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Date : 20001117

Dossier : IMM-4923-99

OTTAWA (Ontario), le 17 novembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                   EDOUARD BAKCHIEV

                                                                                     demandeur

ET :

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                        défendeur

                                        ORDONNANCE

[1] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée au défendeur pour qu'il statue de nouveau sur celle-ci.

             « P. ROULEAU »     

    JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20001117

Dossier : IMM-4923-99

ENTRE :

                                   EDOUARD BAKCHIEV

                                                                                     demandeur

ET :

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                        défendeur

                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire contre deux décisions, datées du 2 septembre 1999, que la représentante du ministre a prises en vertu des paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), et dans lesquelles elle a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.


[2]    Le demandeur est né le 4 juin 1955 à Kizliar (Dagestan), en ex-Union soviétique, et il est un citoyen du Dagestan. Il est arrivé au Canada le 10 avril 1992 et y a revendiqué le statut de réfugié. On a conclu qu'il était effectivement un réfugié au sens de la Convention et on lui a accordé le droit de s'établir au Canada le 21 mai 1993.

[3]    Avant de venir au Canada, le demandeur avait déjà été reconnu coupable de vol à main armée ainsi que de possession et entreposage illégaux d'armes à feu et d'entreposage illégal de stupéfiants en Fédération de Russie, des infractions à l'égard desquelles il a reçu des peines d'emprisonnement de 8 et 10 ans. Il a été mis en liberté conditionnelle le 22 mars 1991. Monsieur Bakchiev n'a pas mentionné ces condamnations au criminel lorsqu'il a rempli son formulaire de renseignements personnels (FRP) qui devait servir à étayer sa revendication du statut de réfugié.

[4]    Après qu'il est devenu un résident permanent du Canada, le demandeur a fait l'objet de deux chefs d'accusation pour agression à Montréal et Vancouver respectivement. Par la suite, une lettre datée du 6 avril 1999 l'informait qu'un avis d'intention de demander l'avis du ministre sur la question de savoir s'il constituait un danger pour le public au Canada avait été délivré. Une copie des documents qu'examinerait le ministre pour formuler son avis était jointe à la lettre. Une copie du rapport de police sur les circonstances qui avait donné lieu à l'accusation d'agression qui pesait contre le demandeur à Montréal était jointe aux observations présentées au ministre.


[5]                L'avocat du demandeur s'est opposé à l'inclusion de toute information concernant les deux accusations au criminel qui pesaient contre son client au Canada et il a produit le rapport d'un psychologue. La représentant du ministre a répondu que l'information serait soumise de toute façon, car elle portait sur la question de la probabilité que le demandeur commette de nouveau une infraction, et elle a soutenu qu'il reviendrait au décideur de déterminer le poids qu'il conviendrait de lui accorder. Elle a également mentionné que le rapport du psychologue contenait plusieurs incohérences, à l'instar des documents fournis par les autorités russes.


[6]                Le 9 juillet 1999, l'investigateur en immigration principal a rempli un rapport sur l'avis du ministre au sujet du danger pour le public que représente le demandeur. Le 24 août 1999, un agent de réexamen et un analyste principal de la direction générale du réexamen des case ont examiné les observations faites au ministre dans la demande d'avis présentée à ce dernier. Dans leur rapport au représentant du ministre, ils ont souligné que le demandeur constituait un danger, mentionnant ses deux condamnations en Fédération de Russie de même que les deux accusations criminelles pour agression qui pesaient contre lui au Canada. Le rapport tenait compte de considérations liées au risque que suscitait son renvoi, compte tenu du fait que le demandeur s'était vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention étant donné qu'il risquait d'être persécuté en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, lui qui était un Juif qui provenait du Dagestan, un État à prédominance musulmane.

[7]                Le 2 septembre 1999, le représentant du ministre s'est dit d'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au sens de la Loi.

[8]                Le demandeur cherche maintenant à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision au motif que le représentant du ministre a violé l'obligation d'équité qui lui incombait en tenant compte d'accusations criminelles qui n'ont pas encore été tranchées par les tribunaux. De plus, M. Bakchiev fait valoir qu'il avait droit à une copie des rapports que le représentant du ministre a examinés et qu'on aurait dû lui donner l'occasion de faire des observations à l'égard de ces rapports avant la prise de la décision.


[9]                Le défendeur soutient pour sa part que même si le bien-fondé des accusations criminelles qui pèsent contre le demandeur au Canada n'a pas encore été établi devant un tribunal, la preuve que constituent les accusations criminelles ainsi que les circonstances dans lesquelles elles ont été portées est pertinente en ce qui concerne l'examen, par le ministre, de la question de savoir s'il doit se dire d'avis que le demandeur constitue un danger pour le public. Il soutient que la véritable question litigieuse en l'espèce est de savoir quel poids le décideur doit accorder aux accusations criminelles, et que les questions concernant le poids de la preuve ne peuvent convenablement faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. En outre, comme le demandeur a eu l'occasion de faire part de ses observations au représentant du ministre au sujet des accusations criminelles, il n'a pas été privé de l'équité procédurale et il n'y a pas eu de violation de la justice naturelle.


[10]            Je suis convaincu que le représentant du ministre a commis une erreur lorsqu'il a tenu compte des accusations criminelles qui pesaient contre le demandeur. Il ressort clairement de la preuve que les directives que le ministre doit suivre en formulant son avis prévoit que toute accusation criminelle dont le bien-fondé n'a pas encore été établi ne doivent pas être utilisée à cette fin. En outre, notre Cour a récemment examiné cette question dans l'affaire Bertold c. Canada, [1999] A.C.F. no 1492, dans lequel le demandeur cherchait à obtenir le contrôle judiciaire d‘une décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI), qui avait conclu qu'une mesure d'expulsion prise contre lui était valide. Pour parvenir à sa décision, la SAI avait tenu compte d'accusations criminelles qui pesaient contre le demandeur dans un autre ressort. La SAI a conclu que les accusations n'établissaient pas la culpabilité du demandeur, mais qu'elles étaient tout de même admissibles et que le poids qu'il convenait d'accorder aux documents devait refléter le fait qu'il s'agissait d'accusations et non de condamnations. Statuant sur la demande de contrôle judiciaire, notre Cour a conclu que le renvoi aux accusations qui pesaient contre le demandeur n'était pas admissible. Voici ce que le juge Muldoon a dit :

Dans l'arrêt Kumar [Kumar c. Canada (MEI) (A-1533-83; 29 novembre 1984)], la Cour d'appel fédérale a statué que l'existence d'accusations en instance n'aurait dû jouer aucun rôle dans la décision rendue par la SAI, dans le cadre d'un appel sous le régime de l'article 70, relativement à la question de savoir s'il y avait lieu d'accorder la prolongation de sursis demandée par le demandeur. Dans cette affaire, la SAI avait garanti au demandeur que ces accusations ne seraient pas prises en compte; toutefois, la SAI les a finalement mentionnées dans sa décision et la Cour d'appel fédérale ne pouvait pas affirmer avec certitude qu'elles n'avaient joué aucun rôle dans la décision de la SAI.

Dans la décision rendue par la SAI dans l'affaire Melo [Melo c. Canada (MCI), (1997) 39 Imm. L.R. (2d) 1], le président du tribunal a statué que l'arrêt Kumar avait force obligatoire et il l'a interprété comme signifiant que les accusations en instance ne peuvent jamais être prises en considération, si ce n'est pour déterminer s'il y a lieu de reporter l'audience de la SAI lorsqu'une décision semble sur le point d'être rendue relativement aux accusations.

Dans un contexte légèrement différent, le juge Reed a statué, dans Kessler c. Canada (MCI) (1998), 153 F.T.R. 240 (1re inst.), qu'un agent d'immigration pouvait à bon droit prendre en considération des accusations criminelles en instance pour refuser d'accorder au demandeur l'autorisation, pour des motifs humanitaires, de demander le droit d'établissement alors qu'il se trouve déjà au Canada. Les accusations en instance dans cette affaire concernaient des infractions de fraude et de fraude fiscale commises aux États-Unis. La décision Kessler devrait probablement être réexaminée en regard de l'arrêt Baker c. Canada (MCI) C.S.C. 25823, 9 juillet 1999.

Dans l'affaire Dee [Canada (Secrétaire d'État) c. Dee (1995), 90 F.T.R. 113 (1re inst.)], le juge Pinard a statué que l'arrêt Kumar de la Cour d'appel fédérale était un cas d'espèce : la SAI avait affirmer qu'elle ne tiendrait pas compte des accusations, mais elle les a néanmoins prises en considération ou, du moins, semble l'avoir fait. Dans Dee, la Couronne a présenté une demande de contrôle judiciaire fondée sur la prétendue erreur qu'aurait commise la SAI en ne tenant pas compte des accusations criminelles et civiles en instance qui pesaient contre le demandeur. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire en soulignant que la SAI avait, de fait, pris en considération les accusations en instance portées contre M. Dee aux Philippines.

La validité et le bien-fondé de l'énoncé pour lequel l'arrêt Kumar est souvent cité ont été mis en doute.


[...]

En l'espèce, la SAI a insisté sur le fait que la preuve des accusations en instance ne prouve pas la culpabilité, mais établit simplement que le demandeur est engagé dans d'autres instances. La SAI a conclu :

[TRADUCTION] Le poids qui sera attribué à la preuve des accusations en instance en Allemagne tiendra compte du fait qu'il s'agit d'accusations, et non de condamnations. (Motifs de la décision, p. 6.)

La décision de la SAI ne s'appuie pas sur l'existence des accusations en instance contre le demandeur; eu égard "aux circonstances particulières de l'espèce", dont il faut tenir compte dans une appel interjeté sous le régime de l'article 70, ces accusations étaient pertinentes, mais ne se sont vu attribuer, semble-t-il, que très peu de poids. Étant donné que ces accusations constituaient, tout au plus, des allégations formulées par le procureur, on peut se demander quel valeur elles ont, au juste, si tant est qu'elles en aient. Tant qu'une décision n'a pas été rendue à leur égard, elles ne peuvent porter atteinte à la réputation ou à la crédibilité du demandeur. Toute mention de ces accusations était irrecevable.

[11]            En l'espèce, le demandeur s'est expressément opposé au fait qu'il soit tenu compte d'accusations qui pesaient contre lui. Voici ce que I'investigateur en immigration principal a dit dans l'une de ses réponses :

[TRADUCTION] La procédure que je suis en demandant au ministre de formuler un avis sur le danger en vertu de l'alinéa 53(1)a) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration est décrite dans plusieurs exposés de principe reçus depuis l'entrée en vigueur de ces dispositions, dont le document d'information partiel de politiques et de méthodes daté de février 1998 que vous avez fourni dans votre lettre. Je me fonde également sur des conseils du représentant du ministre sur la question de la preuve concernant les accusations qui n'ont pas encore été tranchées par un tribunal. Le représentant du ministre nous a avisés qu'il était d'avis que les accusations et les circonstances dans lesquelles elles ont été portées peuvent faire partie d'une demande d'avis sur le danger si les tribunaux ne les ont pas encore tranchées. De telles circonstances portent précisément sur la question de savoir s'il est probable que le demandeur commette de nouvelles infractions (Dossier du demandeur, à la p. 77).


[12]            Cette remarque n'est conforme ni aux directives présentement en vigueur, ni à la jurisprudence de notre Court. Il importe de souligner que des accusations criminelles qui n'ont pas encore été tranchées ne sont, jusqu'à la preuve du contraire, que de simples allégations contre l'accusé. Elles n'indiquent pas s'il est coupable et, de toute évidence, elles ne sauraient donc pas indiquer non plus si ce dernier aurait tendance à commettre de nouvelles infractions, jusqu'à ce que le ministère public n'en ait établi le bien-fondé hors de tout doute raisonnable devant un tribunal. En conséquence, elles ne sont pas admissibles pour déterminer si un demandeur constitue un danger pour le public.

[13]            Pour ces motifs, je suis convaincu que le représentant du ministre a commis une erreur lorsqu'il a tenu compte des accusations criminelles qui pesaient contre le demandeur, et qu'il convient d'accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce seul motif. Cependant, j'aimerais ajouter quelques remarques au sujet de certains aspects procéduraux de la présente affaire qui, à mon avis, sont problématiques.


[14]            En général, la procédure que l'on suit présentement dans les cas de cette nature prévoit qu'on remette au demandeur un avis de l'intention de chercher à obtenir un avis du ministre selon lequel il constitue un danger pour le public. On remet ensuite au demandeur certains documents qui seront soumis au ministre et on lui donne l'occasion de faire des observations. Par la suite, des agents de réexamen préparent un rapport contenant une recommandation et le font parvenir au ministre afin que ce dernier prenne sa décision. La plainte des demandeurs dans cette situation est essentiellement qu'ils n'obtiennent jamais l'occasion de faire des observations ou des remarques à l'égard des rapports envoyés au ministre avant que ce dernier prenne sa décision. En conséquence, ce n'est que lorsqu'il présente une demande d'autorisation en vue de déposer une demande de contrôle judiciaire que le demandeur obtient l'occasion de faire des observations au sujet des rapports qui constituent le fondement de la décision du ministre.

[15]            En l'espèce, le demandeur maintient qu'il n'a jamais vu et qu'on ne lui a jamais signifié l'une ou l'autre des 69 premières pages du dossier du tribunal du défendeur, le rapport concernant la demande d'avis du ministre, ni le rapport concernant l'avis du ministre sur la question de savoir s'il constitue un danger pour le public. Cela, soutient-on, constitue une violation de l'obligation d'agir équitablement, qui exige que les deux rapports soient remis au demandeur et que celui-ci ait l'occasion d'y répondre avant que le ministre ne prenne sa décision.


[16]            Le défendeur soutient que des motifs doivent être exposés pour étayer l'avis du ministre en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi et que la demande d'avis du ministre constitue ces motifs. Il fait valoir que le représentant du ministre a rempli l'obligation qui lui incombait de donner au demandeur une occasion réelle de présenter pleinement sa cause, même si le rapport sur l'avis du ministre et la demande d'avis du ministre ne lui ont pas été communiqués. Ces deux documents, soutient-il, ne font que résumer les documents qui ont été communiqués au demandeur et sur lesquels le représentant du ministre était susceptible de se fonder pour formuler son avis.


[17]            Cependant, j'ai déjà constaté que souvent, ces rapports manquent d'objectivité et n'accordent pas un poids convenable aux éléments de preuve que produisent les demandeurs. Il est habituellement évident que s'ils avaient été fournis aux demandeurs avant la prise de la décision, les rapports auraient certainement fait l'objet de remarques de la part de ces derniers. Le fait que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie dans plusieurs cas au motif que ces rapports, qui constituent les motifs de la décision, ne sont pas convenables, en fournit la preuve. Un aspect précieux et pratique de cette obligation de donner au demandeur l'occasion de faire des remarques sur les rapports ne semble pas avoir déjà été mentionné par mes collègues, mais il me paraît constituer un élément de la plus haute importance. Il se peut que le juge invité à trancher une requête visant à obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de l'avis du ministre ne dispose pas des rapports qui constituent les motifs de la décision. Il est donc probable qu'il ne soit pas en mesure de convenablement apprécier les positions respectives des parties, et, partant, le risque de préjudice en est accru. Exiger que les rapports soient communiqués avant que la décision ne soit prise répond pleinement à ces réserves.

[18]            En outre, une telle procédure ouverte et transparente est plus conforme à la jurisprudence concernant l'obligation d'équité qui incombe au décideur administratif. J'estime qu'il est assez clair que la jurisprudence de notre Cour appuie maintenant l'exigence que les rapports sur lesquels le ministre fonde son avis doivent être communiqués à la personne qui fait l'objet de cet avis afin de lui donner l'occasion de faire d'autres observations. Dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 854, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'obligation d'équité exige que la personne qui, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, présente une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire sans avoir préalablement quitté le Canada, soit pleinement informée du contenu du rapport sur l'évaluation du risque qu'a préparé un agent de révision des revendications refusées, et qu'il lui soit permis de faire des remarque au sujet de ce dernier même lorsque le rapport est fondé sur des renseignements qui ont été soumis au demandeur ou que celui-ci pouvait raisonnablement obtenir (voir le paragraphe 37 de la décision). Bien que la procédure en cause dans l'affaire Haghighi diffère de la procédure utilisée dans la présente affaire, j'estime que les mêmes principes s'appliquent à celle-ci.


[19]            L'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, de la Cour suprême du Canada fournit des directives claires au sujet du contenu de l'obligation d'équité qui incombe aux personnes qui prennent des décisions administratives. Voici ce que le juge L'Heureux-Dubé a dit, aux pages 211 et 212 :

Bien que l'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d'examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données. Je souligne que l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur.

Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, et d'autres indications qui s'y rapportent dans la loi, aident également à définir la nature de l'obligation d'équité dans le cadre d'une décision administrative précise. Par exemple, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu'il n'est plus possible de présenter d'autres demandes.

Le troisième facteur permettant de définir la nature et l'étendue de l'obligation d'équité est l'importance de la décision pour les personnes visées. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. ... L'importance d'une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l'obligation d'équité procédurale.


[20]            En l'espèce, il ne fait pas de doute que la délivrance de l'avis du ministre a une énorme incidence sur la personne qui en fait l'objet, étant donné que le ministre peut renvoyer une personne vers un pays où celle-ci a une crainte fondée d'être persécutée. En outre, il n'existe pas de droit d'en appeler de la décision; le demandeur pourra, au mieux, en obtenir le contrôle judiciaire, mais seulement s'il a d'abord obtenu l'autorisation de présenter une demande en ce sens. Dans la décision Qazi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (26 juillet 2000, IMM-5317-99), le juge Hugessen a fait les remarques suivantes à cet égard :

J'estime qu'il est dorénavant très clair, compte tenu de l'arrêt Baker et du message très clair que la Cour suprême nous a envoyé au sujet de la nature de l'obligation d'agir équitablement relativement à des décisions qui étaient jadis considérées comme étant purement discrétionnaires et comme n'ayant qu'un très faible, voire aucun contenu d'équité, que nous devons considérer que l'avis sur le danger a de graves conséquences pour la personne qui en fait l'objet. En effet, il retire à cette personne un droit légal illimité d'interjeter appel devant un organisme indépendant, autonome et quasi-judiciaire. Il remplace ce droit, s'il en est, par le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire pour des motifs limités, et le droit de chercher à obtenir, en s'adressant au pouvoir exécutif, une réparation strictement discrétionnaire pour des motifs d'ordre humanitaire.

                                                               


[21]            Vu les conséquences de la décision et le droit restreint d'en obtenir le contrôle, il semblerait plus conforme aux principes d'équité et de justice naturelle de donner au demandeur l'occasion de faire des observations au sujet des rapports sur lesquels le représentant du ministre fonde son avis. Selon moi, pour que l'obligation d'équité ait un véritable contenu dans ces types de cas, il convient de fournir au demandeur le rapport concernant la demande d'avis du ministre et le rapport concernant l'avis du ministre sur la question de savoir s'il constitue un danger pour le public, et de lui donner l'occasion de faire des observations au sujet de ces documents qui revêtent une importance cruciale et qui, en fait, constituent le fondement de la décision du ministre, et ce avant que celui-ci prenne sa décision.

[22]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et les deux décisions du représentant du ministre datées du 2 septembre 1999 sont annulées.

             « P. ROULEAU »          

    JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 17 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                IMM-4923-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    EDOUARD BAKCHIEV

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                    VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 18 OCTOBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                                    17 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. PHILLIP RANKIN                                                  POUR LE DEMANDEUR

MME HELEN PARK                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RANKIN & BOND                                                                 POUR LE DEMANDAEUR

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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