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Date : 20000823


Dossier : IMM-1117-99



ENTRE


     KIN WING LAU (alias Jian Rong Liu),

                                     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


[1]          Les présents motifs découlent de la dernière demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l'égard de la décision du défendeur au sujet de la demande d'établissement présentée par le demandeur au Canada dans la catégorie de parent aidé. Le demandeur a présenté sa première demande d'immigration au Canada en juin 1986. Depuis lors, c'est au moins la quatrième fois que son cas est soumis à notre cour.

[2]          La demande actuelle tire son origine de la décision du juge Campbell datée du 24 avril 19981. M. le juge Campbell a examiné l'exercice « défavorable d'un pouvoir discrétionnaire » à l'égard du demandeur aux termes du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 19782, il a accordé la demande de contrôle judiciaire et renvoyé la demande d'établissement du demandeur pour nouvel examen. Il a jugé que l'agente des visas qui avait fait un exercice défavorable de son pouvoir discrétionnaire avait limité illégalement son pouvoir discrétionnaire en appliquant à la lettre une directive émanant d'un sous-ministre adjoint du ministère du défendeur dans laquelle étaient énumérés les critères à prendre en considération pour l'évaluation des demandeurs. M. le juge Campbell a renvoyé l'affaire pour nouvel examen et a noté que le nombre des points d'appréciation attribués au demandeur n'était pas contesté et que la seule question en litige était de savoir « si l'exercice défavorable du pouvoir discrétionnaire était approprié. » Il a précisé ce qui suit :

[TRADUCTION] Lorsque l'on envisage d'exercer ce pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, les « bonnes raisons » mentionnées au par.11(3) du Règlement doivent comprendre les facteurs suivants : (i) deux offres d'emploi, élément auquel il convient d'accorder de l'importance et (ii) l'engagement [d'entretien fourni par les deux frères du demandeur au Canada], élément auquel il convient également d'accorder une certaine importance.

[3]          Enfin, M. le juge Campbell a ordonné au défendeur d'informer le demandeur des faits sur lesquels il entendait se fonder pour déterminer s'il existe de bonnes raisons d'exercer défavorablement le pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, et de donner au demandeur l'occasion de présenter ses observations avant de prendre une autre décision à son endroit.

[4]          Conformément à l'ordonnance de M. le juge Campbell, un vice-consul (l' « agent des visas » ) du Consulat général du Canada à Hong Kong a fourni, par une lettre datée du 7 septembre 1998, au demandeur ce qui constitue en fait une décision refusant sa demande d'établissement au Canada en raison de l'exercice défavorable du pouvoir discrétionnaire et expliquant au demandeur les raisons pour lesquelles l'agent des visas avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon défavorable. Le demandeur avait soixante (60) jours pour répondre à cette décision « avant que ne soit prise une décision définitive. » Pour plus de commodité, les passages essentiels de la lettre de l'agent des visas sont reproduits intégralement dans l'annexe « A » aux présents motifs.

[5]          Dans sa demande déposée le 10 décembre 1998, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la lettre de l'agent des visas du 7 septembre 1998, qui est qualifiée dans la demande de contrôle judiciaire de « décision » . Voici les mesures de redressement demandées par le demandeur et un exposé partiel des motifs invoqués à l'appui de sa demande :

     [TRADUCTION]

1.      Une ordonnance déclarant que l'agent des visas utilise le délai actuel pour l'évaluation de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire mais que ce délai concerne le dépôt de la demande, qu'il a commis un excès de pouvoir et accordant un bref de prohibite [sic] lui interdisant d'examiner plus avant la demande pour les motifs suivants :
     a)      la question du pouvoir discrétionnaire pour les motifs mentionnés par l'agent des visas antérieur ne peuvent être invoqués parce qu'ils sont intégrés au jugement du juge Campbell dans la mesure où ces faits ont été mis de l'avant à titre de motifs discrétionnaires pour refuser la demande et que ces faits étaient contenus dans une directive irrégulière émanant du sous-ministre adjoint de l'Immigration et destinée à tous les agents de visas.
     b)      en invoquant des faits identiques ou semblables, l'agent des visas a indiqué qu'il y avait une crainte raisonnable de partialité, en particulier parce qu'un certain nombre de ces faits avaient déjà été pris en compte dans les critères d'appréciation;
    
     c)      les éléments concernant le soutien financier, comme obtenir un emploi et gagner de l'argent sont repris dans l'engagement du demandeur;
     d)      tous les éléments négatifs mentionnés par l'agent Chubak auraient pu déjà être mentionnés dans la demande antérieure examinée par le juge Campbell, ce qui constitue une violation du principe public interdisant les poursuites en cascade qu'exprime la maxime latine « nemo debet bis vexari » .
2.      Une ordonnance de bref de mandamus à l'endroit du défendeur pour qu'il traite la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans les 90 jours de la délivrance de l'ordonnance.
3.      Une ordonnance de bref de mandamus chargeant un autre agent des visas d'examiner le dossier en fonction du droit et des faits tels qu'ils existaient le 24 juin 1994.
4.      Une ordonnance déclarant que la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur soit acceptée, sous réserve d'un examen médical et d'une attestation de sécurité, étant donné que les agents de visas Barr et Chubak ont évalué la demande du demandeur et lui ont accordé plus de 70 points d'appréciation.

[6]          Par une ordonnance datée du 21 janvier 1999, Mme le juge Tremblay-Lamer a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Elle a écrit dans les motifs de l'ordonnance3 :

J'estime que M. Chubak n'a commis aucune erreur justiciable du contrôle judiciaire et qu'il a exercé le pouvoir discrétionnaire qui est le sien conformément à l'ordonnance du juge Campbell.

[7]          Le 28 janvier 1999, l'avocat du demandeur a présenté des arguments détaillés à la section de l'immigration du Consulat général du Canada à Hong Kong en réponse à la lettre de l'agent des visas du 7 septembre 1998.

[8]          Dans une lettre du 2 février 1999, l'agent des visas rejetait la demande d'établissement au Canada du demandeur en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable au demandeur. Cette lettre était pratiquement identique à celle du 7 septembre 1998. Pour plus de commodité, l'essentiel de la lettre du 2 février est jointe à l'annexe « B » .

[9]          C'est la lettre du 2 février 1999 dont il s'agit ici.

[10]          L'avocat du défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire est visée par le principe de la chose jugée. Cet argument a été examiné à titre de question préliminaire à l'audience consacrée à la demande de contrôle judiciaire. Après avoir entendu les observations des avocats sur ce point, je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire soulève effectivement le principe de l'autorité de la chose jugée.

[11]          Comme cela a été mentionné plus haut, la teneur de la décision dont il s'agit ici est identique à la lettre de l'agent des visas du 7 septembre 1998. En fait, l'avocat du demandeur a qualifié cette lettre de décision « inchoative » 4 qui est devenue ensuite la décision contestée en l'espèce.

[12]          Trois questions ont été débattues dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire soumise à Mme le juge Tremblay-Lamer et elle a examiné chacune de ces questions dans les motifs de sa décision. Trois questions sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire dont l'une est identique à celle qui avait été soulevée devant Mme le juge Tremblay-Lamer. À l'audience, cette question a été abandonnée. Les questions qui demeurent en litige sont premièrement celle de savoir si la Cour peut se fonder sur les notes du CAIPS et sur les notes manuscrites figurant dans le dossier du tribunal mais dont l'exactitude n'est pas attestée par un affidavit déposé en l'instance et deuxièmement, celle de savoir si l'agent des visas a agi de façon déraisonnable ou a tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable. Ces deux questions auraient fort bien pu être soulevées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire présentée à Mme le juge Tremblay-Lamer mais cela n'a pas été fait. Ces questions appellent la même réponse dans le cadre de ces deux demandes de contrôle judiciaire puisque la décision « inchoative » et la décision dont il s'agit ici sont de nature identique. En fait, même si ces questions ne semblent pas avoir été soulevées devant Mme le juge Tremblay-Lamer et si celle-ci ne les a pas abordées directement dans ses motifs, on peut soutenir qu'elle les a écartées lorsqu'elle a fait une déclaration générale selon laquelle l'agent des visas « ... n'a commis aucune erreur justiciable du contrôle judiciaire... » en prenant une décision « inchoative » .

[13]          Dans Vasquez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5, le juge Rothstein note les conditions de l'issue estoppel ou du principe res judicata (principe de la chose jugée) : premièrement, la même question a été décidée, deuxièmement, la décision était finale, troisièmement, les parties aux deux instances sont les mêmes. Il a écrit au paragraphe 8 :

Le principe veut qu'une partie, après avoir reçu une décision définitive, ne peut porter de nouveau une affaire en justice, même si elle a trouvé des arguments supplémentaires qu'elle aurait pu invoquer à l'époque du litige initial.

Je suis convaincu que la présente demande de contrôle judiciaire répond parfaitement à cette définition. La question de la validité de la décision de l'agent des visas qui est contestée ici a déjà été tranchée par notre tribunal, même si au moment de la décision, la décision de l'agent des visas était « inchoative » . La décision de Mme le juge Tremblay-Lamer est définitive. Elle indique dans ses motifs qu'elle a été invitée à certifier des questions mais qu'elle a refusé de le faire. Sa décision n'est donc pas susceptible d'appel. Enfin, il ne peut être contesté que les parties qu'a entendues Mme le juge Tremblay-Lamer sont les mêmes que les parties à la présente demande.

[14]          Par conséquent, en fonction du principe de l'autorité de la chose jugée ou de l'issue estoppel, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[15]          Cette décision me paraît susceptible d'avoir une grande importance. Le défendeur est obligé dans le cadre de ses fonctions, par l'intermédiaire d'agents des visas et d'autres personnes, à prendre toute une gamme de décisions qui peuvent avoir des effets importants sur la vie des particuliers. Il y a lieu d'encourager le défendeur et ses représentants à faire circuler des analyses, des projets ou des décisions « inchoatives » lorsque la décision à prendre exige que l'on analyse un grand nombre de données factuelles et que l'on concilie deux ou plusieurs séries de considérations auxquelles on peut attribuer raisonnablement un poids différent et donc, arriver à des conclusions différentes, de façon à fournir aux personnes les plus directement concernées l'occasion de présenter des observations. C'est exactement ce qui a été fait ici conformément à l'ordonnance du juge Campbell mentionnée ci-dessus.

[16]          Le recours à une telle pratique ne devrait pas toutefois léser le défendeur ou le demandeur qui présente une demande de contrôle judiciaire. Cela dit, il convient également de tenir compte du principe suivant tiré de l'arrêt Fenerty v. Halifax (City)6 qui a été approuvé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Grandview (Ville) c. Doering7 :

La doctrine de la chose jugée se fonde sur le concept de l'ordre public de façon à pouvoir mettre fin à un litige et empêcher qu'un individu soit poursuivi une deuxième fois au regard d'une même affaire. Selon moi, la jurisprudence a établi la règle qu'un jugement entre les mêmes parties est final et concluant, non seulement à l'égard des questions examinées, mais également à l'égard des questions que les parties auraient pu soulever.

Lorsqu'une demande de contrôle judiciaire vise une décision « inchoative » , il faut soulever toutes les questions que soulève la « décision » en cause. Le principe de l'autorité de la chose jugée interdit de soulever à nouveau ces questions lorsque la décision « inchoative » est devenue définitive.

[17]          L'avocat du demandeur aura sept (7) jours à partir de la date du prononcé des présents motifs pour déposer des observations au sujet de la certification d'une question, après les avoir signifiés au préalable à l'avocat du défendeur. L'avocat du défendeur aura ensuite sept (7) jours pour signifier et déposer ces observations en réponse. L'avocat du demandeur pourra déposer une réplique dans les trois (3) jours ouvrables de la signification de la réponse du défendeur.



                             ____________________________

                             J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

23 août 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.



     ANNEXE « A »

                         7 septembre 1998
                         B0365 2061 0
M. Liu Jian Rong,
Il s'agit ici de votre demande d'établissement au Canada et de votre entrevue du 4 août 1998. J'ai maintenant achevé l'examen de votre demande et j'ai le regret de vous informer que j'ai déterminé que vous ne répondez pas aux conditions vous permettant d'immigrer au Canada dans la catégorie de parent aidé.
Conformément aux paragraphes 8(1) et 10(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, et ses modifications, les immigrants faisant partie de la catégorie de parent aidé sont évalués en fonction de chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. Voici ces facteurs : éducation, préparation professionnelle spécifique, expérience, demande par profession, emploi réservé ou profession désignée, facteur démographique, âge, connaissance de l'anglais et du français et, après une entrevue, personnalité.
J'ai évalué votre demande en fonction d'un emploi de cuisinier, cuisine étrangère, et vous avez obtenu les points d'appréciation suivants :
     Âge                          10
     Demande par profession                  10
     Préparation professionnelle spécifique          15
     Expérience                      06
     Emploi réservé                      00
     Facteur démographique                  08
     Éducation                      09
     Anglais                          00
     Français                          00
     Personnalité                      00
     Total                          58
Pour que votre candidature soit retenue à titre de parent aidé, vous devez obtenir 55 points d'appréciation. Dans votre cas, ce chiffre, qui est habituellement de 70, a été ramené à 55 pour tenir compte des 15 points qui sont attribués aux parents aidés au moment de la présentation de votre demande.
Je n'estime pas toutefois que les points d'appréciation que vous avez obtenus reflètent fidèlement votre capacité à vous établir au Canada. Vous avez obtenu suffisamment de points d'appréciation pour répondre aux critères de sélection mais je n'estime pas que vous soyez en mesure de vous établir au Canada. C'est pourquoi j'ai décidé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable à votre demande. Ma décision d'exercer de façon défavorable mon pouvoir discrétionnaire a été approuvée par le directeur du programme d'immigration de ce bureau.
Pour conclure que l'exercice dans un sens défavorable au requérant du pouvoir discrétionnaire dont nous disposons est justifié en l'occurrence, nous avons tenu compte des facteurs suivants :

Bien que vous n'ayez déjà, auparavant, pas pu satisfaire aux critères de sélection, en grande partie pour des raisons de compétence linguistique, vous n'avez rien fait pour améliorer vos chances de réussir votre installation au Canada, pour ce qui est de votre possibilité de communiquer dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Vous ne parlez pas du tout anglais. Vous avez confirmé que vous étiez également incapable d'écrire en anglais ou de comprendre cette langue. Vous avez confirmé que vous n'avez pas étudié l'anglais récemment ni avant le dépôt de votre première demande d'immigration en 1986. Vous n'avez pas été capable de vous exprimer suffisamment pour expliquer comment le fait que vous n'ayez pas la moindre connaissance de l'anglais pourrait faire obstacle à votre installation au Canada.
Votre instruction s'arrête à l'école primaire, sans complément de formation. Vous pouvez écrire le chinois mais votre connaissance de la grammaire est très faible. Votre maniement des caractères et idéogrammes démontre une connaissance médiocre de l'idéographie chinoise. Je considère que vos aptitudes à cet égard sont un indice des chances que vous avez de réussir votre installation au Canada.
Conformément à l'ordonnance rendue par la Cour, j'ai pris en compte les offres de travail que vous ont faites vos deux frères au Canada. Votre plus jeune frère, qui a parrainé votre demande, est actuellement cuisinier dans un restaurant. Vous avez déclaré que ce frère avait peut-être à une certaine époque une participation dans ce restaurant mais qu'à l'heure actuelle il n'y était que salarié. Étant donné que votre frère y travaille en tant qu'employé, on ne peut guère accorder de poids à l'offre d'emploi qu'il vous avait faite.
Selon les renseignements fournis par votre avocat, votre second frère est actionnaire minoritaire d'un restaurant chinois où il est cuisinier. Vous n'étiez pas au fait des conditions contenues dans l'offre de travail et vous ne saviez pas les différences qu'il pourrait y avoir entre les aliments préparés au Canada et ceux que l'on préparerait en République populaire. Selon les états financiers non vérifiés concernant les opérations de ce restaurant au cours deux dernières années, celui-ci a enregistré un bénéfice net avant impôt de 11 007 $ et 9 982 $ respectivement. Cela étant, et conformément à l'ordonnance de la Cour voulant que l'on accorde un poids considérable à l'offre d'emploi, j'estime que cette entreprise, dont votre frère détient 25 p. 100 des parts, n'est pas à même de vous fournir un emploi à temps plein, et certainement pas au salaire annuel de 26 000 $ indiqué dans l'offre d'emploi. Vous n'avez personnellement fourni aucune documentation fiscale susceptible de confirmer ou d'infirmer cette conclusion ou de démontrer que l'entreprise de votre frère rapporte suffisamment pour maintenir l'offre d'emploi qui a été faite et/ou pour subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille comme l'exigent les textes en vigueur. Vous avez été avisé des préoccupations que m'inspiraient ces deux offres d'emploi et vous n'avez rien fait pour y répondre.
Vous ne connaissez rien du Canada ou de Toronto et n'avez pas été en mesure d'expliquer quelles sont les différences qui existent entre une région rurale en Chine et la ville de Toronto ni les obstacles que vous aurez à surmonter. Vous ne connaissez absolument rien de Toronto ni des conditions de vie et de marché du travail de cette région. Vous avez montré un manque d'initiative lorsque vous avez confirmé que vous n'avez rien fait pour vous renseigner sur le Canada pour vous aider à vous établir. Au Canada, vous vous attendez à exercer le métier de cuisinier et à ce que vos frères pourvoient entièrement à vos besoins, espérance par ailleurs parfaitement conforme à un manque total de prospection ou de préparatifs.
Vous avez déclaré que vous avez été affecté à l'emploi que vous occupez actuellement. Avant de travailler comme cuisinier, vous étiez aide-cuisinier et n'avez jamais cherché de travail sur le marché du travail.
On ne constate chez vous aucune connaissance du Canada ou de la situation de l'emploi, deux domaines qui, pourtant, sont de nature à influencer vos chances de vous y installer et d'y gagner votre vie. Vous avez été interrogé assez longuement concernant vos projets éventuels d'emploi au cas où les offres de travail qui vous ont été faites de manière informelle ne se réaliseraient pas ou ne s'avéreraient pas durables. Vous avez répondu que vos frères, installés au Canada, vous aideraient et vous fourniraient tout ce dont vous avez besoin. Vous avez presque 51 ans, vous ne parlez pas anglais, vous avez passé toute votre vie dans un village à la campagne, vous n'avez travaillé que comme ouvrier agricole et comme aide-cuisinier uniquement chargé de la friture. Il était important que vous manifestiez une certaine motivation, que vous fassiez preuve d'initiative et montriez votre capacité d'adaptation et votre débrouillardise en vue de vous établir au Canada. Vous avez toutefois confirmé que vous n'aviez pas essayé de vous renseigner sur le Canada, sur le marché du travail et que votre famille vous avait fourni peu d'information sur les questions liées à votre établissement dans ce pays. L'absence chez vous de tout effort de prospection, que vous confirmez d'ailleurs vous-même, le fait que vous comptiez entièrement sur des forces extrinsèques (vos proches), votre manque de compréhension et de connaissance du marché canadien du travail et l'absence, chez vous, de toute solution de rechange, ne plaide guère en faveur de vos facultés d'adaptation, de votre esprit d'initiative, de votre motivation ou de votre débrouillardise.
En ce qui concerne d'éventuelles solutions de rechange, vous n'avez rien prévu au cas où il vous faudrait chercher un emploi pour subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille. Vous avez toujours déclaré que vos frères s'occupent de vous. Mais, rappelons qu'une des offres informelles d'emploi qui vous ont été faites est neutralisée par le fait qu'un de vos frères n'est pas du tout en mesure de vous offrir un emploi et que la situation financière dans laquelle se trouve l'autre frère fait que son offre informelle d'emploi ne saurait se concrétiser. À mon avis, il est irréaliste de votre part de compter entièrement, comme vous le faite, sur les autres, et cela témoigne chez vous d'une absence des éléments susceptibles de vous permettre de réussir votre installation au Canada.

Il ressort des faits exposés ci-dessus que vous éprouverez de grandes difficultés économiques à vous installer au Canada, au point où il y a lieu d'exercer négativement le pouvoir discrétionnaire qui nous est reconnu.

Avant de rendre une décision finale, et conformément à l'ordonnance de la Cour, je vous ai communiqué les faits sur lesquels nous nous sommes fondés pour exercer, dans un sens qui vous est défavorable, notre pouvoir discrétionnaire et nous vous avons accordé soixante (60) jours pour y répondre avant que n'intervienne la décision finale.


    

     ANNEXE « B »

                                 2 février 1999
                         B0365 2061 0
M. Liu Jian Rong,
Il s'agit ici de votre demande d'établissement au Canada et de votre entrevue du 4 août 1998. J'ai maintenant achevé l'examen de votre demande et j'ai le regret de vous informer que j'ai déterminé que vous ne répondez pas aux conditions vous permettant d'immigrer au Canada dans la catégorie de parent aidé.
Conformément aux paragraphes 8(1) et 10(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, et ses modifications, les immigrants faisant partie de la catégorie de parent aidé sont évalués en fonction de chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. Voici ces facteurs : éducation, préparation professionnelle spécifique, expérience, demande par profession, emploi réservé ou profession désignée, facteur démographique, âge, connaissance de l'anglais et du français et, après une entrevue, personnalité.
J'ai évalué votre demande en fonction d'un emploi de cuisinier, cuisine étrangère, et vous avez obtenu les points d'appréciation suivants :
     Âge                          10
     Demande par profession                  10
     Préparation professionnelle spécifique          15
     Expérience                      06
     Emploi réservé                      00
     Facteur démographique                  08
     Éducation                      09
     Anglais                          00
     Français                          00
     Personnalité                      00
     Total                          58
Pour que votre candidature soit retenue à titre de parent aidé, vous devez obtenir 55 points d'appréciation. Dans votre cas, ce chiffre, qui est habituellement de 70, a été ramené à 55 pour tenir compte des 15 points qui sont attribués aux parents aidés au moment de la présentation de votre demande.
Je n'estime pas toutefois que les points d'appréciation que vous avez obtenus reflètent fidèlement votre capacité à vous établir au Canada. Vous avez obtenu suffisamment de points d'appréciation pour répondre aux critères de sélection mais je n'estime pas que vous soyez en mesure de vous établir au Canada. C'est pourquoi j'ai décidé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable à votre demande. Ma décision d'exercer de façon défavorable mon pouvoir discrétionnaire a été approuvée par le directeur du programme d'immigration de ce bureau.
Vous avez été informé des faits sur lesquels est basé l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un sens défavorable à votre demande et avez eu l'occasion de réfuter ces faits avant qu'une décision définitive ne soit prise. En outre, la cour a jugé que les motifs qui vous ont déjà été fournis étaient appropriés.
Je comprends que cette décision va sans doute vous décevoir et je regrette qu'elle ne vous soit pas favorable.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DE GREFFE :              IMM-1117-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      KIN WING LAU (alias Jian Rong Liu) c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 18 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Gibson

EN DATE DU 23 août 2000


ONT COMPARU :

Cecil Rotenberg et                      POUR LE DEMANDEUR

Mary Lam

Marissa Bielski                      POUR LE DÉFENDEUR


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg et                      POUR LE DEMANDEUR

Mary Lam

Don Mills (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


__________________

1      (1998), 45 Imm L.R. (2d) 96 (C.F. 1re inst.).

2      DORS/78-172.

3      (1999), 162 F.T.R. 134.

4      [TRADUCTION] « Commencé mais pas terminé » , The Dictionary of Canadian Law - Dukelow & Nuse, - Carswell Publication, 1991.

5      (1998), 160 F.T.R. 142.

6      (1920), 50 D.L.R. 435 (C.A.N.-É.).

7      [1976] 2 S.C.R. 621.

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