Date: 20190521
Dossier : IMM‑5099‑18
Référence : 2019 CF 713
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 21 mai 2019
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
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NAYCOLL JOSE GAMBOA SAENZ
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SUSAN LEYDI GONZALEZ MORENO
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LAURA VALENTINA GAMBOA GONZALEZ
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
La présente demande concerne la demande de résidence permanente présentée au Canada par les demandeurs pour des motifs d’ordre humanitaire (CH). Les demandeurs, un couple et leur fille de 6 ans, sont des citoyens colombiens qui se sont enfuis en 2015 pour échapper aux menaces de gangs. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada qui a été refusée.
[2]
En février 2017, les demandeurs ont déposé une demande CH qui a été refusée en juillet 2017, et après un réexamen, cette demande a été rejetée à nouveau. Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’égard de ce refus, et avec le consentement du défendeur, la demande a été renvoyée pour nouvelle décision. Le 25 septembre 2018, la demande a été refusée encore une fois; c’est ce refus qui est l’objet de la présente demande.
[3]
Le conseil des demandeurs soutient que l’agent a commis des erreurs susceptibles de contrôle sur deux aspects principaux de la demande des demandeurs : l’établissement et l’intérêt supérieur de la fille de 6 ans. Pour les motifs qui suivent, je souscris à cet argument.
I.
L’établissement
[4]
L’agent a conclu ce qui suit :
[traduction]
Dans l’ensemble, je n’estime pas que les documents CH des demandeurs établissent que les demandeurs ont un degré exceptionnel d’établissement au Canada. Je souligne que les demandeurs ne résident au Canada que depuis environ trois ans et demi et j’estime qu’il s’agit là d’une période très courte. Je souligne que les demandeurs ont de la famille au Canada, à savoir la sœur de la DS, Francy, qui réside à l’heure actuelle au Canada. Je souligne que la majorité des membres de la famille immédiate des demandeurs, y compris les parents du DP et deux frères, ainsi que la mère, le frère et la sœur Diana de la DS sont tous des citoyens colombiens qui résident à l’heure actuelle dans ce pays. Par conséquent, j’estime que les documents CH présentés par le demandeur n’établissent pas que les liens familiaux des demandeurs avec le Canada sont plus étroits que ceux qu’ils ont avec la [Colombie]. Je reconnais que les documents CH des demandeurs montrent que le DP et la DS ont réussi à obtenir un emploi au Canada. En outre, je reconnais que les documents CH des demandeurs établissent que le DP et la DS ont fait des efforts pour apprendre l’anglais au Canada, que la DM fréquente l’école au Canada, que les demandeurs participent aux activités de leur église au Canada et qu’ils ont des amis et des connaissances au Canada. Néanmoins, même si j’ai évalué ces éléments de façon favorable, je ne pense pas qu’ils constituent un degré d’établissement supérieur à celui de personnes se trouvant dans une situation semblable à celle des demandeurs et qu’ils auraient acquis en vivant, et dans le cas du DP et de la DS, en travaillant, au Canada pendant plusieurs années.
[Non souligné dans l’original.] (Décision, pages 5 et 6)
[5]
L’examen superficiel dont ont fait l’objet les éléments de preuve relatifs à l’établissement est déraisonnable. L’agent fait le commentaire suivant au sujet des éléments de preuve concernant les liens établis par les demandeurs avec la collectivité canadienne :
[traduction]
En outre, les demandeurs ont des amis et des connaissances au Canada. Plusieurs lettres, ainsi qu’une pétition, provenant d’amis et de connaissances des demandeurs au Canada ont été présentées.
[6]
Les termes utilisés par l’agent ne représentent pas fidèlement la quantité et la qualité des éléments de preuve présentés. En fait, comme l’a soutenu l’avocat des demandeurs, l’agent avait reçu 25 lettres d’appui et une pétition contenant 250 signatures. La décision contestée ne contient pas un seul commentaire au sujet de ces éléments de preuve. J’estime que le fait de ne pas avoir pris en compte ces éléments de preuve convaincants rend la décision déraisonnable.
II.
L’intérêt supérieur de l’enfant
[7]
La principale conclusion de l’agent sur cet aspect est formulée comme suit :
[traduction]
« En outre, je suis conscient du fait que les documents CH des demandeurs établissent que les diverses autres conditions difficiles qui règnent en Colombie auront une incidence défavorable, y compris un taux de criminalité élevée, la corruption, la violence fondée sur le genre et la discrimination contre les femmes. Néanmoins, après avoir examiné les documents CH des demandeurs, je n’estime pas qu’ils démontrent que ces conditions auront, ou auront probablement, une incidence directe défavorable sur Laura Valentina. Néanmoins, je reconnais que ces conditions dans le pays sont loin d’être idéales et j’estime qu’il serait probablement dans l’intérêt supérieur de Laura Valentina de ne pas résider dans un pays où elles existent. Cependant, je suis conscient du fait qu’il ne s’agit là que d’un élément de l’évaluation de l’ISE pour Laura Valentina, et que l’ISE n’est qu’un des facteurs à prendre en compte dans cette demande CH.
[Non souligné dans l’original.]
[8]
Je souscris à l’argument du conseil des demandeurs selon laquelle l’évaluation citée ci‑dessus est erronée à la fois sur le plan des principes et sur celui du contenu, si l’on se fie l’énoncé du droit suivant (Kanthasamy c Canada (MCI), 2015 CSC 61, aux paragraphes 37 et 38) :
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives et les organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Même avant que le principe ne figure expressément au paragraphe 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :
. . . l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable
. . . pour que l’exercice de pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande [CH] même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.
[Non souligné dans l’original.]
[9]
Sur le plan des principes, je conclus que l’évaluation de l’intérêt supérieur de Laura Valentina qu’a effectuée l’agent n’est pas conforme au droit : l’intérêt supérieur de cette dernière a été minimisé. La déclaration de l’agent, lorsqu’il affirme [traduction] « Je suis conscient du fait que cela ne constitue qu’un élément de l’évaluation de l’ISE concernant Laura Valentina et que l’ISE n’est qu’un des facteurs de l’examen d’une demande CH »
semble donner à penser qu’il existe des preuves qui militent contre une conclusion relative à l’intérêt supérieur de l’enfant qui entraînerait un résultat positif pour la demande CH. La question suivante se pose : Quels seraient [traduction] « les facteurs [défavorables] qui devraient être pris en compte dans cette demande CH »
qui iraient à l’encontre de la reconnaissance du fait qu’[traduction] « il serait probablement dans l’intérêt supérieur de Laura Valentina de ne pas résider dans un pays où ces conditions existent »
?
[10]
Les différents facteurs qui semblent aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de Laura Valentina constituent un mélange de conclusions défavorables non étayées au sujet de l’établissement ainsi que de déclarations hypothétiques ayant apparemment pour but de favoriser la conclusion selon laquelle la prise d’une mesure fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas nécessaire parce que tout se passera bien si les demandeurs, y compris Laura Valentina, sont renvoyés en Colombie. On retrouve quatre conclusions en ce sens aux pages 9 et 10 de la décision.
[11]
Je conclus que chacune des conclusions soulignées suivantes sont fondées sur des hypothèses non étayées et constituent donc, ensemble, une erreur susceptible d’être révisée.
[12]
Premièrement, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve établissant que Laura Valentina a été en mauvaise santé dans le passé et que sa santé future serait une source de préoccupation. L’agent a répondu de cette façon :
[traduction]
Néanmoins, je reconnais que les documents CH des demandeurs indiquent que la qualité des soins de santé offerts par le système subventionné de la Colombie est médiocre, mais je souligne qu’il y a peu d’éléments dans les documents CH présentés par les demandeurs qui établissent que les demandeurs ne seraient pas en mesure d’avoir accès au système contributif de soins de santé en Colombie et d’obtenir ainsi des soins médicaux de qualité. Je fais cette observation en étant conscient du fait que j’ai conclu au deuxième et troisième paragraphe de la section sur l’ISE de cette décision CH que la situation des demandeurs rendrait très probable que ces derniers obtiennent un emploi à leur retour en Colombie qui leur permettrait de continuer à subvenir à leurs besoins et à ceux de Laura Valentina.
[Non souligné dans l’original.]
[13]
Deuxièmement, les préoccupations exprimées au sujet de la qualité de l’éducation à laquelle aurait accès Laura Valentina en Colombie sont examinées de la façon suivante :
[traduction]
En outre, je suis conscient que les arguments CH des demandeurs mentionnent que Laura Valentina subira un préjudice à cause de la qualité médiocre de l’éducation en Colombie si elle devait retourner dans ce pays. À l’appui de cette affirmation, les demandeurs ont présenté des extraits de plusieurs rapports de recherche concernant les conditions en Colombie. J’ai examiné ces extraits et je souligne qu’ils mentionnent que la qualité de l’éducation dans le système scolaire public en Colombie est généralement faible. Toutefois, je souligne que les documents CH des demandeurs contiennent peu d’éléments de preuve indiquant soit qu’il est impossible d’avoir accès à des écoles privées en Colombie soit que la qualité de l’éducation offerte dans les écoles privées en Colombie n’est pas satisfaisante, soit qu’il serait très onéreux de fréquenter une école privée en Colombie. Étant donné ma conclusion antérieure selon laquelle le DP et la DS pourraient probablement trouver un emploi en Colombie qui leur permettrait de continuer à subvenir à leurs besoins et à ceux de Laura Valentina, j’estime que les documents CH des demandeurs présentent peu d’éléments indiquant que Laura Valentina ne serait pas en mesure de fréquenter une école privée en Colombie.
[Non souligné dans l’originale.]
[14]
Troisièmement, l’agent parle de la préoccupation concernant la langue :
[traduction]
« Néanmoins, si Laura Valentina constate, à son retour en Colombie, qu’elle n’a pas le niveau de ses camarades pour ce qui est de ses compétences en espagnol, je souligne qu’il y a peu d’éléments indiquant qu’elle ne serait pas en mesure de les améliorer, si elle faisait un effort supplémentaire. En outre, si Valentina doit améliorer ses compétences en espagnol à son retour en Colombie, j’estime que le fait que Valentina soit jeune, ainsi que le fait que ses parents (le DP et la DS) sont des locuteurs espagnols de naissance, l’aideraient beaucoup à y parvenir.
[Non souligné dans l’original.]
[15]
Et quatrièmement, l’agent traite de la façon suivante la déstabilisation que subirait Laura Valentina :
[traduction]
En outre, j’ai conscience du fait que les documents CH des demandeurs établissent que Laura Valentina s’est fait des amis au Canada et je reconnais qu’il sera peut‑être difficile pour Laura Valentina de les quitter et de retourner en Colombie. Je souligne toutefois qu’il y a des moyens, notamment Skype, les courriels, les lettres et le téléphone, qui permettraient à Laura Valentina de rester en contact avec ses amis au Canada. J’estime que, si Laura Valentina devait rester en contact avec les amis qu’elle s’est faits au Canada, cela atténuerait les difficultés qu’elle pourrait connaître en raison de sa séparation de ses amis. En outre, je souligne que Laura Valentina a démontré, pendant la période qu’elle a passée au Canada, qu’elle possédait les habiletés sociales et la capacité de prendre des initiatives qui lui permettraient de se faire des amis dans un nouveau pays. J’estime que les habiletés sociales et la capacité de prendre des initiatives que possède Laura Valentina et qu’elle a démontrées en se faisant des amis au Canada aideraient grandement Laura Valentina à se faire de nouveaux amis à son retour en Colombie.
[Non souligné dans l’original.]
III.
Conclusion
[16]
Les raisons qui étayent la décision contestée sont déraisonnables et appellent la conclusion qu’il convient d’annuler la décision en question.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5099‑18
LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Aucune question n’est certifiée.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 13e jour de juin 2019.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑5099‑18
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INTITULÉ :
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NAYCOLL JOSE GAMBOA SAENZ, SUSAN LEYDI GONZALEZ MORENO, LAURA VALENTINA GAMBOA GONZALEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 MAI 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
lE JUGE CAMPBELL
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 21 MAI 2019
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COMPARUTIONS :
Richard Wazana
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POUR LES DEMANDEURS
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Meva Motwani
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
WAZANALAW
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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