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     Date : 19980227

     Dossier : IMM-1123-97

ENTRE

     YA FEI DU,

     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         (Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario) le mercredi 25 février 1998, tels que révisés)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]          Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision en date du 29 janvier 1997 par laquelle un agent des visas a rejeté la demande d'immigration au Canada présentée par les demandeurs pour le motif que la demanderesse ne remplissait pas les conditions de la catégorie du travail autonome. La demanderesse a demandé à immigrer en tant qu'[TRADUCTION] "acupunctrice". Apparemment, aucun permis d'exercice de l'acupuncture n'est requis en Ontario où la demanderesse avait l'intention de résider.

[2]          Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-172, modifié, contient la définition de travailleur autonome.

         "travailleur autonome" s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

[3]          Pour rejeter la demande, l'agente des visas a invoqué les motifs suivants : en premier lieu, l'importance de l'expérience de travail autonome de la demanderesse n'était pas claire; en second lieu, l'entreprise d'acupuncture indépendante ne contribuerait pas de façon significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada et, en troisième lieu, avec un avoir net de seulement 80 000 $, la demanderesse n'avait pas suffisamment de fonds pour mettre sur pied une entreprise et pour établir elle-même et ses personnes à charge au Canada. La demanderesse dit que l'agente des visas a eu tort d'insister indûment sur son manque d'expérience de travail autonome, de ne lui avoir pas donné la possibilité de répondre aux préoccupations qu'elle avait concernant la question de la contribution significative, et parce que l'agente des visas était déconcerté quant à son avoir net.

[4]          Il semble effectivement que l'agente des visas a, dans une grande mesure, insisté sur l'expérience de la demanderesse en tant qu'acupunctrice autonome ou sur son manque d'expérience à cet égard. La demanderesse s'appuie sur des décisions telles que Yang c. Canada (M.E.I.) (1989), 27 F.T.R. 74, 8 Imm. L.R. (2d) 48, confirmé par (1990), 111 N.R. 148 (C.A.F.) et Grube c. Canada (M.C.I.) (1996), 118 F.T.R. 163, 34 Imm. L.R. (2d) 219, qui semblent préconiser l'idée qu'un agent des visas commet une erreur susceptible de contrôle s'il insiste indûment sur la question d'expérience passée. Voici le sommaire dans la décision Yang.

         [TRADUCTION] L'agent des visas en l'espèce a interprété le règlement d'une manière si restreinte que toute qualification est pratiquement impossible et, en conséquence, il a injustement traité la demanderesse. Une analyse appropriée exige d'examiner trois
         questions : le demandeur est-il un musicien accompli? peut-il enseigner? et peut-il travailler à son compte en tant que professeur? La demanderesse en l'espèce a rempli les conditions posées par les deux premières questions, et elle a eu un succès partiel quant à la troisième. Son seul échec relativement à la troisième question était son manque d'expérience réelle de professeur travaillant à son compte. En indûment insistant sur le manque d'expérience de professeur indépendant de la demanderesse, l'agente des visas a permis que le partiel échec quant à la troisième question l'emporte sur le succès remporté dans les deux autres, une interprétation qui fait qu'il est impossible pour la demanderesse de réussir.

[5]          Certes, un agent des visas peut commettre une erreur susceptible de contrôle en indûment insistant sur l'expérience passée, les décisions telles que Yang et Grube doivent être appliquées avec prudence parce qu'elles portent sur des demandes d'immigration fondées sur la capacité de contribuer de façon significative à la vie artistique ou culturelle du Canada, qualifications expressément reconnues dans la définition de travailleur autonome figurant dans le Règlement. Dans Yang, la demanderesse était une musicienne accomplie. Dans Grube, la demanderesse était notamment une danseuse étoile. Dans ces affaires, les requérantes désiraient enseigner la musique ou donner des leçons de ballet au Canada. Le critère applicable à ces cas - savoir si le demandeur est doué dans son domaine, s'il peut enseigner et s'il peut travailler à son compte en tant que professeur - ne sont pas facilement adaptables à d'autres entreprises ou professions. Lorsque la contribution à faire est artistique ou culturelle, la pratique des affaires passée, même dans le domaine culturel ou artistique en question, peut être de peu d'importance, surtout lorsque le demandeur désire être un professeur travaillant à son propre compte. Toutefois, lorsqu'il s'agit de contribution à l'économie du Canada, et qu'on insiste donc davantage sur la nature commerciale de l'entreprise, la pratique des affaires passée peut être tout à fait importante.

[6]          En l'espèce, l'agente des visas semble s'être donné beaucoup de mal pour comprendre le statut de la demanderesse, savoir si elle a été engagée par d'autres ou était travailleuse autonome. Je doute sérieusement que l'agente des visas ait apprécié, de façon appropriée, les renseignements fournis par la demanderesse. L'agente des visas semble avoir conclu qu'il existait des inconsistances dans le témoignage de la demanderesse relativement à la question de savoir si elle était salariée ou travailleuse autonome. L'agente des visas ne connaissait pas les arrangements de la demanderesse avec des hôpitaux ou d'autres institutions. Sans entrer dans les détails, mon examen de l'affidavit de l'agente des visas ne révèle aucune inconsistance ni aucun manque de clarté dans les renseignements.

[7]          La demanderesse était acupunctrice depuis 1984 et avait, au moins depuis mai 1995, une sorte d'arrangement de partage des honoraires avec des hôpitaux ou d'autres établissements à Beijing. L'agente des visas a apparemment tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse avait dit qu'elle avait une entreprise commune avec Long Xing Medical Equipment Scientific et Technical Development Company de Beijing, mais n'avait aucune entente d'entreprise commune. La préoccupation exprimée par l'agente des visas quant aux inconsistances et à l'absence de documents méconnaissait les circonstances dans lesquelles la demanderesse fournissait des services professionnels. La demanderesse était une praticienne unique d'acupuncture, s'affiliant à des hôpitaux et/ou à d'autres établissements. Ses arrangements avec ces institutions semblent avoir été [TRADUCTION] "vagues", impliquant un certain type de dichotomie. Son entreprise n'était pas une entreprise commerciale dans laquelle on s'attendrait à voir des relevés financiers ou d'autres documents contractuels ou commerciaux. Le fait qu'il n'y a pas eu d'entente d'entreprise commune n'est pas surprenant. Les renseignements sur la dichotomie sont relativement clairs.

[8]          L'agente des visas a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition de travailleur autonome, n'étant pas convaincue que la demanderesse pouvait établir une entreprise au Canada et, par là, devenir financièrement indépendante. L'agente des visas a dit que l'importance de l'expérience de la demanderesse en tant que travailleuse autonome n'est pas claire. Avec égards, comme je l'ai dit, j'estime que c'est l'agente des visas qui a peut-être mal compris. Les renseignements donnés par la demanderesse sur son statut de travailleuse autonome sont bien clairs.

[9]          Toutefois, la question que l'agente des visas avait à trancher n'était pas juste de savoir si l'expérience passée de la demanderesse démontrait sa capacité d'établir une entreprise et de devenir financièrement indépendante. L'entreprise doit contribuer de façon significative à l'économie canadienne. L'expérience de praticienne autonome d'acupuncture ne donne nécessairement pas l'expérience requise pour établir une entreprise qui contribuerait de façon significative à l'économie canadienne. Sans énumérer de façon exhaustive les critères applicables, un agent des visas pourrait très bien s'intéresser à des questions telles que l'expérience d'un demandeur en tant qu'employeur, gestionnaire, dans l'obtention d'un financement. On ne saurait critiquer un agent des visas qui a insisté sur une telle expérience passée. L'idée est que les agents des visas doivent adapter leur appréciation de l'expérience passée aux circonstances de chaque cas, tenant compte des exigences du Règlement.

[10]          En l'espèce, l'agente des visas semble s'être mal renseignée dans les enquêtes sur l'expérience passée qu'elle menait. Toutefois, il ne m'est pas nécessaire de décider si cela constitue une erreur susceptible de contrôle.

[11]          La demanderesse doit satisfaire à la condition que l'entreprise qu'elle établira au Canada contribuerait de façon significative à l'économie ou à la vie culturelle ou artistique du Canada. Rien ne laisse entendre que l'entreprise d'acupuncture contribuerait à la vie culturelle ou artistique du Canada. Il y a seulement à déterminer si elle contribuerait de façon significative à l'économie canadienne.

[12]          À cet égard, le seul élément de preuve dont disposait l'agente des visas était une lettre du Sheppard Rehabilitation Centre, datée du 12 août 1996, qui disait : [TRADUCTION] "Nous aimerions appliquer l'acupuncture chinoise au sein de notre clinique". À supposer, sans décider, que la prestation de thérapie d'acupuncture est une entreprise qui contribuerait de façon significative à l'économie canadienne, la preuve ne démontre pas que la demanderesse établira ou achètera cette entreprise.

[13]          Dans les documents dont je dispose, il existait trois versions de la lettre en date du 12 août 1996 du Rehabilitation Centre. Apparemment, les deux premières versions ont été envoyées par erreur à l'agente des visas. L'avocat de la demanderesse a avisé que les deux premières versions étaient des projets, et que la troisième est celle que l'agente des visas aurait dû examiner. La première version dit [TRADUCTION] "nous serions ravis de l'engager" (la demanderesse). La seconde version dit [TRADUCTION] "nous serions ravis de l'engager comme acupunctrice indépendante" La dernière version dit [TRADUCTION] "nous serions ravis de lui référer des patients". L'avocat de la demanderesse a avisé que les révisions avaient été faites par son bureau. L'agente des visas avait les deux premières versions de la lettre. La dernière version ne se trouvait pas dans le dossier du tribunal envoyé à la Cour, bien que l'avocat de la demanderesse dise qu'elle aurait dû se trouver devant l'agente des visas. Dans son affidavit, l'agente des visas déclare :

         [TRADUCTION]      Étant donné les rapports étroits que la demanderesse avait établis avec le Sheppard Rehabilitation Centre, je doutais que la demanderesse envisage en fait de compter sur un emploi obtenu par l'entremise du Sheppard Rehabilitation Centre, plutôt que d'avoir l'intention d'établir sa propre entreprise indépendante. Toutefois, cette lettre du Sheppard Centre était le seul élément de preuve produit par la demanderesse pour indiquer une sorte de projet d'entreprise au Canada. C'était ambigu.

[14]          En fait, la lettre était, c'est le moins qu'on puisse dire, ambiguë. La conclusion tirée par l'agente des visas était qu'il existait une relation étroite entre la demanderesse et le Rehabilitation Centre. Étant donné les révisions apportées par l'avocat à la lettre du 12 août 1996, qui semblent avoir été conçues pour répondre à la définition de travailleur autonome, j'estime que l'agente des visas avait raison. Elle a, à juste titre, attribué peu ou pas de poids à la lettre.

[15]          Peu importe la version qui est invoquée, elle ne démontre pas que la demanderesse établira une entreprise qui contribuerait de façon significative à l'économie canadienne. Si elle travaille, elle sera une acupunctrice indépendante ou le Rehabilitation centre lui référera des patients. S'il doit y avoir une entreprise qui fera une contribution significative, c'est l'entreprise du Rehabilitation Centre et non celle de la demanderesse.

[16]          Après l'entrevue de la demanderesse, l'avocat de celle-ci a présenté une autre lettre à l'agente des visas qui a été examinée avant la prise de la décision. Je ne crois pas qu'on puisse dire que la demanderesse s'est vu refuser la possibilité de présenter des observations à l'agente des visas sur toute question se rapportant à sa demande. Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, l'agente des visas n'a pas eu tort de conclure que l'entreprise envisagée par la demanderesse ne contribuerait pas de façon significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

[17]          Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur la présumée erreur commise par l'agente des visas relativement à l'avoir net de la demanderesse. L'affidavit de l'agente des visas fait état à la fois d'une somme d'environ 41 000 $ dont la demanderesse lui a apparemment parlé, et de la somme de 80 000 $ mentionnée ultérieurement par l'avocat. Il est inutile de dire que sa décision fait mention de 80 000 $ dont la demanderesse dit qu'elle est exacte. Je ne crois pas que l'agente des visas soit déconcertée quant à l'avoir net de la demanderesse.

[18]          La conclusion de l'agente des visas selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition de travailleur autonome était fondée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             Marshall Rothstein"

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 27 février 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                          IMM-1123-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              YA FEI DU,

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 25 février 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :              le juge Rothstein

EN DATE DU                      27 février 1998

ONT COMPARU :

    John Y.C. Lee                      pour la demanderesse
                        
    Sally Thomas                      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    John Y.C. Lee
    418-4002, avenue Sheppard est
    Scarborough (Ontario)
    M1S 1S6                          pour la demanderesse
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19980227

     Dossier : IMM-1123-97

ENTRE

     YA FEI DU,,

     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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