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Date : 20040903

Dossier : IMM-6436-03

Référence : 2004 CF 1213

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                SHARANJIT SINGH BHAGTANA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L' IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Par sa demande de contrôle judiciaire le demandeur conteste la décision du 31 juillet 2003 qui refuse sa demande d'asile.

QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que l'intervention de cette cour est justifiée ici?

[3]                Je réponds par l'affirmative et j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire. Je conclus que la décision attaquée comporte des erreurs qui sont quant à moi manifestement déraisonnables (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Les faits rapportés par le tribunal sont les suivants :

Il est citoyen de l'Inde, mais de nationalité et de religion sikh. Après avoir complété sa septième année, il quitte l'école en mars 1989 pour commencer à travailler dans la ferme familiale. Son frère travaille dans le temple sikh et il devient membre du Parti Akali Dal Mann en 1997.

Étant donné qu'il habitait dans une région où passaient des terroristes, la police faisait souvent des descentes dans les fermes avoisinantes pour vérifier si des terroristes sikhs ou pakistanais ou encore des trafiquants ne s'y étaient pas réfugiés.

Et le 13 mars 2000, vers neuf heures du soir, trois terroristes sont venus à la ferme familiale pour demander la nourriture et le gîte sous menace de leurs armes. Cependant, lorsqu'ils ont vu des voitures de police venir vers la ferme, ils se sont enfuis. Certains policiers les ont pris en chasse. D'autres sont venus fouiller la ferme du demandeur pour l'arrêter avec son frère. On les accuse d'être des terroristes et on les a interrogés et torturés, puis relâchés après deux jours grâce à l'aide du Sarpanch et de certains notables de la ville et le paiement d'un pot-de-vin de 36,000 roupies. On leur a aussi demandé d'aider la police à arrêter les terroristes.

Le 2 avril 2001, le frère du demandeur était en motocyclette quand il a été approché par des terroristes qui le menaçaient de leurs armes. Ils se sont emparés de la motocyclette et ont demandé au frère du demandeur de ne pas rapporter l'incident à la police sinon il serait tué.

Le lendemain, tôt dans la matinée, la police fit une descente dans la ferme pour la fouiller. Ils accusent le demandeur et son frère d'avoir donné la motocyclette aux terroristes. Le frère du demandeur était absent et le demandeur lui-même a été arrêté, amené au poste de police. On prit ses empreintes digitales et sa photo et on lui ordonne de donner un blanc-seing. Il est alors accusé d'avoir des liens avec les terroristes et de les aider en leur donnant la nourriture, le gîte et la motocyclette. Il fut alors torturé puis relâché après cinq jours, toujours avec l'aide du conseil du village et des notables de la ville et le paiement d'un pot-de-vin de 60,000 roupies. On lui impose la condition de se rapporter après un mois et d'apporter à la police les informations au sujet de son frère Kamaljit Singh et des terroristes.


Le 8 mai, il s'est présenté, il a été alors battu par la police parce qu'il n'avait pas d'information à donner. Il est relâché et on lui ordonne de se rapporter le mois suivant, toujours pour fournir des informations au sujet de son frère et des terroristes. Étant donné qu'il ne pouvait satisfaire à cette condition, il a décidé de quitter le village.

Le 25 mai 2001, il s'en va chez son oncle Basant Singh à Paharganj à New Delhi. C'est de là qu'il entre en contact avec un passeur qui lui a permis de quitter son pays le 14 décembre 2001 pour venir au Canada.

[5]                Le décideur a conclu que le demandeur n'était pas crédible.

ANALYSE

[6]                Le tribunal reproche au demandeur de s'être contredit sur les éléments suivants :

1.         Dans un questionnaire de l'Immigration, le réclamant a répondu « no » à la question : « Have you ever been detained or put in jail? » alors que dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage, il fait référence à plusieurs détentions au poste de police. Confronté, il explique qu'il croyait répondre à la question « détenu en prison » au lieu de « être détenu au poste de police » . Cette explication n'était pas de toute évidence invraisemblable (Owusu-Ansah c. Canada (ministre de l'Emploi et l'Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F)).


2.         Dans le formulaire d'immigration concernant ses antécédents personnels, le demandeur répond « no » à la question : « Have you ever had any serious diseases, physical or mental disorder? » . Quand on compare son témoignage, il semble y avoir contradiction évidente. Mais encore ici il s'explique, il n'a jamais été victime de maladies graves ou troubles mentaux mais il a été torturé à plusieurs reprises. D'ailleurs, il porte encore plusieurs cicatrices constatées par des médecins. Cette réponse ne peut pas être qualifiée d'invraisemblable (Owusu-Ansah, précité).

3.         Le tribunal lui reproche d'avoir indiqué l'adresse dans son village comme étant sa dernière adresse avant de venir au Canada. Pourtant, certains documents au dossier signés par le demandeur à son arrivée au Canada indiquent bien « New Delhi » comme dernier endroit vécu avant son départ de l'Inde.

[7]                Constatant qu'il existe plusieurs contradictions et invraisemblances, le décideur met de côté une lettre d'un médecin indien, un rapport médical d'un médecin canadien, ainsi qu'un affidavit du sarpanch soutenant les allégations et l' histoire du demandeur.

[8]                La Cour considère que les explications fournies par le demandeur sont réalistes et plausibles. Le tribunal n'en a pas tenu compte. Les constatations des cicatrices dans le rapport médical canadien viennent appuyer et corroborer le récit du demandeur.


[9]                La Cour trouve manifestement déraisonnable les inférences négatives retenues par le tribunal. Le réclamant qui n'a qu'une septième année de scolarité, a souvent demandé qu'on lui répète certaines questions. À plusieurs endroits dans les notes sténographiques, on peut y lire « je ne comprends pas la question » . S'agit-il d'un manque de communication ou un défaut d'interprétation?

[10]            Dans les circonstances particulières de cette cause, la décision doit être annulée. La demande contrôle judiciaire est accueillie. La revendication du demandeur est remise pour réexamen par une formation différente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[11]            Les parties ont décliné de soumettre des questions sérieuses de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 31 juillet 2003 est annulée et la revendication du demandeur est remise pour réexamen par une formation différente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Aucune question n'est certifiée.

             « Michel Beaudry »            

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6436-03

INTITULÉ :                                        SHARANJIT SINGH BHAGTANA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 31 août 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          le 3 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand                                      POUR LE DEMANDEUR

Evan Liosis                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)



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