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     Date : 20000531

     Dossier : T-1281-99

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HENEGHAN


Entre

     STENOTRAN SERVICES

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

     DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

     défendeur



     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


Le juge HENEGHAN


[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision, prise le 28 juin 1999 par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (le ministre), de divulguer le tarif soumissionné par StenoTran Services (la demanderesse), qui s'est vu adjuger le contrat d'entreprise no 4R001-9-100/A pour la prestation de services de sténographie au Tribunal de la concurrence.

[2]      Le 9 février 1999, Travaux publics a lancé un appel d'offres pour un contrat de services de sténographie au Tribunal de la concurrence. Les compagnies soumissionnaires devaient indiquer leur tarif et communiquer la notice biographique des sténographes qui feraient le travail. À l'issue du processus, la demanderesse s'est vu adjuger le 17 mars 1999 le contrat no 4R001-9-100/A, à titre de moins-disante pour les prix unitaires.

[3]      Le 22 mars 1999, un tiers a demandé au ministre, en application de la Loi sur l'accès à l'information1 (la Loi), de lui communiquer les prix unitaires et la documentation y relative de l'entreprise qui s'est vu adjuger le contrat pour le Tribunal de la concurrence. Par suite, le ministre a informé la demanderesse qu'il allait divulguer les prix unitaires en question.

[4]      Le 19 mai 1999, celle-ci s'est opposée à la divulgation de ces prix ainsi que des noms et notices biographiques de ses sténographes. Elle a été informée en réponse que certains éléments de la documentation seraient exemptés, mais que les prix unitaires et les noms des sténographes seraient divulgués. À la date de l'audience, le ministre a fait savoir que les noms des sténographes judiciaires ne seraient pas divulgués. En conséquence, il échet uniquement d'examiner la décision du ministre de ne pas exempter de la divulgation, en application de l'alinéa 20(1)b) de la Loi, les prix unitaires de StenoTran.

[5]      L'alinéa 20(1)b) de la Loi porte :

     20.(1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :
         "
         b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers; "

[6]      Il ressort de cet alinéa 20(1)b) que les institutions fédérales peuvent refuser la communication de tout document (1) qui comporte des données financières, commerciales, scientifiques ou techniques; (2) qui est confidentiel; (3) qui a été communiqué à une institution fédérale par un tiers; (4) et qui a été constamment tenu pour confidentiel par ce tiers.

[7]      La demanderesse soutient que les prix unitaires et les noms des sténographes tombent dans le champ d'application des critères de l'alinéa 20(1)b) de la Loi et ne doivent pas être divulgués. Il s'agit, dit-elle, de renseignements commerciaux confidentiels qu'elle a communiqués à une institution fédérale à titre confidentiel.

[8]      Le ministre convient qu'il s'agit là de renseignements " commerciaux " que la demanderesse a communiqués à une institution fédérale, mais conteste la prétention à la confidentialité. Il soutient que ces renseignements ne sont pas confidentiels et ne sont pas traités comme tels par la demanderesse.

[9]      Dans Air Atonabee Ltd. c. Ministre des Transports2, le juge MacKay a défini les critères constituant la norme objective à observer pour juger si quelque chose est " confidentiel ". Voici sa conclusion en la matière :

     La deuxième exigence de l'alinéa 20(1)b), c'est-à-dire celle qui prévoit que les renseignements doivent être de nature confidentielle, a été examinée dans plusieurs décisions. Ces décisions établissent que les renseignements doivent être de nature confidentielle suivant un critère objectif qui tienne compte du contenu des renseignements, de leur but et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués (le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, à la page 25). Il ne suffit pas que le tiers déclare, sans autre preuve, que les renseignements sont confidentiels (voir, p. ex., Merck Frosst Canada Inc., précité; Noël c. Administration du pilotage des Grands Lacs Ltée et autre, (1988), 45 D.L.R. (4th) 127; [1988] 2 C.F. 77, 8 A.C.W.S. (3d) 99 (C.F. 1re inst.)). Des renseignements ont été jugés non confidentiels, même si le tiers les considérait comme tels, lorsque le public y avait accès par une autre source (Canada Packers Inc. c. Ministre de l'Agriculture, [1988] 1 C.F. 483, 8 A.C.W.S. (3d) 48 (1re inst.) et la jurisprudence connexe, appel rejeté pour d'autres motifs, v. 26 C.P.R. (3d) 407, 53 D.L.R. (4th) 246, [1989] 1 C.F. 47 (C.A.F)), ou lorsqu'ils pouvaient être obtenus antérieurement ou sous une autre forme de l'administration (Canada Packers Inc., précité, Merck Frosst Canada Inc., précité). Les renseignements ne sont pas confidentiels s'ils peuvent être obtenus par observation, quoiqu'avec plus d'efforts de la part de l'auteur de la demande (Noël, précité). Comme le juge en chef adjoint Jerome l'a souligné dans des décisions antérieures relatives à l'alinéa 20(1)b) :
             Il ne suffit pas que [la requérante] ait considéré " que les renseignements étaient confidentiels" Il faut aussi qu'ils aient été gardés confidentiels par les deux parties et doivent donc " ne pas avoir été divulgués d'une autre manière ni pouvoir être obtenus de sources auxquelles le public a accès.
     (Maislin Industries Ltd. c. Ministre de l'Industrie et du Commerce et autre (1984), 80 C.P.R. (2d) 253, à la page 257, 10 D.L.R. (4th) 417, [1984] 1 C.F. 939 (1re inst.); DMR Associates c. Ministre des Approvisionnements et Services (1984), 11 C.P.R. (3d) 87, à la page 91 (C.F. 1re inst.)).3

Et en page 202 :

     J'ai entrepris cet examen de la jurisprudence, lequel est facilité en partie par les prétentions des avocats, dans le but d'interpréter l'expression " renseignements de nature confidentielle " qu'on trouve à l'alinéa 20(1)b ) d'une façon qui s'accorde avec les objets de la Loi dans un cas où les documents en question qui relèvent d'un ministère sont constitués de documents qui proviennent tant de l'intérieur que de l'extérieur du ministère. Cet examen m'amène à considérer ce qui suit comme un exposé détaillé de l'opinion formulée par le juge en chef adjoint Jerome dans le jugement Montana, précité, dans lequel celui-ci a déclaré que la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c'est-à-dire :
         a) le contenu du document est tel que les renseignements qu'il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;
         b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l'assurance raisonnable qu'ils ne seront pas divulgués;
         c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l'exige ou parce qu'ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d'une relation de confiance entre l'administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d'une relation qui n'est pas contraire à l'intérêt public, et la communication des renseignements doit favoriser cette relation dans l'intérêt du public.4

[10]      Dans Société Gamma Inc. c. Secrétariat d'État du Canada5, le juge Strayer s'est prononcé en ces termes dans une affaire d'accès à l'information, relative à la divulgation du mode de présentation de la soumission à une appel d'offres de services de traduction :

     Ayant examiné minutieusement les versions expurgées des propositions que l'intimé est disposé à communiquer, je ne puis conclure au caractère confidentiel de ce qui s'y trouve. Or, il est bien établi que la question de la confidentialité de renseignements doit être tranchée objectivement (Voir, p. ex., Maislin Industries Ltd. c. Ministre de l'Industrie et du Commerce (1984), 80 C.P.R. (2d) 253, à la p. 259, 10 D.L.R. (4th) 417, [1984] 1 C.F. 939 (1re inst.); Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur) (1989), 23 C.P.R. (3d) 297, [1989] 2 C.F. 480, 24 F.T.R. 62, sub. nom. L.C.F. c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur); et Air Atonabee c. Ministre des Transports (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 aux pages 201 à 203, 37 Admin. L.R. 245, 27 F.T.R. 194 (1re inst.). Selon moi, les extraits tirés des propositions de la requérante, dont l'intimé entend donner communication, ne sauraient être considérés comme intrinsèquement confidentiels. En premier lieu, le mode de présentation des propositions, auquel la requérante attache tant d'importance, n'est en réalité, si l'on fait abstraction de deux paragraphes (1.7, 1.8), qu'un énoncé de tous les points énumérés dans la "grille d'évaluation", qui est l'un des documents qui accompagnent les demandes de proposition du gouvernement. Pour ce qui est des renseignements fournis au moyen du mode de présentation susmentionné, certains tombent manifestement dans le domaine public. C'est le cas notamment des jugements de cour joints comme échantillons du travail de la requérante. Les renseignements généraux sur la requérante et sur la nature et la qualité de son travail, qui ne sont pas par ailleurs exemptés de communication, ne me paraissent pas intrinsèquement confidentiels. N'oublions pas que les propositions sont constituées en vue d'obtenir l'adjudication d'un contrat par le gouvernement qui, lui, effectue le paiement sur les deniers publics. Il existe peut-être de bonnes raisons de considérer les propositions ou les soumissions comme confidentielles tant que le contrat n'aura pas été adjugé, mais du moment que le contrat est adjugé ou refusé, il ne semble y avoir aucune nécessité, sauf dans des cas particuliers, de les garder secrètes. En d'autres termes, l'entrepreneur éventuel qui cherche à se faire adjuger un contrat par le gouvernement ne doit pas s'attendre que les conditions selon lesquelles il est prêt à contracter " entre autres celles touchant la capacité de rendement de son entreprise ", échappent totalement à l'obligation de divulgation incombant au gouvernement du Canada par suite de son devoir de rendre compte aux électeurs. Il est bien établi d'ailleurs que c'est toujours à celui qui fait valoir l'exemption de communication de démontrer que les documents en question relèvent de l'un des critères énoncés au paragraphe 20(1). Or, je ne crois pas que la requérante en l'espèce soit parvenue à démontrer de façon suffisamment convaincante que, selon un critère objectif, les documents en cause revêtent un caractère confidentiel. Je veux bien que la requérante et, jusqu'ici, l'intimé les aient traités comme confidentiels, mais ce n'est là qu'un seul volet du critère de la confidentialité prévu à l'alinéa 20(1)b ).6

[11]      La demanderesse soutient que dans la Demande d'offre permanente, une clause de confidentialité garantissait que les renseignements que le soumissionnaire qualifiait de confidentiels dans son offre (et elle prétend l'avoir fait en l'occurrence) seraient considérés comme tels au regard de la Loi sur l'accès à l'information :

     Au cas où le soumissionnaire communique expressément à titre confidentiel les renseignements demandés, le gouvernement du Canada les gardera confidentiels conformément à la Loi sur l'accès à l'information.

[12]      À mon avis, cette clause de confidentialité garantit seulement que les renseignements produits seront traités de façon confidentielle conformément aux dispositions de la Loi. Qui plus est, il y a lieu de noter, s'agissant des dispositions de l'alinéa 20(1)b) de la Loi, que l'offre permanente renferme aussi une clause de divulgation :

     Le soumissionnaire consent à la divulgation par le Canada des prix unitaires de son offre permanente, et convient qu'il n'a aucun recours à cet égard contre le Canada, le ministre, l'usager nominatif, ou l'un quelconque de leurs employés, mandataires ou préposés.

[13]      La demanderesse soutient que la clause ci-dessus porte seulement divulgation à d'autres ministères du gouvernement et que, si celui-ci avait entendu en étendre l'application aux organes non gouvernementaux, il aurait dû le spécifier.

[14]      Le ministre réplique qu'il n'y avait ni engagement de confidentialité de sa part ni clause de confidentialité dans l'offre permanente. Qu'au contraire, il y a des clauses de divulgation à la fois dans la demande d'offre permanente et dans l'offre permanente elle-même, par lesquelles la demanderesse consent expressément à la divulgation de tous les prix unitaires par le ministre. Et que cette divulgation n'est pas limitée aux organismes gouvernementaux.

[15]      En l'espèce, c'est à la demanderesse qu'il incombe de prouver que les renseignements en question ne doivent pas être divulgués. De ce fait et du fait qu'il existe une clause de divulgation, laquelle, à mon avis, ne s'applique pas qu'au bénéfice des autres organismes gouvernementaux, je déboute la demanderesse de son recours contre la décision du ministre de divulguer les prix unitaires. Après avoir examiné les renseignements en question, je conclus que la clause de divulgation n'est pas compatible avec la prétention qu'ils sont objectivement " confidentiels ".


     ORDONNANCE

[16]      La Cour déboute la demanderesse de son recours, exercé en application de l'article 44 de la Loi.


     Signé : E. Heneghan

     _____________________________

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 31 mai 2000



Traduction certifiée conforme,





Martine Brunet


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-1281-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      StenoTran Services c. Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa


DATE DE L'AUDIENCE :          9 février 2000

ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF) PRONONCÉE PAR LE JUGE HENEGHAN


LE :                      31 mai 2000



ONT COMPARU :


Marcia Green                      pour la demanderesse

Robert MacKinnon                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Ogilvy Renault                  pour la demanderesse

Ottawa

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. A-1.

2      (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1re inst.).

3      Ibid., page 199.

4      Op. cit., page 201.

5      (1994), 56 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.).

6      Op. cit., pages 63 et 64.

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