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Date : 20040630

Dossier : T-2755-95

Référence : 2004 CF 940

                                                          EN COUR FÉDÉRALE

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté;

ET un renvoi à la Cour introduit en vertu de l'article 920 des anciennes Règles de la Cour fédérale et continué en vertu de l'alinéa 169a) des actuelles Règles de la Cour fédérale (1998), ainsi que le prévoit l'article 501 des Règles de la Cour fédérale (1998).

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

MALKIAT SINGH

alias Malkiat Singh Bhandol

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Dans une demande de reconnaissance présentée en vertu de l'article 255 des Règles de la Cour fédérale (1998)[1] et datée du 4 juin 2004, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) a demandé que Malkiat Singh, alias Malkiat Singh Bhandol, (le défendeur) reconnaisse, aux seules fins de la présente instance, la véracité des faits suivants :

[traduction]

1.             « Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh » , mentionné aux pièces A-5, A-6, A-8, A-9, A-10, A-29 et A-33, déposées dans le présent renvoi, est le défendeur.

2.             Le défendeur n'a interjeté aucun autre appel de sa déclaration de culpabilité.

3.             Le défendeur n'est jamais retourné purger la période non expirée de sa peine.

4.             Le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[2]                Les pièces dont il est question dans la citation qui précède sont des pièces afférentes au témoignage recueilli par la Cour dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, au Pendjab, en Inde, en mars 2002. On peut les décrire brièvement comme suit :


-            la pièce A-5 est constituée d'une copie d'un acte d'accusation énumérant les chefs d'accusation portés contre cinq personnes dont [traduction] « [...] Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh et de Dasaundha Singh, âgé de 17 ans et en paraissant 21, cultivateur, résidant à Rauwal [...] » , et des motifs détaillés de la déclaration de culpabilité pour l'ensemble des cinq personnes accusées;

-            la pièce A-6 est constituée d'une copie des motifs de la Haute Cour du Pendjab et de Haryana, division d'appel en matière criminelle, siégeant à Chandigarh concernant un appel interjeté par Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh et de Dasaundha Singh, 17 ans, résidant à Rauwal, district de Ludhiana, qui a rejeté l'appel de Malkiat Singh interjeté à l'encontre des déclarations de culpabilité enregistrées contre lui;

-            la pièce A-8 est constituée d'une copie de l'avis d'appel présenté par Malkiat Singh qui a conduit aux motifs et au rejet de son appel, lesquels constituent la pièce A-6;

-            la pièce A-9 est constituée d'une copie de la requête de Malkiat Singh pour sa mise en liberté sous caution [traduction] « [...] pendant la durée [...] » de son appel en cours dont il vient d'être question;

-            la pièce A-10 est constituée d'une copie d'une ordonnance accueillant la demande de mise en liberté sous caution de Malkiat Singh [traduction] « [...] puisqu'il a déjà purgé plus de quatre ans d'emprisonnement et qu'il n'y a aucune possibilité qu'il y ait une audition rapide de l'appel. [...] » ;

-            la pièce A-29 est constituée d'une copie d'un avis de la mise en liberté sous caution de Malkiat Singh le ou vers le 30 janvier 1978;


-            la pièce A-33 est constituée d'une copie d'un cautionnement pour la mise en liberté sous caution de Malkiat Singh.

[3]                Dans la réponse à la demande de reconnaissance qui précède, datée du 7 juin 2004, l'avocate du défendeur a donné avis de ce qui suit :

[traduction]

[...] le défendeur, Malkiat Singh :

1.             reconnaît la véracité des faits numérotés 1, 2, 3 et 4 de la demande de reconnaissance datée du 4 juin 2004 et déposée en l'espèce, aux seules fins de la présente instance, se réservant toute la protection accordée par la loi conformément à l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada et à l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[4]                En même temps, l'avocate du défendeur a consenti à ce qu'un jugement conforme à ce qui suit soit rendu en l'espèce :

[traduction]

ATTENDU QUE le défendeur a fait une demande de renvoi à la Cour en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté;

ET QUE l'audition du renvoi, introduit en vertu de l'article 920 des anciennes Règles de la Cour fédérale et continué en vertu de l'alinéa 169a) des actuelles Règles de la Cour fédérale (1998), ainsi que le prévoit l'article 501 des Règles de la Cour fédérale (1998), a commencé;

ATTENDU QUE le défendeur, dans une réponse à l'avis de demande de reconnaissance de faits et dans une réponse à l'avis de demande de reconnaissance de documents, chacune datée du 30 avril 1998, a reconnu la véracité de certains faits, de même que l'authenticité de certains documents;

ET QUE, au moyen de l'affidavit de Mark G. Mason, souscrit le 8 juin 2004 et déposé, certains de ces documents ont été reçus en preuve dans la présente instance;


ET QUE les témoignages recueillis dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, en Inde, en mars 2002, ont été introduits au dossier d'instruction suite à des ordonnances de la Cour rendues le 14 août 2002 et le 14 septembre 2003;

ET QUE le défendeur a maintenant reconnu qu'il est « Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh » , nommément désigné dans les pièces A-5, A-6, A-8, A-9, A-10, A-29 et A-33, déposées dans le présent renvoi;

ET QUE, dans deux demandes de résidence permanente qu'il a remplies, le défendeur a omis de révéler qu'il avait été déclaré coupable de crimes en Inde;

PAR CONSÉQUENT, LA COUR STATUE que le défendeur, Malkiat Singh, a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[5]                À la suite d'une brève audience tenue le 21 juin 2004, lors de laquelle la Cour fut convaincue, après avoir entendu le défendeur et son avocate, que le défendeur comprenait ce qu'impliquaient, pour lui-même et les membres de sa famille, les récentes admissions faites en son nom, conjuguées à celles faites en son nom il y a quelques années, et que, sur la base de l'acquiescement à jugement susmentionné, un jugement sur consentement reflétant ces motifs suivrait. Voici ces motifs.

[6]                Ces motifs donnent un bref aperçu des éléments de preuve présentés à la Cour, l'amenant à conclure que le défendeur a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.


RÉSUMÉ DES ÉLÉMENTS DE PREUVE PRÉSENTÉS À LA COUR QUI ONT ÉTÉ ADMIS ET QUI ONT ÉTÉ TIRÉS DES DOCUMENTS RECONNUS COMME AUTHENTIQUES OU PRODUITS EN PREUVE DANS LE CADRE DE LA COMMISSION ROGATOIRE

[7]                Le défendeur est né le 25 janvier 1952 à Rauwal, au Pendjab, en Inde, et il est le fils d'Ajaib Singh[2].

[8]                En mars 1974, vivait à Rauwal, au Pendjab, en Inde, un jeune homme, âgé de dix-sept (17) ans, connu sous le même nom que le défendeur et décrit dans les documents produits en preuve devant la Cour comme [traduction] « [...] le fils d'Ajaib Singh [...] » . Le jeune homme était un citoyen de l'Inde et était décrit comme un [traduction] « agriculteur » ou un fermier[3].


[9]                Le ou vers le 25 mars 1974, le Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh, résidant à Rauwal, a participé avec d'autres au rapt et au meurtre d'un certain Tej Singh. Au cours du rapt en question, trois (3) autres personnes ont été blessées. Les documents produits en preuve dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, au Pendjab, en Inde, démontrent à la satisfaction de la Cour que le Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh, susmentionné a été accusé et déclaré coupable d'infractions, y compris celle de meurtre, qu'il a reçu une peine d'emprisonnement à vie et qu'il a été emprisonné, qu'il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, qu'après avoir été emprisonné pendant plus de quatre (4) ans, il a été mis en liberté sous caution jusqu'à ce que la décision soit rendue sur son appel, que son appel a été rejeté et que, après ce rejet et contrairement à ce qu'il s'était engagé à faire, il ne s'est pas [traduction] « [...] présenté devant le Premier magistrat judiciaire, à Ludhiana, pour purger [sa] peine » .

[10]            Tel qu'il a été mentionné précédemment, le 7 juin 2004, l'avocate du défendeur a reconnu, pour la première fois, que celui-ci et [traduction] « Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh » , qui a été accusé et déclaré coupable de meurtre, entre autres infractions, relativement au rapt et au meurtre de Tej Singh le ou vers le 25 mars 1974, sont une seule et même personne.

[11]            Selon les deux (2) demandes de résidence permanente au Canada déposées par le défendeur, une (1) en 1980 et une (1) en 1981, il a résidé en Allemagne de l'Ouest entre 1978 ou 1979 et septembre 1980. Il est entré au Canada à Winnipeg, au Manitoba, le 7 septembre 1980 avec un statut de visiteur valide jusqu'au 21 novembre 1980[4].

[12]            Le 20 septembre 1980, le défendeur a marié une citoyenne canadienne qui, le 10 octobre 1980, a soumis une demande pour le parrainer pour qu'il obtienne le statut de résident permanent ou d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement.


[13]            Le 22 octobre 1980, le défendeur s'est rendu aux Pays-Bas pour remplir à l'extérieur du Canada ses documents pour le statut au Canada.

[14]            Le 30 octobre 1980, le défendeur a soumis une demande de résidence permanente au Canada. Il ressort de cette demande de résidence permanente que le défendeur a répondu [traduction] « non » à la question [traduction] « avez-vous [...] été déclaré coupable d'un crime ou d'une infraction? »

[15]            Le 7 janvier 1981, le défendeur a soumis une deuxième demande de résidence permanente, remplie encore une fois aux Pays-Bas. Il a de nouveau répondu par la négative à la question de savoir s'il avait été déclaré coupable d'un crime ou d'une infraction.

[16]            Le 23 février 1981, le défendeur est entré de nouveau au Canada, à Winnipeg, en tant que visiteur. Son statut de visiteur a été prolongé jusqu'au 15 juin 1981. D'autres demandes de prolongation de son statut de visiteur ont été rejetées. Le 21 juillet 1981, le défendeur a été photographié, ses empreintes digitales ont été prises par la Gendarmerie royale du Canada à Winnipeg et il a été accusé d'avoir séjourné indûment au Canada. Le 5 octobre 1981, il a plaidé coupable à cette infraction et il a été condamné à payer une amende.

[17]            Le 13 octobre 1981, le défendeur a fait l'objet d'une mesure d'expulsion et, par conséquent, il a été expulsé du Canada vers l'Inde le 20 octobre 1981.

[18]            Le 2 juin 1982, le défendeur a reçu un visa d'immigrant pour s'établir au Canada puisqu'il était marié à une citoyenne canadienne. Le 17 juillet 1982, le défendeur est arrivé à Toronto et il a par la suite reçu le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement.

[19]            Le 24 mai 1983, le défendeur a divorcé de sa première femme.

[20]            Le 7 novembre 1983, le défendeur a parrainé sa fiancée pour qu'elle vienne au Canada à partir de l'Inde.

[21]            Le 31 octobre 1985, le défendeur a prêté le serment de citoyenneté canadienne. On lui a par la suite accordé la citoyenneté canadienne.


[22]            Autour de l'année 1986, la Gendarmerie royale du Canada a porté son attention sur la possibilité que le défendeur puisse avoir été impliqué dans un meurtre qui avait eu lieu en Inde en 1975. Le 30 octobre 1987, le défendeur a été interrogé par un agent de la Gendarmerie royale du Canada. Il a nié toute implication dans un meurtre et il a prétendu que, depuis qu'il avait quitté l'Inde pour la première fois, il y était retourné à deux (2) reprises et n'avait rencontré aucune difficulté, contrairement à ce qu'on aurait pu s'attendre s'il avait été identifié en tant que fugitif recherché par la justice.

[23]            Le 17 novembre 1987, le défendeur a été de nouveau interrogé par le même agent de police. À cette occasion, il était accompagné d'un avocat. Sur les conseils de l'avocat, le défendeur a refusé de donner quelque renseignement, déclaration ou empreinte que ce soit.

[24]            En janvier 1990, la Gendarmerie royale du Canada a reçu de l'Inde des documents judiciaires concernant le procès de 1975 pour le rapt et le meurtre de Tej Singh.

[25]            Le 24 octobre 1991, le défendeur a obtenu un certificat de changement de nom, modifiant son nom Malkiat Singh pour Malkiat Singh Bhandol.


[26]            Le 25 novembre 1991, le ministre compétent de l'époque a avisé le défendeur de son intention de faire rapport au gouverneur en conseil, en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, pour demander la révocation de la citoyenneté canadienne du défendeur au motif qu'il l'avait obtenue par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. L'avis mentionnait précisément l'allégation pertinente comme étant l'omission du défendeur de révéler ses antécédents criminels dans sa demande visant l'obtention du droit d'établissement ou du statut de résident permanent au Canada. Dans une lettre datée du 3 décembre 1991, l'avocat qui représentait alors le défendeur a demandé au ministre compétent de renvoyer la question de la révocation de la citoyenneté du défendeur à la Cour, en application de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. Les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté se lisaient, et se lisent, comme suit :


10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

(a) the person ceases to be a citizen, or

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

...

...


18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.                                

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.


[27]          La présente instance a été introduite par un « avis de renvoi » déposé le 28 décembre 1995.

[28]            Comme je l'ai fait remarquer dans les motifs datés du 14 août 2002 en l'espèce,

[...] Pour diverses raisons - notamment le décès du premier avocat du défendeur - qui ne nous intéressent pas particulièrement en l'espèce, le déroulement du renvoi a été interrompu pendant presque trois ans avant que ne soit entamée la procédure visant à recueillir des dépositions en Inde ou ailleurs. Le 15 décembre 1998, mon collègue le juge McKeown a ordonné à l'administrateur de la Cour de rédiger et de délivrer une commission rogatoire me désignant à titre de commissaire chargé de recueillir le témoignage de vingt et une personnes à Chandigarh, en Inde, ou à tout autre lieu précisé par le commissaire à cette fin. Tous les témoins étaient nommément désignés. À l'exception de quatre (4) d'entre eux, ces témoins étaient également identifiés par le titre du poste officiel qu'ils occupaient.

Le même jour, l'administrateur de la Cour m'a délivré une commission rogatoire dans laquelle était précisé le nom des témoins dont j'étais chargé de recueillir le témoignage conformément à l'ordonnance de Monsieur le juge McKeown.

Encore le même jour, la Cour a adressé une « lettre rogatoire » à l' « autorité judiciaire compétente de l'Inde » , [...]. Il était fait mention dans cette lettre qu'une instance était pendante devant notre Cour [...][5]

[29]            La « lettre rogatoire » demandait que les autorités indiennes appropriées acceptent que la Cour recueille des témoignages en Inde dans le cadre de la présente instance et qu'elles coopèrent. Mes motifs continuaient ainsi :


La lettre rogatoire a vraisemblablement été acheminée au gouvernement de l'Inde. Il semble que les fonctionnaires du gouvernement indien ne connaissaient pas bien ce type de demande, de sorte que ce n'est qu'à la mi-octobre 2001 qu'ils ont « accédé à la demande » , que le Haut-commissariat du Canada à New Delhi a été informé de l'acceptation de la demande et que les fonctionnaires judiciaires compétents indiens ont été autorisés à [traduction] « [...] fournir l'aide nécessaire au commissaire nommé par la Cour fédérale du Canada pour assurer la présence des témoins nommément désignésdans la lettre rogatoire » .

[Non souligné dans l'original.]

[30]            La Commission s'est tenue à Ludhiana les 11, 12, 13 et 14 mars 2002, avec l'aimable assistance de la Haute Cour du Pendjab et de Haryana. Les témoignages de treize (13) témoins ont été recueillis. Trois (3) de ces témoins n'étaient pas nommément désignés dans la lettre rogatoire, ceux-ci étant les successeurs aux postes mentionnés dans la lettre rogatoire des personnes qui y étaient nommément désignées.

[31]            Dans une ordonnance datée du 14 août 2002, les témoignages de dix (10) des témoins entendus à Ludhiana, ainsi que les pièces afférentes produites au cours de leurs témoignages, ont été versés au dossier de la présente demande. Une autre lettre rogatoire a été expédiée aux autorités indiennes leur demandant d'accepter que les témoignages des témoins de remplacement soient recueillis. La Cour a interprété les réponses des autorités indiennes datées de décembre 2002, du 22 avril 2003 et du 23 mai 2003 comme équivalant à l'acceptation additionnelle demandée. Par conséquent, les témoignages des trois (3) témoins de remplacement, y compris les pièces afférentes, ont été versés au dossier de la présente demande par une ordonnance datée du 16 septembre 2003.


[32]            Le reste de l'audience dans la présente affaire, à savoir l'audition de témoignages au Canada et de l'argumentation formulée au nom des parties, a été mise au rôle pour cinq (5) jours, commençant le 9 février 2004. À cette date, l'avocat du défendeur a présenté une requête visant à obtenir un ajournement de l'audience au motif que le défendeur n'était pas alors en mesure de donner des instructions à son avocat ni de témoigner. De plus, l'avocat du défendeur a donné avis que le défendeur avait l'intention de changer d'avocat. Par conséquent, après avoir entendu l'avocat ainsi que celui du demandeur appuyant la demande d'ajournement, un ajournement a été accordé sine die.[6]

[33]            Dans une ordonnance datée du 23 mars 2004, l'ajournement sine die de l'audience a été levé et la présente affaire a été mise au rôle pour audition à Vancouver, commençant le 21 juin 2004 pour une durée maximale de cinq (5) jours.

[34]            Un avis de constitution d'un nouvel avocat au nom du défendeur, accompagné de la preuve de signification, a été déposé le 26 mars 2004.


[35]            Au moyen d'un affidavit de Mark G. Mason compris dans un dossier de requête déposé le 10 juin 2004, l'avocat du demandeur a présenté en l'espèce une preuve documentaire additionnelle, dont l'authenticité avait été reconnue plus tôt par le défendeur, ces documents étant composés d'une photocopie d'un passeport délivré au défendeur le 14 septembre 1973 par le gouvernement de l'Inde, de photocopies des deux (2) demandes de résidence permanente au Canada du défendeur déjà mentionnées et remplies par celui-ci le 30 octobre 1980 et le 7 janvier 1981, ainsi qu'une photocopie de l'enregistrement de la citoyenneté canadienne du défendeur qui lui a été délivré le 31 octobre 1985. En plus, le dossier de requête du demandeur comprenait une copie de la demande de reconnaissance, aux seules fins de la présente instance, datée du 4 juin 2004 et de la réponse à cette demande, lesquelles ont toutes les deux été mentionnées dans l' « introduction » des présents motifs.

[36]            Enfin, le dossier de requête du demandeur comprenait un projet de jugement sur consentement, tel que cité dans l' « introduction » des présents motifs.

CONCLUSION

[37]            Je suis convaincu que les témoignages recueillis en mars 2002 dans le cadre de la commission rogatoire en Inde et versés au dossier dans la présente instance, ainsi que les pièces afférentes, démontrent qu'en 1975, le Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh, a été déclaré coupable d'infractions, y compris celle de meurtre, à Ludhiana, au Pendjab, en Inde. On lui a imposé une peine d'emprisonnement à vie. Il a interjeté appel de sa peine. Il a été mis en liberté sous caution, après avoir passé quelques quatre (4) ans en prison, en attendant l'audience et la décision sur son appel. Son appel a été rejeté. Il ne s'est jamais rendu aux autorités pour purger le reste de sa peine.

[38]            Essentiellement, les seules questions, sauf une, qui restaient à trancher lors de l'audience tenue par la Cour le 21 juin 2004 étaient celles de savoir si le Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh, susmentionné et le défendeur étaient la même personne et, le cas échéant, s'il y avait eu ou non un autre appel ayant donné lieu à un acquittement et si le défendeur avait ou non purgé le reste de sa peine. Toutes ses questions ont effectivement reçu des réponses lorsque l'avocate du défendeur a concédé que son client et la personne déclarée coupable, Malkiat Singh, fils d'Ajaib Singh, étaient la même personne, qu'il n'y avait pas eu d'autre appel à part celui qui a fait l'objet des témoignages recueillis dans le cadre de la commission rogatoire et que le défendeur n'était jamais retourné en Inde pour purger la période non expirée de sa peine d'emprisonnement à vie.


[39]            La dernière question qui restait alors à trancher était celle de savoir si les réponses du défendeur aux questions contenues dans les deux (2) demandes pour obtenir le droit d'établissement au Canada, selon lesquelles il n'avait pas été déclaré coupable d'un crime ou d'une infraction, équivalaient à des prétentions ayant permis au défendeur d'obtenir sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Je suis convaincu que le fait de ne pas divulguer des renseignements importants concernant une demande ou, comme en l'espèce, des demandes de résidence permanente au Canada permet d'obtenir la citoyenneté canadienne, acquise par la suite, par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Baumgartner[7], le juge McKeown a écrit ce qui suit au paragraphe [129] de ses motifs :

[...] En vertu du paragraphe 10(1) [de la Loi sur la citoyenneté], le gouverneur en conseil peut annuler la citoyenneté d'une personne s'il est convaincu que cette dernière l'a acquise au moyen d'une fausse déclaration, c'est-à-dire que s'il est conclu qu'une personne a fait de fausses déclarations afin d'obtenir le droit d'établissement, cette personne ne peut pas légalement acquérir la citoyenneté puisque, pour être admissible à la citoyenneté canadienne, elle doit avoir légalement obtenu le droit d'établissement. Quoi qu'il en soit, compte tenu de la disposition déterminative [le paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté], pareil argument n'a pas à être invoqué. [8]


[40]            Par conséquent, étant convaincu, par suite de la brève audience tenue le 21 juin 2004, sur la base des représentations de l'avocate du défendeur et des réponses de celui-ci aux questions de la Cour, que le défendeur ne souffrait d'aucune incapacité lorsqu'il a acquiescé à ce qu'une décision soit rendue selon laquelle il avait obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, un jugement conforme, pour l'essentiel, à ce qui a été convenu est rendu, exposant la conclusion de la Cour selon laquelle le défendeur avait obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

« F. E. GIBSON »

__________________________________

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

Le 30 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-2755-95

INTITULÉ :                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

MALKIAT SINGH BHANDOL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          VANCOUVER

(COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 21 JUIN 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 30 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Robert Gosman                                                             POUR LE DEMANDEUR

S. R. Chamberlain, c.r.                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice du Canada                                  POUR LE DEMANDEUR

Bureau régional de Winnipeg

301 - 310 Broadway

Winnipeg (Manitoba)

Chamberlain & Doyle                                        POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Bureau no 1

7100 River Road

Richmond (Colombie-Britannique)



[1]            DORS/98-106.

[2]         Pièces B et C de l'affidavit de Mark G. Mason déposé le 10 juin 2004 et dont l'authenticité a été reconnue : dossier d'instruction modifié du demandeur, onglet 3, documents 5 et 6, et onglet 8.

[3]         Quant aux paragraphes [9] et [10], voir les pièces A5, A6, A8, A9, A10, A29 et A33 afférentes aux témoignages recueillis par la Cour dans le cadre de la commission rogatoire qui a eu lieu à Ludhiana, au Pendjab, en Inde, en mars 2002.

[4]         Quant à ce paragraphe et aux paragraphes [12] à [25], voir le dossier d'instruction modifié du demandeur, onglet 2, paragraphes 4 à 21 et 23, et onglet 7. La véracité des faits allégués au paragraphe 18 de l'onglet 2 n'a pas été reconnue. Toutefois, lorsque lus conjointement avec les autres éléments de preuve présentés à la Cour, je suis convaincu que l'énoncé général tiré de ce paragraphe ne peut être contesté de façon importante.

[5]       Référence neutre : 2002 CFPI 861.

[6]         Voir les motifs en l'espèce datés du 3 mars 2004, référence : 2004 CF 311.

[7]         (2001), 211 F.T.R. 197.

[8]       Voir également la référence faite par le juge McKeown à l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, au paragraphe 138 de ses motifs, ainsi que son raisonnement et les conclusions qui s'ensuivent aux paragraphes 139 à 141.


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