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                                                                                                                                           Date : 20011219

                                                                                                                                     Dossier : T-1476-01

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1410

Ottawa, Ontario, ce 19ième jour de décembre 2001

EN PRESENCE DE M. LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                 ADRIEN OUELLET

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente est une demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre d'une décision rendue le 30 juillet 2001 par la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles ( « CNLC » ) confirmant la décision rendue le 24 mai 2001 par la CNLC qui refusait au demandeur la semi-liberté ainsi que la libération conditionnelle totale.

  

Exposé des faits

[2]                 Le 30 novembre 2000, le demandeur a commencé à purger une sentence de deux ans pour des délits liés à la conduite avec facultés affaiblies et ce, alors qu'il était déjà sous l'interdiction de conduire un véhicule. De plus, une ordonnance interdisant au demandeur de conduire pendant trois ans avait également été émise par la Cour lors du prononcé de la sentence.

[3]                 Suite à une audition tenue le 24 mai 2001, la CNLC, dans le cadre de la procédure d'examen expéditive prévue aux articles 125 et 126 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la « Loi » ), a rendu une décision par laquelle elle a refusé au demandeur la semi-liberté ainsi que la libération conditionnelle totale.

[4]                 La CNLC, après avoir étudié le dossier et après avoir rencontré le demandeur, a procédé à l'évaluation du risque que ce dernier représentait et a conclu qu'il existait des motifs raisonnables de croire que si le demandeur était libéré, il commettrait, avant l'échéance de sa peine, une infraction marquée d'actes violents, tel que stipulé aux articles 125 et 126 de la Loi.

[5]                 Le demandeur a porté cette décision en appel devant la Section d'appel de la CNLC.


[6]                 Le 30 juillet 2001, la Section d'appel de la CNLC, après avoir procédé à l'étude du dossier du demandeur et avoir considéré ses prétentions (lettre du 18 juin 2001) ainsi que les soumissions écrites de son procureur, et après avoir écouté l'enregistrement de l'audience du 24 mai 2001, a confirmé la décision de la CNLC.

Les points en litige

[7]                 Est-ce que la Section d'appel de la CNLC a commis une erreur de droit ou de faits en confirmant la décision de la CNLC de ne pas octroyer au demandeur la libération conditionnelle totale et la semi-liberté? Plus particulièrement,

a)         Est-ce que la CNLC pouvait conclure qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait une infraction marquée d'actes violents et ce, malgré le fait que les infractions pour lesquelles il a été condamné ne font pas partie de l'annexe 1?;

b)         Est-ce que les faits au dossier permettaient à la CNLC de conclure qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait, s'il était libéré, une infraction accompagnée de violence?

Norme de contrôle

[8]                 La jurisprudence de cette Cour a maintes fois déterminé que la norme de contrôle de décisions de la Section d'appel est celle de la décision manifestement déraisonnable. (Voir Costiuc v. Canada (Attorney General), [1999] F.C.J. No.241, para. 6)


Analyse

[9]                 Puisque le demandeur purgeait une première sentence au sein d'un pénitencier fédéral pour un délit ne comportant pas de violence physique, son dossier a été analysé par la CNLC dans le cadre de la procédure d'examen expéditive prévue aux articles 125 et 126 de la Loi.

[10]            Les paragraphes 2, 6 et 7 de l'article 126 de la Loi sont pertinents à cette analyse.


126(2) Libération conditionnelle totale

(2) Par dérogation à l'article 102, quand elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, la Commission ordonne sa libération conditionnelle totale.

126(6) Refus

(6) Dans le cas contraire, la libération conditionnelle totale est refusée, le délinquant continuant toutefois d'avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5).

126(7) Infractions accompagnées de violence

(7) Pour l'application du présent article, une infraction accompagnée de violence s'entend du meurtre ou de toute infraction mentionnée à l'annexe I; toutefois, il n'est pas nécessaire, en déterminant s'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant en commettra une, de préciser laquelle.

126(2) Release on full parole

(2) Notwithstanding section 102, if the Board is satisfied that there are no reasonable grounds to believe that the offender, if released, is likely to commit an offence involving violence before the expiration of the offender's sentence according to law, it shall direct that the offender be released on full parole.

126(6) Refusal of parole

(6) An offender who is not released on full parole pursuant to subsection (5) is entitled to subsequent reviews in accordance with subsection 123(5).

126(7) Definition of "offence involving violence"

(7) In this section, "offence involving violence" means murder or any offence set out in Schedule I, but, in determining whether there are reasonable grounds to believe that an offender is likely to commit an offence involving violence, it is not necessary to determine whether the offender is likely to commit any particular offence.


[11]            C'est à l'intérieur de ce cadre législatif que la CNLC devait déterminer si elle était convaincue qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur, s'il était remis en liberté avant l'échéance légale de sa sentence, commettrait une infraction marquée d'actes violents.


[12]            Dans son mémoire, le demandeur souligne que la conduite avec facultés affaiblies est une infraction que l'on ne retrouve pas à l'annexe I de la Loi et soumet qu'en vertu de la Loi, il ne s'agit pas d'un crime violent. De plus, le demandeur soumet que la CNLC a commis une erreur en droit en déclarant « ... que conduire un véhicule automobile en état d'ébriété est un crime violent » . Le demandeur soumet également que la CNLC a refusé de lui octroyer la libération conditionnelle totale parce qu'elle aurait considéré que la conduite avec facultés affaiblies faisait partie de l'annexe I. Ainsi, selon le demandeur, la libération conditionnelle totale ne pourrait être refusée que dans les cas où le délinquant a commis une infraction mentionnée à l'annexe I. Selon le demandeur, il s'agit là d'une question que le législateur doit régler et la CNLC n'a pas le droit d'usurper les pouvoirs qui appartiennent au Parlement.

[13]            Le demandeur soumet également que les deux seules infractions prévues à l'annexe I de la Loi qui ont un lien avec la criminalité du demandeur sont :

a)         conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort (249(3) et (4) du Code criminel du Canada)

b)         conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort (255(2) et (3) du Code criminel du Canada)


Le demandeur prétend qu'il n'a aucun antécédent judiciaire de cette nature et soumet que la CNLC n'a pas de motifs raisonnables de croire qu'il récidivera de nouveau, et ce, en causant des lésions corporelles ou la mort d'un individu.

[14]            Une analyse de la décision de la CNLC démontre que cette dernière n'a jamais considéré que la conduite avec facultés affaiblies était une infraction mentionnée à l'annexe I. La décision révèle plutôt que la CNLC a exprimé son désaccord avec les avis des intervenants au dossier concernant le demandeur selon lesquels ce dernier n'aurait pas été impliqué dans des situations à connotations violentes. La CNLC a plutôt émise l'opinion voulant que conduire un véhicule automobile en état d'ébriété était un crime violent puisqu'il y avait menace de blesser ou de tuer d'innocentes victimes.

[15]            Le défendeur constate que cette opinion émise par la CNLC est tout à fait justifiable compte tenu de l'arrêt R. c. Bernshaw [1995] 1 S.C.R. 254, où la Cour suprême du Canada a reconnu qu'un conducteur dont les facultés sont affaiblies présente un danger mortel qu'il faut détecter et écarter de la circulation dès que possible.

[16]            Le défendeur souligne aussi que nulle part dans la loi il n'est prévu que le refus de libération conditionnelle totale n'est réservé qu'aux délinquants qui ont commis une infraction mentionnée à l'annexe I.


[17]            Je suis d'avis que ce n'est pas parce que le demandeur purge une peine pour une infraction qui n'est pas mentionnée à l'annexe I que la CNLC ne peut pas conclure qu'il existerait des motifs raisonnables de croire qu'il commettra une infraction mentionnée à l'annexe I. Comme le souligne la Section d'appel de la CNLC, « la question n'est pas de savoir si l'infraction est prévue à l'Annexe. Elle est plutôt celle de déterminer, dans le cas précis, sous étude, si la série de condamnations à répétition pour facultés affaiblies constitue une situation, sur la foi de motifs raisonnables, qui entraînera un crime accompagné de violence prévu à l'Annexe 1 sans qu'il soit nécessaire de préciser lequel » . (Motifs de la Section d'appel)

[18]            La CNLC dans sa décision a notamment fait état des facteurs suivants pour justifier sa conclusion :

Depuis 25 ans, le demandeur a été arrêté et condamné à plusieurs reprises pour conduite avec facultés affaiblies;

Le demandeur a même été arrêté pour avoir conduit un véhicule pendant une interdiction;

Le demandeur est au prise avec un sérieux problème non résolu de consommation d'alcool;

Le demandeur minimise sa problématique face à l'alcool;

Le demandeur réalise très peu l'impact de sa consommation d'alcool;

Malgré les nombreuses condamnations, les interdictions de conduire, les hospitalisations et les cures de désintoxications, le demandeur a toujours récidivé dans des crimes de même nature.

  

[19]            Bien que les infractions commises par le demandeur ne sont pas mentionnées à l'annexe 1, à mon avis, il n'est pas déraisonnable pour la CNLC de conclure, à la lumière des facteurs auxquels elle a fait état dans sa décision, qu'il y ait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait, avant l'expiration de sa peine, une infraction mentionnée à l'annexe I.


[20]            Comme l'a mentionné le demandeur dans son mémoire, il y a deux infractions prévues à l'annexe I qui ont un lien avec la criminalité du demandeur soit, conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou la mort (249(3) et (4) du Code criminel du Canada) ou conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort (250(2) et (3) du Code criminel du Canada).

[21]            J'adopte les arguments du défendeur sur ce point, ce n'est pas parce que l'infraction pour laquelle un délinquant est condamné n'est pas accompagnée de violence qu'il ne peut pas en commettre une accompagnée de violence s'il est libéré. Le rôle de la CNLC est précisément d'assurer que les délinquants à qui elle entend octroyer la liberté conditionnelle totale avant l'échéance de leur peine ne vont pas commettre d'infraction accompagnée de violence.

[22]            L'analyse effectuée par la CNLC et l'appréciation des faits en l'espèce est tout à fait conforme au rôle que prévoit la loi et constitue un exercice qui se situe au coeur même de sa compétence et de sa raison d'être.

[23]            Je suis d'avis qu'il n'était pas manifestement déraisonnable pour la CNLC de conclure qu'il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettrait une infraction accompagnée de violence dans l'éventualité où il était remis en liberté avant l'échéance légale de sa peine. Je conclus donc que la décision de la Section d'appel de la CNLC est bien fondée en faits et en droit et qu'elle ne justifie aucunement une intervention de cette Cour.


Conclusion

[24]            Pour l'ensemble de ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                                 Juge                 

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