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                                                                                                                                            T-953-95

 

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 13 DÉCEMBRE 1996

 

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                MERCK FROSST CANADA INC.,

 

                                                                                                                                       requérante,

 

                                                                          - et -

 

               LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                               et APOTEX INC.,

 

                                                                                                                                              intimés.

 

 

 

                                                               ORDONNANCE

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.  La requérante est condamnée aux dépens.

 

 

                                                                                                       Danièle Tremblay-Lamer    

                                                                                                                      JUGE

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                         

                                                                                                Raymond Trempe, B.C.L.


                                                                                                                                            T-953-95

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                MERCK FROSST CANADA INC.,

 

                                                                                                                                       requérante,

 

                                                                          - et -

 

               LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                               et APOTEX INC.,

 

                                                                                                                                              intimés.

 

 

 

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

            Il s'agit d'une demande fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (ci-après la «Loi»)[1] et la règle 1602 des Règles de la Cour fédérale (ci-après les «Règles»)[2].  La requérante demande une ordonnance portant annulation des avis de conformité en date du 18 octobre 1996 que le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social intimé (le «ministre») a délivrés à l'intimée Apotex Inc. («Apotex») relativement au médicament lisinopril.

 

            La demande portait initialement sur les brevets canadiens nos 1,275,350 et 1,288,351.  Toutefois, le brevet no 1,288,351 a expiré et la requérante a choisi de mettre fin aux procédures s'y rapportant.

 

I.          Les faits et les procédures devant la présente Cour

            Le 16 octobre 1990, le brevet canadien no 1,275,350 (le «brevet») a été délivré à Merck & Co. Inc., de l'État du New Jersey aux États-Unis, qui est la société mère américaine de la requérante Merck Frosst Canada Inc.  La requérante détient une licence non exclusive à l'égard de ce brevet.  Le brevet renferme des revendications pour le médicament lisinopril ainsi que des revendications pour l'utilisation de ce médicament.  En 1986, Merck & Co. a conclu une entente avec Imperial Chemicals Industries qui allait permettre à cette dernière et à sa filiale canadienne, ICI Pharma Inc. (maintenant Zeneca Pharma Inc., ci-après collectivement appelées «Zeneca»), de fabriquer et de vendre au Canada du lisinopril fabriqué conformément au brevet.

 

            Aux termes de la Loi sur les aliments et drogues[3] et du Règlement sur les aliments et drogues[4], la requérante Merck Frosst Canada Inc. était tenue de déposer une présentation de drogue nouvelle auprès du ministre et d'obtenir un avis de conformité pour vendre son lisinopril au Canada.  Zeneca a aussi dû se conformer à ces exigences avant de pouvoir vendre son lisinopril au Canada.  Avec l'accord de Merck & Co. Inc., Zeneca a demandé au ministre d'examiner sa présentation de drogue nouvelle en même temps que celle de la requérante Merck Frosst Canada Inc. et en fonction des mêmes données.  Le ministre a accédé à cette demande et a en outre consenti à ce que tous les commentaires relatifs à la présentation de Zeneca soient adressés à la requérante.  Le ministre était donc parfaitement au courant du lien entre les présentations de drogue nouvelle de la requérante et de Zeneca relativement au lisinopril.

 

            Le 26 octobre 1990, le ministre a délivré deux avis de conformité pour le lisinopril, l'un à la requérante et l'autre à Zeneca.  La requérante a vendu et continue d'offrir au Canada ses comprimés de lisinopril sous la marque de commerce PRINIVIL®.  Zeneca offre un produit similaire sous la marque de commerce ZESTRIL®.  La requérante et Zeneca ont déposé une liste de brevets ayant trait à leurs produits respectifs dès l'entrée en vigueur du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (ci-après le «Règlement de 1993»)[5].

 

            En avril et en juin 1993, après le dépôt des présentations de drogue nouvelle de la requérante et de Zeneca, Apotex a signifié à Zeneca deux avis d'allégation relatifs à l'utilisation du lisinopril.  Ces avis se rapportaient aux brevets canadiens nos 1,275,350 et 1,288,351 qui sont également en cause dans la présente instance.  Après la signification de ces avis, Zeneca a déposé deux demandes en vue d'obtenir des ordonnances interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement au lisinopril avant l'expiration des deux brevets à l'égard desquels elle détenait une licence accordée par la brevetée (numéros de greffe T‑1454‑93 et T‑1968‑93).  Dans ces deux instances, Apotex a soutenu qu'elle ne contreferait pas les brevets parce qu'elle a obtenu un stock de lisinopril avant la délivrance des brevets et que ses comprimés seraient censément fabriqués à même ce stock.  Bien que la société mère américaine de la requérante ait été désignée comme partie à ces procédures, la requérante elle-même n'y a pas pris part vu qu'elle n'a pas reçu d'avis d'allégation.  La requérante n'a pas exigé, à ce moment-là, qu'on lui signifie un avis d'allégation parce qu'elle estimait que les procédures entamées par Zeneca protégeraient ses intérêts.

 

            Avant l'audition de ces deux demandes, la Cour d'appel fédérale a prononcé un jugement dans un litige entre la requérante, sa société mère américaine, Merck & Co. Inc., et Apotex.  Dans ce jugement, la Cour d'appel a souscrit à l'argument exposé par Apotex dans les demandes.  Cette affaire n'avait rien à voir avec les brevets relatifs au lisinopril.  Malgré tout, la requérante a commencé à craindre que cette décision ne nuise à la situation juridique de Zeneca dans les dossiers portant les numéros T‑1454‑93 et T‑1968‑93.  Face à la perspective d'un rejet des demandes de Zeneca, la requérante a informé le ministre qu'Apotex ne lui avait pas signifié l'avis d'allégation prévu à l'article 5 du Règlement de 1993 et a exigé que le ministre s'abstienne de délivrer un avis de conformité à Apotex tant que cette dernière ne se sera pas conformée à cette exigence.

 

            Le 26 mai 1995, le juge Richard a fait droit aux demandes déposées par Zeneca et a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l'expiration des brevets à l'égard desquels Zeneca détenait une licence.  Des avis d'appel des ordonnances rendues ont été déposés auprès de la Cour d'appel fédérale sous les numéros de greffe A‑340‑95 et A‑341‑95.

 

            Le 12 juillet 1995, la requérante a déposé la présente demande par laquelle elle cherchait initialement à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l'intimée Apotex tant que celle-ci ne se sera pas conformée aux dispositions du paragraphe 5(3) du Règlement de 1993.  Outre les articles 18 et 18.1 de la Loi[6], cette demande était en grande partie fondée sur l'alinéa 7(1)b) du Règlement de 1993 qui prévoit que le ministre ne peut pas délivrer un avis de conformité avant la date à laquelle la seconde personne se conforme aux dispositions de l'article 5.  La requérante prétendait que, puisqu'aucun avis d'allégation ne lui avait été signifié, les dispositions de l'article 5 n'avaient pas été respectées.  La requérante demandait initialement une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l'intimée Apotex.  Toutefois, la Cour d'appel fédérale a accueilli, le 10 octobre 1996, les appels interjetés par Apotex et annulé les ordonnances d'interdiction rendues par le juge Richard dans les procédures d'interdiction entamées par Zeneca.  Le 18 octobre 1996, le ministre a délivré deux avis de conformité à Apotex relativement au lisinopril.  Apotex a l'intention de vendre ses comprimés de lisinopril sous les marques de commerce Apo‑lisinopril (Type P) et Apo-lisinopril (Type Z).  Les produits Apo-lisinopril sont des produits de remplacement bioéquivalents des médicaments PRINIVIL® et ZESTRIL®.

 

            Après que le ministre eut décidé de délivrer les avis de conformité, la requérante a modifié son avis de requête introductive d'instance.  Elle demande maintenant une ordonnance annulant les avis de conformité en date du 18 octobre 1996 délivrés par le ministre à l'intimée Apotex relativement aux produits Apo-lisinopril (Type P et Type Z).

 

II.         Les dispositions législatives pertinentes

            La présente instance concerne l'interprétation de plusieurs dispositions du Règlement de 1993.  Ces dispositions sont ainsi libellées :

2.         Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.

 

«première personne» La personne visée au paragraphe 4(1).

 

4. (1)     La personne qui dépose ou qui, avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue qui contient un médicament ou a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets.

 

5. (1)     Lorsqu'une personne dépose ou, avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu'elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l'égard de chaque brevet énuméré dans la liste :

 

            a)soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

 

            b)soit une allégation portant que, selon le cas :

 

                        (i)la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)b) est fausse,

 

                        (ii)le brevet est expiré,

 

                        (iii)le brevet n'est pas valide,

 

                        (iv)aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

(2)        Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d'une demande d'avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l'égard d'un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l'égard de ce brevet, la déclaration ou l'allégation exigée par le paragraphe (1).

 

(3)        Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

 

            a)fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

 

            b)signifier un avis d'allégation à la première personne et une preuve de cette signification au ministre.

 

7. (1)     Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

 

            a)la date qui suit de 30 jours la date d'entrée en vigueur du présent règlement;

 

            b)la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5;

 

            c)sous réserve du paragraphe (3), la date d'expiration de tout brevet énuméré dans la liste de brevets qui n'est pas visé par une allégation;

 

            d)sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de 45 jours la réception de la preuve de signification de l'avis d'allégation visé à l'alinéa 5(3)b) à l'égard de tout brevet énuméré dans la liste de brevets;

 

            e)sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 30 mois la date à laquelle est faite une demande au tribunal visée au paragraphe 6(1);

 

            f)la date d'expiration de tout brevet faisant l'objet d'une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2)        L'alinéa (1)e) ne s'applique pas si, à l'égard de chaque brevet visé par une demande au tribunal aux termes du paragraphe 6(1) :

 

            a)soit le brevet est expiré,

 

            b)soit le tribunal a déclaré que le brevet n'est pas valide ou qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites.

 

(3)        Les alinéas (1)c), d) et e) ne s'appliquent pas à l'égard d'un brevet si le propriétaire de celui-ci a consenti à ce que la seconde personne utilise, fabrique, construise ou vende la drogue au Canada.

 

(4)        L'alinéa (1)e) cesse de s'appliquer à l'égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle-ci est retirée ou est rejetée par le tribunal de façon définitive.

 

(5)        Le tribunal peut abréger ou proroger le délai visé à l'alinéa (1)e) à l'égard d'une demande lorsqu'il n'a pas encore rendu d'ordonnance aux termes du paragraphe 6(1) à l'égard de cette demande et qu'il constate qu'une partie à la demande n'a pas collaboré de façon raisonnable au traitement expéditif de celle-ci.

 

III.        La question en litige

 

Aux termes du paragraphe 5(3) du Règlement de 1993, Apotex était-elle obligée de signifier un avis d'allégation à la requérante en conséquence de ses présentations de drogue nouvelle concernant la fabrication et la vente du lisinopril?

 

IV.       Les prétentions des parties

            La requérante fait d'abord valoir que lorsque le législateur a rédigé la Loi modifiant la Loi sur les brevets[7], sous le régime de laquelle le Règlement de 1993 a été adopté, il avait l'intention de reconnaître et de protéger les initiatives de recherche et de développement des sociétés pharmaceutiques innovatrices.  Cette loi a été conçue afin de protéger les droits de distribution et de vente de médicaments brevetés de ces sociétés.  Il ne convient pas de donner à ce règlement une interprétation qui ferait échec à l'intention manifeste du législateur.

 

            Par conséquent, le paragraphe 5(1) du Règlement de 1993 devrait être interprété de manière à exiger la signification d'un avis d'allégation à la société pharmaceutique innovatrice.  Comme Merck Frosst est la société pharmaceutique innovatrice en ce qui a trait au lisinopril, un avis d'allégation devait lui être signifié.  Apotex pouvait certainement signifier un avis d'allégation à Merck Frosst comme à Zeneca, mais elle était tenue par la loi de signifier cet avis à Merck Frosst en tant que société innovatrice.

 

            La deuxième prétention de la requérante est que la première personne prévue au paragraphe 5(1) du Règlement de 1993 ne saurait être définie comme le seul fabricant du produit d'origine avec lequel le fabricant de médicaments génériques compare son médicament.  Il est tout à fait conforme à l'objet et à l'esprit du Règlement d'obliger le fabricant de médicaments génériques à signifier un avis d'allégation à chaque personne.  Lorsqu'il existe plus d'une «première personne» au sens du paragraphe 4(1), le fabricant de médicaments génériques est tenu par la loi de signifier un avis d'allégation à chacune d'elles.

 

            La requérante affirme en outre qu'il est dans l'intérêt de la justice qu'Apotex soit tenue de signifier un avis de conformité à Merck Frosst.  Si un fabricant de médicaments génériques - une seconde personne - comme Apotex n'est pas obligé de fournir un avis d'allégation à l'égard d'une liste de brevets soumise par toutes les premières personnes pour un médicament donné, alors les droits juridiques, économiques et patrimoniaux des premières personnes qui n'ont pas reçu signification de l'avis seront directement touchés par l'allégation en question.

 

            En ce qui concerne la période de trois ans qui s'est écoulée depuis le dépôt de la demande devant la présente Cour, la requérante prétend que le Règlement de 1993 n'obligeait pas Apotex à lui signifier un avis d'allégation pour le lisinopril dans un délai précis, mais que la signification devait avoir été faite avant la délivrance de l'avis de conformité à Apotex relativement à ce médicament.  Pour cette raison, la requérante n'a jamais jugé nécessaire d'intenter une poursuite pour protéger ses droits relativement au défaut d'Apotex de lui signifier un avis d'allégation pour le lisinopril.  Lorsque les présentes procédures ont été entamées, la requérante ne savait pas qu'Apotex avait délibérément omis de lui signifier cet avis.

 

            J'en viens maintenant aux prétentions de l'intimée qui peuvent être résumées de la manière suivante.  Pour demander un avis de conformité pour le lisinopril, Apotex a comparé sa propre formule pour le lisinopril à la formule à l'égard de laquelle Zeneca détient un avis de conformité.  Aux termes des paragraphes 5(1) et (3) du Règlement de 1993, Apotex est tenue de signifier un avis de cette allégation à la première personne uniquement, c'est‑à‑dire au fabricant du médicament avec lequel elle a comparé son médicament.  Dans la présente espèce, Apotex a comparé son propre médicament à celui de Zeneca.  Par conséquent, elle devait signifier un avis d'allégation à Zeneca seulement.  Subsidiairement, Apotex invite la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire et à ne pas faire droit à la demande parce que la requérante a beaucoup trop tardé à intenter la présente poursuite.  En dépit du fait que la requérante était au courant, à l'été 1993, des procédures engagées par Zeneca et des allégations faites par Apotex relativement au brevet, elle n'a rien fait pour protéger son intérêt apparent avant le dépôt de la présente demande le 12 juillet 1995.

 

            Le ministre intimé soutient que le paragraphe 7(1) du Règlement l'oblige clairement à délivrer l'avis de conformité.  Ce paragraphe dispose que le ministre s'abstient de délivrer un avis de conformité à une seconde personne avant la date à laquelle cette personne se conforme aux prescriptions de sécurité et d'efficacité prévues à l'article 5.  À moins qu'il ne fasse pas de doute que cette disposition s'applique, le ministre est obligé de délivrer un avis de conformité sans délai.

 

            Le but premier du paragraphe 7(1) est d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à une seconde personne.  Par conséquent, l'interdiction s'applique uniquement aux secondes personnes.  L'article 2 définit une seconde personne comme la personne visée au paragraphe 5(1).  Aux termes du paragraphe 5(1), une seconde personne est une personne qui a déposé une demande d'avis de conformité l'égard d'un médicament et qui souhaite comparer ce médicament à un médicament qui a été commercialisé au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard duquel une liste de brevets a été soumise, ou qui souhaite faire un renvoi au médicament cité en second lieu.  En ce qui concerne les comprimés de lisinopril de Merck Frosst, à savoir le PRINIVIL®, Apotex n'était pas une seconde personne.  Apotex n'a même jamais comparé sa formule de lisinopril à celle de Merck Frosst.  Apotex était une seconde personne à l'égard du ZESTRIL®, c'est‑à‑dire la formule de lisinopril de Zeneca.  Par conséquent, pour ce qui est du ZESTRIL® (le seul médicament visé par une comparaison ou un renvoi), Apotex a suivi toutes les procédures énoncées dans le Règlement.  Le ministre était donc obligé de délivrer un avis de conformité.

 

V.        Analyse

            Aux termes du paragraphe 4(1) du Règlement de 1993, le breveté ou le porteur de licence qui dépose une demande d'avis de conformité à l'égard d'un médicament peut soumettre une liste de brevets au ministre.  Cette personne est une première personne selon la définition de cette expression à l'article 2.  S'agissant du lisinopril, comme Merck Frosst et Zeneca ont soumis une liste de brevets, elles étaient toutes deux des premières personnes.

 

            En vertu de l'article 5 du Règlement de 1993, un fabricant de médicaments :

            1.qui dépose une demande d'avis de conformité à l'égard d'un médicament; et

 

            2.qui désire comparer ce médicament à un médicament qui a été commercialisé au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne, c'est‑à‑dire une personne qui a déposé une liste de brevets conformément au paragraphe 4(1), ou qui souhaite faire un renvoi au médicament cité en second lieu,

doit, conformément au paragraphe 5(1), signifier un avis d'allégation à la première personne.  À mon avis, vu le libellé clair de ce paragraphe, cette première personne ne désigne, à l'évidence, que la première personne dont le médicament a été visé par la comparaison.

 

            Dans la présente espèce, l'intimée Apotex a comparé ses comprimés de lisinopril uniquement à ceux que Zeneca a commercialisés et offerts.  Apotex ne les a jamais comparés à la formule de lisinopril de Merck Frosst et n'a jamais fait de renvoi à cette formule[8].  Par voie de conséquence, Apotex a signifié un avis d'allégation à Zeneca seulement.  Elle n'a pas signifié d'avis d'allégation à Merck Frosst.  En agissant ainsi, Apotex n'a pas, selon moi, contrevenu à l'article 5 du Règlement de 1993.

 

            Aux termes de l'article 5, le fabricant d'un médicament n'est pas tenu de comparer son produit à tous les médicaments approuvés qui sont commercialisés au Canada conformément à un avis de conformité, ni de faire un renvoi à tous ces médicaments.  Apotex n'était pas obligée de comparer son médicament à la formule de lisinopril de Merck Frosst, ni de faire un renvoi à cette formule.  Comme Apotex a décidé de ne pas le faire, c'est à bon droit qu'elle a jugé inutile de signifier un avis d'allégation à la requérante Merck Frosst.

 

            En permettant aux fabricants de médicaments génériques de comparer leur produit au médicament approuvé de leur choix ou de faire un renvoi à ce médicament, le législateur a autorisé les fabricants à choisir le médicament approuvé à l'égard duquel ils souhaitent faire une comparaison ou un renvoi.  Il était loisible au législateur de prévoir la signification d'un avis d'allégation à toutes les premières personnes.  Il aurait pu le faire en obligeant les fabricants de médicaments génériques à comparer leur médicament à tous les médicaments semblables commercialisés au Canada aux termes d'un avis de conformité et à l'égard desquels une liste de brevets a été soumise, ou à faire un renvoi à ces médicaments.  Il n'a rien fait de tel, et il n'appartient pas à la Cour de légiférer à cet égard.

 

            Par ailleurs, le paragraphe 7(1) du Règlement de 1993 dispose que le ministre s'abstient de délivrer un avis de conformité à une seconde personne avant la date à laquelle cette seconde personne se conforme aux dispositions de l'article 5.  L'article 2 définit la seconde personne comme la personne visée au paragraphe 5(1).  Par conséquent, la seconde personne est le fabricant de médicaments génériques qui dépose une demande d'avis de conformité à l'égard d'un médicament et compare ce médicament à un médicament qui a déjà été commercialisé au Canada, ou fait un renvoi au médicament cité en second.  Je conviens avec le ministre que, dans la présente espèce, comme Apotex a comparé ses comprimés de lisinopril avec ceux de Zeneca seulement, elle était une seconde personne à l'égard du médicament ZESTRIL® de Zeneca uniquement.  Elle n'était pas une seconde personne à l'égard du médicament PRINIVIL® de Merck Frosst.

 

            La requérante a donné à entendre lorsque le législateur a rédigé la Loi modifiant la Loi sur les brevets[9], sous le régime de laquelle le Règlement de 1993 a été adopté, il avait l'intention de reconnaître et de protéger les initiatives de recherche et de développement des sociétés pharmaceutiques innovatrices.  Cette loi a été conçue afin de protéger les droits de distribution et de vente de médicaments brevetés de ces sociétés.  Il ne convient pas de donner à ce règlement une interprétation qui ferait échec à l'intention manifeste du législateur.  Par conséquent, le Règlement devrait être interprété de manière à exiger la signification d'un avis d'allégation à la société pharmaceutique innovatrice.

 

            Bien que je convienne que le Règlement de 1993 vise à protéger les initiatives de recherche et de développement des sociétés pharmaceutiques innovatrices[10], je suis d'avis que l'interprétation proposée par la requérante doit malgré tout être rejetée.

 

            Premièrement, comme l'a déclaré le juge en chef adjoint dans l'affaire Denepryl Research Ltd. c. Apotex[11], il existe un grand principe d'interprétation des lois qui veut que les mots d'une loi soient interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante[12].

 

            Vu l'acception logique courante des mots employés dans le Règlement, je conclus qu'on ne saurait interpréter le paragraphe 5(1) de manière à exiger la signification d'un avis d'allégation à toutes les premières personnes qui ont déposé une liste de brevets à l'égard du médicament en question.  Il ressort clairement de la preuve qu'Apotex a comparé son médicament au médicament ZESTRIL® uniquement.  Par conséquent, Apotex n'était pas une seconde personne à l'égard du médicament PRINIVIL®, et le ministre était obligé de délivrer l'avis de conformité.

 

            Pour ces motifs, je conclus que l'intimée Apotex n'était pas obligée de signifier un avis d'allégation à la requérante Merck Frosst.

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée et la requérante est condamnée aux dépens.

 

 

 

 

OTTAWA (Ontario)

Le 13 décembre 1996

 

 

 

 

                                                                                                       Danièle Tremblay-Lamer    

                                                                                                                      JUGE

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                        

                                                                                                Raymond Trempe, B.C.L.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                            AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

NO DU GREFFE :                                         T-953-95

 

INTITULÉ DE LA CAUSE : Merck Frosst Canada Inc. c. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :             Le 13 novembre et le 3 décembre 1996

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 décembre 1996

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

M. Nelson Landry                                                    pour la requérante

Mme Judith Robinson

 

 

M. F. B. Woyiwada                                       pour le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social intimé

 

 

M. Andrew Brodkin                                      pour l'intimée Apotex Inc.

M. Harry Radomski

 

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault                                                         pour la requérante

Montréal (Québec)

 

 

George Thompson                                       pour le ministre de la Santé nationale et

Sous-procureur général du Canada                    du Bien-être social intimé

 

 

Goodman, Phillips & Vineberg                              pour l'intimée Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

 



    [1]L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

    [2]C.R.C. (1978), ch. 663, modifiées.

    [3]L.R.C. (1985), ch.F-27.

    [4]C.R.C. (1979), ch. 870, modifié.

    [5]DORS/93-133.

    [6]Précitée, note 1.

    [7]           L.C. 1993, ch. 2.

    [8]Affidavit de Bernard Sherman, par. 5 et 6.

    [9]Précitée, note 7.

    [10]Eli Lilly and Co. et autre c. Novopharm Ltd. et autre (1995), 60 C.P.R. (3d) 163 (C.F. 1re inst.).

    [11](1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (C.F. 1re inst.), confirmée à (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.).

    [12]Voir aussi Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.), confirmée à (1996), 68 C.P.R. (3d) 126 (C.A.F.).

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