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Date : 19981019


Dossier : T-938-95

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


demandeur,


et


JOHANN DUECK,


défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]      Les présents motifs font suite à une objection soulevée par le défendeur à l'égard de l'admissibilité d'un document que le demandeur a cherché à présenter par l'entremise de son témoin, le Pr Franz Golczewski. Ce document est un rapport interne du NKVD, le prédécesseur du KGB soviétique. Il est daté d'octobre 1943 et porte sur l'ampleur des atrocités commises par les forces d'occupation allemandes dans le district de Selidovka en Ukraine pendant la période pertinente au présent renvoi.

[2]      Ce document paraît important pour l'affaire du demandeur mais, pour des raisons qui dépassent l'entendement, celui-ci n'a pas déposé un affidavit comme le prévoit le paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la Loi). Comme on pouvait s'y attendre, le défendeur s'oppose à la présentation de ce document.

[3]      Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

                 30. (1) Lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.                 
                 (2) Lorsqu'une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires ne contient pas de renseignements sur une chose dont on peut raisonnablement s'attendre à trouver la survenance ou l'existence consignées dans cette pièce, le tribunal peut, sur production de la pièce, admettre celle-ci aux fins d'établir ce défaut de renseignements et peut en conclure qu'une telle chose ne s'est pas produite ou n'a pas existé.                 
                 (3) Lorsqu'il n'est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d'un premier document indiquant les raisons pour lesquelles il n'est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d'un deuxième document préparé par la personne qui a établi la copie indiquant d'où elle provient et attestant son authenticité, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s'il s'agissait de l'original de cette pièce pourvu que les documents satisfassent aux conditions suivantes : que leur auteur les ait préparés soit sous forme d'affidavit reçu par une personne autorisée, soit sous forme de certificat ou de déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d'un État étranger, que le certificat ou l'attestation prenne ou non la forme d'un affidavit reçu par un fonctionnaire de l'État étranger.                 

Le demandeur n'a pas rempli deux conditions prévues au paragraphe 30(3) de la Loi en ce qui concerne le rapport qu'il cherche à présenter. Premièrement, la pièce n'est pas accompagnée d'un document indiquant les raisons pour lesquelles il n'est pas possible ou raisonnablement commode de produire l'original. Deuxièmement, elle n'est pas non plus accompagnée d'un document, préparé par la personne qui a établi la copie, indiquant d'où celle-ci provient et attestant son authenticité. Bien que le défendeur n'ait soulevé aucune objection quant à la première condition, il l'a fait par rapport à la seconde. Il s'agit de deux conditions préalables à l'admission d'éléments de preuve en vertu du paragraphe 30(3). Comme l'a indiqué le juge Wood dans la décision R v. Andrew1 :

                 [TRADUCTION] [...] les conditions prévues au paragraphe 30(3) doivent être strictement respectées pour que la preuve présentée soit admise en vertu de ce texte législatif qui, après tout, déroge à la common law, qui autrement exigerait une preuve stricte, ce qui causerait beaucoup d'inconvénients à toutes les personnes concernées1.                 

Le demandeur, n'ayant rempli aucune de ces conditions légales indépendantes, doit à présent invoquer l'une des exceptions à la règle du ouï-dire reconnues en common law. Or, aucune de ces exceptions ne me permet d'admettre ce document, à moins que je ne sois convaincu qu'il est fiable à première vue.

[4]      L'exception relative aux documents anciens, exposée dans la décision Delgamuuk v. British Columbia1, ne s'applique pas au document du NKVD. Cette règle, qui rend admissible les documents privés de 30 ans et plus provenant des personnes autorisées à en avoir la garde, ne s'applique que si le document est dénué de soupçon. En l'espèce, le fait que le Pr Golczewski ait admis que le NKVD aurait cherché à utiliser ce document pour poursuivre des Allemands et des collaborateurs locaux de même que pour promouvoir la guerre éveille les soupçons. De même, le fait qu'il ait admis que le NKVD était reconnu pour utiliser des méthodes d'enquête incorrectes pour obtenir des renseignements [TRADUCTION] " dans certains cas " éveille aussi les soupçons.

[5]      L'exception relative aux documents publics, qui est soulevée quand un fonctionnaire produit un document public dans le cadre d'une fonction qui l'oblige à produire fidèlement le document1, est également inapplicable. Encore une fois, compte tenu du témoignage du Pr Golczewski, l'honnêteté propre au devoir public de produire une pièce n'existe pas en l'espèce.

[6]      Enfin, contrairement à l'affaire R v. Zundel1 dans laquelle il a été jugé que l'exception " historique " s'appliquait, nous n'avons pas affaire, en l'espèce, à un événement qui a fait l'objet d'un examen minutieux ou que des traités historiques attestent. En fait, le document du NKVD est le seul qui prétend rapporter le nombre de victimes du nazisme à Selidovka (Ukraine), la région qui nous intéresse. En outre, le Pr Golczewski a reconnu que, du point de vue d'un historien, le document n'est, tout au plus, qu'un [TRADUCTION] " document secondaire "1.

[7]      Par ces motifs, le document du NKVD est jugé inadmissible.

     Marc Noël

     juge

OTTAWA (Ontario)

Le 19 octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


Date : 19981019


Dossier : T-938-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 OCTOBRE 1998.

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE MARC NOËL

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


demandeur,


et


JOHANN DUECK,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     Le rapport Stalino du NKVD, daté du 15 octobre 1943 et mentionné au paragraphe 78 de l'affidavit du Pr Golczewski, est jugé inadmissible.


Marc Noël

juge

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-938-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. JOHANN DUECK

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 19 OCTOBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NOËL

EN DATE DU :                  19 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :

                         PAUL VICKERY

                         TERRY BEITNER

                         ROB McKINNON

                                     POUR LE DEMANDEUR

                         DONALD BAYNE

                                     POUR LE DÉFENDEUR

                         PETER DOODY

                         LARRY ELLIOT

                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                         MORRIS ROSENBERG

                         SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                         OTTAWA (ONTARIO)     

                                     POUR LE DEMANDEUR

                         BAYNE, SELLAR, BOXALL

                         OTTAWA (ONTARIO)

                                     POUR LE DÉFENDEUR

                         SCOTT & AYLEN

                         OTTAWA (ONTARIO)

                                     POUR LE DÉFENDEUR

__________________

     1      [1986] B.J.C. No. 2447 (C.S.) (Q.L.).

     2      Voir également R c. Cloutier, [1979] 2 R.C.S. 709, R v. Mudie (1974), 20 C.C.C. (2d) 262 (C.A. Ont.) et R v. Parker (1984), 7 O.A.C. 150 (C.A.).

3      (1989), 38 B.C.L.R. (2d) 165 (C.S.).

     4      Firestone v. The Queen (1953), 107 C.C.C. 94 (C.S.C.).

     5      (1987), 35 D.L.R. (4th) 338 (C.A. Ont.) [Zundel].

     6      Affidavit du Pr Golczewski, paragraphe 78.

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