Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19971128

     Dossier : IMM-3163-96

OTTAWA (Ontario), le vendredi 28 novembre 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

     SEAN LANCELOT SAM,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire entendue le mercredi 12 novembre 1997 à Winnipeg (Manitoba);

     ET les motifs de l'ordonnance de ce jour;

     LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

     que la décision objet de contrôle soit infirmée et l'affaire renvoyée pour nouvel examen au Ministre ou à son délégué.

                             B. Reed

                             Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date : 19971128

     Dossier : IMM-3163-96

ENTRE :

     SEAN LANCELOT SAM,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le requérant cherche, par voie d'ordonnance, à infirmer une décision prise par le Ministre intimé, en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration concluant que le requérant constitue un danger pour le public.

[2]      Un grand nombre des arguments que l'avocat du requérant envisageait de faire valoir ont déjà été réglés dans l'affaire Williams c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.) (demande de pourvoi rejetée le 16 octobre 1997, C.S.C., dossier no 26059). L'avocat a voulu cependant établir une distinction entre cette décision et l'espèce sur le fondement de quatre moyens.

[3]      En premier lieu, que la décision prise par le délégué du Ministre est abusive du fait que la seule évaluation psychiatrique versée au dossier est celle qu'a présentée le requérant et dont le délégué de l'intimée n'a pas tenu compte en formant sa décision. Une comparaison est faite avec la version antérieure au 1er août 1997 de l'article 755 du Code criminel dont le paragraphe (1) exigeait la production de deux rapports psychiatriques lorsqu'on allègue qu'un individu est un délinquant dangereux. On fait valoir que même si le paragraphe 755(1) figurait dans le Code criminel et que la décision portant qu'un individu est un délinquant dangereux entraîne sa détention pour une période indéterminée, il y aurait lieu de s'inspirer des susdites dispositions législatives pour ce qui a trait à la pertinence de la preuve psychiatrique au regard du paragraphe 70(5). On soutient qu'en l'absence d'une quelconque preuve psychiatrique contraire, il aurait fallu donner beaucoup de poids à la preuve du psychiatre qui a été présentée, ce qui n'a pas été le cas.

[4]      À mon avis, l'arrêt Williams répond à cet argument. La Cour a déterminé, aux pages 661 et 662, que les conséquences d'une décision prise en vertu du paragraphe 70(5) ne sont pas graves pour la personne concernée qui, si elle perd le droit d'en appeler à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, obtient, par contre, celui de demander à la Cour un contrôle judiciaire de la décision ministérielle. Dans l'affaire Williams, la Cour d'appel fédérale a noté, à la page 664, qu'un rapport psychologique favorable au requérant avait été déposé. Et à la page 669, on lit ce qui suit :

         J'hésite ... à affirmer que le ministre doit avoir en main un type particulier de document pour tirer une conclusion de danger présent ou futur. J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'est pas loisible à un ministre de prévoir une inconduite future à partir d'une inconduite passée, particulièrement eu égard aux circonstances des infractions et, comme en l'espèce, aux commentaires faits par l'un des juges qui ont prononcé les peines.                 

[5]      L'avocat du requérant soutient que les observations ci-dessus se rapportent à l'argument suivant lequel le paragraphe 70(5) était trop imprécis et, partant, inconstitutionnel. Bien que les observations en question se situent dans le contexte d'une analyse de l'argument d'imprécision, elles se rapportent également, en substance, à celui que l'avocat invoque aujourd'hui.

[6]      Il faut en outre noter que l'article 755 a été abrogé depuis lors et que les évaluations psychiatriques ne sont plus légalement exigées, ce qui fait apparemment écho au rapport d'un groupe de travail fédéral-provincial recommandant cette abrogation.1 Tout en préconisant que la Cour obtienne tous les éléments d'information disponibles, le groupe de travail a désapprouvé le caractère impératif de la disposition relative aux évaluations psychiatriques. Voici l'explication qui figure à la page 16 de ce rapport :

         "La possibilité de prévoir le comportement des délinquants à risque élevé est une des grandes questions que soulève ce sujet. On conteste depuis des années la capacité des psychiatres à prévoir la violence. Les études scientifiques contiennent autant d'affirmations que de négations..."                 

[7]      L'avocat du requérant soutient, dans un deuxième temps, que la présente cause se distingue de l'affaire Williams parce qu'on peut se demander sérieusement si le décideur a pris en compte tous les éléments de preuve dont il disposait. L'avocat signale que le préambule de la décision dit ceci : [TRADUCTION] "À partir des renseignements que j'ai examinés...". Le décideur, invoque-t-on, ne précise pas que sa décision se fondait sur l'examen de tous les éléments de preuve, ce qui permet d'en inférer qu'il n'a pas tenu compte de tous ces éléments.

[8]      Je suis d'avis que cet aspect du paragraphe 70(5) touchant le processus décisionnel a été traité dans la cause Williams. Voici un extrait de la décision de la Section de première instance [1997] 1 C.F. 431, page 449 :

         En l'espèce, je suis incapable de découvrir qui était l'ultime décideur. Une signature griffonnée apparaît sur la décision au-dessus de la mention [TRADUCTION] "délégué du ministre". C'est cependant la décision de cette personne qui fait l'objet du présent contrôle. Je note que le requérant a tenu pour acquis dans sa demande que c'est l'agent d'immigration du premier niveau (Mme Stock) qui a rendu la décision finale. Ça ne semble pas être le cas.                 
             ... la décision semble être fondée sur une recommandation figurant dans un document préparé par ce que j'appellerai l'agent d'immigration du premier niveau, un document que le requérant ne voit jamais. La recommandation est alors approuvée par le gestionnaire de l'agent. La décision elle-même, cependant, est prise par un troisième fonctionnaire, le délégué du ministre. Il n'y a aucun moyen de savoir si l'ultime décideur considère réellement les observations du requérant directement. Il n'y a pas davantage moyen de savoir si le décideur considère aucune des pièces au dossier autre que la recommandation rédigée par l'agent du premier niveau.                 

[9]      La Cour d'appel a statué (voir page 664) que le tribunal d'examen doit présumer que le décideur est de bonne foi lorsqu'il forme sa décision à partir des éléments au dossier :

         Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. [notes de renvoi omises]                 

[10]      L'avocat du requérant allègue, en guise de troisième argument, que la décision qui fait l'objet du contrôle est abusive parce que la preuve au dossier est tout simplement insuffisante pour appuyer la conclusion quant au danger présent ou futur. La jurisprudence établit que l'avis voulant qu'un individu constitue un danger présent ou futur doit être étayé par la preuve : Thompson c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm.L.R. (2e) 9 (C.F. 1re inst.), décision approuvée dans Williams (C.A.F.) précitée, page 669 et suivie dans Ibraham c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm.L.R. (2e) 40 (C.F. 1re inst.); Bahadori c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] F.C.J. No. 662 (QL). La gravité de l'infraction commise ne conforte pas d'habitude, à elle seule, une telle conclusion. La date à laquelle le danger présent doit être mesuré est celle de la mise en liberté du détenu.

[11]      L'avocat du requérant met l'accent sur l'analyse faite par le juge Gibson dans l'affaire Nguyen c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-2483-96, 20 août 1997). Il observe qu'en l'espèce, les infractions commise ont toutes eu lieu durant un court laps de temps (une semaine); elles font suite à une série d'événements corrélatifs; le requérant n'avait pas d'antécédents criminels; il n'a pas été accusé ou condamné depuis lors; les peines infligées l'étaient concurremment pour une durée de deux ans moins un jour et il pouvait donc les purger dans un établissement pénitentiaire provincial plutôt que fédéral; de nombreuses lettres, ainsi que le rapport du psychiatre, ont été adressés aux agents d'immigration pour appuyer la position voulant que le requérant ne constituait pas un danger pour le public; il y avait des preuves que le requérant avait complété avec succès quelques programmes de réhabilitation et d'autonomie fonctionnelle.

[12]      Un examen approfondi du dossier me porte à conclure que la position du requérant quant à la pénurie de preuves pouvant conforter une conclusion de danger présent ou futur est exacte. Les documents versés au dossier qui ont servi de fondement à la conclusion de l'intimée sont au nombre de six : (1) le visa d'immigration du requérant et la fiche relative au droit d'établissement; (2) le rapport objet de l'article 27 indiquant que le requérant a été déclaré coupable des infractions énoncées dans cette disposition; (3) le rapport sur les faits saillants prévu au paragraphe 27(1); (4) un article du journal Winnipeg Free Press; (5) le certificat de condamnation; (6) les commentaires du juge au moment de la condamnation. Je fais abstraction de l'article de journal comme l'a fait, je l'espère, le délégué du Ministre. Quiconque a jamais eu affaire avec la presse sait le peu de crédit qui s'attache à de tels articles. Celui-ci est hautement préjudiciable au requérant puisqu'il prétend relater l'événement d'après ce qu'en disent les victimes. Les seuls documents dont on pourrait dire éventuellement qu'ils ont trait à un danger présent ou futur sont les rapports sur les points saillants objet du paragraphe 27(1) ainsi que les commentaires du juge à la détermination de la peine.

[13]      Le rapport sur les faits saillants décrit les infractions; elles étaient brutales et violentes. L'une d'elles dont le requérant a été accusé, mais acquitté par la suite (menace à sa victime avec une arme à feu), figure dans le rapport comme une condamnation. Cette erreur se répète tout au long du rapport relatif à l'avis ("rapport relatif à l'avis") et de la demande d'avis de la Ministre - en application du paragraphe 70(5) ("rapport relatif à la demande d'avis").

[14]      D'après le rapport sur les faits saillants objet du paragraphe 27(1), les tribunaux ont pris sérieusement position sur le cas du requérant. Cette conclusion se fonde sur les commentaires du juge au moment de la détermination de la peine lesquels sont ambigus quant au risque de récidive éventuelle que présente le sujet. Le juge décrit les infractions dont le requérant a été déclaré coupable en observant que celui-ci [TRADUCTION] "a soumis sa victime à une tyrannie qui tient presque de l'esclavage" puis il a nuancé cette opinion en disant [TRADUCTION] "pour une très courte période, il faut dire". Il a indiqué que [TRADUCTION] "les infractions, dictées surtout par la cupidité, étaient préméditées et planifiées." Le juge a cependant dit également que l'accusé était un jeune homme de 25 ans qui n'avait pas jusque-là un casier judiciaire et que [TRADUCTION] "rien dans ses antécédents ne pouvait indiquer une tendance quelconque à s'adonner au crime".

[15]      Bien que le juge ait observé que les crimes en question étaient sophistiqués, il s'est également référé au rapport présentenciel où il est dit que si le requérant n'a pas eu une existence idéale, il a certainement [TRADUCTION] "mené dans sa famille une vie qui ne peut nullement expliquer pourquoi il se serait embarqué dans cette activité particulièrement insensée". Le juge a remarqué que le sujet n'a montré aucun remord et a maintenu son innocence en dépit des conclusions du jury. Il a conclu qu'en tant que délinquant primaire, il avait droit à bénéficier de clémence. Il a conclu en disant que c'était [TRADUCTION] "un homme intelligent et qu'il faut s'attendre que la peine de détention que je vais lui infliger lui servira de bonne leçon".

[16]      Il est difficile de voir dans ces commentaires de quoi conforter la conclusion que le requérant, une fois libéré, constituera un danger pour le public. Les seuls facteurs de nature à appuyer cette conclusion se rapportant au fait que les crimes qui ont entraîné la condamnation du requérant (voies de fait, détention forcée, produit de la prostitution, possession d'arme, menaces) faisaient appel à la violence et à la brutalité et, qu'à la fin du procès, il n'a montré aucun signe de remord et a continué de clamer son innocence. Cela suffit-il à appuyer la conclusion qu'on a tirée, surtout à la lumière des commentaires du juge qui reflètent l'espérance, ou du moins un espoir, que la peine imposée changera la conduite du requérant? Je ne suis pas convaincue que les indices soient suffisants, mais la décision présente d'autres difficultés qui sont pertinentes également à l'égard de son réexamen.

[17]      L'avocat invoque, comme quatrième argument, que le rapport relatif à l'avis objet du paragraphe 70(5) et à la demande d'avis se fondent sur des suppositions et des preuves dont le requérant n'a pas eu connaissance et auxquelles il n'a pu répondre. Il allègue de plus que ces rapports sont teintés de parti pris et très préjudiciables à sa cause. L'examen du dossier confirme ces allégations.

[18]      Les rédacteurs des rapports relatifs à l'avis et à la demande d'avis mettent en doute la véracité de la demande d'établissement du requérant et de sa mère, car ils soupçonnent que celle-ci n'est pas la fille de la personne qui l'a parrainée à ce titre. Cela est dû au fait que Pearl Spence, la répondante, a envoyé une lettre en faveur du requérant sans dire qu'elle était sa grand-mère. Celui-ci n'a pas été informé que la véracité de la demande d'établissement de sa mère et de la sienne était mise en doute. Il n'a pas eu l'occasion de répondre à cela bien que ce point ait semblé pertinent dans les deux documents en question.

[19]      Un autre élément de preuve dont le requérant n'a pas été informé et auquel il n'a pas eu l'occasion de répondre est le passage que voici tiré du rapport relatif à l'avis : [TRADUCTION] "nous avons effectivement reçu des appels de la part de parents de la victime disant que celle-ci a dû déménager parce qu'elle avait peur". Cette information n'a jamais été transmise au requérant dont l'avocat affirme catégoriquement que son client n'a jamais communiqué avec la victime.

[20]      Les deux rapports relatifs à l'avis et à la demande d'avis font abstraction des nombreuses lettres adressées en faveur du requérant pour trois raisons : elles proviennent toutes de proches parents ou amis; elles ont toutes le même thème et, à l'exception d'une seule, toutes les autres ne font pas allusion aux infractions du requérant. (La seule qui les évoque, jette le blâme sur la victime).

[21]      Les agents d'immigration qui ont rédigé le rapport relatif à l'avis et la demande d'avis attribuent l'absence de référence aux infractions du requérant aux commentaires formulés par le juge au cours du procès, lesquels visaient les témoins venus déposer en faveur du sujet :

         [TRADUCTION]                 
         Comme M. Bowering l'a signalé, l'accusé est une personne qui recueille l'admiration de ses pairs. Ils sont venus témoigner à l'appui de la défense, ce que le jury, comme de raison, a rejeté. Je suis profondément préoccupé par le fait que ces témoins qui ont prêté main-forte à la défense de l'accusé étaient menés par celui-ci qu'ils admiraient en fait.                 

[22]      Rien ne prouve que les auteurs des lettres d'appui aux fins du paragraphe 70(5) aient témoigné au procès. De plus, certaines lettres font référence, indirectement à tout le moins, à l'incident qui a mis le requérant en fâcheuse posture. Elles ne reflètent pas une foi dans son innocence. Une amie de cinq ans et demi, Rosemary Marks, écrit ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         J'ai assisté à tout le procès de Sean. Depuis le début de son séjour à l'institut Headingly, et même avant, il s'est fixé deux grands objectifs qu'il se propose d'atteindre...                 
         ... Je crois vraiment que Sean Lancelot Sam ne constitue pas un danger pour la société et qu'il faudrait lui donner une chance de se réhabiliter et de réussir tout ce qu'il est sur le point d'entreprendre. Il a été un détenu modèle et il a complété des programmes avec succès. Il travaillait sur le terrain de Red River College. Ces réalisations devraient prouver combien il veut s'efforcer pour atteindre son but. Si on ne lui donne pas une seconde chance de refaire sa vie, je croirai alors qu'il n'a pas une bonne possibilité de se réhabiliter, ce qui n'est pas juste. Si l'on permet à Sean de rester, je serais fière, en tant que citoyenne canadienne, de croire qu'il existe une réhabilitation et un système judiciaire équitables.                 

     (non souligné dans le texte original)

[23]      Une lettre reçue de la mère du requérant dit ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Sean est une bonne personne qui a commis une faute... En tant que mère, je vous supplie d'avoir assez de coeur pour lui offrir une seconde fois l'occasion de se prouver."                 

     (non souligné dans le texte original)

[24]      Une lettre de P. Spence qui a connu le requérant toute sa vie, dit ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Je ne pense pas, quant à moi, que Sean constitue un danger quelconque pour la société, cependant, je crois vraiment qu'il a besoin d'appui pour continuer dans la bonne voie qu'il s'est tracée dans la vie."                 

[25]      Le fait que les lettres disent la même chose, c'est-à-dire que le requérant ne constitue pas un danger pour la société, n'a rien d'étonnant. C'est cette même allégation que lui-même essaie de réfuter. Il n'est pas étonnant non plus qu'il ait vraisemblablement demandé à ses amis et parents de rédiger des lettres en sa faveur.

[26]      Le rapport relatif à l'avis fait état d'un document intitulé Évaluation de l'autonomie fonctionnelle paru après que le requérant eut complété un cours du même nom. Le rapport précise que ledit document attribue les difficultés du requérant au fait que c'est [TRADUCTION] "(1) un exploiteur, (2) en quête d'argent rapide et facile et (3) dénué de compassion pour ses victimes". Le document d'évaluation dit cependant ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Les valeurs et les principes de Sean ont changé et au lieu d'être (1) un exploiteur, (2) en quête d'argent rapide et facile et (3) dénué de compassion pour ses victimes, il est revenu aux valeurs traditionnelles fondamentales que sont la famille, une vie productive, etc.                 

     (non souligné dans le texte original)

[27]      Antérieurement à la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Williams, les lacunes constatées dans ces rapports sommaires constituaient des motifs d'annulation de la décision. (Voir, par exemple, Hinds c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm.L.R. (2d) 31.) Toutefois, depuis ce jugement, la Cour a, dans certaines décisions, adopté le raisonnement voulant qu'en l'absence d'une décision abusive, il faut présumer que le décideur a agi de bonne foi. Ainsi, même en présence de lacunes dans un rapport ou l'autre, et à condition que la conclusion tirée par le délégué de l'intimé se fonde sur une certaine preuve, la décision ne devrait pas être infirmée.

[28]      J'ai examiné la position du requérant à cet égard dans la cause Chu c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-1180-96, 1er août 1997) en ces termes :

             Selon l'avocate de l'intimé, le fait que le rapport relatif à l'avis n'aborde pas séparément les deux éléments qui se rapportent à une décision quant au danger importe peu, parce que le rapport n'est pas la décision du ministre. Elle souligne qu'on ne sait pas si le délégué du ministre a été d'accord avec le rapport ou s'il s'est trouvé en désaccord avec celui-ci. Elle note qu'on ne saurait, à partir du rapport, présumer qu'il a été invoqué ou jouait un rôle dans la décision qui a été prise par le délégué du ministre. L'avocate de l'intimé soutient que le critère que la Cour doit appliquer à l'occasion du contrôle est celui énoncé dans l'arrêt Williams, supra, à la page 79 :                 
             ... il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.                         
             Cela veut dire que puisque la décision quant au danger pour le public est une décision qui nécessite un avis de la part du ministre, l'examen par les tribunaux du dossier devrait viser uniquement à se demander s'il existe au dossier des éléments de preuve qui puissent étayer cette décision. L'avocate de l'intimé note que, en l'espèce, il existe des éléments de preuve qui vont dans les deux sens mais que, certains de ces éléments de preuve pouvant étayer la conclusion que le requérant constitue un danger pour le public au Canada, le critère énoncé dans l'arrêt Williams a été respecté. Je souscris à cet argument.                 

[29]      Dans la cause Nguyen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. no 1990; IMM-2483-96, le juge Gibson a renvoyé à la décision Williams disant que "la Cour doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier", et précisant que cette phrase faisait allusion à la "totalité de ce dossier". C'est pourquoi, il n'a pas jugé opportun de présumer que le délégué du Ministre n'avait pas tenu compte du rapport relatif à la demande d'avis. Parallèlement, et après étude de toutes les pièces au dossier, il a établi que la décision était abusive et que les preuves permettant de conclure au risque de récidive étaient insuffisantes.

[30]      Depuis que j'ai rendu la décision Chu ci-dessus, j'ai appris que le juge McKeown dans l'affaire Ngo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. no 854; IMM-2257-96; IMM-2258-96, a indiqué qu'un rapport erroné rédigé par un fonctionnaire ministériel où la preuve est qualifiée erronément sur un élément important pourrait servir de motif à l'annulation de la décision du délégué du Ministre. Il a déclaré que les fonctionnaires ont le droit de choisir les documents sur lesquels ils se sont appuyés et d'interpréter et de résumer la preuve, pourvu que les rapports soient sensiblement exacts.

[31]      Cet énoncé peut n'être tout simplement qu'une autre façon d'aborder l'analyse et elle s'apparente à celle du juge Gibson; en ce sens que pour conclure à l'existence d'une qualification erronée sur un élément important ou à celle d'un rapport sensiblement inexact, il faut qu'une décision prise par le délégué du Ministre ne soit pas appuyée par la preuve. Dans le même temps, le juge Gibson dans les causes Pascale c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-889-96, 24 novembre 1997) et Davis c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-1616-96, 24 novembre 1997) a décrit le rôle de ces rapports. Aux pages 5 et 6 de la décision Davis, figurent les passages suivants :

         [TRADUCTION]                 
         [10] ... J'ai mis l'accent sur la position du juge Strayer voulant qu'en l'absence de preuve contraire, et on ne m'en a pas signalé ici, la Cour doit présumer la bonne foi du décideur au regard de tout le dossier qui lui est soumis. Je suppose que le délégué de l'intimé avait en main toute la documentation pertinente et non pas simplement la note d'avis et la recommandation d'un fonctionnaire du ministre intimé. Je présume, faute de preuve contraire, qu'il a tenu compte de tout ce dossier.                 
         [11]      Je présumerai, aux fins des présents motifs, que le délégué de l'intimé s'est largement appuyé sur les susdits rapport et recommandation, approuvés d'ailleurs par un directeur, pour former son opinion et celle du directeur. Je ne vois pas d'autre raison de rédiger le rapport et l'avis sinon que pour limiter la fréquence de l'examen exhaustif de l'ensemble du dossier que le délégué de l'intimé serait appelé à effectuer.                 
         [12]      Que j'eusse résumé différemment le dossier ou abouti à une autre recommandation, n'est pas, bien sûr, le critère pertinent. Je suis persuadé que le rapport sommaire de l'agent de réexamen était raisonnable, qu'il n'indiquait aucun parti pris réel ou raisonnablement appréhendé, qu'il ne dénaturait pas le dossier dont l'agent était saisi et, plus tard, le délégué de l'intimé...                 

     (non souligné dans le texte original)

Je préfère l'approche adoptée dans ces affaires à celle énoncée plus tôt dans Chu.

[32]      Quoi qu'il en soit, l'effet cumulatif des difficultés qui ressortent clairement des faits relatés dans ce cas d'espèce exige que la décision soit infirmée. La preuve permettant de conclure à un danger présent ou futur est incertaine et le rapport sommaire comporte des inexactitudes. Des éléments de preuve jugés pertinents à l'égard de la décision y figurent dont le requérant n'avait pas eu connaissance et qu'on ne lui a pas donné l'occasion de commenter. Une ordonnance sera dès lors rendue annulant la décision en question.

                             B. Reed

                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3163-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SEAN LANCELOT SAM

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                     ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :      12 NOVEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR MADAME LE JUGE B. REED

EN DATE DU              28 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

M. SAUL SIMMONDS,              POUR LE REQUÉRANT
Mme SHARLENE TELLES-LANGDON,      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GINDIN, WOLSON, SIMMONDS          POUR LE REQUÉRANT

WINNIPEG (MANITOBA)

GEORGE THOMSON              POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

1      Groupe de travail fédéral/provincial/territorial sur les délinquants violents à risque élevé, Stratégies pour la gestion des délinquants à risque élevé (janvier 1995) (rapport aux ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.