prendre en charge dans l'état où la Loi de 1947 l'a laissé, celui d'un étranger qui, à partir de ce moment, se voit donner le droit et la possibilité d'acquérir la citoyenneté canadienne sous un régime qui ne lui était pas accessible auparavant. En second lieu, la Loi de 1977 est antérieure à la Charte et vise un fait ayant eu lieu avant cette dernière. En outre, si la Loi sur la citoyenneté de 1977 avait été muette quant au cas du demandeur et n'avait prévu aucune mesure pour remédier à la discrimination passée, celui-ci, à supposer qu'il puisse en attaquer la constitutionnalité, aurait à démontrer qu'elle est discriminatoire du fait qu'elle ne s'applique pas rétroactivement ou rétrospectivement à son cas. Autrement dit, que la Loi de 1977 est discriminatoire parce qu'elle n'élimine pas la discrimination qui avait cours en 1962 à cause de la Loi sur la citoyenneté de 1947. Quelle que soit la façon dont j'envisage la Loi de 1977, je ne vois pas comment une attaque contre ce texte au regard de la Charte ne serait pas rétrospective ou serait moins rétrospective qu'une attaque du même genre logée contre la Loi de 1947 à partir d'un même fait qui eut lieu en 1962.

Si la Loi de 1977 n'avait pas prévu de mesures correctives pour remédier aux torts causés auparavant par l'ancienne Loi de 1947, je pense que l'appelant n'aurait eu aucun fondement pour invoquer la Charte, car celle-ci ne s'appliquerait pas pour supprimer les conséquences juridiques attachées par la Loi de 1947 à sa naissance en 1962. Ce serait ironique si, par suite des mesures correctives prévues par la Loi de 1977, des étrangers comme l'appelant pouvaient maintenant prétendre à un fondement pour invoquer la Charte, alors qu'il n'en auraient pas eu aucun si la Loi de 1977 les avait complètement ignorés! [Non souligné dans l'original]


[29]            Même si la Cour suprême a annulé le jugement de la Cour d'appel, les propos du juge Létourneau sont, à mon avis, toujours valides. Puisque la Loi de 1977 n'a pas remédié à « l'injustice » résultant de la Loi de 1947, c'est cette dernière Loi, à mon avis, qui empêche les demanderesses d'obtenir la citoyenneté canadienne. Dans le passage précité tiré de la page 388 du jugement de la Cour suprême dans Benner, le juge Iacobucci déclarait que « l'élément important n'est pas le moment où la personne acquiert le statut en cause, mais celui auquel ce statut lui est reproché ou la prive du droit d'obtenir un avantage. En l'espèce, ce moment est celui où le greffier intimé a examiné et rejeté la demande de l'appelant... » .

[30]            En l'instance, je suis d'avis que le « moment » auquel réfère le juge Iacobucci dans Benner est le 14 février 1977, soit la date choisie par le législateur, par le biais de l'alinéa 3(1)(d) de la Loi de 1977, pour « cristalliser » le droit à la citoyenneté des personnes nées avant le 15 février 1977. Comme je l'ai déjà noté, la seule exception à cette règle est celle concernant les personnes, comme M. Benner, nées avant le 15 février 1977, mais après le 1er janvier 1947. Puisque la date choisie par le législateur précède l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte, l'application de cet article en l'instance aurait, à mon avis, un effet rétroactif.

[31]            En conclusion, il ne peut faire de doute que ce dont se plaignent les demanderesses est le fait que la Loi de 1947 ne leur a pas permis d'acquérir la citoyenneté canadienne par simple formalité avant l'entrée en vigueur de la Loi de 1977, contrairement aux personnes nées à l'étranger, avant 1947, dont le père avait le statut de sujet britannique. Cette inégalité, à mon avis, s'est réalisée avant l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte.


[32]            Donc, à mon avis, l'approche des demanderesses n'est pas fondée sur l'application contemporaine d'un texte de loi adopté avant l'entrée en vigueur de la Charte[5]. Ce que les demanderesses me demandent, en réalité, est de retourner dans le passé pour remédier un événement qu'elles qualifient « d'injuste » . Comme je l'ai déjà souligné, cet événement « injuste » résulte uniquement de la Loi de 1947, qui ne leur a pas permis de devenir citoyennes canadiennes sur simple déclaration d'intention avant le 15 février 1977.

[33]            Puisque je suis d'avis que l'application de l'article 15 de la Charte, en l'instance, aurait un effet rétroactif, la demande de contrôle judiciaire des demanderesses sera rejetée.

                                                                                               Marc Nadon

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                                                                                                             Juge

O T T A W A (Ontario)

le 17 mai 2002



[1]            Article 3, Loi de naturalisation, 1914, 4 & 5 Geo. 5, c. 44; R.S.C. 1927, c. 138.

[2]            Alinéa 4(1)b) de la Loi de 1947.

[3]            Le paragraphe 12(1) de la Loi de 1977 se lit comme suit:

Sous réserve des règlements d'application de l'alinéa 27i), le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux citoyens qui en font la demande.

[4]            L'alinéa 3(1)d) de la Loi de 1977 se lit comme suit:

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne:

d)            ayant cette qualité au 14 février 1977.

[5]            Voir les propos du juge Iacobucci dans Benner, précité, aux paragraphes 45 et 46.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: T-2206-99 et T-2207-99

INTITULÉ: SANDRA MARY DUBEY c. MCI BARBARA ALBERTA DUBEY

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC DATE DE L'AUDIENCE: 9 AVRIL, 2001 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE: 17 MAI, 2002

COMPARUTIONS

ME HUGUES LANGLAIS POUR LA DEMANDERESSE

ME SÉBASTIEN DASYLVA POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JOLI-COEUR, LACASSE, GEOFFRION JETTE, ST-PIERRE

MONTRÉAL, QUÉBEC POUR LA DEMANDERESSE

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

MONTRÉAL. QUÉBEC POUR LA DÉFENDERESSE

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