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Date : 20010319

Dossier : T-2259-99

Référence neutre : 2001 CFPI 198

ENTRE :

SANTOSH K. SINGH

demanderesse

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN


[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 novembre 1999 par la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ). Par cette décision qui est contestée, la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse portant que, par son refus de continuer de l'employer, Développement des ressources humaines Canada ( « DRHC » ) a commis un acte discriminatoire à son endroit, et ce, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ( « LCDP » ). La demanderesse fait également valoir que DRHC a omis d'instaurer un milieu de travail exempt de harcèlement, portant ainsi atteinte à l'article 14 de la LCDP. La demanderesse, qui vient des Indes orientales et qui fait partie d'une minorité visible, était âgée de 51 ans lorsqu'elle a porté plainte. Les motifs de distinction illicite qu'a relevés la demanderesse concernent l'origine nationale ou ethnique et l'âge.

Question en litige :

[2] Il s'agit de savoir en l'espèce si la Commission a étudié la plainte de la demanderesse portant que la conclusion tirée par le défendeur quant au caractère insatisfaisant de son rendement au travail n'était qu'un prétexte pour dissimuler le fait que les personnes qui ont refusé de renouveler son contrat ont agi ainsi en raison de son âge et de son origine ethnique.

Les faits :

[3] En décembre 1994, la demanderesse a communiqué avec la Commission pour porter plainte. On a fermé son dossier, du fait qu'elle n'a pu établir un lien entre les agissements reprochés et un motif de distinction illicite, et du fait qu'elle n'a pas exploré d'autres possibilités d'obtenir réparation.


[4]         DRHC a mené une enquête à l'interne sur les plaintes de la demanderesse fondées sur le harcèlement et l'abus d'autorité et, en avril 1996, a conclu que ces plaintes étaient sans fondement.

[5]         La Commission de la fonction publique ( « CFP » ) a mené son enquête et est parvenue à la même conclusion dans son rapport daté du 22 mai 1997. Il y a lieu de noter que la CFP a tiré des conclusions sur la question de l'abus d'autorité et du harcèlement, mais que la CFP n'a pas compétence pour connaître des questions de discrimination, de sorte qu'elle ne s'est pas prononcée à cet égard.

[6]         Par souci de commodité, il importe de noter que le Secrétariat du Conseil du Trésor et la CFP ont conclu une entente concernant le pouvoir de la CFP d'enquêter sur des questions relatives à la discrimination en milieu de travail. La Politique du SCT relative au harcèlement en milieu de travail dispose à la page 6 :

En vertu d'une entente entre le Secrétariat du Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique, cette dernière enquêtera sur les plaintes de harcèlement formulées par des employés de la fonction publique sauf les plaintes de discrimination d'après les critères prescrits dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Direction des enquêtes de la Commission statuera sur toute plainte dont elle est saisie sauf dans le cas où il apparaît que :


- la plainte n'a pas trait à un harcèlement tel que défini dans la Politique du Conseil du Trésor relative au harcèlement en milieu de travail,

- la plainte est sans objet, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi,

- la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la dernière des actions ou abstentions sur lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la Commission estime indiqué dans les circonstances, ou

- le ministère n'a pas fait d'efforts notables pour tenter de régler la plainte, auquel cas la Commission renvoie la plainte au ministère.

[7]        Le 3 juin 1997, la demanderesse a demandé à la Commission de rouvrir son dossier. Le 2 décembre 1997, la demanderesse a signé sa plainte, dans laquelle elle alléguait que son supérieur et certains collègues de travail lui avaient fait des remarques désobligeantes à propos de son âge et de son origine ethnique. De plus, la demanderesse a allégué que DRHC avait refusé de renouveler son contrat en raison de son âge et de son origine nationale ou ethnique.


[8]        La Commission a par la suite mené une enquête sur la plainte. Le rapport de l'enquêteur s'inspire en grande partie des renseignements contenus dans le rapport de la CFP. L'enquêteur a interrogé quelques témoins directement sur le fait que la demanderesse aurait pris du retard dans son travail et sur les allégations de harcèlement. Au paragraphe 48 de son rapport, il a résumé la conclusion tirée dans le rapport de la CFP. Au paragraphe 49, l'enquêteur a ensuite énoncé sa propre conclusion en ces termes :

[TRADUCTION] Il ressort de la preuve que la plaignante a été employée pendant environ dix mois à titre de commis à l'Administration centrale et au Centre de courrier. Elle était la seule employée originaire des Indes orientales, et les employés avaient en majorité moins de quarante ans. La preuve indique que la plaignante ne s'était pas élevée contre les commentaires désobligeants qu'auraient faits Jane Daoust, Micheline Bornais et Claude Dufault, qui nient tous les avoir faits, et d'autres employés dans l'Administration centrale et le Centre de courrier ne se souviennent pas en avoir eu connaissance. Dans des enquêtes préliminaires menées par le défendeur et la CFP, la plaignante a fait valoir que le défendeur n'avait pas renouvelé son contrat afin d'éviter de se conformer à l'exigence relative à la Directive sur le réaménagement des effectifs; cependant, la preuve démontre que le contrat d'emploi à durée déterminée de la plaignante n'a pas été renouvelé en raison de son rendement : accumulation de travail, volume inacceptable de travail effectué et plaintes des gestionnaires concernant les retards dans la livraison du courrier.

[9]        La demanderesse a produit des réponses tant au rapport d'enquête qu'aux conclusions tirées par DRHC relativement à sa plainte.

[10]      Lors de sa réunion du 15 novembre 1999, la Commission a étudié la plainte. Les documents dont elle disposait comprenaient : un formulaire de plainte H45624, en date du 2 décembre 1997; un rapport d'enquête H45663, en date du 23 septembre 1999; une lettre de présentation de la demande, en date du 15 octobre 1999; une chronologie H45624, non datée.


[11]      Le 29 novembre 1999, la Commission a avisé la demanderesse du rejet de sa plainte, en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP. La lettre de la Commission datée du 29 novembre 1999 exposait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] Aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter la plainte pour les motifs suivants :

la preuve n'étaye pas le fait que le défendeur aurait omis d'instaurer un milieu de travail exempt de tout harcèlement pour le bénéfice de la plaignante et qu'il aurait omis de continuer à l'employer pour cause de discrimination fondée sur son origine nationale ou ethnique et son âge;

la preuve étaye le fait que le contrat d'emploi de la plaignante n'a pas été renouvelé pour des motifs qui n'ont rien à voir avec les allégations de conduite discriminatoire.

[12]      Le 24 décembre 1999, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

Analyse :


[13]      La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission, quant à savoir si la plainte doit être rejetée ou non, est celle de la décision raisonnable simpliciter. Lorsqu'elle prend une telle décision, la Commission se trouve à exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 44(3) de la LCDP. Comme l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 ( « SEPQA » ), la Commission est tenue de se conformer aux exigences de l'équité procédurale, mais il ne lui appartient pas de faire bénéficier le demandeur de l'ensemble des règles de justice naturelle. Il va de soi que si la Commission commet une erreur de compétence, c'est la norme de la décision correcte qui doit s'appliquer.

[14]      L'avocat de la demanderesse soutient que la décision de la Commission se fondait sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse et que, dans un tel cas, la Commission devait ordonner l'audition de l'affaire devant le Tribunal. Les parties citent toutes deux l'affaire Larsh c. Canada (PG) (1999), 166 F.T.R. 101. L'avocat de la demanderesse renvoie au paragraphe 35 de la décision, où le juge Evans (aujourd'hui juge à la Cour d'appel fédérale) affirme :

Pour l'examen de cet argument, je suis disposée à présumer que la décision par laquelle la Commission a rejeté les plaintes devrait faire l'objet d'un examen plus attentif que les décisions par lesquelles des plaintes sont déférées au Tribunal. Un débouté est, après tout, une décision définitive qui empêche le plaignant d'obtenir toute réparation prévue par la loi et qui, de par sa nature même, ne saurait favoriser l'atteinte de l'objectif général de la Loi, c'est-à-dire protéger les personnes physiques de toute discrimination, mais qui, s'il est erroné, risque de mettre en échec l'objet de la Loi.


Cependant, dans cette affaire, le juge Evans a statué que la Commission n'avait pas l'obligation d'ordonner l'audition de l'affaire lorsqu'il est question de crédibilité. En effet, au paragraphe 32, il cite le paragraphe 5 de l'affaire Miller c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1564 (1re inst.) (Q.L.), dans laquelle le juge Hugessen s'est exprimé en ces termes :

Il affirme [...] que c'est à tort que la Commission a omis d'ordonner la tenue d'une audition, car le dossier soulevait un certain nombre de questions touchant la crédibilité. D'après moi, il ressort clairement de la loi que la Commission n'est nullement obligée d'ordonner la tenue d'une audition. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la liberté n'est pas mise en cause dans le cadre de l'enquête qui est menée, j'estime que la tenue d'une audition n'est jamais obligatoire. D'ailleurs, lorsqu'on examine la nature du pouvoir discrétionnaire que le libellé même de la loi confère à la Commission, il est clair que, dans certains cas, la Commission peut rejeter une plainte lorsqu'elle estime que celle-ci est insuffisamment fondée au regard de la preuve, alors qu'il faudrait effectivement qu'il y ait audition si la plainte était retenue. En d'autres termes, le pouvoir discrétionnaire reconnu à la Commission permet manifestement à celle-ci de ne pas ordonner la tenue d'une audition devant le tribunal.

À mon sens, la Commission a agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a rejeté la plainte au regard de la preuve dont elle disposait, preuve qui comprenait des déclarations faites par plusieurs témoins différents pour contredire les allégations de la demanderesse, ainsi qu'un examen du rendement de la demanderesse lorsqu'elle travaillait au DRHC.

[15]      Cependant, je suis d'accord que les motifs invoqués par l'enquêteur semblent être fondés sur des conclusions relatives à la crédibilité et que ces conclusions ne figurent pas dans le rapport d'enquête. J'estime que ces questions de crédibilité devront être prises en compte lors du réexamen de l'affaire, si on a effectivement recours à quelque conclusion relative à la crédibilité à cette étape-là.


[16]      Comme je l'ai noté précédemment, le rapport de l'enquêteur s'inspirait largement des conclusions et des avis formulés dans le rapport de la CFP. L'avocat de la demanderesse plaide que le fait de s'y fier à ce point soulève des problèmes sur le plan de la compétence et de la rigueur. Premièrement, en ce qui concerne la rigueur, je suis d'avis qu'il était loisible à l'enquêteur de se servir du rapport de la CFP comme preuve concernant la question de l'accumulation du travail. La Commission jouit du pouvoir discrétionnaire de tenir compte de tels rapports, et elle n'est nullement tenue de se pencher de nouveau sur la question de l'accumulation du travail, celle-ci ayant déjà fait l'objet d'un examen complet dans le rapport de la CFP.


[17]      En ce qui concerne la question de la compétence, le fait pour l'enquêteur de la Commission de fonder sa conclusion sur celle tirée par une autre commission ayant déjà mené son enquête sur les mêmes parties et les mêmes faits constitue une erreur de droit. Cependant, on a distingué ces affaires de celle en l'espèce en faisant valoir que, dans chacune d'elles, la Commission avait carrément déclaré dans son rapport qu'elle rejetait la plainte parce que celle-ci avait déjà été rejetée par l'autre commission concernée dans l'affaire. À titre d'exemple, dans l'affaire Burke et al. c. Commission canadienne des droits de la personne, [1987] 125 N.R. 239 (C.A.F.), le juge Urie a statué à la p. 239 que la Commission avait commis une erreur en concluant que la plainte devait être rejetée car, comme elle l'a déclaré, [TRADUCTION] « [la plainte] a été plus avantageusement instruite à toutes les étapes par un comité de révision de la classification institué sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique » . Voir également : Pitawanakwat c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1987), 125 N.R. 237 (C.A.F.) et Boudreault c. Canada (Procureur général) (1985), 99 F.T.R. 293 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, l'enquêteur ne s'est appuyé que sur certaines preuves dont disposait la CFP sur des questions du ressort de la CFP et il ne s'est pas fié aux conclusions de la CFP.

[18]      La demanderesse s'intéresse essentiellement à la rigueur du rapport d'enquête. Les parties conviennent toutes deux que la rigueur est une composante de l'équité procédurale à laquelle la Commission doit adhérer. Cependant, il n'y a pas de consensus quant à savoir ce que la Commission devait prendre comme mesure afin de satisfaire à l'exigence de la rigueur.

[19]      L'affaire Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), étaye la proposition selon laquelle il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision de l'enquêteur lorsque celui-ci apprécie la valeur probante de la preuve. Comme l'a affirmé le juge Nadon à la p. 600 :

Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.


[20]      Le juge Nadon poursuit en énonçant que le contrôle judiciaire ne s'impose que dans les cas où les omissions découlant de l'enquête ne peuvent être remédiées par les observations présentées en réponse par la plaignante. À la p. 601, le juge Nadon dégage deux catégories d'omission susceptibles de justifier une intervention judiciaire :

Même s'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l'enquêteur devraient comprendre: (1) les cas où l'omission est de nature si fondamentale que le seul fait d'attirer l'attention du décideur sur l'omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n'a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l'information ou encore du rejet explicite qu'il en a fait.

Tirant une conclusion défavorable à l'égard de la demanderesse dans l'affaire Slattery, précitée, le juge Nadon écrit à la p. 605 :

En l'espèce, je constate que l'enquêteuse n'a pas omis d'examiner l'un ou l'autre des aspects fondamentaux de la plainte de la requérante, telle qu'elle était formulée, et qu'il n'y avait aucun autre point, moins important mais néanmoins pertinent, qui ait été traité de façon insatisfaisante et qui n'ait pu être repris dans les observations présentées en réponse par la requérante.

L'affaire Slattery, précitée, nous guide à cet égard en énonçant un critère pour trancher la question de savoir si, dans l'affaire dont nous sommes saisis, le rapport manquait de rigueur.

[21]      Le paragraphe 23 du rapport d'enquête dispose :

[TRADUCTION] Lorsqu'on l'a interrogée, Francine Huneault, une supérieure à l'Administration centrale, a décrit la plaignante comme étant « une bonne personne qui faisait son travail, mais qui le faisait très lentement » . Elle estimait que le contrat de la plaignante n'avait été renouvelé en raison de son âge. Elle affirme que les employés ont en majorité entre 20 et 30 ans.


Mme Huneault a fait une déclaration non équivoque concernant un des motifs fondant les plaintes de discrimination et de harcèlement de la demanderesse. Cependant, l'enquêteur a omis d'aborder cette question plus en détail dans son rapport. Cette omission pourrait constituer une omission « fondamentale » . D'un autre côté, elle peut également être un exemple d'omission dont la demanderesse aurait pu traiter dans sa réponse au rapport d'enquête. Dans les circonstances en l'espèce, je n'ai pas à trancher la question, car j'ai eu connaissance d'une autre omission de nature plus grave.

[22]      Cette omission plus troublante a trait à l'allégation de la demanderesse selon laquelle, après qu'elle eut quitté le ministère et déposé sa plainte, le défendeur a inventé plusieurs prétextes pour justifier le non-renouvellement du contrat de la demanderesse. Parmi les prétextes allégués, il y aurait eu la déclaration selon laquelle la demanderesse faisait son travail trop lentement pour qu'on veuille la garder comme employée, ainsi que les déclarations faites par certaines personnes concernées que la situation de travail de la demanderesse venait à échéance ou que ses services n'ont pas été retenus en raison d'un [TRADUCTION] « manque de travail » . Autrement dit, le rapport d'enquête ne traite pas de la thèse de la demanderesse que ces déclarations et les déclarations alléguées constituaient un prétexte pour dissimuler le fait que le non-renouvellement de son contrat était dû à une discrimination fondée sur l'âge ou l'origine ethnique, ou les deux.


[23]      Cette omission est fondamentale, car toute enquête relative à une pratique discriminatoire doit, à tout le moins, déterminer l'identité du décideur et comporter quelques questions sur les raisons pour lesquelles le décideur a pris la décision qu'il a prise. En l'espèce, cela signifie que l'enquêteur aurait dû tenter de savoir qui, dans les faits, a pris la décision de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse et pourquoi. Le décideur aurait dû être interrogé sur les allégations de discrimination de la demanderesse et sur sa thèse selon laquelle le ministère a inventé des prétextes après coup pour cacher la raison du non-renouvellement de son contrat.

[24]      Le défendeur prétend que cela n'était pas nécessaire, puisque l'enquêteur souscrivait à la conclusion contenue dans le rapport de la CFP portant que la décision de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse se fondait sur la lenteur du rythme de travail de celle-ci. Cependant, c'est un principe des droits de la personne qu'il est possible de conclure à la discrimination même dans des cas où il existe une raison principale (tel le mauvais rendement au travail) pour le congédiement d'un employé (ou le non-renouvellement de son contrat). En l'espèce, le rapport de l'enquêteur ne révèle aucune enquête menée quant à savoir si l'omission de renouveler le contrat de la demanderesse comportait également un aspect discriminatoire. Il s'agit d'une omission fondamentale, et selon mon interprétation du critère dégagé par l'affaire Slattery, précitée, il n'est pas nécessaire de conclure que la plaignante aurait pu traiter de l'omission dans sa réponse si l'omission était de nature fondamentale.


[25]      En interrogeant la ou les personnes responsable(s) de la décision de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse, l'enquêteur aurait dû envisager de poser au moins quelques-unes de ces questions lors de son réexamen du dossier :

[TRADUCTION] Pourquoi DRHC aurait-il indiqué initialement à la demanderesse que la cessation d'emploi était due à un manque de travail, puis changer d'idée et invoquer des questions liées au rendement?

Pourquoi les représentants de DRHC ont-ils des points de vue incompatibles sur cette même question?

Comment DRHC peut-il invoquer la question de l'ouverture des lettres confidentielles, alors qu'il avait expressément excusé cette conduite en ce qui a trait à la demanderesse, reconnaissant qu'il était inévitable que cela se produise?

Pourquoi la direction de DRHC n'a-t-elle jamais prévenu la demanderesse que son rendement était tel que le renouvellement de son contrat à durée déterminée était menacé?

Pourquoi plusieurs gestionnaires de DRHC ont-ils avisé la demanderesse que son rendement était bon, voire excellent, et malgré tout décidé de ne pas renouveler son contrat pour des raisons liées au rendement?

Si le rendement de la demanderesse était à ce point déficient, pourquoi son contrat a-t-il été renouvelé à deux occasions distinctes?

Comment les allégations relatives au rendement de la demanderesse peuvent-elles être étayées lorsque le ministère lui-même a admis que la demanderesse donnait souvent des suggestions utiles, comme le fait de brocher les demandes, ce qui a amélioré l'efficacité de la section?

Comment DRHC peut-il invoquer l'accumulation de travail pour justifier le traitement qu'il a réservé à la demanderesse, alors qu'il a embauché entre 10 et 15 personnes en même temps pour subvenir aux besoins?

Pourquoi DRHC a-t-il fait une fausse déclaration relativement à la date à laquelle le statut prioritaire de la demanderesse a pris fin?

Pourquoi DRHC a-t-il fait valoir que le renouvellement du contrat de la demanderesse constituait une promotion « illégale » aux termes de la Directive sur le réaménagement des effectifs?


[26]      Par souci de clarté, cependant, j'aimerais également réitérer le fait qu'on ne conclura pas généralement qu'un rapport de DRHC viole l'exigence de la rigueur simplement parce que la demanderesse estime que des témoins additionnels auraient dû être interrogés. À cet égard, le juge Gibson a déclaré, au paragraphe 17 de l'affaire Lindo c. Banque Royale du Canada, [2000] A.C.F. no 1101 (1re inst.) (Q.L.) :

La demanderesse se plaint que l'enquête en question n'ait pas compris l'audition d'un témoin de première importance à son avis, mais la Commission a tenu compte de ce grief lors de l'examen du rapport d'enquête, et je dois conclure qu'elle l'a pris en considération et l'a rejeté. Il lui était raisonnablement loisible de le faire, étant donné le large pouvoir discrétionnaire dont elle est investie pour parvenir à la décision entreprise.

L'affaire dont je suis saisi met en cause une omission de nature plus grave que celle examinée par le juge Gibson dans l'affaire Lindo, précitée. La raison pour laquelle un réexamen de la décision en l'espèce s'impose est liée au fait que cette décision révèle l'omission d'interroger la personne ou les personnes qui (a) ont décidé de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse sur la question du prétexte que celle-ci fait valoir.


[27]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant la Commission canadienne des droits de la personne afin que celle-ci l'examine de manière conforme aux présents motifs.

« W.P. McKeown »

____________________

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                       T-2259-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                           Santosh K. Singh c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                           Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                          Le 7 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR : Le juge McKeown

EN DATE DU :                                                           19 mars 2001

ONT COMPARU :

M. David Yazbeck                                                       POUR LA DEMANDERESSE

M. Michael Roach                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR    

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


Date : 20000319

Dossier : T-2259-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 19 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE :            MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

SANTOSH K. SINGH

demanderesse

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant la Commission canadienne des droits de la personne afin que celle-ci l'examine de manière conforme aux présents motifs.

                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                                   JUGE

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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