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Date : 20001207


Dossier : T-1732-99


E N T R E :


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     demandeur

     et



     ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

     défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE HENEGHAN



[1]      Le procureur général du Canada (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par l'agent régional de sécurité Serge Cadieux en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code) (décision numéro 99-018). Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l'agent régional de sécurité et lui renvoyant l'affaire avec la directive d'annuler l'instruction contenue dans sa décision.


[2]      L'Alliance de la fonction publique du Canada (la défenderesse) conteste la demande de contrôle et appuie la décision en faisant l'objet.


[3]      La décision en question a été rendue par l'agent régional de sécurité dans le cadre de l'exercice du pouvoir, que lui confère l'article 146 du Code, de modifier, d'annuler ou de confirmer l'instruction d'un agent de sécurité nommé en vertu du Code.


[4]      Le litige porte sur le fait que l'agent régional de sécurité a interprété les mots « toute personne » figurant à l'alinéa 125v) du Code de manière à ce qu'ils s'appliquent aux employés d'un entrepreneur indépendant à qui on avait fait appel pour effectuer des travaux sur un édifice logeant des fonctionnaires fédéraux. En particulier, le demandeur prétend que l'interprétation qu'a donnée l'agent régional de sécurité aux mots « toute personne » a comme effet d'imposer le pouvoir de réglementation du gouvernement fédéral aux personnes régies par les dispositions législatives provinciales sur la sécurité et la santé au travail.


LES FAITS

[5]      Vers 4 h 30 le 4 janvier 1999, un incendie s'est produit dans un édifice situé au 189, rue Prince William, Saint John, (Nouveau-Brunswick). L'édifice appartenait à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics). Travaux publics a conclu un contrat avec Simpson Building Limited, une entreprise de nature provinciale, pour que celle-ci fasse le revêtement mural extérieur de l'édifice.


[6]      Simpson Limited était une entreprise indépendante ayant la surveillance et le contrôle exclusifs du lieu de travail. Pour faire le revêtement mural et les réparations à la toiture, elle a érigé un échafaudage et l'a fixé à l'édifice de Travaux publics.


[7]      En raison de l'incendie, l'agent de sécurité Luc Sarrazin a mené une enquête à l'édifice. Sur les lieux, il a constaté un certain nombre d'infractions au Code. En particulier, il a remarqué que plusieurs travailleurs se trouvant sur l'échafaudage ne disposaient pas ou n'utilisaient pas d'équipement de protection contre les chutes, contrairement au paragraphe 12.10(1) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail, D.O.R.S./86-304. En vertu du pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 141(1) du Code, l'agent de sécurité a donné à Travaux publics une instruction qui indiquait l'existence d'une contravention à l'alinéa 125v) du Code. Travaux publics a reçu instruction de mettre fin à cette contravention au plus tard le 6 janvier 1999.


[8]      Travaux publics a alors demandé, en vertu de l'article 146 du Code, qu'un agent régional de sécurité révise l'instruction de M. Sarrazin pour déterminer si celle-ci devait être modifiée, annulée ou confirmée. Une audience a été tenue à Saint John (Nouveau-Brunswick) le 29 juin 1999. Avant l'audience, les parties ont convenu que l'agent régional de sécurité déciderait de l'identité de l'employeur pour les fins de l'alinéa 125v) du Code.


[9]      L'agent régional de sécurité a tiré plusieurs conclusions. Il a conclu que pour les fins de l'alinéa 125v), l'employeur était le Conseil du Trésor. Les employés devant être protégés en vertu de la partie II du Code étaient les fonctionnaires fédéraux occupant l'édifice de la rue Prince William.


[10]      Il a conclu que le « lieu de travail » , au sens du paragraphe 122(1) du Code, se situait au 189, rue Prince William, Saint John (Nouveau-Brunswick). Le lieu de travail comprenait le terrain de stationnement, la pelouse, les environs de l'édifice et toute construction fixée à l'édifice.


[11]      Par suite de son érection et de sa fixation à l'édifice, l'échafaudage est devenu une partie du lieu de travail.


[12]      Enfin, l'agent régional de sécurité a conclu que le lieu de travail ainsi défini était sous le contrôle du Conseil du Trésor. Étant donné que le Conseil du Trésor contrôle le lieu de travail, il contrôle également l'accès à l'édifice, et notamment l'accès à l'échafaudage, pour les fins du Code.


[13]      Se fondant sur ces conclusions, l'agent régional de sécurité a confirmé l'instruction relative à l'alinéa 125v) du Code, mais l'a modifiée légèrement de manière à ce qu'elle soit donnée au Conseil du Trésor plutôt qu'à Travaux publics. Il a conclu ce qui suit dans ses motifs :

[TRADUCTION] J'estime que cette disposition de grande portée n'a pas pour objet que l'employeur assume compétence sur ces employés, mais plutôt qu'il assume ses responsabilités relatives au milieu de travail dont il a le contrôle. Même si je conviens que cette disposition semble étendre les responsabilités de l'employeur au-delà de la relation traditionnelle employeur-employés, j'estime qu'il s'agit surtout d'une disposition fort logique du point de vue de la santé et de la sécurité.
En l'espèce, l'agent de sécurité a constaté au cours de son inspection de l'échafaudage que des employés de l'entreprise ne portaient pas l'équipement de sécurité exigé par l'alinéa 12.10(1)b) du règlement. L'alinéa 125v) du Code impose à l'employeur l'obligation de « veiller à ce que toute personne à qui il en permet l'accès » utilise l'équipement de sécurité prescrit. L'expression « toute personne à qui il en permet l'accès » englobe tout le monde et ne fait aucune distinction fondée sur la juridiction ou sur tout autre élément. Elle vise ceux qui ne sont pas employés comme les visiteurs, les membres du public, les travailleurs relevant de toute juridiction, etc. (Souligné dans l'original)1

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]      Les questions en litige peuvent être formulées ainsi :

     1. L'agent régional de sécurité a-t-il commis une erreur de droit et rendu une décision manifestement déraisonnable en modifiant sans l'annuler l'instruction de l'agent de sécurité Sarrazin?
     2. L'agent régional de sécurité a-t-il outrepassé sa compétence en étendant l'application du Code aux « travailleurs relevant de toute juridiction » ?

LES ARGUMENTS

[15]      Le demandeur prétend que l'interprétation donnée à l'alinéa 125v) du Code par l'agent régional de sécurité a comme effet d'appliquer indirectement le pouvoir de réglementation du gouvernement fédéral aux employés régis par les dispositions provinciales. Le demandeur dit que cette décision a pour effet de créer une incohérence dans la réglementation et qu'elle équivaut à une intrusion du pouvoir fédéral dans un champ qui relève de la compétence des provinces.

[16]      Le demandeur dit que la décision de l'agent régional de sécurité ne doit pas faire l'objet d'une grande retenue. Il prétend qu'étant donné que la décision comporte une interprétation de la loi, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. À tout le moins, la norme de contrôle est légèrement plus exigeante, c'est-à-dire qu'elle se situe entre la décision manifestement déraisonnable et la décision correcte. À cet égard, le demandeur invoque les décisions rendues par la Cour dans West Coast Energy c. Canada (Code canadien du travail, Agent régional de sécurité) (1995), 104 F.T.R. 123, et dans Vancouver Wharves Limited c. Canada (Procureur général) (1998), 149 F.T.R. 253.

[17]      Pour sa part, la défenderesse prétend que la décision de l'agent régional de sécurité est raisonnable et n'empiète pas sur la compétence législative des provinces. La défenderesse dit que la décision signifie que l'employeur, soit le Conseil du Trésor, est responsable du bien-être des fonctionnaires fédéraux et que pour s'acquitter de cette responsabilité, il doit veiller à ce que les personnes travaillant sur l'édifice soient munies de l'équipement de sécurité approprié pour éviter de causer préjudice aux fonctionnaires fédéraux travaillant dans l'édifice. La défenderesse dit que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[18]      La présente demande est présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le paragraphe 18.1(4) établit que la décision d'un office fédéral ne peut pas être annulée à moins que celui-ci ait agi sans compétence, qu'il n'ait pas observé un principe de justice naturelle, qu'il ait commis une erreur de droit, qu'il ait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée ou qu'il ait rendu une décision de façon abusive ou arbitraire.

[19]      Je suis d'avis que la décision faisant l'objet de la présente demande de contrôle porte essentiellement sur une question de droit. Dans Les Terminus maritimes fédéraux, division Fednav Ltée c. Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 [2000] A.C.F. 592, le juge Teitelbaum a examiné la norme de contrôle applicable aux décisions des agents régionaux de sécurité. Il a conclu au paragraphe 51 que la norme appropriée se situait quelque part entre la décision raisonnable et la décision correcte, indiquant que :

Je partage l'avis du juge Cullen que la norme de contrôle dans les circonstances doit se situer « quelque part entre la norme du caractère raisonnable et celle de l'absence d'erreur » lorsqu'il déclare dans Westcoast Energy c. Canada (Code canadien du travail, Agent régional de sécurité), [1995] A.C.F. no 1534 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 24 :
     En l'espèce, la décision n'est pas protégée par une clause privative. Toutefois, comme la question a été examinée dans l'arrêt Pezim, précité, l'absence de clause privative n'est pas seule déterminante. Je suis également disposé à conclure que l'agent régional de sécurité est une instance décisionnelle spécialisée et à accorder beaucoup d'égards à ces conclusions qui restent nettement dans son domaine d'expertise. Cependant, lorsque l'agent régional de sécurité interprétait le droit, la norme de contrôle devait, selon moi, être plus stricte. Bien que l'avocat de la requérante ait insisté pour que la Cour accepte que la norme de contrôle était l'absence ou la quasi-absence d'erreur, je ne suis pas prêt à aller aussi loin, en ce sens que l'agent régional de sécurité n'interprétait pas une disposition de la loi limitant sa compétence. La norme de contrôle applicable aux questions de droit en l'espèce se trouve plutôt, à mon avis, quelque part entre la norme du caractère raisonnable et celle de l'absence d'erreur.2

[20]      Il ressort que la norme énoncée par le juge Teitelbaum doit s'appliquer dans la présente affaire.

[21]      En bref, l'argument du demandeur se résume à l'opinion que l'article 125 du Code ne vise que les fonctionnaires fédéraux. En gros, la défenderesse prétend que l'application de l'article 125 du Code devrait être étendue aux employés autres que les fonctionnaires fédéraux simplement pour assurer la santé et la sécurité de ces derniers.

[22]      Je suis d'avis que l'agent régional de sécurité n'a pas étendu la compétence fédérale aux employés soumis à la compétence provinciale ou aux employés autres que les fonctionnaires fédéraux. Il n'a fait qu'interpréter le texte de l'alinéa 125v) relativement à la responsabilité d'un employeur à l'égard du lieu de travail dont il a le contrôle. L'agent régional de sécurité a conclu que les mots « toute personne » ne se limitaient pas simplement aux fonctionnaires fédéraux. Il a justifié l'application plus large de l'alinéa 125v) en indiquant qu'il s'agissait d'une disposition de grande portée qui oblige l'employeur à assumer la responsabilité du lieu de travail dont il a le contrôle.

[23]      Son raisonnement est juste. L'agent régional de sécurité a assimilé les employés de Simpson aux membres du grand public. Aucune des parties n'a contesté sa définition du lieu de travail. Il ne fait aucun doute qu'en tant qu'occupant de l'édifice situé au 189, rue Prince William, à Saint John, l'employeur fédéral a une obligation générale de diligence en common law envers les membres du public relativement à la sécurité des lieux, y compris l'extérieur de ces lieux.

[24]      En conclusion, je ne suis pas convaincue que l'agent régional de sécurité ait commis une erreur de droit dans son interprétation de l'alinéa 125v) du Code. Sa décision est raisonnable.





[25]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.



     « E. Heneghan »

     J.C.F.C.







Le 7 décembre 2000

OTTAWA (Ontario)


Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :                   T-1732-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :           Procureur général du Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :               Ottawa (Ontario)                         
DATE DE L'AUDIENCE :               Le 4 décembre 2000

                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE      Madame le juge Heneghan
EN DATE DU :                   7 décembre 2000

ONT COMPARU

M. Richard Fader                  POUR LE DEMANDEUR

M. André Gagnon

Mme Jacquie de Aguayo              POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada         

Ottawa (Ontario)


Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)                  POUR LA DÉFENDERESSE






Date : 20001207


Dossier : T-1732-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 7 DÉCEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN


E N T R E :



PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


demandeur


et




ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA


défenderesse



     ORDONNANCE



     VU la demande de contrôle judiciaire relative à la décision rendue par l'agent régional de sécurité Serge Cadieux en vertu de la partie II du Code canadien du travail (décision numéro 99-018).

     LA COUR ORDONNE :

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens conformément aux motifs ci-joint.



     « E. Heneghan »

     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

__________________

1Dossier de la demande, onglet 2, page 12

2Les Terminus maritimes fédéraux, division Fednav Ltée c. Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 [2000] A.C.F. 592, paragraphe 51.

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