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     Date : 19981102

     Dossier : IMM-613-97

ENTRE :

     BAHIG MOHAMED SKAIK ALI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Prononcés, tels que révisés, à l'audience

     à Toronto (Ontario) le 29 octobre 1998.)

LE JUGE ROTHSTEIN :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration. La demande de résidence permanente au Canada du demandeur a été refusée pour le motif que l'agent d'immigration était d'avis qu'il y avait des motifs raisonnables de penser que le demandeur pratiquerait la polygamie au Canada, un acte criminel visé au paragraphe 293(1) du Code criminel. Se fondant sur l'alinéa 19(2)d)(i) de la Loi sur l'immigration, l'agent d'immigration a conclu que le demandeur était une personne non admissible au Canada.

[2]      L'article 293 du Code criminel dispose :

         293. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas:                 
         a)      pratique ou contracte, ou d'une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter_:                 
             (i)      soit la polygamie sous une forme quelconque,                 
             (ii)      soit une sorte d'union conjugale avec plus d'une personne à la fois,                 
             qu'elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie;                 
         b)      célèbre un rite, une cérémonie, un contrat ou un consentement tendant à sanctionner un lien mentionné aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), ou y aide ou participe.                 
         (2)      Lorsqu'un prévenu est inculpé d'une infraction visée au présent article, il n'est pas nécessaire d'affirmer ou de prouver, dans l'acte d'accusation ou lors du procès du prévenu, le mode par lequel le lien présumé a été contracté, accepté ou convenu. Il n'est pas nécessaire non plus, au procès, de prouver que les personnes qui auraient contracté le lien ont eu, ou avaient l'intention d'avoir, des rapports sexuels.                 

[3]      Le demandeur, un ressortissant palestinien résident au Koweit, a contracté deux mariages tous deux reconnus valides au Koweit. Le premier mariage a eu lieu en 1965, le second en 1987. Des enfants sont issus des deux mariages.

[4]      Le 6 décembre 1995, le demandeur et sa première épouse ont fait une demande de résidence permanente au Canada. Ils ont inclus dans cette demande trois enfants du premier mariage et deux du second. Le même jour, la seconde épouse a fait une demande de résidence permanente.

[5]      Les demandes du demandeur et de la seconde épouse ont été rejetées parce que l'agent d'immigration avait des motifs raisonnables de penser qu'ils avaient l'intention de pratiquer la polygamie au Canada.

[6]      Des nombreux arguments qu'il a invoqués dans son mémoire d'arguments, les deux seuls que le demandeur a fait valoir en contrôle judiciaire sont les suivants :

     1.      le second mariage est inapplicable au Canada et ne serait pas reconnu dans ce pays;
     2.      il n'y avait aucune preuve de mesures actives prises en vue de pratiquer la polygamie et, sans preuve de pareilles mesures, aucune infraction ne serait commise en contravention du paragraphe 293(1) du Code criminel.

[7]      Quant au premier point, dans l'arrêt Tse c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 2 C.F. 308, le juge Urie de la Cour d'appel a conclu, à la page 311, que les mariages polygames valides dans le pays où ils ont été contractés et où les parties étaient domiciliées seraient reconnus valides par les tribunaux canadiens :

             Une des questions fondamentales, à mon sens, est de savoir si des mariages polygames contractés dans des pays où ils sont autorisés, lorsque les parties y ont leur domicile, seraient ou non reconnus par les tribunaux de notre pays. Il semble que la réponse à cette question soit affirmative.                 

[8]      L'avocat du demandeur allègue qu'un second mariage polygame ne serait pas reconnu pour certaines fins au Canada. Cela peut être exact. Dans Castel, Canadien Conflicts of Law, quatrième édition, l'auteur écrit à la page 367 :

         [Traduction]

         Les tribunaux canadiens sont empêchés d'accorder un redressement de nature matrimoniale dans le cas d'un mariage contracté en vertu d'une règle de droit qui permet la polygamie.                 

[9]      Cependant, savoir si un second mariage polygame est reconnu pour certaines fins et non pour d'autres est une question non pertinente. La question dont était saisi l'agent d'immigration était de savoir s'il y avait des motifs raisonnables de pense que le demandeur pratiquerait la polygamie au Canada, c.-à-d. s'il aurait plus d'une femme au Canada. Est étrangère à cet examen la question de savoir si, aux fins de réparations en matière matrimoniale, de légitimité des enfants, de pension alimentaire, etc. le mariage serait reconnu ou non au Canada.

[10]      Quant à la seconde question, ni le demandeur ni ses deux épouses n'ont prétendu qu'ils ne désiraient pas continuer la même relation familiale qu'ils avaient au Koweit. Il n'y a pas preuve d'une intention du demandeur ou de l'une ou l'autre de ses épouses de divorcer. Le demandeur et ses deux épouses avaient tous l'intention de s'installer à Halifax. Lorsque la question de la polygamie a fait surface, la seconde épouse a offert de vivre au Québec.

[11]      L'avocat du demandeur dit qu'il n'y avait aucune preuve que le demandeur prenait des mesures positives pour pratiquer la polygamie au Canada et, sans ses mesures positives, aucune infraction visée au paragraphe 293(1) du Code criminel ne serait commise. Si je comprends bien l'argument, une intention du demandeur de vivre au même endroit avec les deux femmes et de cohabiter avec les deux représenterait des mesures positives.

[12]      La polygamie ne dépend pas de l'endroit où résident les époux ou de savoir s'il y a cohabitation dans les deux mariages au même endroit. Quoi qu'il en soit, indépendamment des arguments présentés, rien dans le droit de l'immigration n'empêcherait le demandeur et ses deux épouses de vivre ensemble après qu'ils ont obtenu le droit d'établissement.

[13]      À sa face même, la pratique de la polygamie consiste à avoir plus d'une conjointe à la fois. En l'espèce, le demandeur a deux épouses. Les trois veulent vivre au Canada. Ils ont tous présenté leur demande en même temps. J'estime qu'aucune autre mesure positive n'est requise.

[14]      L'agent d'immigration n'a pas commis d'erreur en décidant qu'il y avait des motifs raisonnables de penser que le demandeur, en s'installant au Canada avec ses deux épouses, y pratiquerait la polygamie, en contravention du paragraphe 293(1) du Code criminel et que le demandeur n'était donc pas admissible au Canada.

[15]      Le demandeur a demandé la certification de la question suivante en vue d'un appel :

         [Traduction]

         vu que les demandeurs ont présenté leur demande séparément mais en même temps, et qu'ils allaient vivre au Canada, la seconde épouse dans une province distincte, la simple existence de mariages polygames et légitimes du demandeur avec deux épouses différentes constitue-t-elle un motif raisonnable de penser que les parties pratiqueraient la polygamie au Canada au sens de l'article 293 du Code criminel, ou le mari et/ou l'une l'autre des deux épouses doivent-ils, une fois au Canada, prendre des mesures positives reconnaissant le mariage en cause, ou pouvant y être reliées, avant que l'infraction de polygamie puisse être établie?                 

[14]      La question est certifiée.

"Marshall Rothstein"

Juge

TORONTO (ONTARIO)

le 2 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                      IMM-613-97

INTITULÉ :                          BAHIG MOHAMED SKAIK ALI

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE JEUDI 29 OCTOBRE 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                      LUNDI 2 NOVEMBRE 1998

COMPARUTIONS :                  M. Cecil L. Rotenberg, c.r.

                                 pour le demandeur

                             M me A. Leena Jaakkimainen

                                 pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Cecil L. Rotenberg, c.r.

                             Avocats et procureurs

                             Suite 808

                             255 Duncan Mill Road

                             Don Mills (Ontario)

                             M3B 3H9

                                 pour le demandeur

                              Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour l'intimé

                

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date: 19981102

                        

         Dossier : IMM-613-97

                             Entre :

                             BAHIG MOHAMED SKAIK ALI,

                            

     demandeur,

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     intimé.

                    

                            

            

                                                                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

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