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Date : 20011204

Dossier : T-1999-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1328

Action réelle en matière d'amirauté

ENTRE :

BALCAN ehf

demanderesse

et

Les propriétaires et tous les autres ayants droit

du navire « ATLAS »

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une requête présentée par Gjorvi ehf et al [ci-après appelés Gjorvi] conformément aux règles 208 et 221a), c) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]                 Les parties ont convenu de limiter le contenu de la présente requête aux questions de la garantie d'exécution et des approvisionnements nécessaires; la question de la compétence a été reportée sine die.


RÉSUMÉ DES FAITS PERTINENTS

[3]                 Le 6 novembre 2001, Balcan ehf [ci-après appelée Balcan] a obtenu de la Cour fédérale du Canada la délivrance d'une déclaration et d'un mandat de saisie qui ont entraîné la saisie du navire « Atlas » .

RÉCLAMATION FONDÉE SUR L'ALINÉA 22(2)M) DE LA LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE

[4]                 Balcan présente une demande au titre des approvisionnements nécessaires en vertu de l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale [ci-après appelée la Loi]; dans sa déclaration, elle énumère dix-sept (17) éléments pour lesquels elle demande un remboursement des montants qu'elle a payés au titre des approvisionnements nécessaires fournis au navire « Atlas » .

[5]                 En réponse à la présente requête, Balcan a abandonné quelques-uns des éléments réclamés.

[6]                 Gjorvi soutient que Balcan n'a fourni aucun de ces approvisionnements nécessaires au navire « Atlas » et qu'elle n'en a pas payé le coût; lesdits approvisionnements auraient plutôt été fournis par des tiers et le paiement aurait été négocié à l'instigation de Gjorvi.

ORDONNANCE RECHERCHÉE

[7]                 Gjorvi demande une ordonnance annulant le montant de la garantie d'exécution qu'elle doit déposer pour obtenir la mainlevée de la saisie du navire « Atlas » , étant donné que les réclamations de Balcan au titre des approvisionnements nécessaires ne sont pas fondées.


QUESTION EN LITIGE

[8]                 La réclamation de Balcan au titre des approvisionnements nécessaires est-elle une demande fondée sur l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale, de sorte que la Cour a compétence pour permettre une action réelle contre le navire « Atlas » ?

ANALYSE

La réclamation de Balcan au titre des approvisionnements nécessaires est-elle une demande fondée sur l'alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale, de sorte que la Cour a compétence pour permettre une action réelle contre le navire « Atlas » ?

[9]                 Non, la réclamation que Balcan a présentée en application de l'alinéa 22(2)m) de la Loi n'est pas visée par la compétence de la Cour en matière réelle, parce qu'elle ne concerne pas des approvisionnements nécessaires.

[10]            Le paragraphe 22(1) de la Loi, dont la portée est large, est ainsi libellé :


22.(1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas - opposant notamment des administrés - où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

22.(1) The Trial Division has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.


[11]            Voici le texte de l'alinéa 22(2)m) de la Loi :



22.(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants :

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l'acconage et le gabarage;

22. (2) Without limiting the generality of subsection (1), it is hereby declared for greater certainty that the Trial Division has jurisdiction with respect to any one or more of the following:


[12]          Gjorvi soutient que Balcan n'a fourni aucun approvisionnement nécessaire au navire « Atlas » ni n'a payé le coût des approvisionnements dont elle réclame le remboursement dans sa demande, mais que ceux-ci ont été fournis par des tiers. Par conséquent, Gjorvi fait valoir que la déclaration de Balcan ne révèle aucune cause d'action raisonnable et qu'aucune action réelle ne peut être autorisée à l'égard d'une réclamation au titre d'approvisionnements nécessaires lorsque le demandeur n'a pas fourni les approvisionnements nécessaires au navire en question, c'est-à-dire lorsque la demande n'est pas visée par la compétence de la Cour en vertu de l'alinéa 22(2)m) de la Loi. Pour sa part, Balcan répond que la Cour est investie d'une compétence réelle, parce que la Ship Management Agreement (entente relative à la gestion du navire) est un contrat maritime global et concerne de ce fait le droit maritime canadien général. Je ne suis pas d'accord.

[12]            Balcan invoque la définition du droit maritime canadien qui se trouve à l'article 2 de la Loi, les arrêts ITO International Terminal Operators Limited c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, et Bow Valley Husky c. St. John Shipbuilding, [1997] 3 R.C.S. 1210, ainsi que le concept selon lequel la disposition de l'entente relative à la gestion du navire qui concerne la compétence ne s'applique pas à la compétence de la Cour en matière réelle.


[13]            Dans l'arrêt ITO, le litige portait sur le vol de calculatrices électroniques d'un entrepôt. Balcan soutient que, même si les calculatrices n'étaient pas physiquement à bord d'un navire, elles s'étaient déjà trouvées à cet endroit et constituaient donc un objet relevant de la compétence en matière maritime. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a examiné plusieurs questions, notamment un délit terrestre portant sur des marchandises récemment déchargées ainsi que la responsabilité des personnes employées pour l'exécution du contrat de transport. Dans l'arrêt Bow Valley, il s'agissait d'un incendie qui a éclaté sur une plate-forme pétrolière. Balcan allègue que, même si une plate-forme pétrolière n'est pas un navire pouvant être utilisé pour la navigation, la réclamation délictuelle découlant de l'incendie serait néanmoins une affaire relevant de la compétence en matière maritime. La Cour suprême devait donc statuer sur plusieurs questions, notamment la responsabilité délictuelle, y compris la négligence concourante et le lien de causalité, ainsi que la question de savoir si un constructeur de navire et un fabricant de système étaient tenus de prévenir le propriétaire de la plate-forme de l'inflammabilité du produit utilisé dans le système.

[14]            Ce que Balcan oublie, c'est que la véritable question qui se pose en l'espèce est de savoir si la demande fondée sur l'alinéa 22(2)m) de la Loi est une réclamation valide de sorte que la Cour a compétence sur celle-ci. Balcan invoque des concepts généraux du droit maritime plutôt que de se limiter à la véritable question à trancher dans la présente affaire.

[15]            L'alinéa 22(2)m) de la Loi vise à accorder un recours à celui qui a fourni des marchandises, matériels ou services à un navire sans avoir été payé à cet égard. Balcan n'a pas fourni de marchandises, matériels ou services au navire « Atlas » . Par conséquent, Gjorvi n'a aucune responsabilité envers Balcan à l'égard d'un approvisionnement de cette nature.


[16]            Gjorvi cite l'arrêt McBride c. « American » , [1924] R.C.É. 227 (Cour de l'Échiquier du Canada, district d'amirauté N.-É.), afin d'établir que, pour qu'une partie ait une réclamation réelle au titre d'approvisionnements nécessaires, elle doit avoir payé le prix desdits approvisionnements. La Cour a statué comme suit :

[TRADUCTION]

[par.7]      Il est indéniable

que la personne qui paie le coût des approvisionnements nécessaires fournis à un navire possède, à l'encontre du navire et des propriétaires de celui-ci, une réclamation aussi valable que la personne qui a fourni les approvisionnements en question; de plus, la personne qui avance des sommes d'argent à celui qui paie les approvisionnements afin de lui permettre d'effectuer le paiement en question se trouve dans la même position que la personne à laquelle les sommes ont été avancées. Voir Foong Tai & Co. c. Bucheister & Co. (1908), A.C. 458, à la page 466.

[17]            Balcan n'a payé le coût d'aucun des éléments énumérés dans sa demande en vertu de l'alinéa 22(2)m) de la Loi, comme l'indique l'affidavit de M. Helgi Eiriksson. Selon des lettres de tiers fournisseurs qui sont jointes à cet affidavit, Balcan n'a effectué aucun paiement. Cet affidavit fait également allusion à chacun des montants que Balcan réclame à Gjorvi. Or, Balcan n'a payé aucun de ces montants, qui sont encore dus.

[18]            Il appert de ce qui précède que Balcan n'a pas fourni d'approvisionnements nécessaires au navire « Atlas » ni n'a payé le prix d'approvisionnements de cette nature et ne peut donc présenter une réclamation à cet égard.

[19]            Selon quelques-uns des documents déposés, il se peut que Balcan soit contrainte de payer une partie des montants par voie de garantie ou conformément à des contrats existants; néanmoins, Balcan n'a payé aucune de ces réclamations pour l'instant et aucun des créanciers de Gjorvi ne s'est montré intéressé à poursuivre celle-ci ou Balcan. Bien au contraire, ils ont adopté la position opposée afin de se dissocier de la déclaration de Balcan.


[20]            Les réclamations mentionnées au paragraphe 7 de la déclaration devraient être radiées au motif qu'elles sont prématurées.

[21]            La présente demande n'est pas visée par la compétence de la Cour en matière réelle; par conséquent, les parties de la demande réelle de Balcan devraient être radiées, parce qu'elles dépassent manifestement la compétence dont la Cour est investie en matière réelle en vertu de l'alinéa 22(2)m) de la Loi.

                                                                     ORDONNANCE

[22]            En conséquence, en ce qui concerne la demande de Balcan qui est fondée sur l'alinéa 22(2)m) de la Loi, j'en arrive à la conclusion qu'elle n'est pas valide, parce que Balcan n'a fourni aucun approvisionnement nécessaire au navire « Atlas » ni n'a versé de paiement au titre d'approvisionnements nécessaires.


[23]            Compte tenu de l'absence de réclamation quantifiée visant le navire, j'estime qu'il n'y a aucune raison d'exiger une garantie d'exécution. Le mandat de saisie devrait également être radié et la saisie-arrêt du navire est déclarée invalide, le tout avec dépens en faveur des défendeurs.

             « Pierre Blais »                                    

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 4 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                T-1999-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Balcan ehf c. Les propriétaires et tous les autres ayants droit du navire « Atlas »

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :              le 30 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :             Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                      le 4 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. John Sinnott                                      POUR LA DEMANDERESSE

Mme Cecily Strickland                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis, Sinnott, Shortall, Hurley

St. John's (Terre-Neuve)                      POUR LA DEMANDERESSE

Stewart McKelvey Stirling Scales

St. John's (Terre-Neuve)                      POUR LES DÉFENDEURS

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