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Date: 19981207


Dossier: IMM-3840-97

Ottawa (Ontario), le lundi 7 décembre 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE


SEBASTIAN SWATANDRA SINGH et

SASHI KANTA SINGH,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.

                                        " MARC NADON "

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date: 19981207


Dossier : IMM-3840-97

ENTRE


SEBASTIAN SWATANDRA SINGH et

SASHI KANTA SINGH,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON :

[1]      Les demandeurs sollicitent l"annulation d"une décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté, le 13 août 1997, la demande qu"ils avaient présentée en vue d"obtenir le statut de réfugié au Canada.

[2]      Les demandeurs sont des citoyens de Fidji, d"origine indienne. Ils sont arrivés à Vancouver en juin 1995 et, peu de temps après, ils ont revendiqué le statut de réfugié. À l"appui de sa revendication, le demandeur affirme craindre avec raison d"être persécuté en raison de ses opinions politiques et du préjudice racial dont il est victime. La revendication de la demandeure (la conjointe) dépend de celle de son mari.

[3]      La Commission a conclu que le demandeur et, par conséquent, sa conjointe, n"avaient pas raison de craindre d"être persécutés. Aux pages 7 et 8 de ses motifs, la Commission dit ce qui suit :

                 [TRADUCTION]                 
                      Au début de l"audience, un grand nombre de questions ont été définies, compte tenu du formulaire de présélection [note de bas de page omise] et des ajouts effectués par les avocats et par les membres du tribunal. De nombreux éléments de preuve ont été présentés à ce sujet, en particulier en ce qui concerne la question de savoir si la situation dans le pays avait vraiment changé, notamment à la suite du projet de modification de la constitution adopté par le législateur de Fidji en janvier 1997 [note de bas de page omise]. Toutefois, à la suite de l"examen de tous les éléments de preuve, il ne reste qu"une seule question pertinente et déterminante. Il s"agit de la question du fondement objectif de la revendication.                 
                      La preuve documentaire montre que les deux coups militaires de 1987 ont donné lieu à un climat politique dans lequel le demandeur principal, qui était partisan de la coalition FLP-NFP qui a été destituée, et qui était le chauffeur personnel d"un dirigeant bien connu et d"une éminence grise, pourrait bien être victime de persécution politique. Si le demandeur principal était entré au Canada en 1987 et avait demandé l"asile avec Sylvester Joseph, sa revendication aurait bien pu aboutir à un résultat favorable similaire. Cependant, il est resté à Fidji. Il a été victime d"autres actes de persécution en mars 1988 et en janvier 1989, mais depuis lors, l"allégation de persécution n"a aucun fondement objectif.                 
                      Cinq années se sont écoulées pendant lesquelles le demandeur principal a fait du travail manuel pendant un certain temps, mais il a finalement réussi à se trouver un nouvel emploi.                 
                      Les efforts minimes faits par le demandeur en vue de quitter Fidji pendant cette période mine toute allégation de crainte subjective. Si le demandeur avait craint d"être persécuté pour des raisons politiques ou raciales, il aurait suivi l"exemple de son associé, Sylvester Joseph, et il serait venu au Canada pour y chercher refuge.                 
                      Le retour de M. Joseph à Fidji en 1994 a amené la sécurité à manifester de nouveau brièvement de l"intérêt pour le demandeur principal, mais lorsqu"on l"a amené pour l"interroger, on ne l"a pas détenu ou battu et on ne l"a pas persécuté comme on l"avait fait auparavant.                 
                      Bref, le demandeur principal est resté à Fidji bien après la période pendant laquelle son statut de réfugié au sens de la Convention aurait pu être reconnu. Depuis 1989, il n"y a pas de crainte fondée de persécution.                 
                      Enfin, pour traiter la question d"une façon exhaustive, le tribunal répondra à la question soulevée par l"avocat en disant qu"à son avis, le paragraphe 2(3) de la Loi ne s"applique pas parce que les actes dont le demandeur principal a été victime entre 1987 et 1989 ne satisfont pas au critère préliminaire strict voulant que ces actes soient " atroces " et " épouvantables "1. Il n"y a donc pas de " raisons impérieuses " empêchant le demandeur et sa conjointe de retourner à Fidji.                 

[4]      La Commission a reconnu qu"en ce qui concerne les événements qui se sont produits entre 1987 et 1989, le demandeur avait probablement de bons motifs de solliciter le statut de réfugié au Canada. Toutefois, selon la Commission, les événements qui se sont produits entre 1989 et 1995 ne sont pas tels qu"ils étayent la conviction selon laquelle le demandeur serait persécuté s"il retournait à Fidji. Compte tenu de la preuve dont disposait la Commission, cette conclusion n"est pas déraisonnable.

[5]      La Commission estimait également que le demandeur n"avait pas sérieusement tenté de quitter Fidji entre 1987 et 1995. Elle a déclaré que cette conclusion minait la crainte subjective de persécution du demandeur. Ici encore, selon la preuve dont disposait la Commission, je ne puis conclure que cette conclusion est déraisonnable.

[6]      La dernière question à trancher est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur ne pouvait pas, eu égard aux circonstances de l"espèce, invoquer le par. 2(3) de la Loi sur l"immigration (la Loi)2, qui prévoit ce qui suit :

                 (3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié [...] si elle établit qu"il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu"elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d"être persécutée.                 

[7]      La Commission a conclu qu"il n"existe pas de " raisons impérieuses " pour le demandeur de ne pas retourner à Fidji. En tirant cette conclusion, elle a cité la décision que la Cour d"appel fédérale avait rendue dans l"affaire Obstoj (supra) et dans laquelle le juge Hugessen, qui parlait au nom de la majorité, a dit ceci, à la page 748 :

                 Il n"est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu"elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour les raisons d"ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c"est-à-dire ceux qui ont souffert d"une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu"ils n"auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.                 
                 Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s"appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l"avocat n"en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l"échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d"origine. En fait, une interprétation qui produisait un tel résultat me semblerait à la fois répugnante et absurde. Elle rendrait également, ainsi qu"il a été noté, l"alinéa 69.1(5)b ) tout à fait incompréhensible.                 

[8]      Dans la décision Hassan c. ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1944), 77 F.T.R. 309 (1re inst.), Monsieur le juge Rothstein a eu l"occasion d"appliquer le par. 2(3) de la Loi. À la page 312, il a donné des explications au sujet de cette disposition :

                 M'appuyant toujours sur la décision Obstoj, je crois qu'en l'espèce, la Commission a commis une erreur de droit en jugeant que le paragraphe 2(3) ne s'appliquait qu'aux requérants qui continuaient de craindre d'être persécutés. À moins que l'on ne craigne que cette interprétation du paragraphe 2(3) porte atteinte à l'exigence habituelle selon laquelle les requérants doivent démontrer qu'ils craignent toujours d'être persécutés, on doit reconnaître, tel que l'a fait remarquer le juge Hugessen dans la décision Obstoj, que le paragraphe 2(3) ne s'applique qu'à une petite minorité de requérants actuels, c'est-à-dire de requérants appartenant à une catégorie spéciale et restreinte et pouvant démontrer qu'ils ont été persécutés de manière si épouvantable que cela seul constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont subi cette persécution. Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.                 

[9]      Dans la décision Shahid c. ministre de l"Emploi et de l"Immigration (décision inédite, 15 février 1995, IMM-6907-93), le juge Noël a infirmé la décision de la Commission pour le motif qu"en interprétant le par. 2(3) de la Loi , la Commission exigeait une crainte continue de persécution. Selon le juge Noël, cela était erroné. Je suis d"accord. À la clôture de l"audience, le défendeur avait demandé au juge Noël de certifier la question suivante : quel est le sens et quel est l"effet des mots " raisons impérieuses " figurant au par. 2(3) de la Loi sur l"immigration? Voici ce que le juge Noël a répondu :

                 À mon avis, le substrat juridique du paragraphe 2(3), pour ce qui est des facteurs ayant un rapport avec la détermination des "raisons impérieuses", a été clairement expliqué par la Cour d'appel dans Obstoj , supra. Ce qu'il reste à examiner dans chaque cas d'espèce, c'est si les faits de la cause en justifient l'application. La question doit donc être résolue à la lumière des faits de chaque cas d'espèce. La Cour ne certifiera donc pas la question ci-dessus.                 

[10]      Je suis entièrement d"accord avec le juge Noël pour dire qu"afin de déterminer si, dans un cas donné, il existe des " raisons impérieuses ", la Commission doit tirer une conclusion de fait. En l"espèce, la Commission a conclu qu"il n"y avait pas de " raisons impérieuses " permettant de conclure que le demandeur et sa conjointe ne devraient pas retourner à Fidji.

[11]      À mon avis, compte tenu du dossier dont disposait la Commission, cette conclusion n"est pas déraisonnable et je ne puis donc pas souscrire à l"avis des demandeurs lorsqu"ils disent que la Commission a commis une erreur susceptible de révision. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée est rejetée. Et puisque la demanderesse fonde entièrement sa revendication sur celle de son mari, la demande de cette dernière sera également rejetée.

                                     " MARC NADON "

                                 JUGE

Ottawa (Ontario)

le 7 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NoDU GREFFE :      IMM-3840-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SEBASTIAN SWATANDRA SINGH, SASHI KANTA SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
    
LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 1ERDÉCEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Nadon en date du 7 décembre 1998

ONT COMPARU :

SAMUEL D. HYMAN              POUR LES DEMANDEURS
LORI-JANE TURNER              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SAMUEL D. HYMAN LAW CORPORATION          POUR LES DEMANDEURS

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MORRIS ROSENBERG              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


__________________

1      Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.); (1992), 93 D.L.R. (4th) 144 (C.A.F.).

2      Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par. 2(3).

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