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Date : 20040812

Dossier : T-1846-03

Référence : 2004 CF 1124

Ottawa (Ontario) le 12 août 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                           CLAUDE FOURNIER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Fournier en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, relativement à une décision en date du 5 août 2003 par laquelle la Section d'appel de la Commission Nationale des libérations conditionnelles ("CNLC") a rejeté l'appel et a maintenu la décision de première instance en précisant que la décision était conforme à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, c. 20 ( Loi).


CONTEXTE FACTUEL

[2]         Depuis 1969, le demandeur purge une peine à perpétuité pour meurtre non qualifié. Il s'agit de sa seconde peine fédérale. Il avait été condamné auparavant pour vol d'automobile. En 1991, alors qu'il était en libération conditionnelle, il a été trouvé en possession d'arme à autorisation restreinte.

[3]                M. Fournier a bénéficié de plusieurs formes de libération conditionnelle, incluant la semi-liberté, qui se sont toutes soldées par un échec. À chaque fois, il y avait bris de condition lié à la consommation d'alcool, et également liberté illégale, le demandeur ne se rapportant pas aux autorités comme il était tenu de le faire selon les conditions de la libération sous conditions.

[4]                La consommation d'alcool a eu un rôle à jouer dans le meurtre non qualifié. Le demandeur avait passé la journée à boire avec la victime, un camarade qui après cette journée lui a montré des photos érotiques de sa femme. Le demandeur a réagi en poignardant la victime. Le demandeur avait également consommé de l'alcool lorsqu'on l'a trouvé en possession d'une arme à autorisation restreinte.

[5]                Le 27 mars 2003, la CNLC a procédé à l'audition du dossier du demandeur relativement à sa semi-liberté et à sa libération conditionnelle. La Commission a jugé que le fait d'accorder la libération au demandeur constituerait un risque inacceptable. Le 5 août 2003, la Section d'appel a confirmé la décision de la CNLC et a rejeté l'appel du demandeur. Le présent dossier est une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel.


DÉCISION CONTESTÉE

[6]         La CNLC fait état de la diminution de l'agressivité du demandeur, du fait que depuis 1998 il n'y a eu aucun problème disciplinaire en établissement, que le demandeur fuit les situations conflictuelles et les confrontations. Elle prend note des recommandations de l'équipe de gestion de cas, qui estime qu'il y a lieu de cesser d'imposer l'abstinence comme condition de libération, en raison de la très faible probabilité de récidive. Elle constate également que le demandeur souhaite une libération conditionnelle totale afin de pouvoir demeurer dans un centre de désintoxication particulier, Un Foyer pour Toi, dont le directeur était présent à l'audience de la Commission pour parler de son désir d'accueillir le demandeur et des conditions strictes de non consommation qui s'appliquent dans le foyer.

[7]                Pourtant, la Commission estime que la libération n'est pas indiquée à ce moment-ci, sous quelque forme que ce soit. La Commission est d'avis que de vivre en établissement à sécurité minimum (situation du demandeur au moment de l'audience devant la Commission) constitue « une progression vers une forme de liberté adaptée » aux besoins du demandeur. La Commission écrit :

(...) la Commission se doit d'observer que votre modèle de comportement fait malheureusement en sorte que vous rechutez dans la consommation d'alcool, vous quittez vos ressources en liberté illégale et vous évitez de demander l'aide requise au bon moment. Votre consommation d'alcool est intimement lié à votre potentiel de récidive et rien n'indique que vous soyez aujourd'hui en mesure de bénéficier d'une ressource externe spécialisée en toxicomanie mais qui n'est pas accréditée par le Service correctionnel du Canada, tel que vous le souhaitez.

[8]                La CNLC « en vient donc à la conclusion que le risque serait inacceptable [d'accorder au demandeur] quelque forme de libération conditionnelle à ce moment-ci de [sa] sentence » .

[9]                La Section d'appel a compétence pour réévaluer la question du risque de récidive et substituer son jugement à celui des commissaires qui ont étudié le cas. La Section d'appel confirme la décision de la CNLC :

En somme, la Commission a conclu que votre risque n'était pas acceptable dans la communauté sur la base de plusieurs facteurs pertinents, y compris vos nombreuses tentatives d'élargissement qui se sont toutes soldées par des échecs; vos rechutes constantes dans la consommation de substances intoxicantes; votre manque total de respect de vos conditions; votre incapacité à accepter les contraintes; votre impulsivité et vos nombreuses libertés illégales; vos récidives en liberté illégale; votre manque de crédibilité; votre manque d'introspection et de remise en question de votre criminalité; votre incapacité de demander l'aide requise de vos ressources et intervenants; et le fait que vous n'avez suivi aucun programme depuis votre dernière incarcération en janvier 2002. Comme la Commission vous a bien dit à la fin de l'audience, vous n'avez pas démontré de progrès ni de changements significatifs.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]       Est-ce-que la CNLC et la Section d'appel ont erré en droit en n'analysant pas correctement le risque que le demandeur représentait au moment de sa demande de libération conditionnelle ?

[11]            Est-ce-que la CNLC a rendu une décision qui constitue un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ?


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[12]       Le demandeur prétend que la CNLC n'a pas tenu compte de toute l'information pertinente et disponible. Il soutient qu'il appert de la décision que la majeure partie des évaluations favorables au demandeur n'ont pas été prises en considération.

[13]            La CNLC n'a pas tenu compte du faible degré de danger que représente le retour en société du demandeur, et n'a pas tenu compte non plus de son devoir législatif de prendre la décision la moins restrictive possible.

[14]            La CNLC a rendu une décision qui constitue un traitement cruel et inusité au sens de l'article 12 de la Charte, car le demandeur purge une peine depuis 35 ans sans récidive dans un délit de même nature ; la décision de garder le demandeur en institution ne permet aucunement de réhabiliter le demandeur ; en outre, l'équipe de gestion de cas est d'avis que le demandeur ne représente pas un risque pour la société.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[15]       Le défendeur souligne les nombreux rapports contenus au dossier carcéral du demandeur dont la CNLC était saisie au moment de sa décision. Ces rapports soulignent le défaut du demandeur de prendre conscience du lien entre sa consommation d'alcool et de substances intoxicantes et ses actions d'irresponsabilité et de criminalité.

[16]            Le défendeur rappelle que bien que les rapports de l'équipe de gestion de cas indiquent que le demandeur peut consommer d'alcool et ne pas récidiver dans de nouveaux délits, il est de la responsabilité de la CNLC de jauger le risque que représente le demandeur pour la société. La CNLC n'est aucunement liée par les conclusions de l'équipe de gestion du demandeur.

[17]            Le demandeur soutient qu'il n'y a aucune indication à l'effet que la CNLC n'a pas tenu compte de tous les renseignements pertinents en l'espèce.

[18]            En ce qui a trait de la question constitutionnelle, le défendeur soutient que cette question ne devrait pas être tranchée par la Cour, parce que la peine du demandeur n'est pas exagérément disproportionnée. Elle traduit la réprobation de la société envers les gestes criminels et ne constitue manifestement pas une atteinte aux normes de décence de la société canadienne.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Charte canadienne des droits et libertés, Annexe B, Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, ch. 20.


100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

b) elles doivent tenir compte de toute l'information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

...

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

...

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d'appel pour l'un ou plusieurs des motifs suivants :

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l'exercer.

147. (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

(b) made an error of law;

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.


(4) Au terme de la révision, la Section d'appel peut rendre l'une des décisions suivantes :

a) confirmer la décision visée par l'appel;

b) confirmer la décision visée par l'appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

d) infirmer ou modifier la décision visée par l'appel.

(4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

(a) affirm the decision;

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

(d) reverse, cancel or vary the decision.

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d'appel doit être convaincue, à la fois, que :

a) la décision visée par l'appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d'une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l'examen du cas;

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

(5) The Appeal Division shall not render a decision under subsection (4) that results in the immediate release of an offender from imprisonment unless it is satisfied that

(a) the decision appealed from cannot reasonably be supported in law, under the applicable policies of the Board, or on the basis of the information available to the Board in its review of the case; and

(b) a delay in releasing the offender from imprisonment would be unfair.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire


[19]       Dans l'arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317 (C.A.), la Cour d'appel fédérale se penche sur la compétence de la Section d'appel dans son examen de la décision rendue par la Commission et sur la norme de contrôle qui doit s'appliquer à la décision de la Section d'appel, lorsque celle-ci confirme une décision de la Commission. L'article 147 de la Loi précise les motifs d'appel, ainsi que les pouvoirs de la Section d'appel, qui peut aller jusqu'à ordonner la libération immédiate du délinquant. Dans ce dernier cas, la Section doit être satisfaite à la fois que la décision de la Commission n'était pas raisonnable et que le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable. Le juge Décary, écrivant au nom de la Cour d'appel, conclut que le critère du caractère raisonnable de la décision s'applique tant à la décision de la Section d'appel qu'à celle de la Commission :

¶ 8       L'alinéa 147(5)a) semble indiquer une intention du législateur de privilégier la décision de la Commission, bref de refuser la libération d'office dès que cette décision est raisonnablement fondée en droit et en fait. La Commission a droit à l'erreur, si cette erreur est raisonnable. La Section d'appel n'intervient que si l'erreur, de droit ou de fait, est déraisonnable. Je serais porté à croire qu'une erreur de droit de la Commission relativement à son degré de "conviction" quant à [page327] l'évaluation du risque d'une mise en liberté -- une erreur qui est alléguée en l'espèce -- serait une erreur déraisonnable par définition car elle touche la fonction même de la Commission.

¶ 9       Si la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité lorsque la Section d'appel infirme la décision de la Commission, il me paraît improbable que le législateur ait voulu que la norme soit différente lorsque la Section d'appel confirme. Je crois que le législateur, encore que maladroitement, n'a fait que s'assurer à l'alinéa 147(5)a) que la Section d'appel soit en tout temps guidée par la norme de raisonnabilité.

¶ 10       La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d'appel rend nécessaire une certaine prudence dans l'application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

[20]            Il s'agit donc de déterminer si la décision de la Section d'appel est raisonnable, ce qui, finalement représente une détermination du caractère raisonnable de la décision de la Commission.


[21]            Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, la Cour suprême du Canada a eu l'occasion de préciser davantage en quoi consiste la norme de la décision raisonnable simpliciter. La Cour suprême confirme qu'il faut d'abord procéder à l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer quelle est la norme applicable, en fonction des quatre facteurs suivants : « (1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; (2) l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l'objet de la loi et de la disposition particulière; (4) la nature de la question -- question de fait, de droit ou mixte de droit et de fait » (arrêt Ryan, paragraphe 27).

[22]            La Loi prévoit un appel à la Section d'appel, mais cet appel est une sorte de créature hybride, comme le dit le juge Décary dans l'arrêt Cartier, précité, qui tient à la fois de l'appel et du contrôle judiciaire. Il ne fait pas de doute que la Commission est experte dans son domaine et dans l'évaluation de la preuve. L'objet de la Loi et de la disposition en cause, comme l'expriment les articles 100 et 101 de la Loi, est principalement la protection du public. Enfin, dans la détermination du droit d'un délinquant à la libération conditionnelle, on trouve une question mixte de droit et de fait, c'est-à-dire l'application des termes de la Loi à une situation particulière.

[23]            L'expertise de la Commission et l'objet de la Loi appellent certainement à la retenue de la part de la Cour qui siège en révision de la décision de la Section d'appel; toutefois, puisque la Section d'appel a un large pouvoir pour modifier la décision de la Commission, puisqu'il s'agit d'une question mixte de droit et de fait, et compte tenu de la décision Cartier citée plus haut, je suis d'avis que c'est bien la norme de la décision raisonnable simpliciter qui s'applique en l'espèce.


[24]            Au paragraphe 47 de l'arrêt Ryan, la Cour suprême précise : « La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander "si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision". » Au paragraphe 48, la Cour énonce : « Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion » .

[25]            Il ne s'agit pas, de poursuivre la Cour dans l'arrêt Ryan, de déterminer si la décision du tribunal inférieur est correcte. Son caractère raisonnable tient non au fait que la Cour qui siège en révision en serait arrivée au même résultat, mais au fait qu'elle s'appuie sur des motifs raisonnablement fondés sur le droit et la preuve en l'espèce. Le caractère déraisonnable ne sera donc constaté que si les motifs ne peuvent soutenir la décision contestée.

[26]            Je suis d'avis qu'ici, l'intervention de la Cour ne serait pas justifiée, puisque les motifs avancés par la Commission et confirmés par la Section d'appel peuvent résister à un examen plus approfondi. La Commission, et partant la Section siégeant en appel, doivent pondérer divers facteurs pour en arriver à une décision raisonnable. En l'occurrence, deux facteurs principaux sont en jeu : la protection de la société, qui est primordiale, et la recherche de la solution la moins restrictive possible, compte tenu du premier facteur.

[27]            D'après le rapport de l'équipe de gestion de cas (2003) et d'après la dernière évaluation psychologique (2001), le demandeur ne présente qu'un faible risque de récidive. Il n'y a, dans tout son passé, que deux incidents violents, tous deux liés à l'alcool. Il y a un grand nombre de libérations qui ont échoué, mais à chaque fois (sauf un vol en 1986 et la possession d'arme en 1991), parce qu'il y a eu bris de deux conditions : ne pas boire et se rapporter aux autorités. Il n'y a aucune infraction disciplinaire à son dossier depuis 1998. Toutefois, il faut tenir compte que les crimes commis - meurtre non qualifié, vol, possession illégale d'arme à feu - sont liés à la consommation d'alcool. Le demandeur ne peut ou ne veut reconnaître le problème d'impulsivité lié à sa consommation d'alcool. Il n'est donc pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu'un risque perdure, lié à l'alcool.

[28]            La Commission reproche au demandeur son manque d'introspection, le fait qu'il ne respecte pas les conditions, son manque de crédibilité. Le manque d'introspection et le déni chez le demandeur du lien entre consommation de substances et criminalité font craindre à la Commission la possibilité de récidive.


[29]            Le demandeur soulève dans ses arguments l'arrêt Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385. Dans cet arrêt, la Cour suprême a accueilli l'appel d'un détenu qui, après 35 ans en pénitencier, soutenait que de prolonger encore l'incarcération constituait une peine cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême a considéré dans cet arrêt les trois critères qui s'appliquaient alors selon l'al. 16(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P-2 : l'effet positif maximal de l'emprisonnement a été atteint par le détenu, la libération conditionnelle facilitera son amendement et sa réadaptation, et sa mise en liberté ne constitue pas un risque trop grand pour la société.

[30]            Dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que de prolonger l'emprisonnement ne servait à rien, et compte tenu de la durée de l'emprisonnement, ce prolongement représentait une atteinte au droit garanti à l'article 12 de la Charte.

[31]            La Section d'appel a souligné que les faits de Steele se distinguent du cas en espèce. En effet, la problématique est toute autre - Steele était un contrevenant sexuel, qui avait été condamné à une peine indéterminée après avoir été déclaré contrevenant dangereux. Toutefois, deux éléments sont fort semblables : l'alcoolisme et la durée de la peine.

[32]            La Cour suprême du Canada indique dans Steele que la peine indéterminée en soi n'est pas contraire à la Charte. Ce qui peut le devenir, c'est l'application au cas individuel. Le demandeur ici est condamné à perpétuité pour avoir commis un meurtre en 1969. La question qu'il convient de poser, d'après l'arrêt Steele, n'est pas de savoir si la sentence est juste aux termes de la Charte, mais si le refus de la libération conditionnelle peut se justifier compte tenu de la preuve et des circonstances. Il convient d'appliquer soigneusement les critères prévus à la Loi, seuls garants de la possibilité d'une libération dans un cas de peine indéterminée. La Cour suprême exprime cette idée ainsi dans l'arrêt Steele :


¶ 67       Ce n'est que par l'observation et l'application soigneuses de ces critères qu'il est possible d'adapter la peine d'une durée indéterminée à la situation de chaque délinquant. Le faire permet d'assurer que les dispositions relatives à la détermination de la peine des délinquants dangereux ne violent pas l'art. 12 de la Charte. S'il ressort clairement de la lecture du dossier que la Commission a mal appliqué ces critères ou n'en a pas tenu compte pendant un certain nombre d'années de sorte qu'un délinquant est resté en prison bien au-delà du moment où il aurait dû obtenir sa libération conditionnelle, alors la décision de la Commission de garder le délinquant en prison peut fort bien violer l'art. 12. À mon avis, c'est le cas en l'espèce.

[33]            Les critères à l'époque étaient ceux qui sont cités plus haut; aujourd'hui, l'article 101 de la Loi prévoit d'une part que la protection de la société est le critère déterminant, et, d'autre part, que le règlement des cas doit être, compte tenu de la protection de la société, le moins restrictif possible.

[34]            Il appert que la Commission a tenu compte de ces critères, comme l'enjoint l'arrêt Steele. La Commission estime que l'encadrement de sécurité minimum est encore nécessaire au demandeur, et s'appuie sur la preuve au dossier pour en décider ainsi.

[35]            La Cour suprême dans l'arrêt Steele indique que le non-respect des critères prévus constitue une violation de l'article 12. L'inutilité de la mesure, une fois dépassé l'effet maximal de l'emprisonnement, rend la peine « exagérément disproportionné » au sens de l'arrêt R. c Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, où la Cour suprême a défini en quoi consiste une peine excessive.


[36]            Les critères ayant été modifiés, la ligne qu'il convient de tracer pour ce qui serait d'une application cruelle et inusitée des dispositions actuelles reste à déterminer. Il n'est pas certain que le fait de ne pas imposer la peine la moins restrictive possible constitue une peine cruelle et inusitée. Toutefois, l'analyse de l'arrêt Steele est utile dans la mesure où elle permet de faire ressortir les éléments dont il faut tenir compte pour décider du caractère déraisonnable de la décision contestée. Par conséquent, je ne me prononcerais pas sur la violation de l'article 12 de la Charte en l'espèce, mais j'estime que la Commission et la Section d'appel ont tenu compte des critères énoncés dans la Loi pour refuser la libération conditionnelle du demandeur.

[37]            Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je tiens à préciser que la présente décision ne tient pas compte des événements qui ont fait suite à l'audition de la demande.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

Le tout avec dépens, fixés au montant de 500 $.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                          


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                     T-1846-03

INTITULÉ :                                                    CLAUDE FOURNIER

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 21 JUILLET 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 12 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Pierre Tabah                                                      POUR LE DEMANDEUR

Dominique Guimond                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Labelle, Boudrault, Coté et Ass.                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur Général du Canada


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