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Date : 20010803

Dossier : IMM-3105-00

Référence neutre 2001 CFPI856

Entre :

                                                 SOLANGE IRÈNE KOUD

                                        JEREMY EDDY BOBONGO-KOUD

                                           ANTONY ARISTIDE BOBONGO

                                                                                                        Partie demanderesse

ET

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                          Partie défenderesse

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX:

A.        Introduction


[1]                Les demandeurs, Solange Irène Koud, citoyenne de la République populaire du Congo, son fils Antony né à Brazzaville et âgé de sept ans et son fils Jeremy, né au Canada et âgé de trois ans, recherchent l'annulation de la décision rendue le 8 mai 2000 par l'agent d'immigration Suzanne Pelletier ( « l'agent d'immigration » ) refusant leur demande d'exemption ministérielle fondée sur des considérations humanitaires en vue d'obtenir la résidence permanente de Madame Koud et son fils Antony en vertu de l'alinéa 114(2) de la Loi sur l'immigration (la « Loi » ).

[2]                L'unique question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si l'agent d'immigration a bien appliqué les principes énoncés dans l'arrêt Baker c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, concernant l'intérêt des enfants et dans ce contexte si elle a pris en considération un facteur non pertinent.

B.        FAITS

[3]                Madame Koud et son fils Antony sont arrivés au Canada le 12 décembre 1995 en provenance des États-Unis, date à laquelle ils revendiquent le statut de réfugié. La Section du statut rejette leur demande le 9 décembre 1997 et le 31 mars 1998, leur demande d'autorisation de contrôle judiciaire est rejetée par cette cour.

[4]                Le 16 février 1999, ils déposent une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires.


[5]                La demande d'exemption ministérielle est accompagnée de représentations écrites présentées par leur procureur. Celui-ci invoque plusieurs facteurs à l'appui de la demande, particulièrement l'intégration des jeunes enfants au Canada, le seul pays qu'ils connaissent. Le jeune Antony va à l'école et d'après une lettre du directeur il s'adapte très bien dans cet environnement. Le procureur souligne aussi l'instabilité politique et les risques de danger au Congo-Brazzaville.

[6]                Madame Koud présente aussi des représentations écrites le 30 avril 1999. Elle parle de ses enfants et mentionne que son fils Antony va à l'école, où il a beaucoup d'amis ainsi que dans le quartier où ils vivent et participe à une équipe de sport. Elle écrit qu'en tant que mère, elle se sentirait très coupable d'amener ses jeunes fils dans un pays qui a développé une culture de guerre, de violence, d'insécurité et de corruption. Elle note que l'éducation publique et les soins de santé n'existent plus depuis les guerres successives au pays. Elle conclut que pour sauvegarder sa vie et celle de ses enfants, elle ne peut envisager un retour au Congo.

[7]                Le dossier du tribunal contient les notes écrites par l'agent d'immigration lors d'une entrevue téléphonique avec Madame Koud le 12 avril 2000. Voici les questions posées par l'agent d'immigration:

(1)        Son lieu de travail?

(2)        Est-ce que Madame Koud a un certificat de mariage?

(3)        Vous avez des enfants?


(4)        Qui est le père?

(5)        Est-ce que le père apporte un appui financier?

(6)        Son lieu de résidence?

C.        LA DÉCISION DE L'AGENT D'IMMIGRATION

[8]                L'analyse de l'agent d'immigration constitue les motifs de refus de la demande d'exemption de Madame Koud et son fils Antony.

[9]                L'agent d'immigration écrit ceci au sujet des deux enfants:

La requérante souligne que son fils va à l'école et produit également une lettre de l'école Notre-Dame-de-l'Assomption nous démontrant le développement scolaire de l'enfant. Ceci ne constitue qu'une adaptation normale car la loi stipule que tous les enfants de cet âge sont tenus d'aller à l'école au Canada.            

                                                     

La requérante a un enfant né au Canada qui est maintenant âgé de deux ans et neuf mois ce qui constitue un facteur important. Sensible aux besoins, intérêts et droits de l'enfant, j'ai considéré l'arrêt Baker pour bien évaluer le bien-être de l'enfant né au Canada. Un enfant de cet âge pourrait avoir très peu de difficultés d'adaptation. Le fait que l'enfant soit canadien offre également une garantie car il pourra toujours obtenir protection des droits de citoyen canadien lorsqu'il en sera habilité. Cependant, bien que l'enfant soit né au Canada, il n'a fait l'objet que d'un minimum d'adaptation spécifique à la vie canadienne à cause de son jeune âge (incidence de l'école, amis, style de vie etc.). Je note que la requérante a deux autres enfants dans son pays d'origine, elle déclare sur son formulaire IMM-5001 que la plus âgée des deux enfants. Elle ne parle plus de sa plus jeune fille qui est née le 19-12-1990. Sa famille demeure dans son pays d'origine. [je souligne]

[10]                        Selon les demandeurs, le paragraphe suivant des motifs de l'agent d'immigration contient un facteur non pertinent:

En évaluant les faits au dossier, la requérante déclare être mariée et elle joint une copie de son acte de mariage. Je me suis posée la question: « pourquoi aucune demande de parrainage n'a été soumise » . Lors d'un appel téléphonique le 12-04-2000 la requérante m'avise qu'elle n'est plus avec son conjoint et que le divorce sera prononcé sous peu. Elle m'avise avoir repris vie commune depuis environ sept mois avec le père de ses deux enfants M. Alain Aristide Bobongo. J'ai reçu une lettre le 1er mai 2000 confirmant ce fait. Je constate qu'ils habitent à deux adresses différentes, la requérante habite au 2210 de Rouen, appartement 2 à Montréal et que sur le formulaire IMM-5001 de Monsieur, il habite au 4488 Beaubonnière, appartement 401 à Montréal, formulaire daté et signé le 15-03-2000 par M. Bobongo.

[11]                        L'agent d'immigration conclut en écrivant ceci:

Les difficultés que subiraient la requérante si elle devait présenter une demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada sont directement liées à l'application de la Loi sur l'immigration. Elles ne sont pas disproportionnées ou inhabituelles.

ANALYSE

(a)        Le principe

[12]                        Le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, énonce comment un agent d'immigration doit considérer l'intérêt d'un enfant pour déterminer la raisonnabilité d'une décision discrétionnaire fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Elle écrit ceci au paragraphe 75 de ses motifs:


La question certifiée demande s'il faut considérer l'intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quant l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[13]            Au paragraphe 73 dans Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé conclut comme suit:

Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts et les besoins des enfants, et l'attention particulière à prêter à l'enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d'ordre humanitaire qui guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu'étant donné que les motifs de la décision n'indiquent pas qu'elle a été rendue d'une manière réceptive, attentive ou sensible à l'intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée.

(b)        Application en l'espèce

[14]            Depuis l'arrêt Baker, les juges de cette cour se sont penchés plusieurs fois sur son application dans les circonstances particulières devant eux. Récemment, le juge Nadon dans l'arrêt Alexander Henri Legault c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration, [2001] F.C.J. 568 en a fait une synthèse.

[15]            D'après cette jurisprudence, la cour interviendra dans au moins trois types de cause:


(1)        Dans les causes où l'intérêt de l'enfant n'a simplement pas été pris en considération. C'est le cas dans l'arrêt Sovalbarro c. Canada (Ministre de l'Immigration et de la citoyenneté) (1999), 174 F.T.R. 156, et dans l'arrêt Ingrid Garasova c. Canada (Ministre de l'Immigration et de la citoyenneté) (1999), 177 F.T.R. 76.

(2)        Dans les causes où l'agent d'immigration mentionne l'enfant canadien mais ne fait aucune analyse de l'effet sur l'enfant du rejet d'une demande d'exemption. C'était le cas dans l'arrêt Navaratnam c. Canada (Ministre de l'Immigration et de la citoyenneté) (1999), 179 F.T.R. 294.

(3)        Dans les situations où l'agent d'immigration prend en considération l'intérêt de l'enfant mais d'une manière insuffisante ou défectueuse. Ce fut le cas dans:

(a)        Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 24 Admin.L.R. (3d) 99 où l'agent d'immigration écrit à la page 110 « subject's two Canadian citizen children are being considered. They may need little time to adjust to a new country, yet it would be subject's decision if she was to leave the children in Canada with whatever arrangement she may make, she would be free to decide what would be in the best interests of the children » .


(b)        Jack c. Canada (Ministre de l'Immigration et de la citoyenneté) (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 35, où l'agent d'immigration écrit « her Canadian citizen child is young enough to adjust to the change should she choose to take him with her and she does have a family to return to » .

Le juge Gibson accueille le contrôle judiciaire pour le motif suivant:

[4] . . . There is no reference whatsoever regarding the Canadian born child's involvement in schooling and in the community in Canada. Equally, there is absolutely no analysis of what the impact on the Canadian born child would be if his mother was forced to leave Canada and chose to leave without him; this, despite the acknowledgement that neither the applicant nor the Canadian born child receive any support from the child's father and that there is no strong bond between the child and the father.

[16]            Dans l'arrêt très récent du juge McKeown, Sukdev Bassan et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2001] F.C.T. 742, l'agent d'immigration avait conclu:

[4] . . . The Canadian born daughter along with the accompanying dependants are young enough to assimilate to new environments and would not cause adverse, disproportionate, or undue hardship if returned to India.

[17]            Le juge McKeown accueille la demande de contrôle judiciaire et écrit ce qui suit aux paragraphes 6 et 7:

An H & C officer must make further inquiries when a Canadian born child is involved in order to show that he or she has been attentive and sensitive to the importance of the rights of the child, the child's best interests and the hardship that may be caused to the child by a negative decision... .

In my view, the visa officer's failure to look into questions relating to the best interests of the child does not meet the requirements of the decision in Baker, supra. The approach taken by the visa officer minimizes the interests of the Canadian born child and it is in my view unreasonable.


[18]            À l'instar de mes collègues dans les causes précitées, je conclus que la décision de l'agent d'immigration en l'espèce est déraisonnable et doit être infirmée pour les motifs suivants.

[19]            Premièrement, l'agent d'immigration écrit « un enfant de cet âge pourrait avoir très peu ou pas de difficultés d'adaptation » . Cette constatation est une conclusion sans analyse et sans fondement car il n'y a aucune évaluation de la situation dans laquelle se trouverait l'enfant s'il retournait au Congo avec sa mère ou s'il restait au Canada sans elle. L'agent d'immigration devait approfondir son enquête.

[20]            Deuxièmement, concernant le jeune Antony, différentes considérations peuvent entrer en jeu puisqu'il n'est pas né au Canada donc n'a pas le droit d'y rester, mais j'estime que la portée de l'arrêt Baker n'est pas limitée par la citoyenneté canadienne.

[21]            En effet, dans l'arrêt Baker, le juge l'Heureux-Dubé conclut notamment aux paragraphes 74-75. Je répète le paragraphe 75:


[L]a décision doit être prise suivant une démarche qui respecte les valeurs humanitaires. Par conséquent, l'attention et la sensibilité à l'importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l'épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu'une décision d'ordre humanitaire soit raisonnable. Même s'il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d'immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d'une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l'espèce était incompatible avec cette approche.

La question certifiée demande s'il faut considérer l'intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[22]            En l'espèce, je suis d'avis que l'analyse concernant Antony minimise l'intérêt de celui-ci en concluant qu'il s'est adapté au Canada mais ceci est sans conséquences puisqu'il était obligé d'aller à l'école.   

DISPOSITIF

[23]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent d'immigration est cassée, et la demande d'exemption des demandeurs doit être réexaminée de nouveau par un autre agent d'immigration.


[24]            La demanderesse a proposé des questions à faire certifier. Je suis d'avis que ces questions ne rencontrent pas les critères de l'arrêt Liyanagamage, [1994] F.C.J. 1637. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                                              "François Lemieux"   

                                                                                                                                                             

                                                                                               J U G E           

Ottawa (Ontario)

le 3 août 2001

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