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Date : 20040322

Dossier : T-1490-99

Référence : 2004 CF 429

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

ALEBACHEW WODAJIO, également sous le nom

                                d'AL WODAJIO, par son représentant ad litem,

                                        le curateur public régional de l'Alberta

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande présentée conformément à l'article 300 des Règles de la Cour fédérale (1998) (DORS/98-106) (les Règles) à l'égard d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi). Le curateur public de l'Alberta (le demandeur) sollicite une ordonnance annulant la décision que la juge de la citoyenneté a rendue le 21 juin 1999.


LES FAITS

[2]                Monsieur Wodajio, qui était citoyen de l'Éthiopie, a émigré au Canada en 1981; le gouvernement canadien lui a reconnu le statut de réfugié. Il a été réinstallé à Red Deer (Alberta), où il a commencé à avoir des problèmes de santé mentale. Il a été admis à l'hôpital psychiatrique local, où il a fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie paranoïde. Il a reçu son congé après avoir été traité et, au mois de mai 1982, il a tué son travailleur social. Il a été reconnu non coupable en raison de son aliénation mentale au mois d'août 1982 et il est depuis lors assujetti à un mandat du lieutenant-gouverneur.

[3]                Monsieur Wodajio a été traité au Service de psychiatrie légale, à l'hôpital de l'Alberta, à Edmonton, où le docteur Tweedle est devenu son psychiatre traitant; le docteur Tweedle agit encore à titre de psychiatre de M. Wodajio. La plupart des faits qui sont ici relatés sont tirés des rapports du psychiatre ou de l'affidavit de M. Bob Mitchell, qui agit à titre de curateur public de l'Alberta pour le compte de M. Wodajio.


[4]                Pendant son traitement, M. Wodajio a fait certains progrès. Il est devenu citoyen canadien en 1988. En 1993, il a obtenu la permission de visiter sa famille en Éthiopie, et ce, pour un mois. Lorsqu'il est revenu au Canada, son état s'est aggravé. Il vivait dans la collectivité à ce moment-là, mais il a été réadmis à l'hôpital, où il a refusé d'être traité même s'il avait demandé de l'aide parce qu'il se croyait persécuté. En 1994, il a été placé sous la tutelle du curateur public et il a été traité. L'ordonnance judiciaire accordant la curatelle ne portait que sur le traitement médical.

[5]                Monsieur Wodajio a commencé à être obsédé par l'idée de retourner vivre en Éthiopie où, était-il convaincu, sa santé serait bonne. Les tentatives qu'il a faites pour répudier sa citoyenneté canadienne ont commencé en 1996. Il a pu retenir les services d'un avocat pour agir en son nom et il a pu donner des instructions à celui-ci. Un psychiatre-conseil (il ne s'agissait pas du docteur Tweedle) a attesté, en 1999, que le patient saisissait la portée de la répudiation. Le 21 juin 1999, M. Wodajio a obtenu un certificat de répudiation.


[6]                Le curateur public a immédiatement tenté de faire modifier l'ordonnance de curatelle pour qu'elle comprenne le droit de décider où M. Wodajio vivrait ainsi que le droit d'agir légalement au nom de celui-ci sur les questions de citoyenneté. Monsieur Wodajio s'est opposé, par l'entremise de son avocat, aux procédures engagées devant le tribunal des successions de l'Alberta. Le présent appel a été suspendu en attendant que l'affaire soit réglée. Après de longues procédures, la Cour d'appel de l'Alberta a finalement rendu un jugement accordant au curateur public l'autorisation d'agir pour le compte de M. Wodajio et reconnaissant la validité de l'ordonnance par laquelle le tribunal des successions avait accordé au curateur public certains pouvoirs au sujet de la question de l'endroit où M. Wodajio devait habiter et de la décision qui devait être prise au sujet de la citoyenneté.

POINTS LITIGIEUX

[7]                La décision de la juge de la citoyenneté de délivrer le certificat de répudiation devrait-elle être annulée?

ANALYSE


[8]                Une multitude de questions de droit ont été soulevées dans le contexte de la présente demande, mais je crois qu'il est possible d'exposer l'affaire d'une façon plus simple. Le défendeur a soulevé un certain nombre de points techniques qui ne peuvent pas à mon avis faire obstacle à la demande. Le défendeur a soutenu que le demandeur ne pouvait pas interjeter appel d'une décision rendue en sa faveur. Toutefois, le paragraphe 14(5) de la Loi envisage un appel de la décision du juge de la citoyenneté, qu'elle soit favorable ou non. Le défendeur a en outre soutenu qu'une fois que le certificat de répudiation a été délivré, la décision est définitive et ne peut pas être révoquée. Étant donné que le certificat a été délivré le jour même où la décision a été rendue, le droit d'appel n'existerait pas si la délivrance du certificat devait abolir le droit d'appel. Une telle interprétation aurait pour effet de rendre la loi absurde, soit un résultat découlant d'une interprétation fautive qui n'est absolument pas satisfaisant. Enfin, le défendeur a soutenu qu'étant donné que la citoyenneté avait été répudiée en 1999, elle ne pouvait pas être rétablie si ce n'est conformément à la Loi. Toutefois, je crois que si la décision de la juge de la citoyenneté devait être annulée, la citoyenneté de M. Wodajio n'aurait jamais été répudiée, et ce dernier serait encore un citoyen canadien.

[9]                Le noeud du litige se rapporte à la question de savoir si, au moment où la juge de la citoyenneté a rendu sa décision, M. Wodajio avait la capacité juridique et l'aptitude mentale nécessaires pour présenter la demande. La seule autre condition qui aurait pu empêcher l'octroi de la répudiation, le fait que M. Wodajio résidait au Canada, contrairement à l'alinéa 9(1)d), a été examinée par la juge et l'affaire a été renvoyée au ministre pour qu'il prenne une décision, conformément à l'article 15. Le ministre a probablement renoncé à cette condition, conformément à la recommandation faite par la juge le 17 juin 1999, de sorte que la décision rendue par la juge le 21 juin a été légalement rendue et que le certificat a été légalement délivré (dans la mesure du moins où les conditions de l'alinéa 9(1)d) étaient remplies).


[10]            Le demandeur a habilement démontré, à mon avis, que si la curatelle s'était appliquée à des questions ayant des effets juridiques et à la citoyenneté le 21 juin 1999, l'ordonnance approuvant la demande de répudiation serait invalide. À cette date, l'ordonnance de curatelle ne portait que sur les soins médicaux; le demandeur a soutenu que les questions d'ordre médical devraient s'appliquer aux procédures de citoyenneté, étant donné que le départ de M. Wodajio en Éthiopie mettrait fin à des soins psychiatriques convenables.

[11]            L'ordonnance judiciaire rendue le 11 octobre 1994 par le juge Smith, du tribunal des successions de l'Alberta, conférait des pouvoirs au curateur public, en sa qualité de tuteur de M. Wodajio, uniquement à l'égard du consentement relatif aux soins de santé. La Dependent Adults Act est fort claire : en rendant l'ordonnance, la cour doit préciser l'étendue des pouvoirs conférés au tuteur. Au paragraphe 10(3), des pouvoirs précis sont mentionnés. Un pouvoir est conféré au tuteur s'il en est fait mention dans l'ordonnance. L'alinéa a) traite de l'endroit où l'adulte à charge doit vivre; l'alinéa g) traite de procédures judiciaires qui ne se rapportent pas à la succession de l'adulte à charge. Ces dispositions n'ont pas été incluses dans l'ordonnance de 1994.

[12]            Les efforts que M. Wodajio a faits pour répudier sa citoyenneté canadienne, de façon à retourner en Éthiopie ou à y être expulsé, remontent à l'année 1996. Selon le rapport de son psychiatre traitant, le retour en Éthiopie était devenu une obsession. Les efforts de M. Wodajio n'étaient pas exactement secrets. Le passage suivant est tiré du long rapport du docteur Tweedle, en date du 16 août 1999 :


[TRADUCTION] Par le passé, lorsque M. Wodajio venait d'être admis à l'hôpital de l'Alberta, il a échappé à la garde légale et il s'est finalement adressé aux autorités de l'Ontario. Il a été détenu à l'hôpital pendant une longue période par la suite et, subséquemment, il a appris qu'il devait régler les questions légalement. Il a eu recours à un grand nombre de mesures juridiques dont il pouvait se prévaloir et il profite de toutes les occasions pour aborder les personnes qui visitent le service (comme les députés provinciaux locaux, les députés fédéraux et ainsi de suite), les nouveaux administrateurs, les nouveaux directeurs, les nouveaux membres de l'équipe, afin de leur demander de l'aider à retourner en Éthiopie. À maints égards, M. Wodajio est clairement en mesure de demander l'aide d'un avocat et de lui donner des instructions. Toutefois, la question qui me préoccupe le plus se rapporte au fait que cette activité est attribuable aux symptômes de sa maladie, dont il n'a pas la moindre idée. Il est certain qu'il continuera à être malade, et ce, où qu'il se trouve.

[13]            J'ai minutieusement examiné la décision de la juge de la citoyenneté, qui figure sur une page du dossier du tribunal. Les motifs sont ainsi libellés :

[TRADUCTION] Monsieur Wodajio est au Canada au gré du lieutenant-gouverneur de l'Alberta en vertu d'un mandat; il est détenu à l'hôpital. Il n'est pas libre de se rendre en Éthiopie pour demander à répudier sa citoyenneté pendant qu'il réside à l'extérieur du Canada. Aujourd'hui, j'ai parlé à son avocat, qui a fourni les renseignements susmentionnés.

[14]            Le dossier du tribunal comporte soixante-deux pages et renferme différents documents.

[15]            Parmi ces documents, il y a une copie d'un rapport du docteur William McCay, en date du 1er octobre 1996, et une autre lettre du docteur McCay, en date du 11 février 1999, soit plus de deux ans plus tard. Le docteur McCay dit expressément, dans la deuxième lettre, qu'elle vise à réexaminer son rapport antérieur de 1996.


[16]            Le médecin traitant de M. Wodajio ne mentionne pas de rapport. Je note que, dans une lettre en date du 11 octobre 1996 de M. Norman Sabourin, greffier de la citoyenneté canadienne, adressée à M. James Joosse, avocat de M. Wodajio à ce moment-là, il était expressément fait mention d'une déclaration du médecin traitant et je cite :

[TRADUCTION] De plus, je dois fournir un certificat de son médecin traitant attestant qu'il est mentalement capable de saisir la portée de la répudiation.

[17]            Dans le dossier du tribunal, il y a également deux mentions, dont celle qui est faite dans la décision elle-même, de conversations téléphoniques avec l'avocat du demandeur, qui a fourni certains renseignements à la juge. À la page 10 du dossier se trouve une note signée par la juge de la citoyenneté, et je cite :

[TRADUCTION] 17/6/99

J'ai parlé à James Joosse, l'avocat de M. Wodajio, qui m'a expliqué les circonstances qui l'ont amené à résider au Canada. Signé

[18]            L'autre mention d'une conversation téléphonique a déjà été ci-dessus citée.

[19]            Nous devrions du moins veiller à ce qu'une décision relative à la répudiation de la citoyenneté soit fondée sur un examen approfondi de tous les éléments de preuve factuels et juridiques.

[20]            Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a expressément mentionné qu'elle était au courant du mandat délivré par le lieutenant-gouverneur de l'Alberta et qu'elle savait que le demandeur, M. Wodajio, était détenu dans un hôpital.

[21]            À mon avis, les deux rapports du docteur McCay soulèvent des questions plutôt que de donner des réponses. Dans le rapport de 1996, le docteur McCay a dit ce qui suit (page 46, dossier du tribunal) :

[TRADUCTION] À mon avis, cet homme est atteint d'une schizophrénie paranoïde chronique, ses symptômes étant en partie soulagés au moyen de médicaments antipsychotiques. J'estime que ses inquiétudes, en ce qui concerne le personnel et son traitement à l'hôpital de l'Alberta, sont fondées sur des idées délirantes, étant donné qu'il a manifesté des craintes similaires à certains moments par le passé lorsqu'il était malade et que ses craintes se dissipaient lorsqu'il n'avait plus de symptômes, grâce à l'injection intramusculaire d'une dose moyennement élevée de Flupenthixol. Les symptômes se manifestaient de nouveau lorsque la dose était réduite.

Étant donné les symptômes continus de schizophrénie paranoïde, le manque de discernement, le comportement violent du patient par le passé lorsqu'il était malade, je crois que son psychiatre traitant a été prudent en recommandant qu'il soit hospitalisé d'une façon continue et qu'il soit traité à l'aide de médicaments antipsychotiques. En ce moment, je ne recommande aucun changement à l'égard de son statut ou des privilèges qui lui sont accordés.

[22]            Dans le rapport de 1999, sur lequel la juge de la citoyenneté s'est fondée pour décider que M. Wodajio saisissait suffisamment la portée de la répudiation, le docteur McCay a dit ce qui suit (page 14, rapport du tribunal) :

[TRADUCTION] À mon avis, M. Wodajio continue à manifester des symptômes de schizophrénie paranoïde chronique et il continue à ne pas se rendre compte de son état. Il ne ressent pas le besoin de prendre des médicaments d'une façon continue pour contrôler sa maladie. À ces égards, il n'a pas changé depuis que je l'ai évalué en 1996.

[...] Il comprend que la répudiation de la citoyenneté canadienne est une mesure importante et que les conséquences de cette répudiation seront que le gouvernement éthiopien lui délivrera alors les documents nécessaires pour retourner dans son pays. Il m'a montré une communication du gouvernement éthiopien énonçant exactement cela. Il se rend compte qu'une fois qu'il aura pris cette décision, il ne sera plus citoyen canadien et qu'il devra retourner dans un pays qui n'offre aucun des programmes comme l'aide sociale pour subvenir à ses besoins et qu'il serait à la charge de sa famille à cet égard s'il n'était pas en mesure de travailler.


Par conséquent, à mon avis, M. Wodajio se rend compte de la portée et des conséquences de la répudiation de la citoyenneté canadienne.

Par conséquent, même s'il est arrivé à la même conclusion au sujet du fait que M. Wodajio a besoin d'être traité, le docteur McCay est d'avis que M. Wodajio se rend compte de la portée de la répudiation.

[23]            Monsieur Sabourin, du ministère de l'Immigration, avait expressément demandé à M. Wodajio de fournir une attestation de son médecin traitant. Il est difficile de comprendre comment la juge de la citoyenneté pourrait considérer le docteur McCay comme le médecin traitant puisque M. Wodajio était détenu à l'hôpital et qu'il verrait probablement son médecin traitant plus d'une fois en deux ou trois ans. Les rapports montrent que M. Wodajio ne veut pas prendre ses médicaments, car il ne croit pas en avoir besoin. Toutefois, le rapport donne également à entendre que les médicaments sont nécessaires puisque l'état de santé de M. Wodajio ne s'améliore que s'il prend des médicaments.

[24]            Le fait que la juge de la citoyenneté a fondé son avis sur une conversation téléphonique particulière avec l'avocat de M. Wodajio, sans indiquer le contenu de la discussion, me préoccupe également. Il n'est pas fait mention d'un document ou renseignement précis au sujet de l'état de santé de M. Wodajio.

[25]            Je n'hésite pas à conclure que certains éléments majeurs manquaient dans le dossier lorsque la juge de la citoyenneté a pris sa décision. Les documents ont été fournis par le demandeur lui-même et les renseignements ont été fournis par téléphone par l'avocat du demandeur. Il n'existe pas la moindre preuve que la juge de la citoyenneté ait su que M. Wodajio était assujetti à une ordonnance par laquelle le curateur public avait été désigné comme tuteur en une qualité quelconque. Même si, lors de l'audience, l'ordonnance désignant le curateur public ne traitait pas, à vrai dire, de questions telles que la répudiation de la citoyenneté, il est évident que pareille décision aurait des répercussions importantes sur l'état de santé de M. Wodajio s'il devait être expulsé en Éthiopie.

[26]            Je ne doute aucunement que M. Wodajio a sciemment caché les circonstances importantes liées à sa capacité juridique et à sa déficience mentale dans sa demande de répudiation de la citoyenneté. En vertu de l'ordonnance de curatelle, M. Wodajio n'était pas autorisé à prendre des décisions au sujet des soins de santé qui lui étaient prodigués; pourtant, en prenant des dispositions pour être expulsé du Canada, il se trouvait effectivement à éviter l'ordonnance judiciaire qui autorisait le curateur public à faire en sorte qu'il reçoive le traitement médical approprié. Le traitement n'est tout simplement pas offert en Éthiopie pour son problème de santé.

[27]            Je conviens avec l'avocat du demandeur que si la juge de la citoyenneté avait eu des renseignements appropriés au sujet de l'état de santé de M. Wodajio et de son statut juridique, elle n'aurait pas approuvé la demande de répudiation de la citoyenneté canadienne. Je ne crois pas que la déficience mentale dont M. Wodajio était atteint lui permettait de saisir pleinement la portée de la répudiation de sa citoyenneté canadienne; une lettre de son médecin traitant, lettre qu'Immigration Canada avait demandée, aurait confirmé la chose.

[28]            Le demandeur a soutenu qu'en ne tenant pas compte de l'ordonnance judiciaire dont M. Wodajio faisait l'objet au moment où la décision a été rendue, la juge de la citoyenneté avait excédé sa compétence puisque, à toutes fins utiles, en accordant la répudiation, la juge annulait l'effet de l'ordonnance judiciaire. Je suis d'accord. En outre, cet excès de compétence justifie l'admission de la nouvelle preuve dont la juge de la citoyenneté ne disposait pas. Un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) n'est pas un nouveau procès (Lam c. MCI, [1999] A.C.F. no 410), mais la Cour d'appel fédérale a dit que, dans un appel prévu par la loi, un élément de preuve dont ne disposait pas le décideur pouvait être reçu, si cet élément touchait la compétence du décideur (Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218).

[29]            Dans l'arrêt Lam, le juge en chef Lutfy a conclu, après avoir examiné les divers facteurs qui s'appliquent à la norme de contrôle, que l'appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) doit être examiné selon la norme de la décision correcte, mais qu'il faut faire preuve d'une certaine retenue. Étant donné que la question de la compétence est une question de droit qu'un tribunal judiciaire peut analyser plus facilement que le juge de la citoyenneté puisque, pour être nommé juge, ce dernier n'a pas besoin d'une formation juridique, je crois que dans ce cas-ci également la norme est celle de la décision correcte. En appréciant la demande de répudiation sans analyser plus à fond la situation dans laquelle se trouvait le demandeur, à savoir la raison pour laquelle le médecin traitant ne fournissait pas de renseignements, et sans se renseigner sur les circonstances qui avaient donné lieu au traitement en vertu du mandat du lieutenant-gouverneur, ce qui aurait permis de découvrir l'ordonnance de curatelle qui avait été rendue au sujet du traitement, la juge de la citoyenneté a rendu une décision sans tenir compte des renseignements pertinents. Compte tenu de l'ordonnance de curatelle, la juge de la citoyenneté ne pouvait pas rendre une décision qui aurait un effet direct sur le traitement de M. Wodajio, soit l'objet même de l'ordonnance de curatelle.

[30]            Je n'hésite pas à annuler la décision que la juge de la citoyenneté a rendue le 21 juin 1999.

[31]            Étant donné que la décision de la juge de la citoyenneté était nulle ab initio par suite de l'absence de compétence, M. Wodajio n'a jamais perdu la citoyenneté canadienne. Il était et continue à être citoyen canadien.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-            La décision que la juge de la citoyenneté a rendue le 21 juin 1999 est annulée.

-            La répudiation est réputée n'avoir aucun effet.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


                                                           ANNEXE « A »

                                                    Dispositions législatives


9. (1) Peut demander à répudier sa citoyenneté le citoyen qui :

9. (1) A citizen may, on application, renounce his citizenship if he

a) possède une nationalité étrangère ou l'obtiendra si sa demande de répudiation est acceptée;

(a) is a citizen of a country other than Canada or, if his application is accepted, will become a citizen of a country other than Canada;

b) n'est pas visé par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20;

(b) is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20;

c) n'est pas un mineur;

c) is not a minor;

d) n'est pas incapable de saisir la portée de répudier sa citoyenneté en raison d'une déficience mentale;

(d) is not prevented from understanding the significance of renouncing citizenship by reason of the person having a mental disability; and

e) ne réside pas au Canada.

(e) does not reside in Canada.

(2) Pour des raisons humanitaires, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'exempter les intéressés des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e).

(2) The Minister may, in the Minister's discretion, waive on compassionate grounds the requirements of paragraph (1)(d) or (e).

(3) Une fois la demande de répudiation approuvée, le ministre délivre un certificat de répudiation au demandeur, lequel perd sa citoyenneté soit à l'expiration du jour de délivrance du certificat, soit à la date ultérieure qui y est indiquée.

(3) Where an application for renunciation is approved, the Minister shall issue a certificate of renunciation to the applicant and the applicant ceases to be a citizen after the expiration of the day on which the certificate is issued or such later day as the certificate may specify.

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité -- avec les dispositions applicables en l'espèce de la présente loi et de ses règlements -- des demandes déposées en vue de :

14. (1) An application for

a) l'attribution de la citoyenneté, au titre du paragraphe 5(1);

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1),

b) la conservation de la citoyenneté, au titre de l'article 8;

(b) a retention of citizenship under section 8,


c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), ord) la réintégration dans la citoyenneté,au titre du paragraphe 11(1).

[...]

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

. . .

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l'article 15, approuve ou rejette la demande selon qu'il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

[...]

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

. . .

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

a) de l'approbation de la demande;

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

(6) La décision de la Cour rendue sur l'appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l'article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

(6) A decision of the Court pursuant to an appeal made under subsection (5) is, subject to section 20, final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.


(2) S'il recommande l'exercice du pouvoir discrétionnaire, le juge de la citoyenneté :

(2) Where a citizenship judge makes a recommendation for an exercise of discretion under subsection (1), the judge shalla) en informe le demandeur;

(a) notify the applicant;

b) transmet sa recommandation motivée au ministre;

(b) transmit the recommendation to the Minister with the reasons therefor; and

c) approuve ou rejette la demande dès réception de la réponse du ministre, en se conformant à la décision prise par celui-ci à l'égard de sa recommandation.

c) in accordance with the decision that has been made in respect of his recommendation, forthwith on the communication of the decision to the judge approve or not approve the application.



COUR D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1490-99

INTITULÉ :                                                    Alebachew Wodajio, également sous le nom d'Al Wodajio, par son représentant ad litem, le curateur public régional de l'Alberta

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 9 mars 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                   le 22 mars 2004

COMPARUTIONS :

Wendy A. Danson                                             POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCuaig Desrochers                                         POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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