Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

                                                                                                                                          T-2788-94

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 8 MAI 1997

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

 

 

E n t r e :

 

 

                                         SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,

 

                                                                                                                                       requérante,

 

 

                                                                            et

 

 

                    COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                  et ASSOCIATION CANADIENNE DES MAÎTRES

                                                     DE POSTE ET ADJOINTS,

 

                                                                                                                                            intimées.

 

 

 

                                                               ORDONNANCE

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

                                                                                                                          Marshall Rothstein          

J U G E

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                         

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                                          T-2788-94

 

 

E n t r e :

 

 

                                         SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,

 

                                                                                                                                       requérante,

 

 

                                                                            et

 

 

                    COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                  et ASSOCIATION CANADIENNE DES MAÎTRES

                                                     DE POSTE ET ADJOINTS,

 

                                                                                                                                            intimées.

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE ROTHSTEIN

 

            La requérante, la Société canadienne des postes (SCP), sollicite une ordonnance annulant une décision qui a été rendue le 25 octobre 1994 en vertu de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. Par cette décision, la Commission canadienne des droits de la personne a décidé de statuer sur une plainte déposée en 1992 qui avait été modifiée en 1993 (la plainte de 1992-1993) et qui avait été portée par l'Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ACMPA) en matière de parité salariale. La requérante demande à la Cour d'ordonner à la Commission de déclarer la plainte irrecevable en vertu des alinéas 41a) et d) de la Loi. L'article 41 dispose :

 

 

  41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

 

[Mots non soulignés dans l'original.]

 

La requérante soutient que la Commission aurait dû déclarer la plainte de 1992-1993 irrecevable parce que l'ACMPA aurait dû épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts et parce que la plainte de 1992-1993 était entachée de mauvaise foi.

 

            Je résume maintenant la thèse de la SCP. L'ACMPA a d'abord porté plainte devant la Commission en 1982 au sujet de la parité salariale (la plainte de 1982). La SCP affirme qu'aux termes d'une entente intervenue le 25 août 1985, (l'entente de 1985), l'ACMPA et la SCP ont convenu que la question de la parité salariale devait être résolue par entente et, au besoin, par arbitrage. En 1991, la Commission a rejeté la plainte de 1982. Les aspects de l'entente de 1985 relatifs à la parité salariale ont été inclus dans les conventions collectives subséquentes que la SCP et l'ACMPA ont signées et ils s'appliquaient lorsque la plainte de 1982-1983 a été déposée[1]. En conséquence, la SCP affirme que l'ACMPA aurait dû épuiser la procédure d'arbitrage qui lui était ouverte en vertu de l'entente de 1985 avant de déposer sa plainte de 1992-1993 auprès de la Commission. Quant à la mauvaise foi, la SCP affirme que l'ACMPA a accepté, dans l'entente de 1985, de retirer sa plainte initiale de 1982, qu'elle a reçu une contrepartie à cet égard et qu'elle a convenu de recourir à un autre mécanisme pour régler la question de la parité salariale. La SCP maintient que le fait de ne pas respecter cette entente et de déposer la même plainte une seconde fois constitue de la mauvaise foi. La SCP affirme également que l'ACMPA a conclu l'entente de 1985 tout en sachant que la Commission ne rejetterait pas la plainte de 1982, qui serait entachée de mauvaise foi.

 

            La décision que la Commission rend en vertu de l'article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l'ouverture d'une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l'enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S'il n'est pas évident à ses yeux que la plainte relève d'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

 

            Pour ce qui est du rôle que joue la Cour en vertu de l'article 41, il convient de noter que le pouvoir de la Commission de rendre des décisions en vertu de cet article est énoncé dans les termes suivants :

 

 

  41. [...] la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime [...]

 

[Mots non soulignés dans l'original.]

 

 

Dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Williams, no du greffe A-855-96, 11 avril 1997, le juge Strayer déclare, à la page 11, au sujet du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration :

 

 

            Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger « selon le ministre » et non « selon le juge ». Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est « établi » ou « décidé » que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public, mais celui de savoir si, « selon le ministre », il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis [renvoi omis], ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence.

 

Je crois que la même façon de voir est justifiée dans le cas de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision incombe à la Commission et elle est énoncée en des termes subjectifs, et non en des termes objectifs. La portée du contrôle judiciaire d'une telle décision est donc étroite. Seules des considérations comme la mauvaise foi de la Commission, l'erreur de droit ou le fait de se fonder sur des facteurs non pertinents s'appliquent.

 

            Lorsqu'une question de compétence est en cause, le raisonnement de la Cour a été exprimé par le juge en chef Thurlow dans le jugement Procureur général du Canada c. Cumming, [1980] 2 C.F. 122, aux pages 132 et 133 :

 

 

Il est préférable pour la Cour de laisser le tribunal tenir ses enquêtes librement et de ne pas le lui interdire, sauf dans les cas où il est clair et indubitable que le tribunal n'est pas compétent pour statuer sur la question qui lui est soumise.

 

Je crois qu'il s'ensuit que, si la Cour doit faire preuve d'une grande retenue judiciaire lorsque des questions de compétence sont en cause, au moins le même degré de retenue, sinon un degré plus élevé, s'appliquerait à d'autres types de décisions visées par l'article 41, par exemple les décisions discrétionnaires, factuelles ou même les décisions de fait et de droit.

 

            La question de savoir si la Commission aurait dû déclarer la plainte irrecevable au motif que la requérante aurait dû épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui étaient normalement ouverts appelle la Commission à prendre deux décisions. Ainsi, dans le jugement Latif c. Commission canadienne des droits de la personne et R.G.L. Fairweather, [1980] 1 C.F. 687, le juge Le Dain déclare, à la page 698 :

 

 

La question de savoir s'il existe des recours internes ou des procédures d'appel ou de règlement des griefs « raisonnablement ouverts » est une question de droit ou une question de droit et de fait. Toutefois, qu'il soit « préférable » qu'un plaignant épuise ces voies de recours, voilà une question qui relève du pouvoir souverain d'appréciation.

 

En l'espèce, il est constant qu'un recours interne était normalement ouvert à la requérante lorsqu'elle a déposé sa plainte de 1992-1993. La question de savoir si ce recours aurait dû être épuisé est une décision discrétionnaire. La question de la mauvaise foi de l'ACMPA est une question de droit et de fait (voir le jugement Latif, précité, à la page 698). Dans d'autres circonstances, une telle décision donne peut-être davantage ouverture à un contrôle judiciaire qu'une décision discrétionnaire. Toutefois, pour les motifs exposés, le contrôle judiciaire des deux décisions de la Commission est limité en l'espèce par la portée étroite du contrôle qui est imposée par le libellé de l'article 41 et par les conceptions exposées dans les décisions Williams et Cumming.

 

            Dans sa décision du 25 octobre 1994 dans laquelle elle a décidé de statuer sur la plainte de 1992-1993 de l'ACMPA, la Commission a notamment déclaré :

 

[TRADUCTION]

 

            La Commission a, en vertu des alinéas 41(1)a) et d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, décidé de statuer sur la plainte parce qu'elle est convaincue qu'aucune autre procédure d'appel n'est présentement ouverte à la plaignante ou n'est plus appropriée que la procédure de règlement de la plainte pour résoudre la plainte et qu'aucune mauvaise foi n'a été démontrée.

 

Il ressort du dossier et de la décision de la Commission que celle-ci disposait du rapport de son personnel (ainsi que des observations des parties) lorsqu'elle a rendu sa décision et j'en conclus que la décision de la Commission est fondée sur le rapport du personnel et sur les motifs qu'il contient. La Commission avait le droit d'agir de la sorte. Voir l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, dans lequel le juge Sopinka a fait remarquer que la Commission avait le droit, aux termes de la loi, de fonder sa conclusion sur le rapport d'un enquêteur. Le juge a déclaré, à la page 902 :

 

 

[...] on a fait valoir que la seule omission de motiver une décision justifierait son examen. À supposer que ce soit le cas sans toutefois trancher ce point, j'estime qu'un tel examen n'est pas justifié en l'espèce, en l'absence de disposition législative exigeant une décision motivée [renvoi omis]. La Commission a informé l'appelant de sa décision établissant la non-équivalence des postes comparés. Cette conclusion reposait sur le rapport très poussé de l'enquêteur, rapport que la Commission avait adopté comme la Loi l'y autorisait.

 

Même s'il est vrai que l'affaire Syndicat des employés portait sur ce qui est maintenant l'article 44 de la Loi et sur les dispositions législatives qu'on y trouve, il semble que la Commission ait suivi la même procédure en l'espèce en vertu de l'article 41[2].

 

            Pour ce qui est des autres recours qui étaient ouverts, la Commission affirme, dans sa décision, qu'aucune autre procédure de révision présentement ouverte à la plaignante n'est plus appropriée que la procédure de règlement de la plainte pour résoudre la plainte. Voici ce qu'on trouve à la page 7 du rapport du personnel :

 

[TRADUCTION]

 

Compte tenu de la nature et de l'importance des questions en cause, l'intimée n'a pas réussi à démontrer qu'une procédure applicable aux relations de travail comme l'arbitrage conviendrait mieux que la procédure de règlement des plaintes pour examiner ces questions .

 

                                                                            [...]

 

Malgré cela, la thèse de l'intimée n'indique pas comment les allégations contenues dans la plainte pourraient être examinées et, au besoin, donner lieu à une réparation par le truchement de cette procédure d'appel d'une façon qui serait préférable à la procédure de règlement des plaintes de la CCDP.

 

Contrairement à ce qu'affirme la SCP, la Commission a de toute évidence examiné le recours interne que constitue l'arbitrage et a tenu compte de facteurs pertinents. La SCP affirme que la Commission n'aurait pas dû se prononcer sur l'opportunité du recours à l'arbitrage. Toutefois, pour décider si un plaignant doit d'abord épuiser les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont par ailleurs normalement ouverts, il faut de toute évidence examiner l'opportunité du recours interne. Il s'agit là d'un facteur pertinent dont la Commission doit tenir compte pour rendre la décision discrétionnaire qu'elle est appelée à rendre. Il est vrai qu'on pourrait se demander pourquoi une procédure régissant les relations de travail ne convient pas tout autant sinon mieux qu'une procédure relative aux droits de la personne pour résoudre une question de parité salariale (d'autant plus qu'en 1991, la Commission a rejeté la plainte portée en 1982 au sujet de la parité salariale alors que la question n'était pas encore résolue), mais c'est à la Commission qu'il appartenait d'en décider. On ne saurait prétendre que l'évaluation de l'opportunité d'une procédure ou d'une autre n'est pas pertinente.

 

            La Commission s'est également dite préoccupée par la question des délais. La procédure d'arbitrage n'a été invoquée ni par la SCP ni par l'ACMPA et, lorsque la Commission a décidé, le 25 octobre 1994, de statuer sur la plainte de 1992-1993, plus de neuf années s'étaient écoulées depuis que les parties avaient accepté de résoudre la question de la parité salariale conformément à l'entente de 1985 et à l'arbitrage. Là encore, bien que j'eusse pu résoudre la question différemment, la question des délais était un facteur pertinent dont la Commission pouvait tenir compte pour décider que la plaignante n'avait pas à épuiser d'abord le recours à l'arbitrage. Rien ne permet donc de penser que la Commission a tenu compte de facteurs non pertinents, qu'elle n'a pas tenu compte de facteurs pertinents ou qu'elle a fait preuve de mauvaise foi et, par conséquent, la Cour n'est pas justifiée d'intervenir dans l'exercice que la Commission a fait de son pouvoir discrétionnaire.

 

            Quant à la mauvaise foi de l'ACMPA, la SCP affirme que l'ACMPA a accepté de recourir à l'arbitrage, qu'elle a obtenu une contrepartie pour le retrait de sa plainte de 1982, a déposé la même plainte en 1992-1993 et, suivant la SCP, a induit la SCP en erreur en concluant l'entente de 1985 alors qu'elle savait que la Commission poursuivrait son enquête. En ce qui concerne la mauvaise foi, voici ce qu'on lit, à la page 6 des motifs du rapport du personnel :

 

[TRADUCTION]

 

Le règlement dont l'intimé (la SCP) parle est intervenu et a été renouvelé dans un contexte de relations du travail, n'a jamais été entériné par la Commission et n'a jamais, après neuf années de négociations, été mis intégralement en application. En fait, il s'est avéré une tentative infructueuse de résoudre une question de droits de la personne dans un cadre de relations du travail. Le fait que la plaignante cherche maintenant à se prévaloir de la procédure de règlement des plaintes comme moyen de résoudre ce qu'elle estime être une situation discriminatoire actuelle n'est pas un indice de mauvaise foi.

 

Sur cette question, il y a lieu de se demander si la Commission a omis de tenir compte de facteurs pertinents parce que, suivant les éléments dont je dispose, la conduite de l'ACMPA était pour le moins douteuse.

 

(1)L'entente de 1985 indique que :

a)L'ACMPA [TRADUCTION] « reconnaît et convient que certaines des dispositions de la convention collective proposée [...] abordent et règlent complètement la plainte relative à la parité salariale à l'entière satisfaction de l'Association [...] »;

 

b)L'ACMPA a reconnu qu'elle avait [TRADUCTION] « été représentée en tout temps par des avocats impartiaux »;

 

c)L'ACMPA a déclaré qu'elle avait retiré sa plainte en matière de droits de la personne;

 

d)Une entente est intervenue au sujet d'une procédure qui prévoyait notamment le recours à l'arbitrage relativement à l'élaboration et à la mise en application d'un plan d'évaluation des emplois qui devait satisfaire aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

(2)Il semble qu'en 1991, l'ACMPA a rompu les négociations portant sur la parité salariale qu'elle avait entamées avec la SCP et que, sans que ce geste soit expliqué dans les éléments dont je dispose, elle n'ait pas recouru à l'arbitrage. L'ACMPA affirme que les négociations avaient échoué, mais il s'agit uniquement là d'une assertion. On ne peut prendre au pied de la lettre une assertion que des négociations ont échoué, surtout lorsque c'est celui qui fait cette assertion qui a rompu les négociations et qui n'a pas épuisé tous les recours qui lui étaient ouverts.

 

(3)La plainte de 1992 a été suivie par la plainte modifiée de 1993 qui était libellée en des termes quelques peu différents de celle de 1992. Je soupçonne que cette modification a été apportée uniquement dans le but de riposter à l'argument de la SCP suivant lequel la plainte de 1992 était identique à celle de 1982, qui avait été rejetée par la Commission en 1991. On ne m'a pas expliqué de façon satisfaisante quel aspect de la parité salariale soulevé dans la plainte modifiée de 1993 ne se trouvait pas déjà dans la plainte de 1992 ou même dans la plainte de 1982.

 

            Pour répondre à ces considérations, l'ACMPA établit notamment une distinction entre la contrepartie qu'elle a reçue aux termes de l'entente de 1985 relativement aux points antérieurement soulevés au sujet de la parité salariale (taux de rémunération proposés, clause d'indemnité de vie chère et clauses relatives à la sécurité d'emploi) et le règlement futur de la question. Elle souligne que l'écart salarial entre les hommes et les femmes existe toujours et qu'on ne devrait pas considérer que l'ACMPA agit de mauvaise foi en essayant de faire régler le problème par la Commission. Certes, l'entente de 1985 prévoit qu'il restait encore à mettre en application un plan d'évaluation des emplois et que, comme la question de l'écart salarial devait être abordée, l'ACMPA a raison de dire que la contrepartie qu'elle a reçue en 1985 n'a pas fait disparaître l'écart salarial. L'avocat de l'ACMPA affirme toutefois que l'entente doit être prise dans son ensemble. Si on la prend dans son ensemble, on constate qu'outre les divers avantages que les employés ont obtenus grâce à l'entente de 1985, les parties se sont entendues sur un plan d'évaluation des emplois qui devait satisfaire aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que, dans la cas où elles ne réussiraient pas à s'entendre sur le plan, la question devait être soumise à l'arbitrage. Rien ne permet de croire que l'ACMPA s'est réservée le droit de poursuivre sa plainte de 1982 devant la Commission ou le droit de déposer de nouvelles plaintes. Le fait que l'ACMPA s'est déclarée entièrement satisfaite dans l'entente de 1985 et qu'elle ait essayé de retirer sa plainte de 1982 donne plutôt à penser le contraire. Eu égard à ces considérations, la conclusion à laquelle j'en arrive en ce qui concerne la mauvaise foi de l'ACMPA aurait pu être différente de celle de la Commission. Néanmoins, il s'agit d'un élément d'information qui avait été porté à la connaissance de la Commission et dont celle-ci a tenu compte.

 

            Ainsi que je l'ai déjà précisé, l'ACMPA affirme également que la plainte de 1992-1993 est quelque peu différente de celle de 1982 et qu'elle s'applique par conséquent à des points qui ne sont pas visés par la plainte de 1982 et par l'entente de 1985. On ne m'a pas démontré la véracité de cette affirmation. La question est et a toujours été une question de parité salariale. Suivant mon interprétation, l'entente de 1985 aborde la question en des termes très généraux et tout plan d'évaluation des emplois devait effectivement être soumis à la Commission pour que celle-ci certifie qu'il satisfaisait aux exigences de la Loi. Les arguments de l'ACMPA et de la Commission ne me convainquent pas. Le rapport du personnel de la Commission en vient toutefois à une conclusion différente :


[TRADUCTION]

 

34.Le recours prévu à l'article 5 du protocole supplémentaire de règlement serait axé sur les différends portant sur l'élaboration et la mise en application du plan d'évaluation des emplois. Les enquêtes sur l'équité salariale visent des questions plus larges, comme la comparaison de l'équivalence des fonctions et des salaires pour l'application de l'article 11 de la LCDP, de même que les questions visées à l'article 10.

 

35.La mise en cause n'a pas démontré que l'arbitrage ne permettrait pas de protéger les membres de l'ACMPA des présumés actes discriminatoires articulés dans la plainte ou que les recours ouverts en vertu de cette procédure d'appel leur permettraient, au besoin, d'être indemnisés ou d'obtenir une réparation plus large ou des mesures préventives.

 

Ainsi que je l'ai déjà dit, compte tenu des arguments qui ont été invoqués devant moi, je ne souscris pas à cette conclusion. Néanmoins, on a de toute évidence tenu compte de l'entente. Je ne puis affirmer que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve en concluant que l'ACMPA n'agissait pas de mauvaise foi.

 

            Je passe maintenant à l'argument de l'avocat de la SCP suivant lequel un élément très important de mauvaise foi de l'ACMPA est le fait que celle-ci savait qu'elle ne pouvait retirer unilatéralement sa plainte de 1982 en 1985, mais qu'elle a quand même proposé son retrait et a conclu l'entente de 1985 parce qu'elle savait que la Commission poursuivrait son enquête. L'article 48 de la Loi prévoit toutefois que tout règlement intervenu après le dépôt d'une plainte doit être soumis pour approbation ou rejet à la Commission[3]. Les deux parties doivent être présumées avoir su que c'était ce que prévoyait la loi. L'ACMPA a bel et bien essayé de retirer sa plainte, mais la Commission a refusé sa demande. À moins qu'il y ait eu collusion entre la Commission et l'ACMPA — ce que la preuve ne permet absolument pas de croire — je ne vois pas comment l'ACMPA aurait pu savoir que la Commission reprendrait son enquête. Cette décision relevait exclusivement de la Commission. D'ailleurs, il ressort du dossier que, bien qu'elle ait d'abord refusé d'approuver le règlement de 1985, la Commission a effectivement rejeté la plainte en 1991. Je ne puis conclure à la mauvaise foi de l'ACMPA pour cette raison.

 

            Finalement, je tiens à faire remarquer qu'il est de jurisprudence constante que les parties ne peuvent conclure des conventions qui dérogent à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ainsi, dans l'arrêt Ontario Human Rights Commission v. London Monenco Consultants Ltd., (1992), 18 C.H.R.R. 118, le juge Robin a fait remarquer, à la page 122, au sujet du Code des droits de la personne de l'Ontario, S.O. 1981, ch. 53 :

 

[TRADUCTION]

 

            Suivant ce raisonnement, la Commission a essentiellement souscrit à l'idée que les simples particuliers peuvent déroger par contrat aux dispositions du Code, et elle a procédé sur ce fondement. À mon humble avis, la Commission a mal abordé la question. Il est de jurisprudence constante qu'il n'est pas loisible aux simples particuliers de conclure des conventions qui dérogent à cette loi d'ordre public. Les faits que la Commission a fait ressortir à cet égard n'avaient aucun rapport avec la question. Le contrat de gré à gré par lequel les parties contractantes souscrivent à une politique ou à un acte discriminatoire ne saurait être invoqué pour juger qu'une politique ou un acte discriminatoire ne viole pas le Code. Ainsi que le juge McIntyre l'a déclaré dans l'arrêt Etobicoke, précité, aux pages 213 et 214 :

 

Même s'il n'apporte aucune restriction formelle à une renonciation de ce genre, le Code est néanmoins une loi publique qui énonce une politique générale de l'Ontario, comme on le constate en lisant le texte législatif lui-même et son préambule. Il ressort clairement de la doctrine, tant canadienne qu'anglaise, que les parties n'ont pas la faculté de renoncer par contrat aux dispositions de telles lois et que les contrats à cet effet sont nuls parce que contraire à l'ordre public.

 

Je ne puis écarter l'hypothèse suivant laquelle, après qu'une entente est intervenue entre les parties, le fait de se présenter à nouveau devant la Commission avec une nouvelle plainte pourrait, dans certains cas, constituer de la mauvaise foi et amener la Commission à déclarer la plainte irrecevable. D'ailleurs, l'entente de 1985 prévoyait que le plan d'évaluation des emplois devait être soumis à la Commission pour s'assurer qu'il satisfaisait aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, à cet égard, une nouvelle plainte pourrait être considérée superflue, voire même entachée de mauvaise foi. Toutefois, compte tenu de l'interdiction qui est faite de déroger par contrat aux dispositions de la Loi, la Commission devrait faire preuve de la plus grande prudence avant de rejeter une plainte pour ce motif à une étape préliminaire.

 

            J'ai examiné en détail la question de la mauvaise foi parce qu'il semblerait, du moins d'après les éléments dont je dispose, que ce moyen n'est pas dénué de tout fondement et qu'un autre décideur aurait pu en arriver à une conclusion différente de celle à laquelle la Commission en est venue en l'espèce. Il n'a cependant pas été démontré que la Commission a tenu compte de facteurs non pertinents, qu'elle n'a pas tenu compte de facteurs pertinents ou qu'elle a elle-même agi de mauvaise foi.

 

            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

            Il y a toutefois lieu de formuler quelques autres observations au sujet de la façon dont la Commission a examiné la présente affaire et du délai qui s'est écoulé depuis que la question a été soulevée pour la première fois. Je rappelle certains éléments chronologiques par souci de commodité. La plainte relative à la parité salariale a initialement été déposée devant la Commission en 1992. En 1985, les parties ont convenu qu'elle devait être réglée au moyen d'une entente ou par voie d'arbitrage conformément aux exigences de la Loi. La Commission n'a pas accepté ce règlement mais, en 1991, la Commission a conclu qu'elle devait rejeter la plainte, ce qu'elle a fait. Néanmoins, la question de la parité salariale n'était vraisemblablement pas encore réglée entre les parties.

 

            La seconde plainte de l'ACMPA a été déposée en 1992 et a été modifiée en février 1993. Le personnel de la Commission a dû attendre en mai 1994 avant de recevoir les observations des parties et de recommander à la Commission de statuer sur la plainte. La Commission n'a décidé de façon valable et définitive de statuer sur la plainte que le 25 octobre 1994.

 

            La demande de contrôle judiciaire a été déposée devant notre Cour en novembre 1994. Les parties n'ont demandé la tenue d'une audience qu'à la fin d'août 1996. Comme les parties n'avaient pas demandé la tenue d'une audience accélérée, l'affaire a été inscrite au rôle le 17 mars 1997.

 

            Il ressort de ce différend de longue date que la question de la parité salariale n'a pas encore été résolue et que rien ne laisse présager qu'elle le sera prochainement. Pour une raison ou pour une autre, les parties n'ont pas fait avancer l'affaire plus rapidement. Il serait présomptueux de ma part d'imputer des mobiles ou une faute à l'une ou l'autre d'entre elles sans disposer de plus d'éléments d'information. La Commission s'est cependant permise de contribuer au retard extraordinaire du traitement de cette affaire qui est née il y a une quinzaine d'années et au sujet de laquelle les parties ont convenu, il y a douze ans, qu'un règlement était nécessaire et devait intervenir.

 

            L'avocat de la Commission affirme que celle-ci manquait de ressources. Cependant, les rapports que le personnel de la Commission a rédigés en l'espèce au sujet de la procédure prévue à l'article 41 sont longs et détaillés et reposent sur les observations faites par les parties. Bien que je ne conclue pas que les auteurs des rapports ont analysé les observations très efficacement, il semble qu'ils aient consacré beaucoup de temps et d'efforts à leur préparation. Je ne crois pas que le manque de ressources de la Commission constitue une explication satisfaisante des délais.

 

            La Commission s'est vue conférer des pouvoirs très larges en ce qui concerne les questions relatives aux droits de la personne. Outre le fait qu'elle peut statuer sur les plaintes qui lui sont soumises, elle peut, en vertu du paragraphe 40(3), prendre elle-même l'initiative d'une plainte. Son pouvoir discrétionnaire est étendu et il n'est pas facile d'interjeter appel de ses décisions. La Loi ne la soumet pas, en règle générale, à des délais stricts. Lorsqu'il est investi de pouvoirs aussi étendus, un tribunal administratif a le devoir concomitant d'exercer ces pouvoirs de façon responsable. L'exercice responsable de tels pouvoirs implique leur exercice en temps opportun.

 

            En toute déférence, je crois que la présente affaire, ainsi que celles sur lesquelles j'ai attiré l'attention des avocats à l'audition de la présente affaire (par exemple l'affaire Dunmall v. Canada (Armed Forces), (1991), 15 CHRR D425, dans laquelle huit années s'étaient écoulées entre la date de la plainte et le moment de son audition par le tribunal) illustrent le fait que la Commission semble avoir perdu de vue l'importance du respect des délais lorsqu'il s'agit de résoudre les plaintes dont elle est saisie. En l'espèce, après avoir déclaré qu'elle n'était pas satisfaite de l'entente de 1985, la Commission a décidé de ne pas rejeter la plainte de 1982. Elle a gardé la plainte active mais n'a pris aucune mesure concrète pour amener les parties à la régler. En 1991, même si la question de la parité salariale n'était pas réglée, elle a décidé de rejeter la plainte. La plainte de 1992-1993 s'est embourbée à la suite de la présentation d'une requête visant à en obtenir le rejet de la plainte à une étape préliminaire. Il a fallu près de deux ans à la Commission pour simplement décider de statuer sur la plainte. Aucune enquête n'a été ouverte. Si, au terme de l'enquête, la plainte est renvoyée à un tribunal pour règlement, il n'est pas difficile d'envisager que deux ou trois autres années seront consacrées à l'enquête et à l'audition du tribunal. Il y a lieu de se demander pourquoi la Commission n'a pas efficacement surveillé les progrès accomplis par les parties relativement à leur entente de 1985 par une gestion efficace du dossier et pourquoi elle ne s'est pas elle-même occupé de la chose lorsqu'elle a conclu que les progrès réalisés étaient insatisfaisants. La Commission n'a pas fait avancer la plainte de 1992-1993 dans des délais acceptables.

 

            La Commission doit gérer les plaintes dont elle est saisie avec efficacité et compétence. Pour ce faire, elle doit notamment traiter et juger les plaintes dans des délais acceptables. Or, elle ne l'a pas fait en l'espèce. La Commission doit maintenant statuer sur la plainte de 1992-1993 assez rapidement pour qu'elle soit résolue avant la fin du millénaire.

 

 

 

                                                                                                                          Marshall Rothstein          

J U G E

 

 

OTTAWA (ONTARIO)

 

LE 8 MAI 1997

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                         

François Blais, LL.L.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

No DU GREFFE :T-2788-94

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et Association canadienne des maîtres de postes et assistants

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :18 mars 1997

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Rothstein le 8 mai 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me Christopher Riggspour la requérante

Me Andrea Raso

 

 

Me Sean McGeepour l'intimé

 

 

Me Rosemary Morganpour l'intervenante

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hicks Morley Hamiltonpour la requérante

Stewart Storie

Toronto

 

 

Nelligan Powerpour l'intimée

Ottawa

 

 

Commission canadienne des droits de la personnepour l'intervenante

Ottawa



    [1]       La Cour a été informé de façon informelle que l'entente de 1985 sur la parité salariale n'avait pas été incorporée dans la convention collective de 1994, mais aucun autre renseignement n'a été communiqué sur la question de savoir si on l'a remplacée. Il s'agit d'un fait qui est survenu après ceux qui sont pertinents au présent contrôle judiciaire et la Cour n'en tient pas compte dans sa décision.

    [2]Aux termes du paragraphe 42(1), la Commission n'est tenue de motiver sa décision que lorsqu'elle décide que la plainte est irrecevable. Le paragraphe 42(1) est ainsi libellé :

 

  42.(1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

 

Toutefois, compte tenu de la procédure complexe et longue qui a été suivie en l'espèce et de la décision rendue le 25 octobre 1994 par la Commission, décision qui va dans le même sens que le rapport du personnel, je suis convaincu que le rapport du personnel a motivé la Commission à décider que la plainte était irrecevable.

    [3]L'article 48 de la Loi dispose :

 

   48. (1) Les parties qui conviennent d'un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l'audience d'un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l'approbation de la Commission.

 

            (2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.