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Date : 20060207

Dossier : IMM-3160-05

Référence : 2006 CF 146

Ottawa (Ontario), le 7 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGERUSSELL

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

STEVE ANTHONY BRYAN

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision du 22 avril 2005 (la décision), par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion pour une période de quatre ans, en assortissant le sursis de conditions.

LE CONTEXTE

[2]                Le défendeur, Steve Anthony Bryan, est né le 2 janvier 1972 à la Jamaïque. Il est devenu résident permanent du Canada le 13 mai 1989.

[3]                Le défendeur a vécu comme un citoyen respectueux des lois jusqu'en 1995 environ, année au cours de laquelle les médecins ont diagnostiqué la schizophrénie chez lui. Sa maladie l'a amené à commettre de nombreuses infractions pénales et il a accumulé 36 déclarations de culpabilité depuis 1995.

[4]                Le défendeur a été détenu dans divers établissements correctionnels et de santé mentale depuis la fin de 2000. À la date de la décision de la Commission, le défendeur était détenu dans l'unité de traitement en milieu fermé du Centre correctionnel et de traitement de la vallée du St-Laurent.

[5]                Les fonctionnaires d'immigration canadiens ont arrêté le défendeur le 17 juin 2003. Une mesure d'expulsion a été prise contre lui le 27 mai 2004 par la Section de l'immigration (SI) aux termes de l'alinéa 36(1)a) de la Loi, qui prévoit l'interdiction de territoire pour grande criminalité.

[6]                La SI a ordonné que le défendeur soit maintenu en détention le 30 mars 2005, en invoquant le risque qu'il s'enfuie et la nécessité de le surveiller et de lui faire prendre des médicaments. Dans ses motifs, la SI mentionne que l'élément clé de sa décision est l'absence d'un « plan B » qui aurait pris la forme d'un séjour dans un foyer d'accueil approprié.

[7]                Le défendeur a interjeté appel de la mesure d'expulsion en invoquant des motifs d'ordre humanitaire et la Commission a entendu son appel le 7 mars 2005.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]                À la date de l'audience devant la Commission, le défendeur n'avait pas présenté de plan de mise en liberté précis. Son avocat a demandé le report de l'audience de façon à pouvoir préparer un tel plan, demande qui a été rejetée. La Commission a estimé que le défendeur avait eu suffisamment de temps pour préparer l'audience.

[9]                Après la clôture de l'audience mais avant que la Commission rende sa décision, le défendeur a sollicité la permission de présenter d'autres preuves concernant un plan de mise en liberté à l'appui de son appel. Le demandeur s'est opposé à la demande du défendeur. La Commission a fait droit à la demande pour la raison que les nouvelles preuves contenaient des éléments concernant la question de savoir si des plans appropriés avaient été préparés pour le cas où le défendeur serait libéré et que cet aspect jouait un rôle essentiel pour son avenir au Canada. Les preuves montraient que des démarches avaient été faites pour faire admettre le défendeur dans un établissement administré par Regeneration Housing and Support Services, qu'il avait été placé sur une liste d'attente et qu'il serait admis dès qu'un lit serait libre.

[10]            Dans ses motifs, la Commission a déclaré qu'elle avait été guidée dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire par les facteurs exposés dans Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4, et examinés et adoptés par la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84. La Commission s'est également inspirée de la décision de la Cour dans Archibald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 747), dans laquelle la juge Reed a déclaré qu'il y avait lieu de tenir compte des facteurs sociaux autant qu'économiques pour décider si un demandeur a réussi à s'établir au Canada.

[11]            La Commission a estimé que le degré d'établissement économique du défendeur au Canada était inexistant, ce qu'elle a attribué au fait qu'il avait été détenu de façon continuelle pendant les cinq dernières années. Elle a également conclu qu'il n'avait aucune formation professionnelle et qu'il était difficile de savoir comment il subvenait à ses besoins lorsqu'il n'était pas incarcéré.

[12]            La Commission a ensuite conclu que le défendeur n'était pas socialement intégré au Canada, étant donné qu'il ne bénéficiait d'aucun appui véritable de la part de sa famille et qu'il n'avait aucune personne à charge au Canada.

[13]            La Commission a également examiné les possibilités de réadaptation du défendeur et la probabilité de récidive. Après avoir examiné son casier judiciaire chargé, la Commission a déclaré que, si, d'une part, le défendeur avait tendance à récidiver de plus en plus gravement, d'autre part il existait un lien direct entre sa maladie mentale et les infractions pénales qu'il avait commises.

[14]            La Commission a tiré une conclusion au sujet de sa possibilité de réadaptation, notant que des mesures appropriées avaient été prises pour qu'il soit mis en liberté dans la collectivité. Les derniers paragraphes des motifs de la Commission sont importants et se lisent ainsi :

Le tribunal a entendu le témoignage de l'appelant et l'a jugé crédible. L'appelant a manifesté le désir de poursuivre un processus de réhabilitation à long terme. Il est oiseux de dire que la clé du succès dans cette affaire réside dans l'existence d'un plan de remise en liberté approprié de l'appelant qui fera en sorte de répondre à ses besoins tout en assurant la protection du public canadien. Il est toutefois troublant de constater que ce n'est qu'après que le tribunal ait manifesté sa surprise face à l'absence d'un tel plan au conseil et au représentant désigné de l'appelant qu'un tel plan a finalement été produit dans le cadre de la requête mentionnée précédemment.

Le tribunal comprend complètement les préoccupations de l'intimé en regard de la façon dont ce dossier en est arrivé devant le tribunal. Pourtant, nous faisons face ici à une personne dont la santé mentale a été traitée avec succès au Canada depuis plus de quatre ans et demi. La preuve n'a pas été faite que l'appelant ne pouvait pas poursuivre ce traitement. Il manquait toutefois un plan lui permettant de poursuivre dans la voie de la réhabilitation. Ce manquement a été en partie corrigé.

En l'espèce, le tribunal ne croit pas que l'appelant doive être tenu responsable de l'absence d'un plan approprié de remise en liberté. De l'avis du tribunal, la responsabilité en incombe à son conseil, à son représentant désigné, à sa famille et aux médecins, travailleurs sociaux et autres professionnels sur lesquels l'appelant se reposait pour prendre les décisions appropriées en son nom.

Bien que le plan finalement déposé par Mme Boardman [Mme Boardman est la travailleuse sociale du défendeur] reste flou, le tribunal conclut que Mme Boardman et les autres intervenants ont résolument entrepris de s'occuper des souffrances de l'appelant. Le tribunal conclut également que des mesures concrètes, quoique tardives, sont prises pour que l'appelant bénéficie d'un plan de remise en liberté approprié.

L'appelant demande au tribunal de surseoir à la mesure de renvoi afin de lui permettre de compléter sa réhabilitation, et le tribunal abonde en ce sens. Pour les motifs précités, le tribunal conclut qu'il est justifié de surseoir à la mesure de renvoi. Un sursis de la mesure de renvoi est accordé pour quatre ans, assortis de conditions rigoureuses.

[15]            La Commission a prononcé une ordonnance de sursis assortie de 19 conditions visant à réglementer le comportement du défendeur. Entre autres choses, le défendeur doit uniquement résider dans un lieu choisi par sa travailleuse sociale et Regeneration and Support, il doit respecter toutes les conditions imposées par le Programme de cautionnement de la région de Toronto ou par tout autre programme semblable.

[16]            La Commission a finalement fixé au 7 novembre 2005 la révision de son ordonnance de sursis. Les observations écrites du défendeur indiquent que la date fixée pour l'audience de révision de la Commission a été reportée au 17 janvier 2006.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]            Les questions en litige sont les suivantes :

1.                   Étant donné que la Commission va réviser sa propre décision dans un avenir proche, la présente demande est-elle théorique ou inutile?

2.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

3.                   La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en mettant en liberté le défendeur et en ordonnant le sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion en l'absence de preuves relatives à un plan de mise en liberté complet?

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[18]            Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent ainsi :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

...

...

63. [...] (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l'enquête.

63. [...] (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

...

...

66. Il est statué sur l'appel comme il suit :

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

a) il y fait droit conformément à l'article 67;

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l'article 68;

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

c) il est rejeté conformément à l'article 69.

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

...

...

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu'il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu'elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l'immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d'office ou sur demande.

(2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

(3) Par la suite, l'appel peut, sur demande ou d'office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

(3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l'étranger est reconnu coupable d'une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l'appel étant dès lors classé.

(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

LES ARGUMENTS

  1. Étant donné que la Commission va réviser sa propre décision dans un avenir proche, la présente demande est-elle théorique ou inutile?

            Le défendeur

[19]            Le défendeur soutient que la Commission va réviser sa décision le 17 janvier 2006 et qu'un avis d'audience a été signifié au demandeur. Les parties seront en mesure de présenter de nouvelles preuves à l'audience de révision, sans aucune restriction, et la Commission pourrait décider d'annuler le sursis et de rejeter l'appel du défendeur.

[20]            Le défendeur affirme que, bien que le demandeur n'ait pas clairement précisé la réparation qu'il souhaite obtenir dans le cas où sa demande serait accueillie, la réparation que la Cour accordera probablement consistera à renvoyer l'affaire devant la Commission pour nouvel examen, ce qui sera fait de toute façon.

[21]            Le défendeur soutient également qu'étant donné qu'une audience de révision a été fixée, le demandeur a déjà obtenu la réparation qu'il recherchait : un réexamen complet du dossier par la Commission. Le défendeur conclut en affirmant que la demande est théorique ou inutile, qu'elle va entraîner un gaspillage des ressources judiciaires et que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas l'examiner.

            Le demandeur

[22]            Le demandeur soutient que sa demande n'est pas théorique et s'appuie sur l'affirmation suivante qui se trouve dans la décision de la Commission :

Contrôle judiciaire - Aux termes de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, vous pouvez, avec l'autorisation de la Cour fédérale, présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue. Veuillez consulter un conseil sans tarder, car la Loi prévoit un délai prescrit pour la présentation d'une demande d'autorisation.

[23]            Le demandeur soutient que cette mention reconnaît clairement qu'il a le droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la Commission et que cette mention n'indique aucunement que le droit à la révision de l'ordonnance a pour effet d'interdire ce genre de demande.

[24]            De plus, le demandeur soutient que, s'il est vrai que la Commission peut utiliser son pouvoir discrétionnaire pour réviser sa décision, une ordonnance de la Cour l'obligera cependant à reconsidérer le sursis de la mesure de renvoi qu'elle a ordonné.

[25]            Le demandeur affirme que l'audience de révision prévue pour janvier 2006 ne devrait pas être un facteur susceptible d'influencer le contrôle judiciaire de la décision par la Cour. La Cour a le pouvoir non seulement d'ordonner à la Commission de réviser sa décision, mais également celui d'ordonner à la Commission d'exercer à nouveau son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de directives précises.

2.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Le demandeur

[26]            Le demandeur soutient que la question que devait trancher la Commission n'était pas une question de compétence mais se rapportait plutôt à l'appréciation de divers facteurs et que la norme applicable est donc la décision raisonnable simpliciter. (Chieu, précité, et Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748)

Le défendeur

[27]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de surseoir à une mesure de renvoi pour des motifs humanitaires est la décision manifestement déraisonnable. (Chieu, précité, et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982)

[28]            Le défendeur soutient que la décision en cause est principalement factuelle et que la Commission est un tribunal spécialisé qui a, progressivement et par sa propre jurisprudence, élaboré et appliqué des critères appropriés pour ce qui est de l'octroi d'un sursis pour des motifs humanitaires.

[29]            Le défendeur cite l'arrêt Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 122 (C.A.F.), pour appuyer son argument selon lequel la norme de contrôle applicable aux questions touchant les conclusions factuelles tirées par la Commission est la décision manifestement déraisonnable. Dans Thanaratnam, la Cour d'appel fédérale avait jugé que, si les conclusions de la Commission soulevaient effectivement une question mixte de fait et de droit, elles étaient en fait tellement factuelles qu'elles ne devraient être annulées que si la Commission avait pris une décision manifestement déraisonnable.

[30]            Le défendeur soutient également qu'il n'est pas possible d'établir une distinction entre la présente affaire et Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 466 (C.F.), qui concernait également une mesure d'expulsion fondée sur des déclarations de culpabilité. Au paragraphe 33 de Romans, la juge Dawson a écrit ce qui suit :

Pour analyser cette question, il faut d'abord se demander : quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer? La Section d'appel jouit d'un large pouvoir discrétionnaire pour autoriser un individu à demeurer au Canada. Par conséquent, pour que la décision de la Section d'appel sur cette question soit susceptible de révision, on doit démontrer que la Section d'appel a soit refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire, soit exercé son pouvoir discrétionnaire autrement qu'en conformité avec les principes juridiques établis. Si la Section d'appel a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, non pas de manière arbitraire ou illégale, et en écartant les facteurs sans pertinence, la Cour ne peut modifier la décision rendue par la Section d'appel. Le fait que la Cour aurait pu avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire différemment ne suffit pas. Voir : Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 875

[31]            Le défendeur cite également la décision Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1261 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la juge Snider a écrit ce qui suit aux paragraphes 19 à 21 :

La Cour doit d'abord décider quelle norme de contrôle judiciaire s'applique à la présente affaire. Dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, la Cour suprême a statué que, d'ordinaire, la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes est celle de la décision manifestement déraisonnable, tandis que la norme applicable aux pures questions de droit est celle du bien-fondé.

Il est traité de la norme de contrôle judiciaire dans Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 740 (C.F. 1re inst.), décision dans laquelle la Cour a déclaré que cette norme était la suivante eu égard aux conclusions de la SAI.

La question de savoir si la SAI a examiné les facteurs appropriés lorsqu'elle a décidé d'annuler le sursis est une question de droit et, par conséquent, c'est la norme du bien-fondé qu'il y a lieu d'appliquer. L'appréciation du poids accordé par la SAI à la preuve et de son interprétation de cette preuve à l'audience constitue une question de fait pour laquelle il convient d'appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[32]            Le défendeur cite également les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Owens, [2000] A.C.F. no 1644 (C.F. 1re inst.), et Aryan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 334 (C.F. 1re inst.), dans lesquelles la Cour a appliqué la décision manifestement déraisonnable comme critère lors des contrôles judiciaires de conclusions de la Commission fondée sur des considérations humanitaires.

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en mettant le défendeur en liberté et en ordonnant la suspension de sa mesure d'expulsion en l'absence de preuves relatives à un plan de mise en liberté complet?

            Le demandeur

[33]            Le demandeur soutient que la décision de la Commission est déraisonnable parce qu'elle n'a pas tenu compte de l'absence d'un plan adéquat de mise en liberté adapté au défendeur lorsqu'elle a suspendu la mesure d'expulsion. Le demandeur note que la Commission a même reconnu dans ses motifs que le plan de mise en liberté du défendeur comportait des lacunes, mais a, de façon déraisonnable, décidé d'accorder un sursis de quatre ans.

[34]            Le demandeur soutient que les autres preuves présentées par le défendeur ne démontraient pas qu'il avait été accepté par Regeneration House; il était uniquement mentionné qu'il avait été placé sur une liste d'attente.

[35]            Le demandeur a présenté une lettre datée du 16 mars 2005 émanant de John Russell, directeur de programme à Regeneration House, dans laquelle M. Russell affirmait que le fait d'être placé sur une liste d'attente ne voulait pas dire que le défendeur avait été accepté dans ce programme. L'acceptation dépendait d'une entrevue personnelle avec un gestionnaire de cas, entrevue qui n'avait pas encore eu lieu.

[36]            De plus, le demandeur affirme que la Commission s'est fondée sur des preuves inexactes présentées par la travailleuse sociale du défendeur lorsqu'elle a conclu que le Programme de cautionnement de la région de Toronto continuerait d'assurer la surveillance du défendeur. Dans une lettre adressée à la Commission et datée du 13 mai 2005, M. Dave Scott, directeur exécutif de ce programme, a écrit qu'il ne pourrait pas et ne continuerait pas à faire surveiller le défendeur, après que la Commission eut décidé de surseoir à la mesure d'expulsion.

            Le défendeur

[37]            Le défendeur soutient que la Commission a examiné tous les facteurs positifs et négatifs le concernant, et si, d'une part, la Commission a estimé que le défendeur n'était pas économiquement, ni socialement intégré au Canada, d'autre part, cette conclusion était compensée par le fait qu'il pouvait y avoir réadaptation.

[38]            Le défendeur soutient que la Commission a été satisfaite du plan de mise en liberté présenté par le défendeur après l'audience et que cette décision est entièrement de nature factuelle et principalement fondée sur l'appréciation qu'a faite la Commission de la crédibilité du défendeur et que la décision de surseoir à la mesure d'expulsion a été valablement prise dans l'exercice des pouvoirs discrétionnaires de la Commission.

[39]            Le défendeur affirme que le demandeur n'a pas signalé d'erreur susceptible d'être révisée ou d'élément manifestement déraisonnable ou arbitraire dans les conclusions de la Commission.

[40]            Le défendeur conclut en déclarant que le demandeur invite la Cour à réexaminer les preuves présentées à la Commission et qu'en l'absence d'erreur donnant ouverture à révision, la Cour ne devrait pas intervenir.

ANALYSE

[41]            À mon avis, la présente demande ne soulève qu'une seule et très simple question : la décision est-elle manifestement déraisonnable parce que la Commission a accordé un sursis de quatre ans en l'absence d'un plan de mise en liberté pour le défendeur?

[42]            La Commission a indiqué dans ses motifs que le principal facteur à considérer était l'existence d'un plan de mise en liberté approprié, mais les preuves indiquent que ce plan de mise en liberté n'était pas terminé au moment où la décision a été prise. Le demandeur affirme qu'il ne suffit pas que des mesures soient en train d'être prises pour mettre en oeuvre un plan de mise en liberté. La Commission doit être certaine qu'il existe un tel plan. La Commission ne disposait d'aucune preuve indiquant qu'un plan de mise en liberté avait été élaboré. C'est pourquoi le demandeur affirme que la décision est manifestement déraisonnable.

[43]            Les deux parties ont convenu à l'audience que la norme de contrôle applicable à la décision en cause est la décision manifestement déraisonnable. L'examen des décisions suivantes : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 587, 2005 CAF 122 (C.A.F.); Romans c. Canada, [2001] A.C.F. no 740, 2001 CFPI 466 (C.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Owens, IMM-5668-99, 11 octobre 2000; et Aryan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 334, 2004 CF 254, m'indique qu'ils ont raison.

[44]            L'article 68 de la Loi accorde à la Commission un pouvoir très large lorsqu'il s'agit de surseoir à une mesure de renvoi pour des motifs d'ordre humanitaire « vu les autres circonstances de l'affaire » . La Commission se voit attribuer de larges pouvoirs discrétionnaires qui lui permettent d'imposer, de modifier et d'annuler des conditions et de réviser le sursis qu'elle a accordé.

[45]            Pour décider s'il y a lieu d'accorder le sursis dans les cas où le comportement criminel est un facteur, la Commission a élaboré sa propre jurisprudence et a régulièrement appliqué le critère Ribic, qui a été mentionné favorablement par la Cour suprême du Canada dans Chieu.

[46]            Les facteurs de l'arrêt Ribic, même s'ils ne sont ni exhaustifs ni déterminants, comprennent une série d'aspects dont la Commission a tenu compte lorsqu'elle a examiné la présente affaire :

1)       La gravité de l'infraction à l'origine de la mesure d'expulsion;

2)       Les possibilités de réadaptation;

3)       La durée du séjour au Canada et le degré d'établissement de l'appelant;

4)       La famille au Canada et le bouleversement familial que l'expulsion entraînerait;

5)       L'appui dont l'appelant peut bénéficier dans sa famille et dans la collectivité;

6)       La gravité du préjudice que subirait l'appelant s'il retournait dans son pays de nationalité.

[47]            Il ressort clairement de la décision de la Commission que celle-ci a examiné tous les facteurs exposés dans Ribic lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire.

[48]            Après avoir examiné tous les facteurs exposés dans Ribic, la Commission a étudié l'aspect plan de mise en liberté de l'affaire. Elle était consciente que le plan était encore flou mais elle s'est déclarée satisfaite de ce que des « mesures concrètes » soient prises pour mettre en oeuvre un plan visant à assurer la sécurité du public.

[49]            Compte tenu de l'ensemble des circonstances, la Commission a estimé qu'un sursis était justifié, sous réserve de l'imposition de conditions et de la possibilité de révoquer le sursis.

[50]            Le ministre n'est tout simplement pas d'accord avec la Commission ni sur sa décision ni sur la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. Le ministre estime qu'il n'était pas approprié d'accorder un sursis avant que le plan de mise en liberté ait été définitivement mis au point. Selon le ministre, un plan de mise en liberté serait une condition essentielle. Cela n'est pas exigé. Si le plan n'est pas achevé comme prévu, et si le public est en danger, l'article 68 de la Loi prévoit la révocation du sursis, soit à l'initiative de la Commission, soit à celle du ministre.

[51]            Je ne peux affirmer que la décision est manifestement déraisonnable pour la seule raison qu'à l'époque où elle a été prononcée, le plan de mise en liberté n'avait pas encore une forme définitive. La Commission était convaincue que des mesures concrètes étaient prises pour protéger l'intérêt public et qu'un sursis était justifié « vu les autres circonstances de l'affaire » . C'est bien là le rôle de la Commission. La Cour ne devrait pas intervenir.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande est rejetée.

2.                   Aucune question n'est certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3160-05

INTITULÉ :                                        MCI

                                                            c.

                                                            STEVE ANTHONY BRYAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 7 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Sonia Barrette

POUR LE DEMANDEUR

Sylvia Valdman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Douglas Lehrer

VanderVennen Lehrer

POUR LE DÉFENDEUR

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