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     Date : 19971128

     Dossier : IMM-2660-96

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 28 NOVEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

Entre :

     YASMIN KASSAM

     (VELJI),

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT,

     intimés.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent des visas, après avoir lu les pièces déposées et avoir entendu les avocats de toutes les parties à Toronto (Ontario), le 19 août 1997, et pour les motifs de l'ordonnance rendus ce jour,

     LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Les parties auront la possibilité de demander la certification d'une question.

                         "James A. Jerome"

                                 Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     Date : 19971128

     Dossier : IMM-2660-96

Entre :

     YASMIN KASSAM

     (VELJI),

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent des visas a été entendue à Toronto (Ontario), le 19 août 1997. À la fin des plaidoiries, j'ai réservé mon jugement et indiqué que des motifs écrits suivraient.

[2]      La requérante, citoyenne de Tanzanie, a déjà séjourné au Canada aux termes d'un visa de visiteur pour une période de neuf semaines en 1992. En mai 1996, la nièce de la requérante a invité celle-ci à venir rendre visite à sa famille et à assister à son mariage. La nièce de la requérante a signé une déclaration sous serment à cet effet et elle s'est également engagée [TRADUCTION] "à assumer l'entière responsabilité de ma tante [...] sur le plan financier ou autre, pendant son séjour au Canada". En outre, la requérante avait un emploi en Tanzanie et son employeur lui avait donné un congé pour qu'elle puisse venir au Canada.

[3]      La demande de visa de visiteur présentée par la requérante a été refusée par un agent des visas le 20 juin 1996. Cet agent n'a pas cru que la requérante demandait à être admise au Canada à des fins temporaires. La décision a été communiquée à la requérante le 27 juin 1996.

[4]      Le 29 juillet 1996, la requérante a présenté une demande fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, dans laquelle elle demande ce qui suit :

     a) une déclaration attestant que la décision de l'agent des visas a été prise en violation complète des principes de justice naturelle et de justice fondamentale garantis par la Charte et que l'absence totale de motifs constitue également un manquement aux principes de justice naturelle;
     b) une autre déclaration attestant que, de toute façon, la décision de l'agent des visas a été prise sans preuve et en ne tenant absolument aucun compte de la preuve et en l'absence totale de motifs, d'une façon abusive ou arbitraire contrairement au droit applicable;
     c) la décision est arbitraire et renferme des erreurs manifestes qu'aucune personne raisonnable n'aurait commise dans aucune espèce de circonstances;
     d) une ordonnance de certiorari pour annuler la décision de l'agent des visas;
     e) une ordonnance de mandamus obligeant l'intimé à émettre un visa de visiteur à la requérante pour lui permettre de venir au Canada rendre visite à sa famille.

[5]      À l'audience, l'intimé a fait valoir que la question était théorique pour deux raisons. Tout d'abord, la requérante voulait venir au Canada pour assister au mariage de sa nièce et cet événement a déjà eu lieu. Deuxièmement, la preuve concernant le billet d'avion, son emploi en Tanzanie et la déclaration de la nièce dans laquelle celle-ci s'engageait à subvenir à ses besoins au Canada ne sont peut-être plus valables. L'intimé fait valoir qu'une nouvelle décision ne peut être prise en se fondant sur ces faits parce qu'ils n'existent peut-être plus. L'intimé soutient que si la requérante veut venir au Canada, elle peut présenter une nouvelle demande et indiquer les raisons de son séjour dans sa nouvelle demande.

[6]      La requérante donne trois réponses à cet argument. Premièrement, elle fait valoir qu'il ressort clairement du fait que sa demande de visa portait sur une période de quatre à six mois que son séjour au Canada ne se limitait pas à assister au mariage. En outre, la requérante fait référence à la déclaration sous serment qui indique qu'elle avait l'intention de rendre visite à des parents et à des amis en plus d'assister au mariage. Deuxièmement, la requérante soutient qu'une conclusion selon laquelle l'affaire est théorique ferait en sorte qu'elle se verrait perpétuellement refuser un visa de visiteur pour des motifs manifestement déraisonnables sans pouvoir jamais bénéficier du contrôle judiciaire. Finalement, la requérante fait valoir que, d'après la jurisprudence, une affaire peut être entendue même si le fondement factuel n'existait plus. C'est cette dernière considération que j'aborde en premier lieu.

[7]      Dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 [ci-après Borowski], la Cour suprême du Canada a énoncé les principes permettant de déterminer si le litige est théorique et, si tel est le cas, dans quelles conditions l'affaire peut quand même être débattue. Dans sa décision, le juge Sopinka élabore une démarche en deux temps à cette fin. En premier lieu, la Cour doit se "demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique" (page 353). Le juge Sopinka désigne cette étape par l'expression "critère du litige actuel". Si elle juge que le résultat sera théorique, la Cour passe à la deuxième étape mais elle peut quand même exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire au fond.

[8]      Si l'on applique la première étape aux faits de l'espèce, je ne peux conclure qu'il existe un "litige actuel". Le visa aurait été émis pour une période de six mois commençant en juin 1996 jusqu'aux environs de décembre 1996. Un visa émis pour cette période serait maintenant inutile. En outre, les faits qui sous-tendent la demande de visa n'existent peut-être plus. Par conséquent, je dois passer à la deuxième étape du critère Borowski pour déterminer si la Cour devrait néanmoins entendre cette affaire.

[9]      Le juge Sopinka a énoncé les trois critères qu'un tribunal peut examiner pour décider d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre un litige théorique. Toutefois, il convient de noter qu'il ne s'agit pas d'un processus mécanique étant donné que "l'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement" (page 363).

[10]      Le premier critère porte sur l'existence d'un débat contradictoire parce que celui-ci "est l'un des principes fondamentaux de notre système juridique et [...] tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige en débattent complètement tous les aspects" (page 358). Le juge Sopinka ajoute que cette exigence du débat contradictoire peut être remplie malgré la disparition du litige actuel. En particulier, il mentionne qu'il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire. En l'espèce, je conclus que le débat contradictoire existe du fait que cette affaire a été débattue avec beaucoup de ténacité par les parties à l'audience. En outre, étant donné que la requérante exprime toujours le désir de séjourner au Canada, le résultat de cette décision aura certainement des conséquences accessoires pour elle.

[11]      Le deuxième critère tient à l'économie des ressources judiciaires. Le juge Sopinka cite plusieurs situations où ce critère sera soulevé au cours de l'audition d'un litige théorique et je conclus que deux de ces situations sont pertinentes en l'espèce (voir les pages 360 à 362). Tout d'abord, bien que la décision de la Cour ne résoudra pas le litige qui a donné naissance à la présente demande, elle aura des effets concrets sur les droits des parties en raison du traitement qui sera réservé à la requérante dans ses futures demandes de visas de visiteur. Deuxièmement, le juge Sopinka soutient qu'il peut être justifié de consacrer des ressources judiciaires à des causes théoriques qui sont de nature répétitive et de courte durée. Il ajoute toutefois que le simple fait que la question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas à lui seul l'audition de l'affaire, à moins qu'il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d'être résolu. Dans le cas du refus d'un visa de visiteur, les faits qui sous-tendent le différend auront toujours disparu avant qu'ils fassent l'objet d'un contrôle judiciaire.

[12]      Le dernier critère tient à ce que la Cour doit prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit (pages 362 et 363). La Cour doit toutefois prendre garde de prononcer des jugements sans qu'il y ait de litiges pouvant affecter les droits des parties, parce que cela pourrait être considéré comme un empiétement sur la fonction législative plutôt que l'exercice de sa fonction juridictionnelle. Toutefois, le juge Sopinka précise qu'il est nécessaire de garder une certaine souplesse à cet égard. Selon lui, l'évaluation de ce critère exige bien davantage qu'un examen de l'importance du sujet.

[13]      Compte tenu de ma conclusion sur les deux premiers critères, je ne crois pas que mon jugement pourrait être considéré comme un empiétement sur la fonction législative à un tel degré que je doive refuser d'exercer mon pouvoir discrétionnaire d'entendre cette affaire. Dans toutes les situations où la Cour a décidé d'entendre un litige théorique, elle a empiété dans une certaine mesure sur cette fonction législative. Je crois que l'accent mis par le juge Sopinka sur la flexibilité de ce troisième facteur indique qu'il faut parvenir à un équilibre entre ce troisième critère et l'intérêt, notamment, d'entendre une question importante. En l'espèce, je conviens avec l'avocat de la requérante que la question soulevée peut être importante pour de nombreux demandeurs de visa. Je ne vois pas non plus de raison contraignante de refuser d'exercer mon pouvoir discrétionnaire d'entendre cette affaire. Après avoir évalué ces trois critères, je conclus que cette affaire doit être entendue au fond.

[14]      Il n'y a qu'une seule question à décider sur le fond de cette affaire, savoir déterminer si l'agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la requérante n'était pas un visiteur au motif qu'elle n'avait pas assez de fonds ni suffisamment d'attaches en Tanzanie.

[15]      Au moment de délivrer un visa de visiteur, l'agent des visas doit déterminer si la personne est un visiteur au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (ci-après la Loi). Cette définition indique clairement qu'un visiteur est une personne qui entre au Canada à des fins temporaires. L'agent des visas évalue les documents qui sont présentés par le requérant et détermine ensuite si cette personne est un visiteur authentique. Étant donné que le paragraphe 9(1.2) stipule que la personne qui demande un visa de visiteur doit convaincre l'agent des visas qu'elle n'est pas un immigrant, il incombe manifestement à la requérante de prouver qu'elle est un visiteur. Cette obligation ressort également du paragraphe 13(2) du Règlement sur l'immigration de 1978 (ci-après le Règlement) :

     L'agent des visas peut délivrer un visa de visiteur à toute personne qui satisfait aux exigences de la Loi et du présent règlement, si cette personne prouve, d'une façon jugée satisfaisante par l'agent des visas, qu'elle pourra         
     a) retourner dans le pays d'où elle sollicite l'admission au Canada;         
     b) se rendre dans un autre pays.         

[16]      En outre, le paragraphe 13(2) du Règlement précise que l'agent des visas a toute discrétion d'émettre un visa de visiteur. En vertu du paragraphe 9(4) de la Loi, l'agent des visas n'est pas tenu d'émettre un visa simplement parce que la personne satisfait aux dispositions de la Loi et du Règlement.

[17]      D'après la décision de l'agent des visas, il est manifeste que celui-ci n'a pas cru que la requérante avait suffisamment de fonds pour demeurer un visiteur au Canada ni qu'elle avait suffisamment d'attaches en Tanzanie. Si le dossier indique que cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable, la Cour ne doit pas intervenir dans cette décision (voir notamment Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 161 (C.F. 1re inst.)).

[18]      À la décharge de la requérante, il faut dire qu'elle a fourni les billets d'avion attestant qu'elle avait les moyens de retourner dans son pays d'origine. Toutefois, les documents fournis doivent également satisfaire l'agent des visas qu'elle a suffisamment de fonds pour payer toutes les dépenses qu'elle pourra engager au Canada. Si la personne rend visite à des parents, et que ceux-ci assument la responsabilité de ses dépenses, un parent doit fournir une lettre ou une déclaration sous serment indiquant qu'il prendra toutes les dépenses à sa charge. La nièce de la requérante a fourni une déclaration de cette nature dans laquelle elle proposait d'assumer l'entière responsabilité de la requérante pendant son séjour. La nièce de la requérante a également indiqué qu'elle avait un emploi et qu'elle avait suffisamment de biens pour fournir cette garantie.

[19]      Toutefois, la nièce de la requérante n'a pas fourni de documents prouvant qu'elle avait un emploi et suffisamment de biens. Je ne veux pas laisser entendre par là qu'il s'agit d'un élément essentiel dans chaque demande de visa, mais ce genre de preuve aide à convaincre l'agent des visas que le requérant ne fait pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles aux termes de l'alinéa 19(1)b) de la Loi, concernant les personnes qui sont incapables de subvenir à leurs besoins ou qui ne veulent pas le faire.

[20]      Pour étayer sa demande, la requérante devrait également fournir des documents ou des pièces indiquant qu'elle a suffisamment d'attaches dans son pays d'origine. Ces documents peuvent comprendre une preuve de son emploi actuel, des biens qu'elle a en Tanzanie, de même que des autres attaches qu'elle y a. À l'exception de la demande dans laquelle il est indiqué qu'elle a trois frères et soeurs en Tanzanie, le seul document de cette nature qui a été produit dans ce dossier est une lettre de l'employeur de la requérante indiquant qu'elle occupe cet emploi depuis un an. Il n'y a pas d'état de compte bancaire ni d'autres éléments de preuve qui pourraient confirmer les attaches qu'elle a en Tanzanie.

[21]      Comme je l'ai indiqué ci-dessus, la requérante a la charge de prouver qu'elle est un visiteur. L'agent des visas doit examiner l'ensemble de la preuve, y compris les éléments de preuve portant sur les ressources financières de la requérante et ses attaches en Tanzanie et décider d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'émettre un visa. Bien que certains éléments de preuve attestent des attaches familiales et professionnelles de la requérante en Tanzanie, les éléments concernant le soutien financier de la requérante au Canada ne sont guère nombreux. L'agent des visas a le droit d'examiner ces éléments de preuve et de décider si ceux-ci établissent que la requérante est un visiteur authentique. Après avoir examiné l'ensemble du dossier, je ne crois pas qu'il était manifestement déraisonnable pour l'agent des visas d'en venir à la conclusion que la requérante n'est pas un visiteur authentique.

[22]      En outre, je n'accepte pas la prétention de l'avocat de la requérante selon laquelle l'agent des visas a conclu que la requérante n'avait pas les fonds suffisants parce que sa nièce subviendrait à ses besoins au Canada. La décision de l'agent peut tout aussi bien être interprétée comme signifiant que la requérante ne s'est pas acquittée du fardeau de prouver qu'on subviendrait à ses besoins financiers au Canada. Toutefois, j'ajouterai qu'un agent des visas ne doit pas conclure qu'un requérant n'a pas les fonds suffisants quand un citoyen canadien a produit une déclaration sous serment et fourni la preuve qu'il subviendrait aux besoins de ce requérant pendant son séjour au Canada.

[23]      Pour les motifs indiqués ci-dessus, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je ne traiterai pas de la question fondée sur la Charte étant donné qu'elle n'a pas été débattue à l'audience et que, d'après la jurisprudence, la Charte ne s'applique pas aux non-citoyens qui se trouvent à l'extérieur du Canada (Ruparel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 615 (C.F. 1re inst.), mais voir également Crease c. Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté), [1994] 3 C.F. 480 (C.F. 1re inst.)). Comme j'en ai convenu à l'audience, j'autorise les parties à demander la certification d'une question.

OTTAWA (ONTARIO)

le 28 novembre 1997              "James A. Jerome"

                                 Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-2660-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      YASMIN KASSAM (VELJI)

                         C.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 19 AOÛT 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

DATE :                  LE 28 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Rocco Galati                      POUR LA REQUÉRANTE

Kathryn Hucal                  POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati                      POUR LA REQUÉRANTE

Toronto (Ontario)

George Thomson                  POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada     

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