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Date : 20050728

Dossier : IMM-9218-04

Référence : 2005 CF 1042

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                             SAMIR BOUYAYA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Samir Bouyaya est venu au Canada en suivant un itinéraire indirect. Il a quitté son Algérie natale en 1994, puis il a vécu en France, à Taïwan et aux États-Unis avant d'arriver au Canada en 2002. Il a demandé l'asile ici, mais une formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa revendication parce qu'elle estimait qu'elle n'était pas fondée sur une preuve fiable et digne de foi.

[2]                M. Bouyaya prétend que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs graves dans son analyse de sa revendication et il me demande d'ordonner une nouvelle audience. Cependant, je ne suis pas convaincu que la décision de la Commission devrait être infirmée et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Les questions en litige

[3]                M. Bouyaya conteste trois motifs sur lesquels la Commission a appuyé sa décision. Tout d'abord, la Commission a estimé que M. Bouyaya n'avait pas prouvé son identité. Deuxièmement, la Commission n'a pas cru que M. Bouyaya avait délaissé l'islam pour se convertir au christianisme et, par conséquent, qu'il serait persécuté en Algérie en raison de cette conversion. Troisièmement, elle a jugé que la persécution en Algérie des convertis religieux était tout à fait improbable, d'après la preuve documentaire.

[4]                À mon avis, la Commission a commis une erreur sur le premier point, c'est-à-dire l'identité. Toutefois, cette erreur ne porte pas atteinte à sa décision sur le bien-fondé réel de la revendication de M. Bouyaya. Par conséquent, malgré cette erreur, la décision de la Commission doit être maintenue.


II. Analyse

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en statuant que M. Bouyaya n'avait pas prouvé son identité?

a)          La norme de contrôle

[5]                M. Bouyaya soutient que la norme de contrôle appropriée applicable à la conclusion de la Commission sur l'identité est simplement la décision raisonnable. Le défendeur prétend pour sa part que la norme appropriée est la décision manifestement déraisonnable. Les deux parties citent des décisions récentes en leur faveur.


[6]                L'opinion prédominante est celle selon laquelle les conclusions de la Commission sur l'identité font partie de son évaluation globale de la crédibilité d'un demandeur. Par conséquent, les décisions relatives à l'identité appellent un degré élevé de retenue, c'est-à-dire celui qui est normalement associé à la norme de la décision manifestement déraisonnable : Shokunbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 557, [2005] A.C.F. no 680 (C.F.) (QL); P.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 103, [2005] A.C.F. no 130 (C.F.) (QL). De même, une conclusion de la Commission sur l'authenticité des pièces d'identité est également assujettie à la norme de la décision manifestement déraisonnable : P.K., précitée; Kathirkamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 409, [2003] A.C.F. no 592 (CF 1re inst.) (QL); Alibali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 657, [2004] A.C.F. no 805 (C.F.) (QL).

[7]                Par ailleurs, on estime généralement que la Commission n'a pas de connaissance spécialisée particulière pour ce qui est de décider de la validité des pièces d'identité étrangères. Par conséquent, ces documents sont présumés valides jusqu'à ce qu'une preuve établissant le contraire soit déposée devant la Commission : Ramaligam v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (C.F. 1re inst.) (QL); P.K., Kathirkamu, précitée; Halili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 999, [2002] A.C.F. no 1335 (C.F. 1re inst.) (QL); Nika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 656, [2001] A.C.F. no 977 (C.F. 1re inst.) (QL); Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 587, [2004] A.C.F. no 715.

(b)         Les conclusions relatives à l'identité

[8]                La Commission a conclu que M. Bouyaya ne s'était pas acquitté du fardeau de prouver son identité (aux termes de l'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27; voir en annexe). M. Bouyaya a remis à la Commission de nombreux documents, mais la Commission a quand même douté de son identité et de sa nationalité.

[9]                La Commission a donné plusieurs motifs pour justifier ses conclusions relatives à l'identité de M. Bouyaya :

(i)          M. Bouyaya a décrit la facilité avec laquelle il avait pu obtenir des documents frauduleux;

(ii)         M. Bouyaya a donné un récit non plausible et incohérent sur la façon dont il avait obtenu son passeport algérien qu'il avait par la suite détruit;

(iii)        M. Bouyaya s'est contredit lui-même dans son témoignage au sujet du nombre de passeports algériens qu'il détenait;

(iv)        M. Bouyaya avait demandé à ses parents de lui faire parvenir des documents d'identité de l'Algérie, mais il ne semblait pas savoir à l'avance de quel genre de documents il s'agissait;

(v)         L'acte de naissance de M. Bouyaya ne contenait aucune caractéristique de sécurité;

(vi)        Le relevé d'emploi de M. Bouyaya n'était pas une preuve valable d'identité;


(vii)       La carte d'électeur de M. Bouyaya n'avait pas été estampillée en 1991, même s'il prétendait avoir travaillé à un bureau de scrutin au cours de l'élection de 1991;

(viii)       La carte d'identité nationale de M. Bouyaya, son permis de conduire, le double de sa carte de dispense du service militaire, son permis de conduire international et ses talons de chèques de paie portaient tous une date située entre octobre 1993 et mars 1994 et tous ces documents étaient dans un état impeccable.

[10]            Cette preuve donnait à la Commission des motifs suffisants pour douter de l'authenticité des documents fournis par M. Bouyaya. Toutefois, la Commission n'était saisie d'aucune preuve qui établissait réellement que les pièces d'identité étaient fausses. Bien au contraire. Par exemple, la carte d'identité nationale de M. Bouyaya était en tous points identique à la description officielle. Et pourtant, la Commission a conclu qu'elle ne pouvait accorder que [traduction] « peu de fiabilité » aux documents de M. Bouyaya.


[11]            À mon avis, la Commission a commis une erreur quand elle a omis de respecter la présomption selon laquelle les documents d'identité étrangers sont valides. La Commission était en droit de conclure que certains des documents fournissaient une faible preuve de son identité, mais elle n'avait aucun fondement pour rejeter toute la preuve fournie par M. Bouyaya concernant son identité, particulièrement ces éléments qui comportait la photographie de M. Bouyaya, qui paraissaient réguliers et qui fournissaient une preuve solide de son identité (par exemple les éléments mentionnés au sous-alinéa (viii) ci-dessus).

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Bouyaya ne s'était pas véritablement converti au christianisme et, par conséquent, qu'il ne serait pas persécuté pour ce motif?

[12]            M. Bouyaya soutient que la conclusion de la Commission quant au bien-fondé de sa revendication est entachée par les erreurs qu'elle a commises relativement à la preuve sur son identité. Toutefois, après avoir examiné soigneusement les motifs fournis par la Commission, je ne trouve aucune preuve appuyant cette prétention. La Commission a analysé en détail l'ensemble de la preuve qui étayait le fond de la revendication de M. Bouyaya et en est arrivée à une conclusion bien motivée. M. Bouyaya conteste l'accent que la Commission a mis sur une partie de la preuve, mais sa plainte ne constitue certainement pas un motif valable pour infirmer la décision de la Commission.

C. La Commission a-t-elle commis une erreur en statuant qu'il n'y avait pas de fondement objectif à la crainte de M. Bouyaya d'être persécuté en raison de sa conversion religieuse?


[13]            Même si elle a conclu que M. Bouyaya ne s'était pas véritablement converti, la Commission a examiné, ne serait-ce que sommairement, si les personnes qui se convertissent à d'autres religions étaient persécutées en Algérie. La Commission a statué que les allégations de M. Bouyaya n'étaient pas fondées d'après la preuve documentaire.

[14]            M. Bouyaya soutient que l'analyse qu'a faite la Commission de la preuve documentaire était superficielle et n'a pas traité de façon adéquate du sérieux de sa revendication. Ici encore, il se demande si les conclusions de la Commission sur son identité et sa crédibilité n'ont pas influencé, peut-être inconsciemment, son examen de la situation qui règne en Algérie. En outre, M. Bouyaya souligne que la Commission n'a examiné que le risque potentiel posé par le gouvernement algérien, et non par la population en général ou les fondamentalistes islamistes.

[15]            Je conviens que le traitement qu'a fait la Commission de la preuve documentaire n'était pas aussi complet qu'on aurait pu s'y attendre. Toutefois, la Commission avait déjà analysé la preuve ayant trait à d'autres questions dont elle était saisie dans plus de 20 pages. Elle a conclu que M. Bouyaya ne s'était pas du tout converti. Dans les circonstances, il n'était pas nécessaire qu'elle aille jusqu'à évaluer le degré de risque que les convertis religieux courent en Algérie. Et pourtant elle l'a fait. Dans l'ensemble, l'analyse de la Commission a été détaillée et méticuleuse. Je ne peux conclure que sa décision était déraisonnable.

[16]            Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n'a proposé de question grave de portée générale aux fins de la certification, et aucune ne sera donc énoncée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _             

                                                                                                                                                    Juge                           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                                        Annexe


Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Étrangers sans papier

Crédibilité

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Claimant Without Identification

Credibility

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9218-04

INTITULÉ :                                                    SAMIR BOUYAYA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 11 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   le 28 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Nicole Hainer                                                    POUR LE DEMANDEUR

Jonathan Shapiro                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ELGIN, CANNON & ASSOCIATES

970-777, rue Hornby

Vancouver (C.-B.).                                           POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


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