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Date : 20040617

Dossier : IMM-8113-03

Référence : 2004 CF 868

Calgary (Alberta), le 17 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                            KHURAM SHAHZAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 1er octobre 2003, a conclu, compte tenu d'un manque de crédibilité, que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


LES FAITS

[2]                Le demandeur, un citoyen du Pakistan qui était âgé de 18 ans lors de son entrée au Canada le 25 juin 2002, a présenté une demande d'asile le 27 juin 2002. Il prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée, du fait de ses opinions politiques, par les membres de l'armée pakistanaise, par les policiers et par les adversaires politiques de la Ligue musulmane pakistanaise (PML). Le demandeur prétend que le 3 mars 2002 il est devenu membre de l'Aile des jeunes musulmans (MYW), l'aile jeunesse de la PML. Il prétend en outre que son père était depuis longtemps un militant de la PML et qu'il l'a assisté dans les activités de la campagne électorale de 2001.

[3]                Sa demande est fondée sur les événements ci-après mentionnés qui sont soi-disant survenus le 28 avril 2002. Le demandeur a été harcelé par des brutes de l'opposition alors qu'il distribuait des dépliants de la PML qui incitaient les gens à voter contre le référendum présidentiel préparé par le général Pervez Musharraf, le dirigeant militaire du Pakistan. Croyant qu'il serait arrêté par les policiers, le demandeur s'est enfui chez son oncle à Islamabad. Après avoir communiqué avec des membres de sa famille, il a appris que les policiers avaient fait une perquisition chez lui parce qu'ils le recherchaient. Il a en outre appris que des accusations avaient été portées contre lui. Son père a alors pris des dispositions auprès d'un agent afin qu'il fasse entrer clandestinement le demandeur au Canada en passant par les États-Unis. Le demandeur prétend qu'après son arrivée au Canada, il a appris qu'un mandat avait été lancé contre lui pour son arrestation au Pakistan.


[4]                La Commission a conclu, après avoir entendu sa demande, que le demandeur n'avait pas fourni des éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa demande. La Commission a décelé des incohérences, des omissions et des invraisemblances dans la preuve du demandeur. La Commission a tiré les conclusions suivantes :

1)         le Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) du demandeur ne contenait aucune mention d'activités de recrutement, mais le demandeur a témoigné que le recrutement de nouveaux membres était une partie importante de ses fonctions au sein du MYW;

2)         le demandeur connaissait peu l'information de base à l'égard de la PML et de ses diverses factions;

3)         l'authenticité de la carte d'identité nationale (CIN) du demandeur était mise en doute;

4)          le récit du demandeur à l'égard de la façon selon laquelle il était entré clandestinement au Canada dans la boîte d'un camion, à l'égard du fait qu'il avait été laissé dans une blanchisserie de Montréal sans aucun soutien ou sans aucune instruction et à l'égard du fait qu'il avait alors par hasard rencontré un Pakistanais qu'il ne connaissait pas, a été jugé invraisemblable;

5)         le demandeur a attendu pendant plus d'un an avant d'obtenir des documents qui corroboraient l'accusation portée contre lui et le mandat lancé pour son arrestation; la Commission a estimé que le manque d'intérêt du demandeur et le retard important pour obtenir les documents étaient incompatibles avec sa prétention selon laquelle il avait une crainte subjective en raison des accusations alléguées;

7)         les documents qui ont finalement été présentés pour corroborer les prétentions du demandeur étaient douteux parce qu'ils étaient de mauvaise qualité et parce que la preuve documentaire révélait l'existence de nombreux faux documents judiciaires au Pakistan;

8)         la lettre du MYW présentée au soutien de sa prétention était vague et intéressée.

[5]                Après avoir tiré les conclusions précédemment mentionnées, la Commission a tiré la conclusion suivante à la page 4 de ses motifs :


[...]

L'effet cumulé des conclusions défavorables qui précèdent concernant le manque de crédibilité a amené le tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible dans ses allégations. Le tribunal estime qu'il n'a pas été un membre actif du MYW et qu'il ne fait pas face à des accusations, au Pakistan, pour motifs politiques. Le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau qui était le sien de démontrer, à l'aide dléments de preuve crédibles et dignes de foi, qu'il existe une « possibilité sérieuse » ou « un risque raisonnable » qu'il soit persécuté ou qu'il coure un risque de subir un mauvais traitement ou une peine cruel et inusité, dtre soumis à la torture ou de perdre la vie s'il retourne au Pakistan.

ANALYSE

[6]                La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en rejetant la crédibilité du demandeur. Le demandeur prétend que la Commission a omis d'examiner l'ensemble de la preuve et a omis d'accorder l'importance appropriée à la preuve présentée au soutien de sa demande. Le demandeur prétend que le rejet par la Commission de ses explications à l'égard des omissions ou des incohérences était déraisonnable. Le demandeur prétend que la Commission a mal interprété la preuve contenue au dossier et, en particulier, son témoignage de vive voix.


[7]                Le défendeur prétend que la Commission pouvait tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité compte tenu des nombreuses incohérences et contradictions mentionnées. Le défendeur prétend que la Commission a énoncé clairement ses motifs pour mettre en doute et rejeter le témoignage du demandeur. Le défendeur prétend que la simple affirmation du demandeur selon laquelle des éléments de preuve pertinents n'ont pas été examinés n'est pas fondée. Le défendeur prétend en outre que la Commission a conclu à bon droit que les actions du demandeur n'étaient pas compatibles avec une crainte subjective de persécution.

[8]                La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait tirées par la Commission et à son appréciation de la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. La Cour ne substituera pas sa propre décision à celle de la Commission, sauf si la décision est clairement erronée. Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et l'arrêt De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.).

[9]                J'ai examiné le dossier, notamment la transcription. Je suis d'avis que les conclusions de fait tirées par la Commission et son appréciation de la crédibilité sont manifestement déraisonnables à l'égard des prétendues incohérences et invraisemblances.


[10]       Premièrement, la preuve documentaire présentée pour corroborer la prétention du demandeur selon laquelle la police l'a accusé d'une infraction criminelle pour avoir distribué des dépliants dénonçant le gouvernement semble authentique. La Commission a rejeté les documents présentés étant donné que le demandeur en a retardé l'obtention jusqu'à ce que son avocat lui dise de les obtenir juste avant l'audience devant la Commission. La Commission a estimé que le délai d'obtention minait l'authenticité des documents. Je suis d'avis que l'explication à l'égard du retard est raisonnable et qu'elle n'est pas un motif valable de rejet de la crédibilité des documents. La Commission a en outre conclu que les documents étaient probablement faux parce que de nombreux documents en provenance du Pakistan sont faux. Je conclus que la lettre de l'avocat de la ville d'origine du demandeur semble authentique. Sur le papier à en-tête, l'avocat a rayé à la main la mention d'un client qu'il ne représentait plus. Si cette lettre était fausse, l'avocat n'aurait pas pris la peine de rayer le nom du client sur le papier à en-tête. Les autres documents sont les renseignements consignés contre le demandeur le 28 avril 2002 et le mandat d'arrestation lancé contre le demandeur qui était daté du 31 juillet 2002. Ces documents corroborent le récit du demandeur. J'ai conclu que le motif de rejet de la crédibilité de ces documents est également manifestement déraisonnable parce qu'ils sont aussi dignes de foi que la lettre de l'avocat.

[11]       Deuxièmement, je ne suis pas d'avis que l'omission dans le FRP ou que le manque d'une connaissance détaillée du PML est un motif valable de rejet de la crédibilité du demandeur. Le FRP contient des détails raisonnables à l'égard de la raison pour laquelle le demandeur s'est enfui du Pakistan. Le témoignage de vive voix du demandeur démontre une connaissance détaillée de ses activités au sein de la PML qui est compatible avec son jeune âge, soit ses 18 ans. Par conséquent, l'objection de la Commission quant à la crédibilité du demandeur à cet égard est également manifestement déraisonnable.


[12]      Troisièmement, la conclusion selon laquelle il y avait soi-disant des [TRADUCTION] « renseignements contradictoires » contenus dans la carte d'identité nationale (CIN) au Pakistan à l'égard d'un grain de beauté sur son visage et à l'égard de son adresse de résidence est également manifestement déraisonnable. La CIN ne mentionne aucun grain de beauté sur le visage du demandeur. Le commissaire a examiné le demandeur et a conclu qu'il n'y avait pas de grain de beauté sur son visage. À l'égard du fait que le demandeur n'a pas inscrit son adresse de résidence sur sa CIN alors qu'il se cachait dans la capitale du Pakistan, je conclus que cela est compatible avec le fait qu'il se cachait des autorités parce qu'elles voulaient l'arrêter pour avoir distribué des dépliants.

[13]       Quatrièmement, le récit du demandeur à l'égard du fait qu'il était entré clandestinement au Canada dans la boîte d'un camion et la lettre de l'Aile des jeunes musulmans sont vraisemblables et la Commission n'a fourni aucun motif clair pour le rejet de ces éléments de preuve.

[14]       Pour les motifs précédemment énoncés, j'ai conclu que les motifs de la Commission pour son rejet de la crédibilité du demandeur sont manifestement déraisonnables. De plus, je conclus que la Commission n'a pas examiné la preuve documentaire objective en provenance du Pakistan, laquelle corrobore le fait que les policiers arrêtent des personnes qui, comme le demandeur l'a soi-disant fait, se prononcent contre le gouvernement.

[15]       J'ai demandé aux deux avocats s'ils étaient d'avis que la présente affaire soulevait une question grave de portée générale qui devrait être certifiée aux fins d'un appel. Ils ont tous deux répondu par la négative. La Cour est également d'avis que la présente affaire ne soulève pas une question qui devrait être certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission dans la présente affaire est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un autre commissaire statue à nouveau sur l'affaire.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-8113-03

INTITULÉ :                                       KHURAM SHAHZAD

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 16 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                     LE 17 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Birjinder P. S. Mangat                                                               POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birjinder Mangat

Calgary (Alberta)                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


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