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Date: 19980814


Dossier: IMM-1861-97

Entre :

     YURI MAXIMILOK

     MARIANA MAXIMILOK

     VLADLENA SOKOLOVSKI

     ELENA MAXIMILOK

     Partie requérante

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL


[1]      Il s'agit d'une demande de révision judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après "le tribunal") rendue le 10 avril 1997. Par cette décision, le tribunal décidait que les requérants n'étaient pas réfugiés au sens de l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration .


Les faits

[2]      Les requérants " père, mère et leurs deux filles " son ukrainiens d'origine et ont immigré en Israël sous la Loi du retour en 1991. La mère et les deux filles sont juives, alors que le père est de confession chrétienne.


[3]      Dans son formulaire de renseignements personnels, le père relate de façon exhaustive les incidents qui ont conduit lui et sa famille et demander le statut de réfugié au Canada. La description de ces événements étant très étoffée, je me contenterai de résumer succinctement les faits retenus par le tribunal afin de rendre sa décision.


[4]      Les requérants connaissent, dès leur arrivée, divers incidents discriminatoires, soit à l'école des enfants ou au travail du père. Ils logent une première plainte auprès de la police en janvier 1992, alors que des voisins auraient lancé des pierres dans les fenêtres de la maison familiale durant les célébrations de Noël et du Jour de l'an. La vue de leur arbre de Noël aurait provoqué cette attaque. Les policiers leur auraient répondu cavalièrement que durant cette période de l'année, les russes en ébriété cassaient souvent des carreaux. Les requérants sont frustrés de ne pas recevoir plus de protection de la part des autorités.


[5]      La deuxième plainte logée auprès de la police par les requérants fait suite à l'agression de leur fille aînée par des collègues de classe. Ces derniers auraient attaqué la jeune fille à la sortie de l'école, l'auraient insultée et lui aurait fait des attouchements sexuels. Le requérant et sa femme auraient alors accompagné leur fille au commissariat afin de porter plainte. De nouveau, les policiers auraient refusé d'ouvrir un dossier, alléguant que les russes portaient plaintes pour toutes sortes de "gamineries". Il ressort du témoignage des requérants qu'ils sont convaincus que la police n'a pas agi puisqu'ils sont d'origine russe et que le père n'est pas juif.


[6]      Une évaluation psychologique effectuée en mars 1996 et déposée en l'instance, indique que la fille aînée souffre de troubles psychologiques importants reliés à son expérience en Israël. La psychologue au dossier ne recommande pas un retour dans ce pays.


[7]      En 1993, suite à un congédiement injustifié et à un salaire impayé, le père consulte un avocat d'origine russe. Ce dernier, apprenant que le requérant travaille sans contrat et qu'aucun de ses collègues de travail ne témoignera en sa faveur, refuse d'entamer des procédures pour une cause qu'il considère perdue d'avance.


[8]      En 1995, le requérant et sa famille sont menacés de mort par des voisins et ils décident alors de quitter l'Israël pour le Canada. Ils arrivent au pays en septembre 1995 et revendiquent alors le statut de réfugié.


La décision du tribunal

[9]      D'emblée, le tribunal met en doute la véracité de la version écrite des requérants, qu'il estime exagérée. Suite à une comparaison du témoignage des requérants avec la documentation inclue au cartable de la Commission, le tribunal conclut que l'état d'Israël offre de nombreux recours aux requérants quant à leur protection physique et civile. Le tribunal estime que les requérants n'ont pas entrepris toutes les démarches qu'ils auraient dû faire, si effectivement, ils avaient besoin de protection ou d'un redressement quelconque.


Les arguments des parties

(a)      Les requérants:

[10]      Les requérants allèguent que le tribunal a commis une erreur en préférant la preuve documentaire aux témoignages des requérants. Ils soutiennent que les conclusions du tribunal sur l'absence de crédibilité n'ont aucun fondement et sont donc déraisonnables. Il soumettent que la Cour d'appel fédérale ayant statué qu'un tribunal ne peut douter de la crédibilité d'un requérant sans soulever de raisons valables, le tribunal en l'instance ne pouvait donc pas douter de la crédibilité des requérants uniquement sur la foi de la documentation produite par la Commission.


[11]      D'autre part, les requérants allèguent que le tribunal a erré en affirmant qu'ils n'ont pas fait d'effort pour obtenir la protection de l'état. Ils soumettent qu'il est en preuve qu'ils n'ont pas obtenu la protection désirée, cela malgré leurs nombreuses demandes, et ils citent en exemple les rencontres et les plaintes auprès des intervenants scolaires, la plainte faite au directeur du syndicat et la visite faite à l'avocat.


[12]      Et finalement, les requérants allèguent que le tribunal a erré en s'appuyant sur l'arrêt MCI c. Kadenko, 15 octobre 1996, A-388-95 (C.A.F.), qui impose un fardeau de preuve plus élevé pour les ressortissants israéliens que pour les autres revendicateurs de statut. Le tribunal aurait dû s'appuyer plutôt sur l'arrêt Ward c. P.G.C., [1993] 2 R.C.S. 689, une décision de la Cour suprême du Canada qui constitue le dernier mot dans cette affaire. Les requérants soutiennent que, à tout événement, la preuve a démontré que par leurs multiples démarches, ils ont rencontré le fardeau établi par l'arrêt Kadenko, supra.


(b)      La partie intimée:

[13]      En ce qui a trait à la crédibilité des requérants, la partie intimée soutient que le tribunal a évaluer leurs allégations de persécution et les a tout simplement jugées incompatibles avec la preuve documentaire, et que selon la jurisprudence, un tribunal a bon droit de ce faire. Il est soumis que, d'ailleurs, un tribunal n'a pas l'obligation de motiver ses conclusions en matière d'invraisemblance, et qu'il peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qu'il juge les plus crédibles. Il en revient aux requérants d'établir que le tribunal en l'instance a ignoré des éléments de preuve, fardeau duquel les requérants n'ont pu se décharger. Il est donc présumé que le tribunal a pris en considération la totalité de la preuve.


[14]      Quant à la prétention des requérants que le tribunal a erré en concluant qu'ils n'avaient pas démontré en quoi ils ne pouvaient obtenir la protection des autorités israéliennes, la partie intimée soutient que cette allégation est sans fondement.


[15]      Et finalement, contrairement aux prétentions des requérants, la partie intimée soutient que la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kadenko, supra, n'est pas en conflit avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward, supra. En fait foi la décision de cette Cour dans l'affaire Menaker c. M.C.I., 27 octobre 1997, IMM-3837-96, où le juge Dubé s'appuyait sur ces deux décisions pour énoncer le fardeau de preuve imposé à tout requérant qui soulève l'incapacité de l'état à le protéger.


Analyse

[16]      Le juge Heald, dans l'affaire Rajudeen c. M.E.I., (1984) 55 N.R. 129 (C.A.F.) à 134, formulait le critère que doit remplir le revendicateur pour établir une crainte de persécution, soit:

                 The subjective component relates to the existence of the fear of persecution in the mind of the refugee. The objective component requires that the refugee's fear be evaluated objectively to determine if there is a valid basis for that fear.                 

[17]      En ce qui a trait au fondement subjectif de la crainte de persécution, elle repose uniquement sur la crédibilité des requérants. Lorsque ces derniers jurent que leurs allégations sont vraies, la véracité de celles-ci est dont présumée. En l'instance, le tribunal a mis en doute la crédibilité des requérants en termes clairs et précis. Nous pouvons donc conclure que les requérants n'ont pu démontrer une crainte subjective de persécution.

[18]      Puisqu'il mettait en doute la crédibilité des requérants, le tribunal a, à bon droit, donné prépondérance à la preuve documentaire déposée en l'instance. Il appert de la jurisprudence pertinente que le tribunal peut agir ainsi, s'il explique ses motifs en termes clairs et précis. En l'espèce, j'estime que la décision en litige rencontre les critères énoncés par la jurisprudence.

[19]      La reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention est une forme de protection de rechange qui ne devient nécessaire que lorsque l'état d'origine du revendicateur ne peut ou ne veut protéger ce dernier. Or, tant que l'état continue d'exister, il est présumé être en mesure de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit prouver que l'état est incapable de le protéger, soit par une admission des autorités de l'état concerné, soit par une preuve d'incidents personnels antérieurs au cours desquels l'état ne l'a pas protégé, ou soit par une preuve démontrant que les mesures de protection étatique n'ont pu assurer la protection de personnes se trouvant dans des situations similaires.

[20]      Dans la décision Kadenko, supra, la Cour d'appel, en s'appuyant de la décision de la Cour suprême dans Ward, supra, indique que le fardeau de preuve qui incombe au requérant est directement proportionnel au degré de démocratie atteint par l'état en cause. Plus le degré de démocratie est élevé dans un état donné, plus le revendicateur devra avoir épuisé les recours qui s'offraient à lui avant de revendiquer la protection d'un autre état.

[21]      En l'espèce, le tribunal a conclut que les requérants n'avaient pas épuisé toutes les ressources qui s'offraient à eux avant de quitter l'Israël. Cette décision, eu égard à la preuve documentaire soumise, n'est pas déraisonnable.

Conclusion

[22]      La décision en litige n'est entachée d'aucune erreur de fait ou de droit permettant l'intervention de cette Cour. La requête en contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

     L-Marcel Joyal

    

     JUGE

O T T A W A, Ontario

le 14 août 1998.

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