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Date : 20000719


Dossier : T-1838-99


Ottawa (Ontario), le mercredi 19 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE GIBSON


ENTRE :

     ALLAN ARTHUR CRAWSHAW

     demandeur


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur




     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du comité de révision du fonds de fiducie des détenus de l'établissement de Mission, qui fait l'objet du présent contrôle, est annulée et la demande du détenu qu'on utilise les sommes déposées à son crédit dans le fonds de fiducie des détenus pour renouveler son abonnement au magazine « Scientific American » lui est renvoyée pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci en conformité avec ces motifs.

     Le demandeur a droit d'obtenir du défendeur le remboursement des débours raisonnables qu'il a engagés pour présenter cette demande.






FREDERICK E. GIBSON


J.C.F.C.





Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.






Date : 20000719


Dossier : T-1838-99



ENTRE :

     ALLAN ARTHUR CRAWSHAW

     demandeur


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


INTRODUCTION


[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du comité de révision du fonds de fiducie des détenus (CRFFD) de l'établissement de Mission, une institution pénitentiaire du Service correctionnel du Canada (le Service) située dans la vallée du Fraser en Colombie-Britannique. Par cette décision, le demandeur se voyait opposer un refus à sa demande qu'on utilise les sommes déposées à son crédit dans le fonds de fiducie des détenus pour renouveler son abonnement au magazine « Scientific American » . Ce refus, qui ne porte pas de date, indique simplement ceci : [traduction] « Refusé. Contraire à la politique » . Il a été signifié au demandeur le 13 octobre 1999. La décision qui fait l'objet du contrôle est la seconde en quatre mois par laquelle on a refusé au détenu l'autorisation d'utiliser ses fonds en fiducie pour renouveler son abonnement à Scientific American. Le demandeur est abonné à Scientific American depuis 1995.

[2]      J'ai traité la présente demande de contrôle judiciaire en me fondant sur les documents déposés à la Cour et sans avoir le bénéfice d'une audition orale, la Cour ayant ordonné, le 29 février 2000, que la demande de contrôle judiciaire soit réglée sans comparution en personne.

LE CONTEXTE

[3]      Le demandeur a été reconnu coupable de meurtre au premier degré en 1993. Il est détenu à l'établissement de Mission depuis peu de temps après sa condamnation. À la date du dépôt de son affidavit dans cette affaire, il avait 52 ans. Selon les termes de sa condamnation, il ne sera pas admissible à la semi-liberté avant le 17 mai 2015.

LE CADRE LÉGISLATIF

[4]      L'article 3 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition1 (la Loi) énonce l'objectif du système correctionnel fédéral de la façon suivante :

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

L'article 4 donne les principes qui doivent guider le Service afin d'atteindre l'objectif précisé à l'article 3. Parmi ces principes, on trouve le suivant :

e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

[5]      L'article 96 de la Loi porte que le gouverneur en conseil peut prendre divers règlements liés à la gestion du système correctionnel fédéral. L'article 97 autorise la personne qui a la direction et la gestion du Service (le Commissaire), sous la direction générale du Solliciteur général du Canada, à établir des règles concernant la gestion du Service en vue de la mise en oeuvre des principes énoncés à l'article 4 de la Loi, ainsi que « ...toute autre mesure d'application de cette partie [partie I de la Loi] et des règlements » . L'article 98 porte que les règles établies en application de l'article 97 peuvent faire l'objet de « Directives du Commissaire » et il prévoit aussi que ces directives « ...doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public » .

[6]      Le paragraphe 111 (1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition2 est rédigé comme suit :

111. (1) The Service shall ensure that all moneys that accompany an inmate when the inmate is admitted into a penitentiary and all moneys that are received on the inmate's behalf while the inmate is in custody are deposited to the inmate's credit in a trust fund, which fund shall be known as the Inmate Trust Fund.

111. (1) Le Service doit veiller à ce que l'argent que possède le détenu à son admission au pénitencier et les sommes reçues par lui pendant son incarcération soient déposés à son crédit dans un fonds de fiducie, connu sous le nom de Fonds de fiducie des détenus.


[7]      Les articles 41 et 42 de la Directive du Commissaire 090, datée du 20 août 1999 et intitulée « Effets personnels des détenus » , prévoient ceci :

41. Les établissements dresseront une liste des entreprises auprès desquelles les détenus pourront faire des achats. L'achat de biens auprès de toute autre entreprise doit être autorisé par le directeur de l'établissement ou son délégué qui doit être d'un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint.
42. Les achats auprès de fournisseurs de pays étrangers sont interdits en règle générale. De tels achats sont toutefois permis avec l'autorisation du directeur de l'établissement.

[8]      L'article 42 de la Directive du Commissaire 090 est au coeur même de la question en litige. C'est sur la première phrase de cet article qu'on s'est appuyé pour rejeter la requête du demandeur d'utiliser les sommes à son crédit pour renouveler son abonnement à Scientific American. L'adresse à laquelle on doit envoyer les abonnements à Scientific American est aux États-Unis.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]      Dans son dossier de demande, le demandeur définit les questions à trancher dans ce contrôle judiciaire de la façon suivante :

         [traduction]

         A. Le Comité de révision du FFD de l'établissement de Mission a-t-il agi sans compétence et enfreint une loi en empêchant le demandeur de s'abonner à la publication éducative Scientific American comme tout autre citoyen?
         B. Le Comité de révision du FFD ...a-t-il fait défaut d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter en empêchant le demandeur de s'abonner à la publication éducative Scientific American comme tout autre citoyen?
         C. Le Comité de révision du FFD ...a-t-il rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier, en empêchant le demandeur de s'abonner à la publication éducative Scientific American comme tout autre citoyen?
         D. Le Comité de révision du FFD ...a-t-il rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée en empêchant le demandeur de s'abonner à la publication éducative Scientific American comme tout autre citoyen?
         E. Le Comité de révision du FFD ...a-t-il agi de toute façon contraire à la loi en empêchant le demandeur de s'abonner à la publication éducative Scientific American comme tout autre citoyen?
         F. Le public et les détenus sont-ils en droit de s'attendre à ce que les employés du système correctionnel accomplissent leurs devoirs de façon responsable et respectueuse des lois? »

[10]      Cet énoncé a pour l'essentiel été retenu par le défendeur, bien qu'il s'en soit expliqué en beaucoup de mots. Il n'a toutefois pas traité de la sixième question énoncée par le demandeur et la Cour fera de même.

[11]      Dans une directive en date du 19 juin 2000, la Cour a demandé au défendeur de traiter d'une question que je considère être comprise dans la question E, savoir si le CRFFD de l'établissement de Mission a refusé d'exercer sa compétence (alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale) en n'examinant pas si la demande d'affecter les fonds du demandeur détenus dans son compte en fiducie au renouvellement de Scientific American tombe sous l'exception prévue à l'article 42 de la Directive du Commissaire 090, en ce qu'il s'agit d'une requête légitime pour l'achat à l'extérieur du Canada d'un abonnement qui ne semble ne pas être disponible au Canada, échappant ainsi à la prohibition énoncée comme « règle générale » .

ANALYSE

[12]      J'accepte le point de vue du demandeur, qui est implicite dans son énoncé des questions en litige précitées, que Scientific American est une « publication éducative » . À tout le moins, on ne peut en aucune façon considérer cette publication comme étant de « nature provocatrice » ou qui pourrait inciter à la création d'une ambiance de confrontation en milieu correctionnel qui pourrait nuire au maintien de l'ordre ou à la réhabilitation des délinquants. On ne peut non plus faire valoir qu'elle est « subversive » à l'endroit du Service3.

[13]      En réponse à la demande de la Cour de présenter des arguments au sujet du refus possible d'exercice de la compétence, l'avocat du défendeur a résumé le point de vue de ce dernier en trois paragraphes, comme suit :

[traduction]
La décision du directeur de l'établissement, ou de son délégué, en l'instance le Conseil du Fonds de fiducie des détenus (le Conseil), d'autoriser un achat à l'extérieur du pays est de nature discrétionnaire. Toutefois, avant que le Conseil puisse prendre une décision, le détenu doit d'abord lui demander d'approuver l'achat et accompagner sa demande des renseignements indiquant pourquoi cet achat devrait être approuvé.
M. Crawshaw [le demandeur] n'a pas demandé au Conseil d'approuver l'achat et il n'a présenté aucun renseignement additionnel à ce sujet. Le Conseil n'avait donc pas de demande en sa possession non plus que de renseignements qui lui auraient permis d'examiner si la requête de M. Crawshaw faisait exception à la prohibition énoncée comme « règle générale » au paragraphe 42 de la Directive du Commissaire 090.
En conséquence, le Conseil n'a pas refusé d'exercer sa compétence en décidant de refuser d'autoriser l'achat de l'abonnement à Scientific American.

[14]      Avec égards, je conclus que le demandeur a présenté une requête pour cet achat en envoyant le formulaire de renouvellement de son abonnement à Scientific American avec la Demande du détenu pour charger/débourser des fonds envoyée au directeur de l'établissement, vraisemblablement celui de l'établissement de Mission où il est détenu4. Dans ce formulaire, il demandait que la somme de 49 $US [traduction] « soit chargée/déboursée » à même son compte courant, le chèque devant être libellé à Scientific American et expédié à l'adresse aux États-Unis qui se trouve sur le formulaire. Il a précisé que cette demande était présentée à des fins éducatives. Je suis convaincu que cette brève explication suffisait amplement à démontrer pourquoi l'achat devait être autorisé, à supposer toutefois qu'une telle « démonstration » ait été requise. Dans une lettre ou note jointe adressée au [traduction] « Comité de révision du FFD, établissement à sécurité moyenne de Mission » , le demandeur écrit ceci : [traduction] « En vertu du droit canadien, j'ai le droit de m'abonner à ce magazine de nature éducative et c'est ce que je fais depuis 1995. Ce comité n'a absolument aucune compétence en droit pour refuser de procéder à même le FFD... » . Je suis convaincu que le point de vue du demandeur, selon lequel le CRFFD n'avait « absolument aucune compétence en droit pour refuser de [traiter] » sa demande est pour le moins cohérent avec l'article 3 et le paragraphe 4 (e) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition que j'ai cités plus haut.

DISPOSITIF

[15]      Au vu de tout ce qui précède et notamment de l'objectif du système correctionnel fédéral tel qu'énoncé à l'article 3 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ainsi que du principe connexe énoncé au paragraphe 4 (e) de la même Loi, et me fondant sur le refus du CRFFD et du « directeur de l'établissement » d'exercer la compétence que leur confère l'article 42 de la Directive du Commissaire 090, je conclus que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Dans les circonstances, je n'examinerai pas toutes les autres questions qui ont été soulevées dans la demande de contrôle judiciaire.

[16]      Je constate qu'avant de présenter cette demande de contrôle judiciaire, le demandeur n'a pas franchi toutes les étapes du système de grief disponibles au sein du Service correctionnel du Canada. Bien que le défendeur souligne ceci dans le mémoire des faits et du droit qu'il a déposé en l'instance, il n'a pas donné suite dans la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a déjà largement utilisé le régime de plaintes et de griefs existant à l'établissement de Mission depuis qu'il y réside, sans beaucoup de succès. Par contre, je sais qu'il s'est déjà présenté devant notre Cour avec une question qui ressemble à cette demande de contrôle judiciaire. Je suis convaincu qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice que la Cour prenne l'initiative de refuser d'examiner cette demande au motif que le demandeur n'a pas épuisé tous les mécanismes de réparation possibles au sein du Service. Ceci étant dit, on ne devrait pas interpréter le fait que la Cour accueille ce contrôle judiciaire comme un quelconque encouragement à circonvenir les canaux habituels de règlement des différends.

LES DÉPENS

[17]      Le demandeur réclame les dépens pour sa demande de contrôle judiciaire et je suis convaincu qu'il est assez justifié. Une ordonnance sera donc délivrée portant que le défendeur doit verser au demandeur les débours raisonnables engagés dans cette demande. Si les parties ne peuvent s'entendre quant au chiffre des débours raisonnables engagés, la question devrait être renvoyée à la Cour pour être tranchée.


FREDERICK E. GIBSON

J.C.F.C.

Le 19 juillet 2000

Ottawa (Ontario)

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1838-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Allan Arthur Crawshaw c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Examiné sur document sans comparution des parties

DATE DE L'AUDIENCE :          S/O

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. le juge Gibson

EN DATE DU :              19 juillet 2000



OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA PART DE

M. Allan Arthur Crawshaw                      EN SON PROPRE NOM

M. Rodney Yamanouchi                      POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Allan Arthur Crawshaw                     

Mission (C.-B.)                          EN SON PROPRE NOM

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      L.C. 1992, ch. 20.

2      DORS/92-620.

3      Voir : Crawshaw c. Commissaire du Service correctionnel (Can.), (1996), 125 F.T.R. 241.

4      Dossier de demande, pièce 7 à l'affidavit du demandeur souscrit le 2 novembre 1999.

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