Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date: 20000822


Dossier: IMM-6226-99


                                    

ENTRE:

     KABITA DHAR

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]          La demanderesse, une citoyenne du Bangladesh, soutient avoir une crainte fondée de persécution dans son pays en raison de la religion à laquelle elle appartient, soit la religion hindoue, et de son sexe. Appartenant à la minorité religieuse hindoue, elle et sa famille ont été victimes d'une violence exercée par la communauté; leurs agresseurs n'ont pas reçu de sanction de la part des autorités. Sa famille a dû céder des terres agricoles à des membres influents de la communauté fondamentaliste islamique.

[3]          En janvier 1995, la demanderesse a été acceptée au sein d'un collège, mais elle a dû quitter après deux ans [TRADUCTION] « en raison des pressions constantes et du harcèlement » 1 dont elle faisait l'objet de la part de l'aile étudiante du Parti national du Bangladesh (PNB) et des étudiants du Islamic Chhatra.

[4]          Le 1er octobre 1998, alors que la demanderesse se rendait en compagnie de son père à une cérémonie religieuse hindoue, elle a été prise en otage sous la menace d'une arme par un groupe fondamentaliste islamique. La demanderesse a été séquestrée pendant environ 24 heures, au cours desquelles elle a subi de la violence physique, verbale et mentale. Elle a finalement été relâchée, pourvu qu'elle se convertisse à l'Islam. Son père a signalé l'incident aux policiers, mais ceux-ci n'étaient pas intéressés à faire enquête.

[5]          Sentant sa fille de plus en plus dépressive et suicidaire, le père de la demanderesse a décidé de la faire sortir du pays. La demanderesse a quitté le Bangladesh le 7 mars 1999. Après avoir transité par la Thaïlande et par l'Angleterre, elle est arrivée au Canada le lendemain et a revendiqué le statut de réfugié à l'aéroport.

[6]          La Commission a rejeté2 la demande de la demanderesse au motif qu'elle manquait de crédibilité, statuant qu'elle avait témoigné [TRADUCTION] « avec très peu de spontanéité » et qu'elle était [TRADUCTION] « parfois évasive » . La Commission a également noté que [TRADUCTION] « la requérante a omis plusieurs faits importants dans son rapport écrit, qui ne sont pas passés inaperçus, . . . et elle n'a pas été en mesure de les justifier raisonnablement » .

[7]          La demanderesse plaide que la Commission a omis de prendre en compte les motifs pour lesquels les détails relatifs à l'incident du 1er octobre 1998 et aux incidents précédents n'ont pas été inscrits dans son FRP3 et que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire corroborant son point de vue4. Le défendeur fait valoir que les prétentions de la demanderesse ne visent que les conclusions de fait tirées par la Commission et que la Commission a effectivement examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, y compris le rapport de la psychologue et la preuve documentaire objective portant sur le Bangladesh. Le défendeur plaide en outre que les conclusions tirées par la Commission sont entièrement étayées par les éléments de preuve.

[8]          Comme je l'ai indiqué au terme de l'audition, je suis convaincu que la présente demande doit être accueillie.

[9]          Il appert des motifs invoqués par la Commission que celle-ci a tiré une inférence de non-crédibilité de l'omission de la demanderesse de mentionner, dans son FRP, certains détails relatifs aux incidents survenus le 1er octobre 1998 et avant. Dans les circonstances de la présente affaire, j'estime qu'il était déraisonnable pour la Commission de mettre l'accent sur l'absence de détails sans même mentionner les raisons pour lesquelles ces détails ont été omis5, comme la demanderesse l'a indiqué dans son FRP et lors de son témoignage, tous deux corroborés par le rapport psychologique de Mme Liebman et le témoignage de M. Dipak Dhar, le beau-frère de la demanderesse qui a traduit la version des faits de cette dernière du bengali à l'anglais pour l'avocat qui a rempli le FRP.

[10]          Les membres de la Commission ont non seulement omis d'examiner dans leur décision les raisons motivant ces omissions, mais ils ont également omis de tenir compte de la preuve documentaire corroborant certaines parties de la demande présentée par la demanderesse6. Le fait de passer outre à une telle preuve constitue une erreur susceptible de révision judiciaire, comme l'a indiqué le juge Cullen dans l'affaire Bains c. Canada (M.E.I.) (1993), 20 Imm.L.R. (2d) 296, à la page 300:

« Le requérant fait encore valoir que trois documents le touchant directement ont été déposés à titre de preuve, à savoir un certificat médical, une lettre de sa femme et une lettre du président de la Punjab Human Rights Organization, mais dans sa décision, la Section du statut a passé ces documents sous silence. Je comprends mal, encore une fois, pourquoi ces documents n'ont pas été évoqués dans les motifs de la décision. Je reconnais que c'est aux membres du tribunal qu'il appartient de prendre connaissance des documents et d'admettre ou de rejeter les informations qu'ils contiennent, mais il n'est pas loisible à la Section du statut de simplement ne pas tenir compte des informations fournies, [. . .]. J'estime que la Section du statut est, à tout le moins, tenue de faire état des renseignements qui lui sont fournis. Que la documentation déposée soit admise ou rejetée, le requérant doit s'en voir exposer les raisons, surtout lorsqu'il s'agit de documents qui confirment ce qu'il a avancé. [. . .] J'en conclus donc que la Section du statut a commis une erreur de droit en ne précisant pas si elle admettait ou si elle rejetait les trois documents visant directement le requérant, négligeant même de dire si elle en avait tenu compte. »

[11]          Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie. Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


                     Pierre Denault_______

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 22 août 2000

    

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE:              IMM-6226-99
INTITULÉ DE LA CAUSE:          Kabita Dhar c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE:          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE:          Le 16 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR: le juge Denault

EN DATE DU:              22 août 2000

ONT COMPARU:

Jean-Michel Montbriand                  POUR LA DEMANDERESSE
Pascale-Catherine Guay                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jean-Michel Montbriand                  POUR LA DEMANDERESSE

Doyon, Guertin, Montbriand & Plamondon

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date: 20000822


Dossier: IMM-6226-99


Ottawa (Ontario), le 22 août 2000.

EN PRÉSENCE DE: Monsieur le juge Denault

ENTRE:

     KABITA DHAR

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur

    

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. En conséquence, la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 6 décembre 1999 est annulée. L'affaire est renvoyée devant la Commission pour une nouvelle audition et un réexamen par une formation différemment constituée.

                                 Pierre Denault

                                     Juge

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

__________________

1      Formulaire de renseignements personnels (FRP), Dossier du tribunal (D.T.) p. 22, par. 6.

2      Décision de la Commission, D.T., pp. 3-11.

3La demanderesse renvoie à son témoignage et à quelques éléments de preuve dont disposait la Commission à cet égard: un rapport psychologique rédigé par Sara Liebman, psychologue, qui indique que la demanderesse souffre d'un syndrome psychologique remontant à l'incident d'agression sexuelle dont elle a été victime et ayant des incidences sur sa capacité à s'exprimer et à donner des précisions à ce sujet (D.T., pp. 193-198); un ajout à ce rapport qui, sur la foi des contacts de la psychologue avec des femmes d'Asie du Sud-Est, décrit en détail les raisons pour lesquelles la demanderesse ne pouvait donner des précisions à ce sujet, d'abord sur le plan culturel, religieux et sociologique, mais aussi à la lumière de ce qu'elle a vécu et du syndrome dont elle souffre: le témoignage de M. Dipak Dhar, qui a confirmé que la demanderesse n'était pas en mesure de donner des détails à propos de ce qu'elle a vécu (D.T., pp. 529-539). En outre, la demanderesse fait référence à une lettre provenant de son ancienne avocate, Me Annie Bélanger, en date du 23 novembre 1999, dans laquelle l'avocate explique qu'elle a décidé de ne pas fouiller en détail les incidents qui sont survenus avant l'incident culminant d'octobre 1998 et qu'elle a décidé de ne pas interroger la demanderesse pour avoir plus de précisions quant à cet incident, voyant que celle-ci n'était pas psychologiquement à l'aise d'en parler (dossier de la demanderesse, p. A27 (non paginé)).

4      Savoir, l'expertise psychologique de Mme Liebman, une lettre du temple hindou que fréquente la demanderesse (D.T., p. 202), une formule de médicaments d'ordonnance datée du 14 novembre 1999 (D.T., pp. 200-201), une lettre d'une organisation religieuse nommée la Bangladesh Hindu Buddhist Christian Unity Council datée du 22 octobre 1999 (D.T., p. 192) et une lettre de la mère de la demanderesse (D.T., pp. 204-205). Sur la question de l'omission de prendre en compte des éléments de preuve, voir: Bains c. Canada (M.E.I.) (1993), 20 Imm.L.R. (2d) 296 (C.F. 1re inst.) [juge Cullen]; Mahanandan c. M.E.I. (24 août 1999), A-608-91 (C.A.F.); Rehman c. Canada (M.C.I.) (4 juin 1997), IMM-2175-96 (C.F. 1re inst.) [juge McGillis]; Agbodoh-Falschau c. M.C.I. (24 août 1998), IMM-3871-97 (C.F. 1re inst.) [juge Tremblay-Lamer]; Cepada-Gutierrez c. M.C.I. (6 octobre 1998), IMM-596-98 (C.F. 1re inst.) [juge Evans]; Numbi c. M.C.I. (17 février 1999), IMM-1378-98 (C.F. 1re inst.) [juge McGillis]; Berete c. M.C.I. (3 mars 1999), IMM-1804-98 (C.F. 1re inst.) [juge Tremblay-Lamer]; Khan c. M.C.I. (11 mars 1999), IMM-2831-98 (C.F. 1re inst.) [juge Teitelbaum];Seevaratnam c. M.C.I. (11 mai 1999), IMM-3728-98 (C.F. 1re inst.) [juge Tremblay-Lamer]; Vijayarajah c. M.C.I. (12 mai 1999, IMM-4538-98 (C.F. 1re inst.) [juge Tremblay-Lamer].

5      Dans une affaire analogue, M.R. Khawaja c. M.C.I. , j'avais énoncé ce qui suit: « À mon avis, le tribunal a eu tort de conclure à la non-crédibilité du demandeur principal sans tenir compte et sans se prononcer sur le contenu du rapport psychologique faisant état d'un désordre de stress post-traumatique sévère et de difficultés du demandeur à relater les événements traumatisants auxquels il a été soumis, si ce n'est, de façon négative, pour y puiser des faits qu'il n'avait pas indiqués dans sa fiche de renseignements personnels. » Je suis encore du même avis.

6      Voir note 4.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.