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Date : 19991222


Dossier : T-953-98



ENTRE :

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     demandeur


ET


     BARRY GREEN

     défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU



[1]          Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) qui a été rendue par Phil Chodos, vice-président, le 6 avril 1998. Le demandeur sollicite l"annulation de la décision au motif que l"arbitre n"a pas observé les principes de la justice naturelle et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu"il a tirées sans tenir compte de la documentation dont il était saisi.


[2]      Le défendeur Barry Green a été contrôleur aérien pour la tour de contrôle de Sudbury pendant environ 20 ans. Il a été congédié le 29 mai 1995 pour des motifs disciplinaires, à savoir qu"il a laissé une tour de contrôle sans surveillance pendant environ trente-cinq minutes au milieu de la journée. M. Green a déposé un grief contre son congédiement, lequel a été déféré à l"arbitrage en vertu de l"article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique .

[3]      Par décision datée du 14 juin 1996, le premier arbitre qui a entendu l"affaire, Rosemary Vondette Simpson, a rejeté le grief, concluant que le lien d"emploi était irrémédiablement rompu et que les facteurs atténuants étaient insuffisants pour justifier la modification de la sanction de congédiement.

[4]      Le défendeur a alors demandé le contrôle judiciaire de cette décision auprès de la Cour. Par ordonnance datée du 8 juillet 1997, le juge Cullen a accueilli la demande pour les motifs suivants :

     La nécessité d"une sanction disciplinaire n"est pas contestée en l"espèce. Ce qui est contesté, c"est la sévérité de la sanction appliquée. À mon avis, l"arbitre a commis une erreur dans son appréciation des circonstances atténuantes en ce qu"elle n"a pas pris en compte des éléments de preuve pertinents dont elle disposait. Les facteurs qu"elle ignorait sont si importants que je conclus que sa décision est fondée sur une erreur de droit et est manifestement déraisonnable.


[5]      Le juge Cullen a ordonné que l"affaire soit renvoyée à un arbitre différent pour que celui-ci détermine la sanction appropriée en tenant compte des principes de discipline corrective et progressive et des motifs de la Cour.

[6]      L"ordonnance du juge Cullen a fait l"objet d"un appel auprès de la Cour d"appel fédérale le 7 août 1997. À l"heure actuelle, aucune date n"a été fixée pour l"audition de cet appel. En même temps qu"il déposait l"avis d"appel, l"avocat de l"employeur a demandé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique de s"abstenir de fixer une autre audience relativement à l"affaire jusqu"à ce que l"appel soit tranché. Cette demande a été rejetée et une audience devant un autre arbitre, soit le vice-président Phil Chodos, a été fixée pour le 25 février 1998.

[7]      À la conférence préparatoire du 24 février 1998, l"avocat de l"employeur a fait part du désir de son client de citer des témoins à comparaître pour qu"ils témoignent sur des éléments qui ont été abordés devant l"arbitre Simpson, mais qu"elle n"avait pas mentionnés ou qu"elle avait mentionnés de façon incomplète dans sa décision. En outre, il a indiqué qu"il désirait présenter des éléments de preuve relativement à une question expressément renvoyée à l"arbitre Chodos, soit la question de savoir si la sanction de congédiement devait être réduite. L"arbitre Chodos a répondu que si une telle demande était présentée à l"audience, elle ne serait pas accordée.

[8]      Au début de l"audience, l"arbitre Chodos a considéré que le dossier dont il était saisi était constitué de la décision de l"arbitre Simpson, des pièces déposées devant elle et des affidavits déposés par les parties dans le cadre de la demande présentée au juge Cullen. Cette détermination reflétait l"opinion que M. Chodos avait exprimée lors de la conférence préparatoire. Dans sa décision du 6 avril 1998, l"arbitre Chodos a dit :

     . . . J"ai déterminé que le dossier qui serait utilisé aux fins de la présente audience serait constitué de la décision de l"arbitre Simpson, des pièces présentées en preuve et des affidavits de M. Monte Pacey et M. Steven Cooper, respectivement directeur régional en Ontario de l"Association canadienne du contrôle du trafic aérien et agent régional des relations du personnel, région de l"Ontario, Transports Canada; les affidavits ont été déposés relativement à la demande de contrôle judiciaire présentée à la Division de première instance de la Cour fédérale.


[9]      Au cours de l"audience, l"avocat de l"employeur a tenté de déposer la copie d"une décision du membre de la CRTFP Turner, datée du 18 avril 1994, qui avait rejeté un grief antérieur de M. Green, maintenant ainsi la suspension de deux jours qui lui avait été imposée pour avoir falsifié des documents du ministère. Cette décision avait été reçue en preuve par l"arbitre Simpson et était pertinente relativement aux moeurs et à la crédibilité du défendeur ainsi que, par conséquent, à la question de la sanction. L"arbitre Chodos a refusé le dépôt de la décision Turner, disant qu"il était lié par la conclusion du juge Cullen, selon laquelle le défendeur avait eu " 23 années de service irréprochables ".

[10]      Par décision datée du 6 avril 1998, l"arbitre Chodos a accueilli le grief en partie, a ordonné la réintégration du défendeur et a substitué au congédiement une suspension de trois mois ainsi qu"un congé non payé d"une durée de trois mois.

[11]      Le procureur général du Canada, agissant au nom de l"employeur, demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au motif que l"arbitre n"a pas observé les principes de la justice naturelle et a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu"il a tirées sans tenir compte de la documentation dont il était saisi.

[12]      J"accueille la demande pour les motifs suivants.

[13]      En vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, un arbitre de griefs jouit d"un large pouvoir discrétionnaire relativement à la preuve et au déroulement des procédures qui lui sont soumises. Ce pouvoir n"est toutefois pas absolu et est soumis aux règles de la justice naturelle, qui garantissent l"équité procédurale. Dans le cadre de procédures d"arbitrage portant sur l"examen d"un grief déposé contre une mesure disciplinaire prise par un employeur, la justice naturelle exige que les parties aient la possibilité de citer des témoins à comparaître, de les contre-interroger et de déposer des éléments de preuve documentaire pertinents relativement à la conclusion de faute tirée par l"arbitre et à la justesse de la sanction imposée. Le large pouvoir de contrôle sur le déroulement des procédures que la loi confère à l"arbitre ne lui donne pas le droit de ne pas tenir compte d"éléments de preuve pertinents ou d"en restreindre indûment la présentation.

[14]      Dans la présente affaire, une fois que la question de la justesse de la sanction eut été renvoyée par le juge Cullen à M. Chodos, l"arbitre était tenu de fournir à chaque partie l"occasion d"être entendue sur cette question. Le refus de l"arbitre de permettre à l"employeur de citer des témoins à comparaître pour qu"ils rendent un témoignage pertinent sur la question de la sanction et son refus d"examiner la décision de l"arbitre Turner, qui était également pertinente à l"égard de la question de la sanction, constituaient une atteinte au droit de l"employeur d"être entendu.


[15]      En outre, il ressort de sa décision que l"arbitre Chodos s"est appuyé sur le fait que l"employeur n"a pas présenté d"élément de preuve contestant le caractère " irréprochable " du dossier disciplinaire du défendeur pour conclure que la sanction était trop sévère. À la page 12 de sa décision, il a dit :

     Bien que ces circonstances ne puissent excuser ses agissements, elles expliquent pourquoi un contrôleur chevronné comptant 23 années de service irréprochable aurait ainsi agi de façon inhabituelle et manifesté un tel manque de jugement. Même si une grande partie du témoignage du fonctionnaire à ce sujet n"a pas été corroboré, l"employeur n"a fourni aucune preuve indiquant que le fonctionnaire avait un motif ultérieur inavouable d"agir de la sorte. Si M. Green n"était pas stressé ou perturbé émotivement, pourquoi, vu ses nombreuses années de service irréprochable, a-t-il agi comme il l"a fait?


[16]      Il s"agissait manifestement d"une erreur de la part de l"arbitre. Un tribunal ne peut pas refuser de recevoir un élément de preuve pour ensuite faire de son absence le motif de sa décision. En refusant de permettre au demandeur de déposer la décision Turner comme preuve de l"existence d"une faute antérieure du défendeur en vue de contester l"affirmation de ce dernier qu"il avait un dossier irréprochable, M. Chodos a non seulement contrevenu aux règles de la justice naturelle en privant l"employeur de la possibilité d"être entendu, mais il a également refusé de tenir compte d"un élément de preuve existant qui avait une pertinence directe pour la question dont il était saisi.





[17]      Je suis donc convaincu qu"il est indiqué d"annuler la décision de l"arbitre Chodos et de renvoyer l"affaire à la CRTFP pour qu"un arbitre différent procède à un nouvel examen conformément aux présents motifs et aux règles de la justice naturelle.


P. ROULEAU


                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 22 décembre 1999


Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.























COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-953-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Procureur général du Canada c. Barry Green
LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 6 décembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              22 décembre 1999

ONT COMPARU :

M. Henry S. Brown, c.r.

M. Terry McEwan                      POUR LE DEMANDEUR
M. Sean McGee                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)                      POUR LE DEMANDEUR

Nelligan Power

Ottawa (Ontario)                      POUR LE DÉFENDEUR















Date : 19991222


Dossier : T-953-98

OTTAWA (Ontario), le 22 décembre 1999

EN PRÉSENCE DU JUGE ROULEAU


ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


demandeur

ET


BARRY GREEN


défendeur



ORDONNANCE


[1]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée à la Commission

des relations de travail dans la fonction publique pour qu"un arbitre différent procède à un nouvel examen conformément à mes motifs d"ordonnance et aux règles de la justice naturelle.


P. ROULEAU



                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

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