Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                  Date: 20010125

                                                                                                                      Dossier: IMM-1258-00

ENTRE :

JOSEPH KENNEDY LOORDU

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         De 1989 à 1997, le demandeur, un Tamoul, était membre des services de la police de Sri Lanka; il occupait un grade peu élevé. Au mois de juin 1997, pendant que la guerre civile sévissait dans ce pays, il a déserté parce qu'on lui avait ordonné de se présenter au front. Dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) qu'il a déposé en revendiquant le statut de réfugié, le demandeur a donc allégué craindre d'être persécuté par les deux parties en guerre, à savoir les LTTE et les forces gouvernementales, qui s'opposaient à la lutte pour l'indépendance. Dans son FRP, le demandeur dit qu'il n'est pas devenu agent de police en vue de participer à une guerre, en particulier à une guerre contre les Tamouls, et qu'il a déserté pour sauver sa vie.


[2]         La SSR n'a pas examiné le bien-fondé de la revendication étant donné qu'elle a conclu que le demandeur ne peut pas présenter une revendication en vertu de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, qui se lit comme suit :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[3]         Un aspect important de la présente instance se rapporte au fait que la SSR a conclu que la preuve que l'intéressé avait présentée était crédible. De fait, la preuve que l'intéressé a fournie au sujet des activités auxquelles il s'était livré au sein des services de police est détaillée et apparemment sincère. La SSR a fondé la décision relative à l'exclusion sur cette preuve honnête.

[4]         La SSR a retenu les déclarations selon lesquelles, au cours des sept années de service qu'il avait accomplies au sein des services de la police sri lankaise et pendant lesquelles il s'était rendu dans diverses parties du pays, l'intéressé n'avait jamais arrêté un Tamoul soupçonné de terrorisme, n'avait pas pris part à des opérations de bouclage et de perquisition et n'avait pas participé à des actes de violence physique à l'encontre des personnes qui étaient détenues.

[5]         En ce qui concerne la connaissance ou la participation de l'intéressé aux actes de torture auxquels les services de la police sri lankaise s'étaient livrés à l'endroit des Tamouls, voici ce que la formation a dit :


[TRADUCTION]

La formation retient la preuve de l'intéressé selon laquelle il n'a jamais participé à des actes de violence physique à l'endroit des personnes qui étaient détenues. Toutefois, la formation note que l'intéressé a admis qu'il avait entendu parler des actes de violence physique et de torture dont étaient victimes les personnes qui étaient détenues, et plus précisément des Tamouls soupçonnés de terrorisme et parfois des gens innocents, entre les mains de la police et de la sécurité. Il a obtenu ces renseignements lorsqu'il parlait à des civils tamouls ainsi qu'à des collègues tamouls. Il avait également entendu par hasard des conversations entre des agents singhalais, mais il a maintenu qu'il n'avait jamais été témoin de pareils actes dans son travail.

C'est le fait que l'intéressé avoue avoir été au courant de la détention d'individus et d'actes de violence physique commis à l'endroit de pareils individus au sein d'une unité située au poste de police de Puttalam qui préoccupe le plus la formation. L'intéressé a déclaré que, dès 1990, il avait parfois entendu des cris de torture, mais qu'il n'avait rien fait. Toutefois, en 1997, il s'est produit un événement particulier qui l'a dérangé, lorsqu'il a entendu les cris d'un Tamoul. Cet événement particulier se distingue dans son esprit. Néanmoins, l'intéressé a déclaré ne pas savoir quelle était la nature exacte des actes apparents de torture commis par ses collègues et ne s'être jamais renseigné sur ce point.[1]

[6]         Compte tenu de la preuve documentaire présentée à l'audience, la SSR a conclu que la brutalité des services de la police sri lankaise est bien établie. À cet égard, la formation a dit que même si elle [TRADUCTION] « ne veut pas donner à entendre que les services de la police sri lankaise sont une organisation qui vise à des fins limitées et brutales en commettant des crimes contre l'humanité, pareils crimes sont néanmoins commis dans le cadre de ses opérations régulières » [2].

[7]         En tirant une conclusion au sujet de la question de l'exclusion, la SSR a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Ramirez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 780, 135 N.R. 390 (C.A.F.), où, comme on en convient, la SSR a conclu avec raison ce qui suit :


a)              la simple appartenance d'une personne à une organisation qui est impliquée dans la perpétration d'infractions internationales n'est pas suffisante pour l'exclure de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié;

b)             la participation personnelle et consciente à des actes de persécution est nécessaire;

c)              l'appartenance à une organisation qui vise à des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, peut impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente;

d)             la simple présence d'une personne sur les lieux où sont commis des actes de persécution ne permet pas d'établir sa participation personnelle et consciente;

e)              la présence d'une personne jointe au fait que celle-ci est associée aux principaux contrevenants équivaut à une connaissance personnelle et consciente;

f)              l'existence d'un objectif commun partagé et la connaissance de cet objectif par toutes les personnes en cause constitue une preuve suffisante de complicité.

[8]         En appliquant les faits qui ne sont pas contestés au critère énoncé dans l'arrêt Ramirez, en plus de conclure au départ que la conduite du demandeur constitue un aveuglement volontaire et de la complicité aux fins de la perpétration de crimes contre l'humanité[3], la SSR a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

La formation conclut que l'intéressé a été complice, en raison de son association volontaire prolongée aux activités des services de police en sa qualité de membre de ces services. Nous concluons que l'intéressé n'a pas commis de crime au sens « physique » du terme, mais nous croyons qu'il est tout aussi coupable que les collègues qui ont « physiquement » commis les crimes en question. Le fait que l'intéressé était au courant des atrocités systématiquement commises par les services de police a pour effet de rendre celui-ci complice et amène la formation à conclure que l'intéressé avait personnellement et sciemment participé à la perpétration de crimes contre l'humanité. La formation croit également à l'existence d'un objectif commun que l'intéressé et ses collègues partageaient lorsqu'il s'agissait de trouver et d'éliminer des terroristes tamouls, un objectif commun partagé qui a entraîné la détention et la torture de nombreux civils innocents. La formation croit que le fait que l'intéressé nie avoir été au courant des atrocités est une circonstance manifestant un aveuglement volontaire et que l'intéressé doit avoir été au courant des activités commises par les services dont il a été membre pendant une période de huit ans. La formation note en outre que l'intéressé ne s'est pas dissocié des services de police parce qu'il croyait qu'il était interdit de démissionner. Toutefois, il importe de noter que, lorsqu'il a estimé que sa propre sécurité physique était menacée parce qu'il était transféré au front à Vavuniya, il a déserté.[4]


[9]         À mon avis, la preuve ne peut pas étayer la conclusion que la SSR a tirée au sujet de l' « aveuglement volontaire » . Contrairement à la conclusion que la SSR a tirée, le demandeur n'a pas nié avoir eu connaissance des faits en question; il a sincèrement expliqué ce qu'il avait vu et entendu.

[10]       De plus, je conclus qu'en l'espèce, la preuve ne satisfait pas au critère qui a été énoncé dans l'arrêt Ramirez. À mon avis, la preuve étaye plutôt les conclusions selon lesquelles le demandeur était simplement membre des services de la police sri lankaise; qu'il n'avait pas personnellement participé sciemment à des actes de persécution; qu'il n'était pas membre d'une organisation qui visait à des fins limitées et brutales; qu'il était simplement sur les lieux lorsque des actes de persécution ont été commis, mais qu'il ne s'était pas joint aux principaux contrevenants; et qu'il ne partageait pas une connaissance et un objectif communs avec les auteurs des actes de persécution.

[11]       Quant à l'opinion de la SSR selon laquelle le demandeur avait l'obligation de « se dissocier » , le défendeur se fonde sur le passage suivant de la décision que le juge Reed a rendue dans l'affaire Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.), que le juge Tremblay-Lamer a cité dans la décision Kiared c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1197, au paragraphe 11 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune.


[12]       Sans déterminer si le juge Reed interprète correctement la jurisprudence, je conclus qu'en l'espèce, la preuve n'étaye pas la conclusion selon laquelle le demandeur était membre du « groupe persécuteur » . À mon avis, les mots « groupe persécuteur » tels qu'ils sont employés dans la décision Penate doivent être interprétés compte tenu du critère énoncé dans la décision Ramirez et, par conséquent, un « groupe persécuteur » est une « organisation » qui vise à des fins brutales. Comme la SSR l'a conclu, il se pourrait fort bien que des éléments des services de la police sri lankaise soient visés par cette définition, mais rien ne montre que le demandeur ait été membre de ces éléments. À mon avis, la simple appartenance aux services de la police sri lankaise ne satisfait pas à la définition de « groupe persécuteur » telle qu'elle a été interprétée dans la décision mentionnée.

[13]       Par conséquent, en ce qui concerne la conclusion relative à l' « aveuglement volontaire » , l'application des critères énoncés dans la décision Ramirez, et l'imposition de l'exigence relative à la « dissociation » , eu égard à la preuve présentée en l'espèce, je conclus que la décision de la SSR renferme une erreur susceptible de révision. À mon avis, la conclusion que la SSR a tirée est donc manifestement déraisonnable.


ORDONNANCE

[14]       Par conséquent, j'infirme la décision de la SSR et je renvoie l'affaire à une formation différente pour réexamen.

           « Douglas R. Campbell »          

J.C.F.C.

Toronto (Ontario),

le 25 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-1258-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                JOSEPH KENNEDY LOORDU

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE JEUDI 25 JANVIER 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Campbell en date du 25 janvier 2001

ONT COMPARU :

Robert Lepore                                                   pour le demandeur

James Brender                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Lepore

Avocat

4000, avenue Steeles Ouest

Bureau 201

Woodbridge (Ontario)

L4L 4V9                                                           pour le demandeur

Morris Rosenberg                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                          Date: 20010125

                                              Dossier: IMM-1258-00

ENTRE :

JOSEPH KENNEDY LOORDU

                                                                   demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                     défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            



[1] Décision de la SSR, p. 2.

[2] Ibid, p. 4.

[3] Ibid, p. 2.

[4] Ibid, p. 4.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.