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Date : 20050915

Dossier : IMM-980-05

Référence : 2005 CF 1269

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 15 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                  MUSTHAQ MOHAMED MOHAMED KIYARATH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La Cour est saisie d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d'une décision en date du 24 janvier 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que le demandeur n'avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Les principaux motifs invoqués par la Commission pour estimer que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger était le manque de vraisemblance et l'absence de fondement objectif en ce qui concerne les craintes du demandeur de retourner au Sri Lanka.

Contexte

[2]                Le demandeur est un citoyen de 24 ans du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en janvier 2003 muni d'un visa d'étudiant. Il a présenté une demande d'asile en juillet 2003 au motif qu'il craignait que les LTTE (Tigres de libération de l'Eelam tamoul) ne le recherchent s'il retournait au Sri Lanka.

[3]                Les craintes du demandeur étaient fondées sur des faits qui s'étaient produits après son arrivée au Canada. Le demandeur affirmait que son père, qui faisait la navette entre Jaffna et Colombo pour son travail, avait été approché par les LTTE. Les LTTE ont demandé de l'argent à l'entreprise de son père, qui a refusé d'obtempérer et qui s'est obstiné avec les LTTE. Le demandeur affirme que son père a refusé de payer et qu'il a tenté de convaincre d'autres gens d'affaires de refuser de payer cette taxe.

[4]                Suivant le demandeur, les LTTE ont menacé son père et toute sa famille en raison de ce refus de payer. Il explique que son père a disparu de Jaffna et que plus personne n'a entendu parler de lui depuis. Le demandeur ignore où se trouve son père et il n'a pas été contacté par les personnes qui l'ont enlevé.

[5]                Après la disparition de son père, les oncles du demandeur ont entendu dire que les LTTE les recherchaient à Jaffna, étant donné qu'ils étaient associés à l'entreprise du père du demandeur. Les oncles ont vendu l'entreprise et se sont enfuis en Inde. Le demandeur affirme que sa mère et ses frères se cachent à Colombo et que l'un de ses frères est allé s'installer en Arabie saoudite.

[6]                Le demandeur affirme qu'il ne peut retourner au Sri Lanka parce qu'il craint les LTTE. Il soutient qu'il ne peut s'adresser à la police au Sri Lanka parce qu'elle ne peut protéger les gens contre les LTTE.

La décision à l'examen

[7]                La Commission a expliqué qu'elle avait des réserves au sujet de deux des principaux aspects de la demande d'asile du demandeur, à savoir la vraisemblance et l'absence de crainte objective fondée sur les documents relatifs à la situation dans le pays d'origine.


[8]                 La Commission a conclu que les LTTE considéreraient tout au plus le demandeur comme une personne de peu d'envergure. La Commission a signalé que le demandeur n'avait lui-même joué aucun rôle dans le différend que son père avait eu avec les LTTE à Jaffna, étant donné qu'il se trouvait au Canada grâce à un visa d'étudiant lorsque le conflit avait éclaté. La Commission a poursuivi son raisonnement en concluant que les seuls liens que le demandeur avait avec les LTTE étaient ceux de son père, qui a depuis disparu. La Commission a par ailleurs signalé que les oncles du demandeur, qui exploitaient une entreprise à Jaffna, s'étaient enfuis en Inde. La Commission estimait toutefois que le demandeur, sa mère et ses frères n'avaient que « très peu à faire avec ces activités » , en l'occurrence le paiement de la taxe.

[9]                La Commission a fait observer que les LTTE avaient vraisemblablement supprimé leur principal opposant, c'est-à-dire le père du demandeur, et qu'ils avaient bouté ses oncles hors du Sri Lanka. La Commission a jugé peu plausible que les LTTE veuillent poursuivre le demandeur, étant donné qu'il n'avait pas pris directement part au conflit et qu'il ne se trouvait même pas au Sri Lanka à ce moment-là.

[10]            La Commission analyse ensuite la documentation sur le pays d'origine et la crainte objective du demandeur. Elle conclut que les documents sur le pays n'appuient pas l'allégation selon laquelle les LTTE pourraient causer un grave préjudice au demandeur dans la région de Colombo. La Commission signale qu'il existe effectivement des documents sur le pays d'origine qui permettent de penser que le demandeur peut être exposé à des risques dans les parties Nord et Nord-Ouest du Sri Lanka, mais ces rapports sur le pays n'indiquent pas que des personnes moins bien en vue soient ciblées au centre et au Sud du Sri Lanka. La Commission fait observer que des gens hauts placés ont été attaqués dans le centre et le Sud du Sri Lanka, mais que rien n'indique que des gens ordinaires ont été ciblés. La Commission rappelle que le demandeur était un citoyen ordinaire.


[11]            Sur le fondement de la preuve documentaire, la Commission a conclu qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner au Sri Lanka.

Questions en litige

[12]            Suivant le demandeur, la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en concluant à l'invraisemblance sur le fondement d'hypothèses et d'inférences déraisonnables.

[13]            Le demandeur affirme aussi que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la preuve documentaire objective.

Prétentions et moyens des parties

[14]            Le demandeur explique que, bien qu'elle examine effectivement la preuve documentaire dans sa décision, la Commission a limité son analyse à de simples conjectures lorsqu'elle a tiré sa conclusion finale et elle n'a pas tenu compte de la situation personnelle du demandeur à la lumière de la preuve documentaire. Le demandeur soutient que, bien que la Commission puisse


tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, elle doit motiver suffisamment sa conclusion (RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162, au paragraphe 10), ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce, selon le demandeur.

[15]            Le demandeur affirme que la Commission a conclu que son père et ses oncles avaient été persécutés par les LTTE. Elle ne peut donc écarter sa crainte subjective sans raison valable, ce qu'elle n'a pas fourni selon lui. Le demandeur fait par ailleurs observer que l'invraisemblance doit être examinée dans le contexte du Sri Lanka et qu'elle ne peut être jugée en fonction des normes canadiennes (RKL, précité, au paragraphe 12, et Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (CAF)).

[16]            Selon le demandeur, la Commission n'a pas tenu compte du fait qu'il fait partie d'une minorité distincte en tant que musulman parlant le tamoul. Or, les musulmans forment moins de dix pour cent de la population du Sri Lanka.

[17]            Le demandeur poursuit en affirmant que, pour examiner sa demande, la Commission n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve documentaire ni du témoignage du demandeur. Le demandeur soutient que la Commission a n'a pas tenu compte de sa situation familiale et de son opposition aux LTTE.


[18]            Suivant le défendeur, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit susceptible de contrôle et elle a procédé à une analyse approfondie de la demande d'asile du demandeur. Le défendeur rappelle que la Commission a le droit de conclure à l'invraisemblance en se fondant sur le bon sens et la raison, pourvu qu'elle motive sa décision en termes clairs et explicites (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4). Le défendeur affirme qu'il y a lieu de faire preuve d'un degré élevé de retenue envers la conclusion de la Commission.

[19]            Le défendeur résume les conclusions de la Commission en affirmant que la conclusion de celle-ci reposait sur le fait qu'elle jugeait invraisemblable que le demandeur ait personnellement attiré l'attention des LTTE, étant donné qu'il n'avait pas pris part au conflit qui avait eu lieu au Sri Lanka et qu'il n'avait été impliqué dans aucune des activités à l'origine de ce conflit.

[20]            Le défendeur affirme également que la Commission a tenu compte de l'ensemble de la preuve, tant orale que documentaire, pour rendre sa décision au sujet du fondement objectif de la demande du demandeur. Le défendeur soutient que la décision était raisonnable eu égard aux éléments de preuve dont disposait la Commission.

Analyse

[21]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la décision de la Commission est raisonnable sous les deux rapports.

[22]            La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur le bon sens, la logique et la vraisemblance, pourvu qu'elle motive en termes clairs sa conclusion d'invraisemblance (RKL, précité, au paragraphe 12). En l'espèce, le principal motif invoqué par la Commission pour conclure à l'invraisemblance comportait deux volets : (i) le demandeur n'avait pas pris part au conflit opposant son père et ses oncles aux LTTE ou aux activités à l'origine de ce conflit; (ii) le demandeur se trouvait au Canada lorsque le conflit avait éclaté.

[23]            Je vais exposer brièvement les raisons pour lesquelles je considère bien fondés les motifs invoqués par la Commission pour conclure à l'invraisemblance. En premier lieu, le demandeur n'a fourni aucun élément de preuve pour démontrer qu'il était ciblé par les LTTE. Il a affirmé que son père et ses oncles étaient ciblés mais il n'a pas allégué qu'il avait pris part aux activités à l'origine du conflit ou au conflit lui-même. En raison de cette non-participation, la conclusion de la Commission suivant laquelle il est peu plausible que les LTTE recherchent le demandeur était raisonnable.


[24]            Au moment du conflit, le demandeur était au Canada où il fréquentait l'école après avoir obtenu un visa d'étudiant. Il présente aujourd'hui une demande d'asile sur place en se fondant sur le conflit opposant son père aux LTTE. Il affirme que sa mère et ses frères ont été forcés d'aller se cacher à Colombo. Il ne cite toutefois aucun élément de preuve démontrant qu'à part son père, les LTTE ont ciblé d'autres membres de sa famille. De plus, il n'a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer qu'il sera ciblé à son retour comme il l'a été au Canada pendant toutes les activités et le conflit en question. Je suis d'avis que la conclusion d'invraisemblance de la Commission est raisonnable au motif que le demandeur se trouvait au Canada lorsque le conflit a été déclenché. Il n'existe selon moi pas de motifs suffisants pour présenter une demande sur place.

[25]            Dans le jugement RKL, précité, la Cour dit ce qui suit aux paragraphes 8 à 10 :

[8]            En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[9]            Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) (Aguebor); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.); Kanyai, précitée, au paragr. 10.

[10]          La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison : voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au paragr. 2 (QL) (C.A.); Aguebor, précitée, au paragr. 4. La Commission peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres àl'affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve : voir Akinlolu, précitée, au paragr. 13; Kanyai, précitée, au paragr. 11.


[26]            Dans le cas qui nous occupe, je suis convaincu que la Commission a rendu une décision raisonnable et qu'elle l'a formulée en termes clairs et explicites. Ainsi qu'il est précisé dans le jugement RKL, précité, la Cour ne doit pas modifier une décision raisonnable qui est formulée en termes clairs et explicites. La décision de la Commission sur la vraisemblance était raisonnable et la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[27]            Bien qu'il ne soit pas nécessaire de formuler des observations au sujet de la conclusion tirée au sujet de la crainte objective puisque la conclusion d'invraisemblance était raisonnable et que la crainte objective était une conclusion subsidiaire, je tiens à rappeler que notre Cour a récemment abordé le concept de la crainte objective ou de la protection de l'État au Sri Lanka dans le jugement Niyas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 396 (CF), aux paragraphes 16 et 17, sous la plume du juge Mosley :

[16]          Le défendeur soutient de son côté que la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les documents produits en preuve. La Commission n'a pas l'obligation de mentionner chaque élément de preuve. Le demandeur se plaint en fait de l'appréciation de la preuve : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Woolaston c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] R.C.S. 102; Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 152 N.R. 157 (C.A.F.).

[17]          Même si la preuve documentaire indiquait que les TLET ont continué à commettre des actes terroristes après le cessez-le-feu, la situation s'était grandement améliorée et la Commission pouvait conclure qu'il était peu probable que le demandeur constitue une cible. Le demandeur venait de Columbo et ses frères n'étaient pas pris pour cibles. Il n'avait pas le profil d'une personne qui serait enlevée par les TLET. La Commission pouvait tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée.

[28]            Comme dans l'affaire Niyas, il était loisible à la Commission de conclure en l'espèce que le demandeur ne correspondait pas au profil de quelqu'un qui serait ciblé dans le centre ou le Sud du Sri Lanka. La Commission a examiné l'ensemble de la preuve documentaire et elle en est arrivée à une décision raisonnable au sujet des craintes objectives du demandeur.

[29]            Comme la conclusion d'invraisemblance et la conclusion tirée au sujet de la crainte objective étaient toutes deux raisonnables, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

            « P. Rouleau »          

     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.                     


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-980-05

INTITULÉ :               MUSTHAQ MOHAMED MOHAMED KIYARATH

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Nicole Hainer                                                    POUR LE DEMANDEUR

Jonathan Shapiro                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                           POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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