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Date : 20040514

Dossier : IMM-6247-02

Référence :2004 CF 690

Ottawa (Ontario), le vendredi 14 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                      CARLOS MIGUEL MOSTACERO ORTIZ

MARIA LUZ VASQUEZ BAIMA

MARIA YSABEL MOSTACEROS VASQUEZ

MIGUEL ANDRES MOSTACEROS VASQUEZ

                                                                                                                              demandeurs

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) a conclu que M. Mostacero Ortiz et sa famille n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Ils demandent le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                M. Mostacero Ortiz et sa famille sont des citoyens du Pérou. Il a fait sa demande au motif qu'il craint d'être persécuté aux mains des membres du Sentier lumineux. M. Mostacero Ortiz dit qu'il s'est fait remarquer par le Sentier lumineux parce qu'il a conseillé à des fermiers indépendants de ne pas faire les paiements de protection ( « cupos » ) exigés par le Sentier lumineux. Par conséquent, cinq hommes masqués l'ont agressé en juillet 2000.

[3]                La SPR paraît avoir conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Voici les motifs qui ont amené la SPR à cette conclusion apparente :

Le demandeur principal fut invité à expliquer depuis quand existait cette demande d'extorsion "cupos", il répond que c'est une pratique de longue date au Pérou, que les compagnies pour lesquelles il travaillait dans les années 1980-1990 payaient cette "cupos"; il relate deux incidents qui seraient survenus à des entreprises ayant refusé de payer cette "cupos": l'un en 1989, où 5,000 poulets auraient été empoisonnés et l'autre en 1991, alors qu'un propriétaire d'entreprise a vu son yatch incendié. Il croit que dans les deux situations des enquêtes policières ont eu lieu.


Invité à expliquer s'il avait lui-même été visé antérieurement, il répond non. Invité à expliquer s'il avait signalé à la police l'attaque du 19 juillet 2000, le demandeur répond que le représentant de la police ne se trouvait pas à l'hôpital au moment de sa visite et qu'il s'est immédiatement rendu, à sa sortie de l'hôpital, à l'aéroport. Il ajoute lors de l'audience du 25 septembre 2002 avoir appelé le quartier général de l'armée à Pucallpa, une fois retourné à Lima, et s'être fait dire qu'il devait se présenter en personne pour déposer une plainte. Invité à expliquer pourquoi il n'avait discuté avec ses clients, cette "cupos", qu'en l'an 2000 puisque selon son témoignage, cette pratique était une pratique de longue date et que les terroristes étaient beaucoup plus actifs dans les années 1980/90, le demandeur répond qu'à cette époque les militaires exerçaient une surveillance plus active et qu'il n'y avait presque plus de terrorisme. Le demandeur témoigne que pour déposer une plainte, il doit se présenter au quartier général de l'armée situé à 10 kilomètres de Pucallpa. Les militaires exerçaient donc toujours une présence puisque le quartier général était tout près de Pucallpa. Invité à expliquer pourquoi il n'était pas retourné faire une plainte après sa convalescence, le demandeur répond qu'il craignait retourner dans cette région et il relate une histoire d'un ami, un ingénieur en foresterie, qui lors d'une hospitalisation en 1999 avait dit au demandeur que la police était infiltrée.

La jeune demanderesse fut invitée à expliquer s'ils avaient signalé à la police l'appel téléphonique du 27 juillet 2000, elle répond non, qu'il ne songeait qu'à quitter la maison. Le tribunal considère invraisemblable toutes ces explications.

[4]                La SPR n'a renvoyé à aucune incompatibilité, contradiction ou évasion dans le témoignage des demandeurs. La SPR paraît plutôt avoir conclu qu'une partie ou la totalité du témoignage des demandeurs était invraisemblable.

[5]                Cette conclusion ne peut pas être étayée par les motifs que fournit la SPR. L'alinéa 169d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, exige que la SPR fournisse des motifs écrits lorsqu'elle rejette une demande. Pour remplir cette obligation, les motifs fournis par la SPR doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour qu'un demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a échoué et pour qu'il soit en mesure de décider s'il y a lieu pour lui de présenter une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Voir l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.), jugé en vertu d'une exigence équivalente de la loi. Par conséquent, les conclusions sur la crédibilité doivent être énoncées clairement, et des motifs doivent être fournis au soutien de telles conclusions.


[6]                Lorsque des conclusions sur la crédibilité sont fondées sur des invraisemblances perçues dans le témoignage, la SPR devrait identifier les faits qui constituent le fondement de la conclusion d'invraisemblance. Voir : Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303 (1re inst.). La raison en est que la SPR ne peut valablement évaluer la vraisemblance d'un témoignage qu'à la lumière de faits connus ou incontestés. Pour cette raison, la Cour d'appel fédérale a dit que les conclusions sur la vraisemblance sont « étayées » par des renvois à la preuve documentaire (Fok c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 800), et nous a mis en garde contre l'application de critères canadiens pour décider si une conduite est plausible. (Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 584).

[7]                Pour que la Cour procède au contrôle judiciaire d'une conclusion de la SPR sur la vraisemblance, elle doit pouvoir, à l'étude de la décision, être en mesure de déterminer sur quels faits la SPR s'est fondée pour peser les éléments de preuve fournis par le demandeur. Ensuite, la Cour peut évaluer la conclusion de vraisemblance à la lumière de ces faits pour décider si la conclusion sur la vraisemblance est manifestement déraisonnable.


[8]                Dans la présente affaire, la conclusion générale que « le tribunal considère invraisemblables toutes ces explications » ne réussit pas à expliquer de façon claire et intelligible ce sur quoi le tribunal s'est fondé pour conclure que les explications étaient invraisemblables. Même si dans certains cas le fondement d'une conclusion de vraisemblance peut être tout à fait évident, même en l'absence de motifs, ce n'est pas le cas ici. Pour ce motif, la conclusion de la SPR sur la crédibilité ne peut être soutenue.

[9]                La SPR a également conclu que les demandeurs n'avaient pas réussi à réfuter la présomption relativement à la protection de l'État. Les motifs du tribunal concernant cette conclusion sont également superficiels et se lisent comme suit :

De plus, en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. Les demandeurs doivent réfuter cette présomption en présentant « une preuve claire et convaincante » . Bien que le système ne soit pas parfait, le Pérou condamne les actes de terrorisme: [traduction] Dans les tribunaux de compétence civile, une section de la cour supérieure spécialisée en terrorisme entend des causes. Cette section est basée à Lima, mais ses juges se rendent dans les provinces au besoin. Au cours de l'année, des juges de cette cour ont voyagé à travers le pays et ont entendu plusieurs centaines de causes d'individus contre lesquels d'anciennes accusations d'activités terroristes étaient toujours pendantes.

La preuve documentaire fait également état :

[traduction] Le 31 décembre 1998, la police a apparemment capturé « le leader militaire le plus important dans la capitale » du Sentier lumineux (AP 4 Jan.1999) L'homme a été capturé dans le bas quartier industriel de Vitarte, où il était responsable d'organiser des travailleurs et des réseaux pour le groupe dans le quartier »

Le tribunal conclut, au vu de la preuve, que les demandeurs n'ont pas réfuté cette présomption. [Les notes en bas de pages sont omises.]


[10]            Donc, la conclusion de la SPR sur la protection de l'État reposait uniquement sur un renvoi à la condamnation par le Pérou d'actes terroristes, l'existence d'une section spécialisée de la cour qui a entendu plusieurs centaines de causes fondées sur d'anciennes accusations et la capture en 1998 du leader le plus important dans la capitale.

[11]            Dans ses motifs, la SPR a omis de présenter une analyse de la preuve documentaire qui lui a été fournie. Cette preuve documentaire contredisait la conclusion du tribunal concernant la disponibilité de la protection de l'État et appuyait le témoignage des demandeurs. La preuve documentaire contenait ce qui suit : la confirmation qu'historiquement le Sentier lumineux extorquait de l'argent; des rapports préparés par des agences crédibles selon lesquels, au moment où M. Mostacero Ortiz prétend avoir été agressé, le Sentier lumineux était actif dans cette région du Pérou; et des rapports voulant que le Sentier lumineux ait été toujours actif en 2000. Le rapport du Département d'État des États-Unis pour l'année 2000 mentionnait que même si on voit des progrès, le Sentier lumineux présente [traduction] « toujours une menace meurtrière » . Un article écrit au sujet du Sentier lumineux en 2000 mentionnait que :

[traduction] Même si la force militaire et la capacité organisationnelle du Sentier lumineux ont été grandement minées dans les dernières années, il représente toujours une force visible capable d'entreprendre avec succès des attaques terroristes à l'encontre d'infrastructures tant publiques que privées et d'assassiner des policiers et des civils. Il est peu probable que le gouvernement péruvien réussira à éliminer complètement le groupe dans un avenir rapproché. Il en est ainsi en grande partie parce que les conditions sociales et économiques qui ont été à l'origine de la révolution - y compris la pauvreté répandue, le chômage, et le désespoir dans les régions rurales et urbaines - ne se sont guère améliorées depuis la formation du groupe dans les années 1960.


[12]            Devant cette preuve documentaire indépendante, l'analyse qu'a faite le tribunal était insuffisante pour justifier sa conclusion que les demandeurs n'avaient pas réussi à réfuter la présomption relativement à la protection de l'État.

[13]            L'avocate du ministre a plaidé que, malgré tout, il était loisible à la SPR de conclure que les demandeurs avaient omis de demander la protection de l'État et de rejeter leurs demandes sur cette base.

[14]            À mon humble avis, cette observation présente deux difficultés. Premièrement, la SPR n'a pas rejeté la demande des demandeurs sur cette base. Deuxièmement, c'est uniquement dans les cas où la protection de l'État aurait pu raisonnablement être assurée que l'omission d'un demandeur de demander la protection de l'État fera échouer sa demande. Voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 49. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'analyse de la SPR dans la présente affaire était insuffisante pour appuyer la conclusion que la protection de l'État aurait pu raisonnablement être assurée.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les avocats n'ont soulevé aucune question pour certification et aucune question ne ressort du présent dossier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 18 novembre 2002 est annulée.

2.    L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                         « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-6247-02

INTITULÉ :                                                   CARLOS MIGUEL MOSTACERO ORTIZ ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 10 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Kakomire Kashongwe                                     POUR LES DEMANDEURS

Lynn Marchildon                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services communautaires juridiques                  POUR LES DEMANDEURS

du Sud d'Ottawa

Ottawa (Ontario)                                             

Morris Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                               



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