Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19981126

Dossier : T-1978-97

AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 38 et 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, et un appel d'une décision rendue le 10 juillet 1997 au nom du registraire des marques de commerce au sujet de l'affaire no 683,519 en ce qui a trait à la demande de marque de commerce MICROPOST

ENTRE :

                                           SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,

                                                                                                                                            appelante

                                                                                                                                        (opposante),

                                                                             et

                                                  MICROPOST CORPORATION,

                                                                                                                                                intimée

                                                                                                                                      (requérante).

                                                    ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE HUGESSEN

1           Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté une opposition de l'appelante à la demande de l'intimée en vue d'enregistrer la marque de commerce « Micropost » pour l'utiliser en liaison avec [TRADUCTION] « des terminaux de points de vente comportant toutes les fonctions des caisses enregistreuses et des machines à écrire » . L'élément « post » serait un acronyme de l'expression « point of sale terminal » (terminal de point de vente).

2           L'intimée Micropost n'a pas comparu, ni à l'audience devant le registraire, ni devant la Cour. De plus, elle n'a présenté aucune nouvelle preuve, même si l'appelante a déposé pour sa part auprès de la Cour des documents volumineux dont le registraire n'avait pas été saisi. Certains indices portent à croire que l'intimée Micropost a cessé ses activités; de toute évidence, elle ne semble pas s'intéresser activement à poursuivre sa demande de marque de commerce, dont elle ne s'est cependant pas désistée. L'appel en l'espèce a donc été présenté ex parte sans que l'intimée ait formulé d'observations et est devenu une nouvelle audition, compte tenu des nouveaux affidavits déposés. Bien entendu, il incombe à l'intimée, en qualité de requérante à l'instance, de prouver que la marque de commerce en question est enregistrable.

3           L'avocat de l'appelante invoque quatre grands motifs pour contester l'enregistrabilité de la marque de commerce « Micropost » .

4           D'abord, le mot « Micropost » prêterait à confusion avec un certain nombre de marques de commerce déposées qui appartiennent à Postes Canada et qui concernent différents services et marchandises qu'elle offre; toutes ces marques renferment le mot « post » ainsi qu'un préfixe, un suffixe ou un qualificatif, lequel préfixe se compose dans bien des cas de deux syllabes d'origine grecques ou latine. Voici des exemples :

Telepost, Envoypost, Mediaposte+, Escale postale, Variposte, Expresspost, Geopost, Docupost, Post Cards, Priority Post, Mail Poste & Design, Poste Mail & Design, Canada Post and Omnipost.

5           Pour se prononcer sur cet argument, la Cour doit examiner les éléments énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce[1]afin de décider si, effectivement, la marque de commerce proposée est raisonnablement susceptible de porter une personne ordinaire ayant un souvenir imparfait de la marque ou des marques qui prêtent apparemment à confusion à conclure, à première vue, à l'existence d'un lien ou d'une source commune[2].

6           En deuxième lieu, la marque de commerce proposée ne serait pas enregistrable, parce qu'elle va à l'encontre de l'interdiction énoncée à l'alinéa 9(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, puisqu'elle se compose d'un

9.(1)...

9.(1)...

(d) any word or symbol likely to lead to the belief that the wares or services in association with which it is used have received, or are produced, sold or performed under, royal, vice-regal or governmental patronage, approval or authority;

d) mot ou symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouvernementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouvernementale;

7           Le « mot ou symbole » invoqué est le mot « post » et l'appelante soutient que, étant donné que la Société canadienne des postes est une société d'État, l'utilisation du mot « post » dans la marque de commerce proposée est susceptible de porter à croire que les terminaux de points de vente en liaison avec lesquels Micropost pourrait employer sa marque proposée ont reçu l'approbation gouvernementale ou sont produits ou vendus sous le patronage ou sur l'autorité gouvernementale. Encore là, il faut se demander si l'emploi de la marque de commerce est susceptible de porter une personne raisonnable à croire que, étant donné que la marque de commerce proposée renferme le mot « post » , les terminaux de points de vente de Micropost ont reçu l'approbation gouvernementale ou bénéficient du patronage ou de l'autorité gouvernementale.

8           L'appelante soutient ensuite que la marque de commerce proposée n'est pas enregistrable, parce que son utilisation constituerait une infraction aux termes du paragraphe 58(2) de la Loi sur la Société canadienne des postes[3], qui interdit d'apposer sur une chose une mention ou une marque de nature à faire penser que cette chose est semblable à une autre chose qu'utilise la Société canadienne des postes pour ses activités. Compte tenu de cette interdiction, la requérante ne pouvait raisonnablement croire qu'elle avait le droit d'utiliser la marque. Encore là, il faut se demander si l'inclusion du mot « post » dans la marque de commerce proposée porte une personne raisonnable à penser qu'un objet donné auquel la marque de commerce est liée provient d'une façon ou d'une autre de l'appelante.

9           En dernier lieu, l'appelante soutient que la marque proposée ne peut être enregistrée parce qu'elle n'a pas de caractère distinctif. Cet argument nécessite un examen de la marque proposée elle-même et de la mesure dans laquelle elle permet de distinguer les marchandises de l'intimée de même que de son caractère distinctif non seulement par rapport aux différentes marques de commerce déposées de la Société canadienne des postes, mais aussi par rapport à plusieurs autres marques de commerce que celle-ci posséderait et utiliserait, mais qui ne sont pas enregistrées. Exception faite de cette base élargie utilisée à des fins de comparaison, le critère pertinent ici est semblable à celui de la confusion.

10         L'élément commun de chacun de ces arguments est la prétention de l'appelante selon laquelle le mot « post » est invariablement et exclusivement lié à l'entreprise de celle-ci. Ainsi, l'appelante s'exprime comme suit au sujet de la confusion :

[TRADUCTION] L'appelante possède de nombreuses marques de commerce et marques officielles comprenant le mot « post » , en plus de son nom commercial et du nom de son entreprise. Selon l'appelante, le mot « post » utilisé dans la marque de commerce de l'intimée représente l'élément le plus important de la marque de celle-ci et la partie la plus susceptible de retenir l'attention de l'observateur. C'est également le mot « post » qui est susceptible de porter à conclure à l'existence d'un lien avec l'appelante (compte tenu, surtout, de l'absence de preuve indiquant que le public connaît le sens prêté à l'acronyme « post » de la marque de commerce de l'intimée).

                De la même façon, le mot « post » utilisé dans les marques de commerce, marques officielles et noms commerciaux de l'appelante constitue dans la plupart des cas l'élément le plus important de ceux-ci. Les marques de commerce, marques officielles et noms commerciaux de l'appelante ressemblent donc fortement à la marque de commerce de l'intimée sur le plan de l'apparence ou du son ou encore des idées qu'ils suggèrent, puisqu'ils donnent tous à penser que des services postaux ou des services ou marchandises connexes sont offerts en liaison avec eux.

11         De plus, l'appelante s'exprime comme suit au sujet du caractère distinctif des marques de commerce :

[TRADUCTION] Étant donné que le public associe le mot « post » à l'appelante et que celle-ci utilise des terminaux de points de vente dans des milliers de points de vente dont quelques-uns portent la marque de commerce MAIL POSTE & Design, il est probable que les membres du public ainsi que les franchisés de la Société canadienne des postes présumeront l'existence d'un lien avec l'appelante lorsqu'ils apercevront des terminaux de points de vente portant la marque de commerce MICROPOST de l'intimée. Qui plus est, il a été prouvé que l'appelante utilise des milliers de distributrices automatiques depuis au moins 1975, lesquelles constituent également des points de vente et portent la marque de commerce de l'appelante.

                Il appert donc de la preuve que le public canadien associe le mot « post » à l'appelante et aux services et marchandises qu'elle offre.

12         Les arguments fondés sur l'article 9 de la Loi sur les marques de commerce et sur l'article 58 de la Loi sur la Société canadienne des postes reposent également sur l'hypothèse selon laquelle l'utilisation du mot « post » dans la marque de commerce proposée de l'intimée porte nécessairement une personne à conclure que le gouvernement a donné son approbation et à croire que le mot est utilisé en liaison avec les activités de l'appelante.

13         Bref, ce que l'appelante fait valoir et demande à la Cour d'approuver, c'est pour ainsi dire un monopole de l'utilisation qu'elle fait du mot « post » . À mon avis, c'est un argument qui ne peut tout simplement pas être retenu.

14         Le mot « post » utilisé en anglais possède plusieurs sens dont la plupart ne décrivent nullement les marchandises et services que l'appelante offre ni ne comportent la moindre allusion à ceux-ci. Il est bien certain que, lorsqu'il est utilisé comme verbe, le mot désigne le plus souvent l'action d'envoyer une lettre par la poste, bien qu'il existe une panoplie d'autres sens reconnus : nous pouvons en effet « post » (afficher) des avis sur un babillard; les commandants d'unités « post » (placent) des sentinelles la nuit; les comptables « post » (passent) une écriture dans un registre et les cavaliers « post » (font du trot à l'anglaise) lorsqu'ils se lèvent sur leurs étriers. Utilisé comme nom, le mot « post » a plusieurs sens qui ne sont nullement liés aux services et marchandises offerts par l'appelante : les expressions listening post (poste d'écoute), customs post (poste de douane), outpost (avant-poste), diplomatic post (poste diplomatique) et trading post (poste de traite) sont toutes des expressions utilisées pour décrire des endroits où se poursuivent des activités n'ayant rien à voir avec l'appelante. Le mot prend également un autre sens lorsqu'il est utilisé pour désigner une pièce de bois fixée au sol, comme un « fence post » (piquet de clôture) ou un « boundary post » (poteau de bornage).

15         Par ailleurs, étant donné que la revendication de monopole de l'appelante concerne une marque de commerce, il serait peut-être pertinent de mentionner qu'il existe plusieurs noms commerciaux bien connus et fréquemment utilisés qui comportent le mot « post » et qui n'ont aucun lien avec l'appelante. Le mot « post » fait fréquemment partie du nom de certains journaux et magazines, dont au moins un qui est distribué partout au Canada. Il existe de plus des hôtels et des céréales comportant le mot « Post » et les avocats connaissent bien les papillons adhésifs « post-it » utilisés pour marquer ou corriger des documents. Aucun de ces noms n'indique l'existence d'un lien avec l'appelante ou l'entreprise de celle-ci et il n'y en a pas.

16         En français, le principal sens des mots « poster » et « poste » n'est pas lié aux produits et services de l'appelante. Le verbe est normalement utilisé pour signifier la mise en place d'un objet ou l'affectation d'une personne, tandis que les sens les plus usuels du nom sont ceux d'une station (radio, télévision ou service) ou encore d'un emploi ou d'une fonction. En fait, lorsque le but est de décrire les services de l'appelante, il convient davantage d'utiliser le mot au pluriel : « postes » .

17         Compte tenu de cette grande variété de sens et d'usages courants du mot « post » , la revendication de monopole de l'appelante à son égard est extravagante et ne peut être acceptée. Aucune personne raisonnable ne présumerait ou ne déduirait qu'une marque de commerce est nécessairement liée à l'appelante parce qu'elle renferme le mot « post » .

18         Cependant, l'appelante fait valoir qu'au cours des dernières années, elle a augmenté le nombre et la variété de marchandises et de services qu'elle offre et que, en raison des marques de commerce qu'elle a adoptées à l'égard de ces marchandises et services, le mot « post » a acquis un caractère distinctif nouveau ou secondaire qui le lie exclusivement à elle. Voici comment elle s'exprime à ce sujet :

[TRADUCTION] L'appelante élargit actuellement l'éventail et la portée des produits et services qu'elle offre et le public est conscient de ce fait en raison de l'utilisation et de l'annonce constantes de cette gamme élargie de produits et services. L'appelante a inventé et utilisé différentes marques de commerce renfermant le mot « post » en liaison avec ses produits et services, comme MAIL POSTE & Design, MEDIAPOSTE, INTELPOST, TELEPOST, XPRESSPOST, OMNIPOST, etc. Toute personne qui voit la marque de commerce de l'intimée serait naturellement portée à croire que celle-ci désigne un nouveau produit de la gamme variée de marchandises et de services de l'appelante. Par conséquent, la marque de l'intimée ne peut avoir de caractère distinctif.

19         Cet argument comporte deux failles. D'abord, les produits « nouveaux ou élargis » que l'appelante peut choisir d'offrir à l'occasion sont limités par la loi et doivent avoir un lien avec la principale activité qu'elle poursuit, soit le transport du courrier[4]. Ce lien est loin d'être évident lorsqu'il s'agit de terminaux de points de vente qui ne sont pas liés dans l'esprit du public aux services postaux.

20         En deuxième lieu, compte tenu de la grande variété de sens que le mot « post » possède déjà tant en français qu'en anglais et du fait que ce mot est actuellement utilisé comme marque de commerce ou nom commercial par d'autres entreprises ou tout simplement comme mot décrivant certaines activités, l'appelante ne peut réclamer le monopole de ce mot à l'égard de produits et de services autres que des services postaux que si elle a utilisé celui-ci en liaison avec une gamme d'activités particulières qu'elle poursuit et, en pareil cas, uniquement lorsqu'un qualificatif, un préfixe ou un suffixe est ajouté. En termes simples, il se peut que l'appelante ait un monopole du mot « post » purement et simplement en ce qui a trait aux services postaux; elle n'en a pas lorsqu'elle utilise ce mot conjointement avec d'autres mots en liaison avec d'autres services. Même si l'appelante utilise des terminaux de points de vente (comme le font la plupart des entreprises de vente au détail aujourd'hui) ou les loue à ses franchisés, que lesdits terminaux comportent ou non une autre marque de commerce renfermant le mot « post » , elle n'a aucun monopole sur les mots inventés qui renferment le mot « post » et qui sont utilisés en liaison avec lesdits terminaux. La marque « Micropost » proposée est un mot de cette nature et, à l'instar des marques inventées de l'appelante qui renferment le mot « post » , convient très bien pour conférer un caractère distinctif aux marchandises et aux services de l'intimée. À ce titre, elle est enregistrable.

21         J'en arrive donc à la conclusion que la marque proposée « Micropost » ne prête pas à confusion, qu'elle a un caractère distinctif et qu'elle ne va à l'encontre d'aucune interdiction législative. L'appel est donc rejeté; l'intimée n'ayant pas comparu, aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des frais.

                                                                ORDONNANCE

            L'appel est rejeté.

                                                                                                James K. Hugessen       

                                                                                                            Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


                                AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                     T-1978-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :Société canadienne des postes c. Micropost Corporation

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :        25 novembre 1998

ORDONNANCE ET MOTIFS DU JUGE HUGESSEN

EN DATE DU :                                     26 novembre 1998

ONT COMPARU :

Mes David A. Morrow et Philip Lapin                 POUR L'APPELANTE

Personne n'a comparu                            POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

B.P. 2999, succursale D

55, rue Metcalfe, bureau 900

Ottawa (Ontario)

K1P 5Y6                                                          POUR L'APPELANTE

Personne n'a comparu                            POUR L'INTIMÉE



     [1]        L.R.C. (1985), ch., T-13.

     [2]          Miss Universe Inc. c. Bohna (1994), 58 C.P.R. (3d) 381 (C.A.F.).

     [3]          L.R.C. (1985), ch. C-10.

     [4]        Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes renvoie aux produits et services « qu'elle estime utiles à son exploitation » .

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.