Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190507


Dossier : IMM-4893-18

Référence : 2019 CF 598

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 mai 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

MUKHAILO DUCHKO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, un homme juif de 58 ans originaire de Sambor, dans l’ouest de l’Ukraine, demande l’asile en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), car il craint d’être persécuté par des nationalistes ukrainiens s’il devait retourner au pays. Dans une décision rendue le 8 septembre 2018, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande du demandeur.

[2]  Les passages suivants de la décision montrent l’approche retenue par la SPR pour rejeter la demande du demandeur :

La principale question à trancher en l’espèce a trait aux conditions objectives dans le pays auxquelles le demandeur d’asile ferait face aujourd’hui en tant qu’homme juif qui n’a pas vécu en Ukraine depuis novembre 2008. Le conseil a fait valoir dans ses observations orales et écrites qu’il y avait un niveau élevé d’incidents anti-juifs au pays, qu’il y avait une montée fulgurante d’incidents antisémites en général et qu’aucune partie de l’Ukraine n’était sécuritaire, rendant impossible l’existence d’une PRI à Kiev.

J’ai tenu compte du risque actuel et prospectif auquel serait exposé le demandeur d’asile, qui n’a pas vécu en Ukraine depuis près de dix ans. L’examen des plus récents éléments de preuve documentaire révèle des renseignements contradictoires en ce qui concerne la situation au pays. Le conseil a fait valoir que son ensemble d’éléments de preuve documentaire, qui se trouve à la pièce 3, démontre une augmentation de la violence antisémite. Ce renseignement est contredit par la pièce 7, le Religious Freedom Report for 2017 [rapport de 2017 sur la liberté religieuse dans le monde], publié par le Département d’État des États-Unis, qui est fondé sur des renseignements fournis par le groupe de surveillance des droits des minorités nationales (NMRMG), une organisation non gouvernementale (ONG) appuyée par le Congrès juif européen et l’association des organisations et des communautés juives.

[…]

La principale source de l’argument du conseil, selon lequel il y aurait une augmentation de la violence antisémite en Ukraine, est le ministère des Affaires de la diaspora du gouvernement d’Israël, qui a signalé que la violence antisémite avait doublé de 2016 à 2017 et surpassait le total de tous les incidents signalés dans la région. Le ministère estime qu’il y a eu plus de 130 incidents antisémites, dont des agressions violentes. Selon le Congrès juif mondial, le taux d’incidents antisémites semble grimper. Ce chiffre de 130 incidents est fondé sur les données du ministère d’Israël.

Cependant, le nombre total d’incidents établis par le ministère des Affaires de la diaspora d’Israël est contesté par un rapport d’un chercheur de l’Ukraine qui étudie l’antisémitisme, selon lequel le rapport du gouvernement d’Israël [traduction] « comportait des erreurs et était un travail d’amateur ». Le chercheur, Vyacheslav Likhachov, qui est membre de l’association va’ad des communautés et des organisations juives de l’Ukraine, a suggéré que les auteurs du rapport [du ministère] ont simplement résumé les incidents qui avaient été signalés en ligne et a ajouté qu’il s’agissait d’un [traduction] « manque flagrant de professionnalisme et d’une violation de toutes les normes de documentation sur les crimes haineux, qui sont guidées par des groupes professionnels de supervision, en Ukraine ainsi que dans le monde ».

Le tribunal privilégie les éléments de preuve fournis par les groupes locaux et régionaux de surveillance des droits des minorités juives qui ont été cités par le Département d’État des États‑Unis dans le Religious Freedom Report for 2017, comme le NMRMG, une ONG appuyée par le Congrès juif européen et l’association des organisations et des communautés juives ainsi qu’un chercheur membre de l’association va’ad des communautés et des organisations juives de l’Ukraine. J’estime que la documentation sur les crimes haineux qui a été fournie par ces groupes est plus complète et plus rigoureuse pour les raisons énoncées précédemment par l’association va’ad des communautés et des organisations juives de l’Ukraine. Je conclus qu’il y a des incidents isolés de violence antisémite en Ukraine et davantage de cas documentés de vandalisme antisémite.

 [Non souligné dans l’original]

(Décision, aux paragraphes 6, 7, 9, 10, 11)

[3]  Par conséquent, la SPR a tiré la conclusion suivante :

J’estime que les éléments de preuve sont suffisants pour appuyer ma conclusion selon laquelle même s’il y a de malheureux incidents antisémites haineux en Ukraine, ils ne sont pas assez répandus pour qu’il s’agisse de persécution envers le demandeur d’asile qui se présente devant moi.

Je conclus que la crainte de persécution du demandeur d’asile n’a pas de fondement objectif […]

(Décision, aux paragraphes 12 et 13)

[4]  La façon dont la SPR a choisi et apprécié la preuve présentée pour trancher la demande d’asile du demandeur est au cœur de la décision faisant l’objet du contrôle. L’avocat du demandeur soutient que le défaut de la SPR de tenir compte de l’ensemble de la preuve démontrant la montée de l’antisémitisme en Ukraine constitue une erreur susceptible de contrôle (Cepeda-Gutierrez c Canada (MCI), 1998 CarswellNat 1981, au paragraphe 17). L’avocat du demandeur fait aussi valoir que le processus par lequel la SPR a conclu qu’une source est plus crédible qu’une autre est inconnu et que, par conséquent, il ne respecte pas les normes de transparence et d’intelligibilité en matière de prise de décision. Je souscris à ces deux arguments.

[5]  La question dont la SPR était saisie était de savoir si le demandeur avait fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté s’il devait retourner en Ukraine. À mon avis, le fait que  la SRP a accepté l’opinion contestée du chercheur sans procéder à une  vérification et un examen minutieux a eu pour effet de restreindre la preuve susceptible d’établir le bien‑fondé de la demande du demandeur. Je conclus que cette restriction rend la décision de la SPR déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4893-18

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.  

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4893-18

 

INTITULÉ :

MUKHAILO DUCHKO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MAI 2019

JUGEMENTS ET MOTIFS

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JARED WILL & ASSOCIATES

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.