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Date : 20000628


Dossier : IMM-3579-99



Entre :

     NAMAN DEMAGHLATROUS,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT



[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section du statut"), rendue le 5 juillet 1999, qui a conclu que le demandeur, citoyen algérien, n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]      Étudiant en France depuis plusieurs années, le demandeur a travaillé au Consulat de son pays à Lille d'octobre 1995 à mars 1997. Bénéficiant d'un sursis de service militaire, le demandeur a alors travaillé de mars à septembre 1997 pour une compagnie française comme directeur des ventes en Europe et dans les pays arabes. À ce titre, il a effectué plusieurs voyages en Belgique (5), en Angleterre (7), en Allemagne (2) et au Canada (1). En septembre 1997, le demandeur a aussi travaillé pour une compagnie allemande, puis il s'est amené au Canada en décembre de la même année muni d'un permis de travail de 3 ans. Il a voyagé à plusieurs reprises aux États-Unis et abandonné son poste au Canada en mai 1998, avant de se rendre comme touriste en Ohio en juillet. En septembre, il a demandé un nouveau visa pour les États-Unis, puis a quitté Toronto pour visiter sa soeur à Montréal. Il a revendiqué le statut de réfugié en octobre de la même année.


[3]      Devant la section du statut, le demandeur alléguait avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Au soutien de sa crainte, le demandeur invoquait des incidents survenus avant l'automne 1996, alors qu'il occupait son emploi au Consulat d'Algérie en France. Le demandeur craignait également la persécution parce qu'il refusait de faire son service militaire obligatoire.


[4]      Dans sa décision, la section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas démontré une crainte bien fondée de persécution s'il retournait en Algérie pour divers motifs qu'il y a lieu d'énoncer brièvement. Le tribunal a d'abord noté que les nombreux voyages du demandeur entre 1996 et la date de sa revendication n'appuyaient pas la crainte subjective alléguée. Ensuite, on a remarqué que lorsqu'interrogé sur son absence de démarches pour trouver refuge dans les pays visités et sur son délai avant de revendiquer le statut de réfugié, le demandeur a répondu qu'après avoir envisagé d'immigrer, trouvant ce processus trop long et trop coûteux, il en serait venu à revendiquer le statut de réfugié.


[5]      Le tribunal n'a pas cru que le demandeur, embauché comme agent administratif, avait exercé, au Consulat de l'Algérie à Lille, les fonctions de secrétaire général des élections parlementaires à l'occasion desquelles il aurait refusé d'endosser certaines pratiques frauduleuses, ce qui aurait entraîné à son égard menaces et accusations par un officier militaire en poste. La section du statut a de plus relevé des invraisemblances quant à l'existence des problèmes allégués par le demandeur face au gouvernement algérien du fait, entre autres, que son père, un ex-ambassadeur et ministre, était devenu un paria politique. La section du statut s'est enfin longuement attardée à rejeter le motif principal allégué par le demandeur à savoir sa crainte de faire son service militaire s'il devait retourner en Algérie.


[6]      À l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat du demandeur ne s'est pas attardé aux aspects de la décision touchant les activités et les voyages de son client, son défaut de revendiquer le statut de réfugié dans les nombreux pays visités et le délai à faire sa revendication au Canada. Bref, les aspects mettant en jeu la crédibilité du demandeur n'ont pas fait l'objet de longs arguments. Avec raison d'ailleurs. J'estime en effet qu'à cet égard, la décision du tribunal n'est pas déraisonnable, l'appréciation de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur, et les inférences que le tribunal en a tirées, permettant largement d'en venir à la conclusion que le demandeur n'avait pas démontré l'existence d'une crainte subjective.


[7]      Par ailleurs, l'avocat du demandeur a attaqué vigoureusement la décision de la section du statut relativement à sa conclusion quant à l'absence de crainte de faire son service militaire advenant son retour en Algérie. L'avocat plaide en effet que le demandeur âgé de 30 ans lors de l'audition de sa demande de statut de réfugié - il est né le 8 décembre 1968 - est encore astreint à l'obligation d'effectuer son service militaire et que s'il doit s'y soumettre, il risque d'être persécuté en raison de son passé ou d'incidents antérieurs, ou pire, d'être considéré comme déserteur auquel cas il serait passible de la peine de mort.


[8]      En substance, l'avocat du demandeur s'en prend à quatre des motifs énoncés par le tribunal pour juger le demandeur non crédible lorsqu'il affirme craindre de faire son service militaire: a) étant âgé de plus de 30 ans, il en est dispensé; b) le demandeur est un "privilégié" qui, ayant occupé pendant 18 mois un poste d'agent administratif au Consulat algérien de Lille en France, aurait effectué le volet civil plutôt que le volet militaire du service national; c) le refus d'accorder une force probante quelconque à un sursis émis par le Chef du bureau de recrutement en mars 1997 alors qu'il aurait dû l'être par le Haut-commissaire au service national vu que le demandeur avait alors plus de 27 ans; d) des mesures d'assouplissements annoncées par un projet de réforme du service militaire en Algérie sont devenues, pour le tribunal, une dispense dont pourrait bénéficier le demandeur.


[9]      En dépit des représentations fort habiles du représentant du demandeur, j'estime qu'en l'espèce, il n'y a pas matière à intervention de la Cour.


[10]      Il est vrai qu'un document daté de 1997 émanant de l'Office fédéral des Réfugiés au sujet du service militaire en Algérie, document sur lequel le tribunal semble s'être appuyé, énonce sommairement que "la période d'appel pour le service actif s'étend de 19 à 30 ans"1, alors qu'un autre document plus récent (1999) du centre de documentation de la CISR2 énonce, de façon détaillée, que "sont dispensés du service national les citoyens âgés de 30 ans et plus au 1er novembre 1989 . . .". Bref s'il faut en croire ce second document de préférence au premier, le demandeur serait encore assujetti au service national vu qu'il n'avait pas au moins 30 ans le 1er novembre 1989.


[11]      Il est vrai aussi que le tribunal peut avoir tiré du "cheminement du demandeur" au Consulat algérien de Lille une inférence exagérée en le traitant de privilégié qui a effectué le volet civil du service national plutôt que le volet militaire. La preuve documentaire3 démontre en effet qu'avant d'être appelé à effectuer "des tâches économiques, administratives, sociales, culturelles ou de défense nationale", les Algériens appelés au service national reçoivent une formation militaire de base, dans les centres d'instruction, pendant six mois4. Le curriculum vitae du demandeur ne démontre pas qu'il a reçu cette formation de base.


[12]      Il n'en demeure pas moins que le tribunal a retenu que le demandeur n'avait jamais reçu de convocation pour faire son service militaire alors qu'il y était éligible, ni qu'il avait été inquiété à ce sujet. Le tribunal a par ailleurs refusé d'accorder force probante à un sursis émis le 2 mars 1997 par un Chef de bureau de recrutement5 alors que selon la preuve documentaire6, un étudiant âgé de plus de 27 ans ne peut obtenir ce sursis que du Haut-commissaire au service national. Il a cependant rappelé l'existence, selon la preuve documentaire, de filières qui proposent des "sursis authentiques et non falsifiés", valables à l'étranger.7


[13]      Mais surtout, la section du statut a retenu un article du quotidien algérien "Le Matin" publié le 6 mai 1999, quelques jours avant l'audience, faisant état d'un projet de réforme du service militaire en Algérie, dans lequel elle note que "des mesures d'assouplissement sont entrées en vigueur depuis plusieurs mois en ce qui concerne les jeunes cadres algériens bloqués à l'étranger en raison du service national"8. Ce projet de réforme dont certaines mesures étaient déjà en vigueur faisait en quelque sorte échec à l'argument du demandeur voulant qu'il soit encore assujetti au service national. Il validait plutôt l'interprétation retenue par le tribunal à savoir que la période d'appel du service militaire s'étendait de 19 à 30 ans. Bref, la section du statut a considéré toute la preuve sur ce sujet et l'a interprétée d'une façon qui n'est pas déraisonnable.


[14]      J'estime que dans les circonstances, il n'était pas déraisonnable de conclure que le demandeur n'avait pas prouvé le volet subjectif de sa crainte de faire son service militaire, advenant son retour en Algérie.


[15]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Il n'y a pas, en l'espèce, matière à certifier une question sérieuse de portée générale.


                                 __________________________

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

le 28 juin 2000

__________________

     1      Dossier du tribunal (D.T.) p. 716.

     2      D.T. p. 735, à la page 746.

     3      D.T. p. 737.

     4      D.T. p. 720.

     5      D.T. p. 105.

     6      D.T. p. 717.

     7      Voir note 6.

     8      Décision de la section du statut, p. 7, D.T. p. 10 et p. 871.

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