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Date : 19980505


Dossier : T-2765-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 MAI 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD

ENTRE :

     ERNST ZÜNDEL,

     Demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     - et -

     SABINA CITRON,

     - et -

     TORONTO MAYOR'S COMMITTEE ON

     COMMUNITY AND RACE RELATIONS,

     Défendeurs,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     - et -

     CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE ASSOCIATION,

     - et -

     LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA,

     - et -

     CONGRÈS JUIF CANADIEN,

     - et -

     SIMON WIESENTHAL CENTRE,

     Intervenants.

     ORDONNANCE

     VU un avis de requête daté du 30 mars 1998 par lequel le demandeur (requérant) sollicite :

     a)      une ordonnance provisoire fondée sur l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale suspendant l'audition par le Tribunal des droits de la personne de deux plaintes déposées contre le demandeur en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne jusqu'à l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire;         
     b)      une ordonnance enjoignant à l'intervenante de déposer son dossier de demande sans avoir le droit de contre-interroger davantage les auteurs des affidavits du demandeur ni le demandeur lui-même ni le droit d'exiger les réponses refusées antérieurement dans les affidavits déjà déposés par le demandeur à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire;         
     c)      subsidiairement à l'ordonnance demandée au paragraphe a), une ordonnance enjoignant à l'intervenante de payer tous les dépens du demandeur découlant de la poursuite des audiences devant le Tribunal des droits de la personne du 26 mai 1997 jusqu'à la fin;         
     d)      les dépens de la présente requête.         

     ET APRÈS AVOIR entendu les avocats du demandeur, des défendeurs et des intervenants;

     LA COUR STATUE QUE :

     La requête est rejetée.

     John D. Richard

     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 19980505


Dossier : T-2765-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 MAI 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD

ENTRE :

     ERNST ZÜNDEL,

     Demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA.

     - et -

     SABINA CITRON,

     - et -

     TORONTO MAYOR'S COMMITTEE ON

     COMMUNITY AND RACE RELATIONS,

     Défendeurs,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     - et -

     CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE ASSOCIATION,

     - et -

     LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA,

     - et -

     CONGRÈS JUIF CANADIEN,

     - et -

     SIMON WIESENTHAL CENTRE,

     Intervenants.

     ORDONNANCE

     VU l'avis de requête modifié daté du 30 mars 1998 par lequel le demandeur (requérant) sollicite :

     (a)      une ordonnance fondée sur l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale suspendant toute nouvelle audience devant le Tribunal des droits de la personne concernant deux plaintes déposées contre le demandeur en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;         
     (b)      une déclaration fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits de la personne ordonnant la suspension de la procédure parce qu'elle constitue un recours abusif contraire à l'article 7 de la Charte;         
     (c)      les dépens de la présente requête.         

     ET APRÈS AVOIR entendu les avocats du demandeur, des défendeurs et des intervenants;



     LA COUR STATUE QUE :

     La requête est rejetée.

     John D. Richard

     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.


Date : 19980505


Dossier : T-2765-96

ENTRE :

     ERNST ZÜNDEL,

     Demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     - et -

     SABINA CITRON,

     - et -

     TORONTO MAYOR'S COMMITTEE ON

     COMMUNITY AND RACE RELATIONS,

     Défendeurs,

     - et -

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     - et -

     CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE ASSOCIATION,



     - et -

     LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA,

     - et -

     CONGRÈS JUIF CANADIEN,

     - et -

     SIMON WIESENTHAL CENTRE,

     Intervenants.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD :

[1]      Par un avis de requête introductif d'instance daté du 12 décembre 1996 et déposé devant la Cour le 17 décembre 1996, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir :

     a)      une ordonnance de la nature d'un certiorari avec interdiction auxiliaire annulant la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne, en vertu de l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1976-77, ch. 33, art. 1 (la Loi), de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne chargé d'examiner deux plaintes déposées contre le demandeur par Sabina Citron et le Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations et interdisant toute autre audience devant le Tribunal des droits de la personne relativement à ces plaintes; parce qu'outrepassant la compétence conférée par le paragraphe 13(1) de la Loi;         
     b)      une réparation de la nature d'un certiorari avec interdiction auxiliaire en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés;         
     c)      une ordonnance de suspension de la procédure jusqu'à l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire, ordonnant la suspension de tout examen par le Tribunal des droits de la personne en vertu de la Loi;         
     d)      une déclaration fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés portant que les actes du Tribunal des droits de la personne sont contraires à l'alinéa 2b) de la Charte et qu'ils ne constituent pas une restriction imposée par une règle de droit au sens de l'article premier de la Charte et interdisant de façon permanente toute autre procédure relative aux plaintes susmentionnées;         
     (e)      une déclaration portant que le paragraphe 13(1) de la Loi outrepasse la compétence du Parlement du Canada par application de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, parce qu'il porte atteinte au droit garanti par l'alinéa 2b) de la Charte, si le paragraphe 13(1) s'applique en l'espèce, contrairement à ce qui précède.         

[2]      Par un avis de requête modifié daté du 30 mars 1998 (la première requête), le demandeur, requérant, sollicite :

     a)      une ordonnance fondée sur l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale suspendant toute nouvelle audience devant le Tribunal des droits de la personne concernant deux plaintes déposées contre le demandeur en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;         
     b)      une déclaration fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits de la personne ordonnant la suspension de la procédure parce qu'elle constitue un recours abusif contraire à l'article 7 de la Charte;         
     c)      les dépens de la présente requête.         

[3]      La première requête s'appuie sur les moyens suivants :

     (1)      dans la décision Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [1998] J.C.F. no 313 prononcée le 23 mars 1998, la Cour a statué que le Tribunal canadien des droits de la personne n'est pas un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle;         
     (2)      le demandeur ne doit faire l'objet d'aucune autre audience devant le Tribunal des droits de la personne et toute audition devant ce Tribunal est nulle;         
     (3)      la procédure devant le Tribunal des droits de la personne est entachée par une crainte raisonnable de partialité pour les motifs énoncés dans la décision Bell Canada, précitée, et elle constituerait un recours abusif contraire à l'article 7 de la Charte si le demandeur faisait malgré lui l'objet d'autre procédures devant le Tribunal; et le paragraphe 24(1) de la Charte permet à une cour supérieure d'accorder une réparation en cas de violation de l'article 7 lorsque les circonstances le justifient comme en l'espèce.         

[4]      Voici le libellé de l'alinéa 50(1)b) et du paragraphe 50(3) de la Loi sur la cour fédérale :

Stay of proceedings

50. (1) The Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter,

     [...]

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

     [...]

Lifting of stay

(3) Any stay ordered under this section may subsequently be lifted in the discretion of the Court.

Suspension d'instance

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire_:

     [...]

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

     [...]

Levée de la suspension

(3) La suspension peut ultérieurement être levée à l'appréciation de la Cour.

[5]      Par un avis de requête séparé daté du 30 mars 1998 (la deuxième requête), le demandeur, requérant, sollicite :

     a)      une ordonnance provisoire fondée sur l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale suspendant l'audition devant le Tribunal des droits de la personne de deux plaintes déposées contre le demandeur en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne jusqu'au prononcé de la décision tranchant la présente demande de contrôle judiciaire;         
     b)      une ordonnance enjoignant à l'intervenante de déposer son dossier de demande sans avoir le droit de contre-interroger davantage les auteurs des affidavits du demandeur ni le demandeur lui-même ni le droit d'exiger les réponses refusées antérieurement dans les affidavits déposés par le demandeur à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire;         
     (c)      subsidiairement à l'ordonnance demandée au paragraphe a), une ordonnance enjoignant à l'intervenante de payer tous les dépens du demandeur découlant de la poursuite des audiences devant le Tribunal des droits de la personne du 26 mai 1997 jusqu'à la fin;         
     (d)      les dépens de la présente requête.         

[6]      L'article 18.2 se lit comme suit :

Interim orders

18.2 On an application for judicial review, the Trial Division may make such interim orders as it considers appropriate pending the final disposition of the application.

1990, c. 8, s. 5.

Mesures provisoires

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

1990, ch. 8, art. 5.

[7]      La deuxième requête s'appuie sur les moyens suivants :

     (1)      l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, a induit la Cour en erreur quant à l'objet de sa demande de contrôle judiciaire;         
     (2)      l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, a abusé et continue d'abuser de la procédure de la Cour en retardant délibérément et exagérément la procédure de demande de contrôle judiciaire afin que le demandeur soit contraint de subir une audition longue et coûteuse devant le Tribunal des droits de la personne;         
     (3)      l'intervenante s'est servie de cette procédure pour obtenir des renseignements et des aveux touchant le fond de la décision que rendra le Tribunal des droits de la personne alors que son droit d'intervenir se limitait exclusivement à des questions de compétence;         
     (4)      l'intervenante s'est servi du refus du demandeur de répondre à ces questions inopportunes lors du contre-interrogatoire pour retarder davantage la demande de contrôle judiciaire;         
     (5)      l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, a présenté des observations contradictoires à la Cour et au Tribunal des droits de la personne concernant la question de la compétence, faisant ainsi preuve de mauvaise foi et de malveillance et d'un comportement de la part de l'intervenante qui constitue un outrage envers la Cour et le Tribunal;         
     (6)      l'intervenante a commis un outrage envers la Cour en refusant de payer sans délai les dépens de 1 750 $ que le juge Muldoon l'a condamnée à verser au demandeur dans une ordonnance datée du 30 janvier 1998;         
     (7)      à la demande de l'intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne, le Tribunal des droits de la personne a refusé de décider s'il avait compétence relativement aux plaintes en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, malgré que le demandeur le lui ait demandé par voie de requête préliminaire, et il a refusé de recevoir de la preuve relativement à sa compétence; la position adoptée par l'intervenante visait à contraindre le demandeur à subir le processus d'audition en entier avant que le Tribunal se prononce sur la question de sa compétence;         
     (8)      le Tribunal des droits de la personne n'a pas compétence pour trancher le débat constitutionnel soulevé par le demande de contrôle judiciaire relativement au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'audition devrait être suspendue jusqu'à ce que ces questions soient tranchées;         
     (9)      compte tenu de toutes les circonstances, il est dans l'intérêt de la justice que la procédure devant le Tribunal des droits de la personne soit suspendue lorsqu'une demande de contrôle judiciaire soulève des questions touchant l'essence de la compétence d'un tribunal administratif;         
     (10)      subsidiairement, le demandeur devrait être indemnisé de tous ses dépens engagés relativement à la procédure devant le Tribunal des droits de la personne découlant de l'abus de procédure de la part de l'intervenante.         

[8]      J'examinerai d'abord la deuxième requête.

[9]      Dans une ordonnance datée du 18 mars 1997, monsieur le juge Noël a rejeté la requête antérieure du demandeur datée du 20 février 1997 sollicitant une ordonnance de suspension de la procédure devant le Tribunal jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

[10]      La requête présentée par le demandeur en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'obtenir la suspension de l'audition jusqu'à l'issue de sa demande de contrôle judiciaire sollicite la même réparation que celle refusée par le juge Noël. Aucun appel n'a été interjeté de l'ordonnance du juge Noël. Je souscrit à la décision rendue par le juge Noël. Cette partie de la deuxième requête est donc rejetée.

[11]      Dans la deuxième requête, le requérant demande aussi une suspension pour corriger l'injustice dont un particulier est victime du fait de la conduite répréhensible de l'État1. Aucune preuve n'établit qu'il y aurait eu conduite répréhensible de l'État devant le Tribunal visé par la demande de suspension de la procédure. Cette plainte semble dirigée contre la conduite de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, qui aurait censément causé des retards. Si la CCDP a effectivement eu un tel comportement, il sera possible d'y remédier par l'adjudication des dépens à l'issue de la procédure de contrôle judiciaire. Quoi qu'il en soit, j'ai fixé, par une ordonnance séparée, un échéancier strict que tous les participants à la demande de contrôle judiciaire devront respecter.

[12]      En conséquence, la réparation demandée dans la deuxième requête est refusée.

[13]      Dans la première requête, le requérant sollicite en fait une suspension provisoire de l'examen des plaintes par le Tribunal jusqu'à l'issue de l'appel dans l'affaire Bell Canada ou l'entrée en vigueur de modifications à la Loi. Il faut donc appliquer le critère en trois étapes énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald2 .

[14]      Dans la décision Bell Canada, madame le juge McGillis a ordonné que la procédure devant le Tribunal des droits de la personne soit annulée et qu'aucune autre procédure ne soit engagée dans l'affaire tant que les problèmes décrits dans ses motifs concernant l'inamovibilité et la sécurité financière ne seront pas corrigés par des modifications législatives à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, modifiée .

[15]      La demande de contrôle judiciaire dans cette cause soulevait la question de savoir si le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) est un organisme quasi judiciaire indépendant et impartial sur le plan institutionnel.

[16]      Le 4 juin 1997, ce Tribunal a prononcé des motifs écrits dans lesquels il a conclu qu'il était " ...un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale ". Le 10 juin 1997, Bell Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire, dans le dossier T-1257-97, pour contester la décision du Tribunal concernant son indépendance.

[17]      Madame le juge McGillis a examiné de façon approfondie l'historique législatif de la Commission et du Comité du Tribunal ainsi que la pratique régissant leurs rapports.

[18]      Sur la question de l'indépendance institutionnelle, elle a conclu " que le régime législatif établi par la Loi en matière d'inamovibilité et de sécurité financière affaiblissait le statut des tribunaux constitués en vertu de la Loi au point où ils ne bénéficiaient pas du degré d'indépendance institutionnelle requis. Dans les circonstances, je suis convaincue qu'une personne raisonnable parfaitement informée éprouverait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tribunal constitué en vertu de la Loi ".


[19]      Elle a ensuite exposé les conséquences de sa conclusion :

     Dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve(Public Utilities Board), [1992] 1 R.C.S. 623, la Cour suprême du Canada a indiqué, dans un arrêt unanime, qu'une conclusion de crainte raisonnable de partialité faisait échec au droit à une audience équitable. Voici ce que la Cour a dit, à la page 645 :         
     Les conséquences d'une conclusion à la partialité         
     Quiconque comparaît devant une commission administrative a droit à un traitement équitable. Ce droit est à la fois distinct et absolu. Comme je l'ai déjà mentionné, du moment que la crainte raisonnable de partialité est établie, une audience équitable ou l'équité procédurale sont impossibles. S'il y a eu négation du droit à une audience équitable, la décision subséquente du tribunal ne peut y remédier. La décision d'un tribunal qui a refusé aux parties une audience équitable ne peut être simplement annulable et être validée ensuite par la décision subséquente du tribunal. L'équité procédurale est un élément essentiel de toute audience tenue devant un tribunal. Le préjudice résultant d'une crainte de partialité est irrémédiable. L'audience, ainsi que toute ordonnance à laquelle elle aboutit, est nulle.         
     Je suis convaincue que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Public Utilities Board ), précité, s'appliquent à la conclusion qu'il existe une crainte raisonnable de partialité fondée sur l'absence perçue d'indépendance institutionnelle de la part d'un tribunal administratif. J'ai donc conclu que la procédure engagée devant le tribunal en l'espèce était nulle. Un Tribunal constitué en vertu de la Loi ne pourra statuer sur les droits fondamentaux en cause dans la présente affaire tant qu'une réforme législative, réclamée depuis tant d'années, ne corrigera pas les problèmes constatés relativement à l'inamovibilité et à la sécurité financière.         

[20]      Madame le juge McGillis n'a pas déclaré nulles ni inopérantes les dispositions de la Loi touchant la constitution du Tribunal. Elle n'a pas fondé sa décision sur un manquement à la Charte ni sur une conclusion d'incompatibilité avec la Déclaration canadienne des droits. Elle a fait les constats suivants :

     1)      le régime législatif établi par la Loi en matière d'inamovibilité et de sécurité financière affaiblit le statut des tribunaux constitués en vertu de la Loi au point où ils ne bénéficient pas du degré d'indépendance institutionnelle requis;
     2)      une personne raisonnable parfaitement informée éprouverait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tribunal constitué en vertu de la Loi.

Puis, à partir de ces constats, elle a décidé que le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co., selon lequel une crainte raisonnable de partialité fait échec au droit à une audience équitable, s'applique à une conclusion de crainte raisonnable de partialité fondée sur l'absence perçue d'indépendance institutionnelle de la part d'un tribunal administratif .

[21]      Elle a donc interdit la poursuite de toute procédure devant ce Tribunal tant que des modifications à la Loi ne corrigeraient pas les problèmes qu'elle avait constatés concernant l'inamovibilité et la sécurité financière.

[22]      Les avocats m'ont informé qu'un appel de la décision rendue par madame le juge McGillis a été formé devant la Cour d'appel fédérale.

[23]      Compte tenu de la décision rendue par madame le juge McGillis dans l'affaire Bell Canada, dont il a été interjeté appel, il existe une question sérieuse à juger. La question du préjudice irréparable n'est pas déterminant. Le facteur déterminant en l'espèce est plutôt la prépondérance des inconvénients. Et pour l'apprécier, il faut tenir compte du préjudice qui pourrait être causé à l'intérêt public.

[24]      Comme je l'ai affirmé dans l'affaire Bell Canada3, je ne crois pas qu'il soit à l'avantage de l'intérêt public de retarder une procédure devant un Tribunal.

[25]      Dans l'affaire Bell Canada, le Tribunal avait entendu plusieurs requêtes, mais il n'avait pas encore entendu de témoins. En l'espèce, le Tribunal a entendu treize témoins sur une période de onze mois et il prévoit terminer ses audiences en juin cette année.

[26]      Le facteur de la prépondérance des inconvénients inclus dans le critère en trois étapes énoncé dans RJR-MacDonald et le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale mènent selon moi au même résultat.

[27]      Je conclus qu'il est à l'avantage de l'intérêt public de refuser la suspension d'un examen entamé par le Tribunal, lorsque ses audiences sont déjà en cours. Des périodes ont été réservées aux audiences, les témoins et les avocats s'y sont préparés, les intéressés n'ont pas contesté l'indépendance du Tribunal avant le début des audiences et le retard additionnel serait plus important que dans le cas où l'examen n'est pas encore entamé.

[28]      Cette situation se démarque de celle où le Tribunal a été constitué, mais où il n'a pas commencé a recevoir de la preuve à l'appui de la plainte.

[29]      Par conséquent, lorsqu'un Tribunal a été constitué et qu'il a commencé à recevoir de la preuve à l'appui de la plainte, la procédure devant ce Tribunal ne doit pas être suspendue et il doit pouvoir la mener à terme.

[30]      Dans la première requête, le requérant invoque aussi un manquement à l'article 7 de la Charte à l'appui de la réparation demandée. On peut répondre d'emblée à cet argument en soulignant que la procédure devant le Tribunal n'est pas de nature pénale et ne met en jeu ni la vie, ni la liberté ni la sécurité de la personne.

[31]      En conséquence, la réparation demandée par le requérant dans la première requête est refusée.

     John D. Richard

     Juge

Ottawa (Ontario)

5 mai 1998

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2765-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      < & nbsp;     Ernst Zündel (Demandeur)
                     < & nbsp;     Procureur général du Canada, Sabina Citron et Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations (Défendeurs)
                     < & nbsp;     Commission canadienne des droits de la personne, Canadian Holocaust Remembrance Association, Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada, Congrès juif canadien et Simon Wiesenthal Centre (Intervenants)

LIEU DE L'AUDITION :          Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDITION :      27 et 28 avril 1998

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     PRONONCÉE PAR MONSIEUR LE JUGE RICHARD

     LE 5 MAI 1998

ONT COMPARU :

Douglas H. Christie              pour le demandeur

Richard Kramer              pour le défendeur

                     (Procureur général du Canada)

John Laskin                  pour la défenderesse(Sabina Citron)

Andrew A. Weretelnyk          pour le défendeur(Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations)

     - 2 -

René Duval, Eddie Taylor          pour l'intervenante

et Julie Beauchemin              (Commission canadienne des droits de la personne)

John B.Laskin              pour l'intervenante (Canadian Holocaust Remembrance Association)
Marvin Kurz                  pour l'intervenante (Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada)

Robert E. Kwinter              pour l'intervenant (Congrès juif canadien)

Ava Kanner                  pour l'intervenant (Simon Wiesenthal Centre)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas H. Christie

Victoria (C.-B.)                  pour le demandeur

George Thomson

Sous-procureur général du Canada          pour le défendeur

Ottawa (Ontario)                  (Procureur général du Canada)

Tory, Tory, DesLauriers & Binnington

Toronto (Ontario)                  pour la défenderesse (Sabina Citron)
Cité de Toronto, Service du contentieux      pour le défendeur(Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations)
Commission canadienne              pour l'intervenante (commission canadienne des des droits de la personne              droits de la personne)         

Services juridiques, Ottawa (Ontario)

Tory, Tory, DesLauriers & Binnington      pour l'intervenante (Canadian Holocaust

Toronto (Ontario)                  Remembrance Association)

Dale, Steinman et Kurz              pour l'intervenante (Ligue des droits de la

Brampton (Ontario)                  personne de B'Nai Brith Canada)

Blake, Cassels & Graydon              pour l'intervenant (Congrès juif Canadien)

Toronto (Ontario)

Bennett, Jones, Verchere              pour l'intervenant (Simon Wiesenthal Centre)

Toronto (Ontario)

__________________

1      Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391.

2      RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

3      Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et autres (1997), 127 F.T.R. 44 à la page 57.

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