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Date : 20050909

Dossier : IMM-9001-04

Référence : 2005 CF 1227

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2005

En présence de monsieur le juge Blanchard

ENTRE :

                                                          Fah OULD EL BACHIR

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.         Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission), rendue le 4 octobre 2004 par le commissaire Richard Quirion, rejetant la requête en réouverture de la demande d'asile.


[2]                À titre de remède, le demandeur réclame que cette Cour annule la décision.

2.          Contexte factuel

[3]                Le demandeur est un citoyen de la Mauritanie. Le 18 mars 2004, la première formation de la Commission rejette sa demande d'asile. Il intente une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision le 14 avril 2004 qui est rejetée le 31 août 2004.

[4]                Le 14 mai 2004, le demandeur saisit la Commission d'une requête en réouverture conformément à l'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles). Cette demande est rejetée le 4 octobre 2004.

[5]                L'autorisation pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire est accordée le 31 janvier 2005.

3.         Décision contestée


[6]                Le commissaire Quirion, dans sa décision datée du 4 octobre 2004, a jugé que le commissaire Osmane, de la première formation de la Commission qui a conclu au rejet de la revendication du demandeur, avait donné toute la latitude nécessaire au demandeur afin que celui-ci puisse mettre en preuve tous les faits relatifs à sa demande de protection et faire valoir tous ses moyens devant le tribunal. Le commissaire a en outre accepté de séparer son dossier de celui de sa conjointe. Le seul refus auquel le demandeur a fait face de la part du commissaire est le refus de se récuser dans le dossier du demandeur, qui craignait la partialité du fait que le commissaire avait rendu une décision dans le dossier de sa conjointe. Le commissaire Quirion a conclu que, le demandeur n'ayant pas démontré une violation de la justice naturelle lors de l'audition de sa demande de protection, il n'avait pas compétence pour accorder sa demande de réouverture.

4.         Questions en litige

[7]                Est-ce que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, en rejetant la demande en réouverture d'audience?

5.         Analyse

[8]                En l'espèce, la décision initiale rejetant la demande de protection du demandeur a été rendue le 18 mars 2004. La Cour fédérale a rejeté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision le 31 août 2004. La Cour n'a pas retenu les prétentions


du demandeur soulevées à l'encontre de la décision initiale, qui sont les mêmes que celles qui ont été soulevées dans la requête en réouverture qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire en l'espèce. J'estime que la Cour a rejeté la demande d'autorisation parce qu'elle jugeait les points soulevés par le demandeur sans fondement. Il y a donc, sans contredit, une détermination finale sur ces questions prononcées par la Cour fédérale. Par conséquent, il y a chose jugée entre les parties, tel que le prétend le défendeur, en ce qui concerne les arguments soulevés par le demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire, lesquels sont identiques à ceux qui ont été soulevés devant cette Cour dans la demande d'autorisation à l'encontre de la décision initiale de la Commission.

[9]                Nonobstant ma détermination relative au principe de la chose jugée, la décision contestée par cette demande de contrôle judiciaire est celle du commissaire Quirion et non la décision de cette Cour rendue lors du rejet de la demande d'autorisation. Je vais donc considérer si le commissaire Quirion a erré en rejetant la demande en réouverture d'audience. À mon avis la Commission est functus officio en l'espèce. Il a rendu une décision finale et ne peut rouvrir une audience ou réexaminer un affaire, sauf s'il y a eu une preuve d'un déni de justice naturelle lors de l'audition de cette affaire. Voilà l'exercice que je vais maintenant entreprendre.

[10]            Le demandeur prétend qu'il craint la partialité du fait que le commissaire Osmane, qui a entendu sa demande de protection, a également entendu et décidé la demande de sa conjointe de fait alors que les deux demandes avaient été séparées par le tribunal. Le demandeur prétend que la Commission a violé les principes de justice naturelle en se basant sur des informations relatives à cette autre demande pour rendre sa décision sans en aviser le demandeur.

[11]            Il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut rouvrir une affaire, une fois qu'elle a rendu sa décision finale, à moins qu'elle estime qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle au moment où elle a rendu sa décision : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Nabiye, [1989] 3 C.F. 424. Ce principe est par ailleurs établi au paragraphe 55(4) des Règles.



55. Élément à considérer

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

55. Factor

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.


[12]            Le pouvoir de la Commission d'accorder ou de refuser une demande de réouverture est discrétionnaire : Plese c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1977] 2 C.F. 567; Canada c. Levac, [1992] 3 C.F. 463. Par conséquent, ce n'est que la légalité de la décision qui est sujette au contrôle judiciaire de cette Cour et non son mérite: Koutsouveli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 21 F.T.R. 271; Dawkins c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 639.

[13]            Il est reconnu dans la jurisprudence que cette Cour ne peut intervenir dans une décision discrétionnaire de la Commission que si elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi, sous influence de considérations étrangères, ou de façon illégale ou arbitraire : Hilario c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1978] 1 C.F. 697.

A.         L'allégation de partialité

[14]            En ce qui a trait à l'allégation du demandeur que l'audition des deux demandes par le même commissaire allait à l'encontre du principe de la séparation des demandes tel qu'agréé par la Commission, il est bien établi dans la jurisprudence que le seul fait qu'un décideur ait déjà participé à une décision antérieure impliquant l'une ou l'autre des parties concernées ne crée pas en soi une crainte raisonnable de partialité.


[15]            L'allégation de partialité soutenue par le demandeur semble être fondée sur le motif que le décideur a rejeté la demande de protection de sa conjointe de fait. Je ne peux retenir cet argument. La preuve démontre que le demandeur savait que le commissaire Osmane devait entendre la demande de protection de sa conjointe dès le 2 septembre 2003, date de sa deuxième audience sur sa propre demande de protection. Ce n'est que le 16 décembre 2003 qu'il demande la récusation du commissaire Osmane. J'accepte les prétentions du défendeur à l'effet qu'une allégation de partialité doit être soulevée à la première occasion, sous peine d'être rejetée. En l'instance, j'estime que le demandeur avait renoncé à soulever cette crainte de partialité du commissaire Osmane puisqu'il ne l'a pas fait dès la connaissance des faits sur lesquels elle était fondée.

[16]            Je suis d'avis que le demandeur n'a pas démontré qu'une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait, selon toute vraisemblance que le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » , selon le critère établi par la Cour suprême dans l'affaire Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395. En conséquence, le demandeur n'a pas soulevé une crainte raisonnable de partialité de la part du Commissaire Osmane.

B.          Les conditions de la demande de réouverture


[17]            En l'espèce, le demandeur argumente que la Commission a violé les règles de justice naturelle en faisant mention, dans la décision contestée, de la décision rendue dans le dossier de la conjointe du demandeur. Ces dossiers ont été séparés et, selon le demandeur, il s'agit d'une erreur que d'avoir fait référence au dossier de sa conjointe dans la décision contestée.

[18]            La Commission a ainsi fait mention du dossier de la conjointe dans la décision litigieuse :

Considérant que dans le cas qui nous occupe, l'examen de la requête et de l'ensemble du dossier ne nous permet pas d'en arriver à une telle conclusion; en effet, le commissaire chargé du dossier a rendu une décision en se conformant tout au long du processus à la procédure légale et aux règles de justice naturelle. Le demandeur a été dûment convoqué, le commissaire l'a entendu et lui a donné toute la latitude nécessaire afin qu'il puisse s'expliquer. Le tribunal a accepté que son dossier soit séparé de celui de sa conjointe, par contre, le commissaire a refusé de se récuser dans le dossier du demandeur qui craignait qu'il y ait apparence de partialité du fait que le commissaire avait rendu une décision dans le dossier de sa conjointe. Par la suite, le commissaire a pris la cause en délibéré pour, finalement, se prononcer sur la demande d'asile. (Je souligne)

[19]            Le demandeur argumente que ce dossier n'a pas été déposé en preuve durant l'audition et que la Commission n'a pas obtenu la permission de sa conjointe pour faire référence à son dossier. De plus, le demandeur argumente que la même erreur a été commise par la Commission dans sa décision initiale sur la revendication.


[20]            Le défendeur fait valoir que le pouvoir discrétionnaire dont jouit la Commission a été correctement exercé en l'espèce. Le défendeur souligne en outre que le demandeur a avancé les mêmes arguments dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de la décision sur sa demande d'asile que ceux formulés en l'espèce. Il n'y a pas lieu de s'attaquer à la décision rejetant sa demande d'asile puisque ce n'est pas la décision soumise au contrôle judiciaire en l'espèce. La doctrine de chose jugée s'applique à l'égard de cette décision : Ndjobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 934 (QL). Le défendeur allègue en outre que les informations relatives à l'autre dossier ont été fournies par le demandeur lui-même.

[21]            Ayant passé le dossier en revue, je suis d'avis que la décision de la Commission contestée en l'espèce fait mention du dossier de la conjointe du demandeur dans le seul but d'énumérer les façons dont la justice naturelle a été respectée, ce qui a entre autres passé par la séparation des dossiers. Il m'apparaît que la décision initiale de la Commission n'était effectivement pas entachée d'une violation des principes de justice naturelle. Les dossiers du demandeur et de sa conjointe ont été séparés afin de traiter de l'appartenance de cette dernière à un groupe social particulier, les femmes. Il n'y a, non plus, aucune preuve pour appuyer les prétentions du demandeur à l'effet que la demande de récusation ait été incorrectement rejetée.

[22]            La seule mention du dossier de la conjointe du demandeur faite par la Commission dans la décision initiale sur la revendication vise à répondre à un argument qu'il a soutenu, soit son allégation qu'il craint la persécution en Mauritanie en raison de sa relation avec une femme mariée, sa conjointe, avec laquelle il vit depuis avril 2001. Sur ce point, la Commission tire la conclusion suivante :

En fait, de sa propre initiative, le tribunal a séparé la cause du demandeur de celle (MA2-06525) de cette dame qui repose notamment sur l'appartenance de celle-ci à un groupe particulier, les femmes. Le tribunal a déterminé que cette dame n'est pas crédible et a rejeté sa demande. Considérant toutes les difficultés contenues dans le témoignage du demandeur, le tribunal ne peut pas non plus croire que cette dernière allégation ait un fondement.


[23]            À mon avis, il ressort clairement de ce passage que la Commission a fait initialement mention du dossier de la conjointe du demandeur afin de répondre à un argument qu'il a lui-même mis de l'avant dans le contexte de sa demande d'asile. Tel que le souligne le défendeur, même si cela constituait un accroc à la justice naturelle, ce que je ne conclus pas, cette mention n'a pas eu d'impact sur la décision de rejeter la revendication du demandeur puisque c'est en raison de sa non-crédibilité qu'elle n'a pas été accueillie : Mobil Oil Canada Ltd. c. Canada -Newfoundland Offshore Petroleum Board, [1994] 1 R.C.S. 202; Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (QL).

6.          Conclusion

[24]            À la lumière de ce qui précède, je conclus qu'il n'y a pas matière à intervention pour cette Cour. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25]            Le demandeur propose de certifier les questions suivantes dans le jugement à être rendu sur la demande de contrôle judiciaire :

1.          Quand deux dossiers ont été séparés et entendus par le même commissaire, ce dernier peut-il référer au premier dossier (preuve testimoniale, décision, FRP) dans le deuxième dossier sans que cela n'ait été déposé ou versé dans le second dossier?

2.          Lorsque deux dossiers sont séparés, afin de respecter le principe de l'équité procédurale et de justice naturelle est-ce que le même commissaire peut entendre les deux demandes d'asile de façon concomitante?


[26]            Ayant considéré les soumissions écrites des parties, je ne suis pas satisfait que les questions soulevées méritent d'être certifiées. Elles ne rencontrent pas le test établi à cette fin en ce qu'elles ne sont pas des questions de portée générale, ne transacendent pas les intérêts des parties et, plus particulièrement, ne sont pas des questions soulevant des considérations sérieuses eu égard aux faits en cause : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. No. 1637 (QL); Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] CAF 89.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.           

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »                   

                                                                                                                                                     Juge                          


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9001-04

INTITULÉ :                                        Fah Ould El Bachir c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 28 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                   le 9 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Me Marie-José L'Écuyer                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Martine Valois                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Marie-José L'Écuyer                                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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