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     T-431-97

OTTAWA (ONTARIO), le 12 mai 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE MARC NADON

ENTRE :

     SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

     requérante,

     et

     LEILA PAUL,

     intimée.

     ORDONNANCE

     La requête est accueillie en partie. La Commission canadienne des droits de la personne est autorisée à intervenir pour défendre sa compétence pour les raisons énoncées au point numéro 1 de son avis de requête. Elle est également autorisée à déposer une preuve par affidavit et un dossier d'intervenante, à formuler des observations au sujet de toute demande présentée à la Cour ainsi que des arguments verbaux à l'audience et à interjeter appel de toute décision qui sera rendue.

                             MARC NADON

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme             

                                 C. Delon, LL.L.

     T-431-97

ENTRE :

     SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

     requérante,

     et

     LEILA PAUL,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Nadon

     Le mardi 29 avril 1997, j'ai entendu la présente demande que la Commission canadienne des droits de la personne ("CCDP" ou la "Commission") a déposée en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir dans la demande de contrôle judiciaire présentée par la Société Radio-Canada ("SRC") le 13 mars dernier. Dans son avis introductif de requête, la SRC demande une ordonnance de certiorari annulant la décision en date du 13 février 1997 par laquelle la CCDP a enjoint au président du Comité du tribunal des droits de la personne de désigner une formation chargée de mener une enquête au sujet d'une plainte que l'intimée a déposée contre la SRC.

     De façon générale, la CCDP demande l'autorisation de déposer une preuve par affidavit et un dossier d'intervenante, de formuler des observations sur toute demande présentée à la Cour ainsi que des arguments verbaux à l'audience et d'interjeter appel de toute décision qui sera rendue. La CCDP souligne que son intérêt [TRADUCTION] "découle de son mandat, qui consiste à représenter le public au sujet des questions liées aux politiques publiques sur les droits de la personne et à défendre sa compétence et ses procédures". Plus précisément, la CCDP demande l'autorisation d'intervenir afin

     [TRADUCTION]         
     1.      de défendre sa compétence en alléguant que celle-ci n'est pas éliminée par la présence d'une disposition antidiscriminatoire dans une convention collective ou par la compétence d'un arbitre désigné en vertu de ladite convention;         
     2.      d'expliquer le dossier au sujet des allégations de manquement à l'équité procédurale que la requérante a formulées;         
     3.      d'être entendue au sujet des questions de droit générales découlant de la demande, soit :         
         a)      l'interprétation de l'alinéa 41a) de la Loi:         
         b)      l'interprétation des paragraphes 47(1) et (3) de la Loi;         
         c)      l'interprétation du sous-alinéa 44(3)a(i) et du paragraphe 44(4) de la Loi;         
     4.      de défendre et d'expliquer ses procédures en soutenant qu'elle n'est pas tenue de motiver ses décisions.         

     À la fin de l'audience, j'ai informé les avocats des parties que j'autoriserais la CCDP à intervenir uniquement au sujet du point numéro 1 et que j'exposerais brièvement par écrit les motifs de ma décision, que voici :

     Au cours de l'audience, Me Thibodeau, qui représente la SRC, a admis que la CCDP avait le droit d'intervenir pour défendre sa compétence comme elle le propose au point numéro 1 de son avis de requête.

     Me Duval, qui représentait la CCDP, a abandonné le point numéro 2 au cours de l'audience, de sorte que seuls les points 3 et 4 doivent être tranchés.

     Au soutien de son argument selon lequel sa cliente devrait être autorisée à intervenir pour débattre les questions de droit qui découlent de l'interprétation du paragraphe 41(1), du sous-alinéa 44(3)a)(i) et des paragraphes 44(4), 47(1) et 47(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Me Duval m'a cité la décision que le juge Denault a rendue dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1996] ACF no 1309 (QL). D'abord, Me Duval m'a cité la page 2 de la décision en question, où le juge Denault énonce, correctement à mon avis, le principe à appliquer pour déterminer si un tribunal devrait être autorisé à intervenir :

     Il est maintenant de règle qu'un tribunal administratif a qualité, en cas de contrôle judiciaire de sa décision, pour se faire entendre afin d'expliquer le dossier et de défendre sa compétence, si la Cour juge nécessaire de faire appel à son expertise pour l'éclairer sur des connaissances ou considérations spécialisées à défaut desquelles une décision raisonnable pourrait paraître déraisonnable. Cependant, la participation du tribunal administratif ne s'entend pas du droit de proposer des arguments pour expliquer ou justifier une inobservation, effective ou possible, des règles de justice naturelle. Dans les cas où le législateur n'a pas cru bon d'accorder à un tribunal administratif la qualité pour participer sans restriction à une instance, la Cour doit s'abstenir de lui reconnaître pareille qualité. Il est aussi clair que la règle 1611 des Règles de la Cour fédérale investit la Cour du pouvoir discrétionnaire d'autoriser une partie intéressée à intervenir. La Cour peut limiter cette intervention en imposant les "conditions qu'elle considère appropriées". En l'espèce, il n'y a guère de doute que la Commission est une partie intéressée au sens juridique du terme. Si le fait de lui reconnaître la qualité pour intervenir ne peut qu'ajouter à l'intégrité de l'instance, il est de la plus haute importance de limiter sa participation à la question de la compétence en ce que son impartialité doit être préservée, sans qu'aucun doute puisse subsister à ce sujet.         

     Pour en arriver à cette conclusion, le juge Denault a invoqué l'arrêt de la Cour suprême du Canada North Western Utilities Ltd. c. Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, et la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (P.G.), [1994] 2 C.F. 447.

     À la lumière des faits dont il était saisi, le juge Denault a conclu qu'aucune question de compétence ne se posait. Il a décidé que la Commission cherchait, en réalité, à débattre le bien-fondé de la décision contestée, ce qui l'a incité à dire qu'à son avis, la Commission ne peut "pas faire par des voies détournées ce qu'elle n'a pas qualité pour faire au grand jour".


     Me Duval a ensuite cité la page 4 de la décision du juge Denault, où celui-ci s'exprime comme suit :

     Je conclus que, dans la mesure où la Commission souhaite se faire entendre sur les questions générales de droit concernant l'interprétation des dispositions 40(2) et (4), et 41b), d) et e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'intérêt public exige de lui reconnaître la qualité d'intervenante qu'elle demande.         

     Me Duval invoque cet extrait pour soutenir que la Commission devrait être autorisée en l'espèce à intervenir au sujet de l'interprétation des dispositions susmentionnées de la Loi. Au cours de l'audience, j'ai fait savoir à Me Duval que, si l'intention du juge Denault était de permettre à la Commission d'intervenir chaque fois qu'une question se soulève quant à l'interprétation des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je ne pourrais souscrire à cette opinion.

     À mon sens, la Commission peut intervenir pour débattre des questions de droit lorsque l'objet de cette intervention est d'expliquer le dossier ou de défendre sa compétence. Je ne veux pas que cette conclusion soit considérée comme une interprétation restrictive du droit d'intervention de la Commission. Je m'inspire donc de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Association canadienne des travailleurs industriels mécaniques et assimilés c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, notamment des propos suivants que le juge La Forest a formulés à la page 1016 :

     Dans l'arrêt British Columbia Government Employees' Union v. Industrial Relations Council (inédit, C.A. C.-B., 24 mai 1988), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que l'Industrial Relations Council avait le droit de faire valoir que la cour d'instance inférieure avait commis une erreur en substituant son jugement à celui du Conseil et en concluant que l'interprétation donnée à la loi par le Conseil était manifestement déraisonnable. Dans les motifs du jugement qu'il a prononcés pour la Cour, le juge Taggart fait la déclaration suivante, avec laquelle je suis parfaitement d'accord, à la p. 13 :         
         [TRADUCTION] Le fondement traditionnel de la notion selon laquelle un tribunal administratif ne devrait pas comparaître pour défendre le bien-fondé de sa décision est l'impression qu'il serait malséant et déplacé pour lui de se mettre dans cette position. Mais lorsque le point en litige devient, notamment en relation avec le critère de l'interprétation manifestement déraisonnable, la question de savoir si la décision était raisonnable, il existe une raison de principe impérieuse de permettre au tribunal de présenter des arguments. En effet, le tribunal est le mieux placé pour attirer l'attention de la cour sur les considérations, enracinées dans la compétence ou les connaissances spécialisées du tribunal, qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable à quelqu'un qui n'est pas versé dans les complexités de ce domaine spécialisé. Il peut arriver, dans certains cas, que les parties au différend ne présentent pas adéquatement ces considérations à la cour, soit parce qu'elles n'en perçoivent pas l'importance, soit parce qu'elles estiment ne pas avoir intérêt à le faire.                 

     À l'instar du juge Taggart, je reconnais qu'un tribunal administratif devrait être autorisé à présenter des arguments dans les circonstances qu'il décrit. Dans la décision qu'il a rendue dans l'affaire Bell Canada, le juge Denault a également fait allusion à des circonstances semblables lorsqu'il a dit que le tribunal administratif peut intervenir pour défendre sa compétence si la Cour juge nécessaire de faire appel à son expertise "pour l'éclairer sur des connaissances ou considérations spécialisées à défaut desquelles une décision raisonnable pourrait paraître déraisonnable".

     En ce qui a trait aux arguments que la Commission a formulés au sujet du point trois de sa requête, l'organisme n'a invoqué aucune explication pouvant me convaincre que son désir de se faire entendre au sujet de certaines dispositions de la Loi repose sur des raisons autres que celle de défendre la décision. Au soutien de sa requête, la Commission a déposé l'affidavit de M. Alwyn Child, son directeur de la mise en oeuvre. Or, M. Child ne propose nulle part dans son affidavit une explication ou des raisons pouvant justifier la requête de l'organisme en ce qui a trait aux points numéros 3 et 4. Ainsi, au paragraphe 3 de son affidavit, M. Child mentionne que les questions concernant l'interprétation de certaines dispositions de la Loi et celle de savoir si la Commission est tenue de motiver ses décisions [TRADUCTION] "sont fondamentales pour la façon dont la Commission exerce ses fonctions". M. Child ne nous explique pas en quoi et pourquoi ces questions sont fondamentales.

     Au paragraphe 4 de son affidavit, M. Child mentionne que la décision qui sera rendue au sujet de ces questions [TRADUCTION] "aura vraisemblablement des conséquences majeures pour l'enquête relative à de nombreuses autres plaintes portées en matière de droits de la personne". Encore là, M. Child donne bien peu d'explications à ce sujet. Il n'indique pas en quoi consistent les "conséquences majeures" ni pourquoi ces conséquences se produiront.

     À mon avis, pour obtenir l'autorisation d'intervenir, la Commission doit convaincre la Cour que son intention n'est pas de défendre la décision contestée. L'intention de la Commission ne doit pas porter atteinte à son impartialité.

     Compte tenu de la preuve présentée en l'espèce, je n'ai pas été convaincu que la Commission désirait être entendue au sujet des points numéros 3 et 4 pour une fin autre que celle de défendre sa décision.

     La Commission est donc autorisée à intervenir pour défendre sa compétence pour les raisons énoncées au point numéro 1 de son avis de requête. Elle est également autorisée à déposer une preuve par affidavit et un dossier d'intervenante, à formuler des observations sur toute demande présentée à la Cour ainsi que des arguments verbaux à l'audience et à interjeter appel de toute décision qui sera rendue.

                             MARC NADON

                                     JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-431-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Société Radio-Canada,
                                     requérante,

                     et

                     Leila Paul,
                                     intimée.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      29 avril 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON

EN DATE DU :              12 mai 1997

ONT COMPARU :

Me Suzanne Thibaudeau                  POUR LA REQUÉRANTE
Me René Duval                      POUR L'INTERVENANTE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie                      POUR LA REQUÉRANTE

Montréal (Québec)

Me Leon Jedeikin                      POUR L'INTIMÉE

Avocat

Montréal (Québec)

Commission canadienne des                  POUR L'INTERVENANTE

droits de la personne

Ottawa (Ontario)

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