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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc. (1re inst.) [2001] 1 C.F. 681






Date : 20001101


Dossier : T-2799-96




ENTRE :

    

     KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.


     demanderesses/

     défenderesses reconventionnelles



     - et -



     RITVIK HOLDINGS INC./GESTIONS RITVIK INC.,

     et RITVIK TOYS INC./JOUETS RITVIK INC.


     défenderesses/

     demanderesses reconventionnelles



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



Le juge Muldoon



[1]          Les défenderesses font appel d'une ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 15 mai 2000 qui refusait à Ritvik une dispense d'application de la règle de l'engagement implicite en matière de communication de la preuve obtenue lors de l'interrogatoire préalable. Les défenderesses demandent une ordonnance cassant la décision du protonotaire et les autorisant à mettre certains documents publics à la disposition des avocats locaux occupant dans des procédures parallèles auxquelles Ritvik et Lego sont parties dans d'autres pays.


Les faits


[2]          Les faits, tels qu'ils apparaissent dans les conclusions des avocats, sont les suivants. L'action générale est une action en usurpation de marque de commerce dans laquelle les demanderesses (Lego) affirment que les défenderesses (Ritvik) ont violé leurs droits de marque sur la configuration tridimensionnelle des protubérances de leurs briques pour jeux de construction. Les demanderesses appellent cette marque la « marque figurative Lego » . Les défenderesses objectent que la marque figurative Lego est fonctionnelle et ne peut donc tenir lieu de marque de commerce. Ces allégations ont donné lieu à l'introduction d'actions et de procédures entre ces parties dans au moins dix pays à travers le monde, outre les procédures auxquelles Lego est partie et dont Ritvik a connaissance.


[3]          La difficulté à laquelle se heurtent aujourd'hui les défenderesses, et l'objet de la présente requête, c'est que les demanderesses n'ont pas énuméré dans leur affidavit de documents toutes les actions qui les concernent ou qui les ont concernées. Durant l'interrogatoire préalable, les défenderesses ont prié les demanderesses de produire tous les documents publics dans lesquels apparaissent des déclarations concernant la fonctionnalité. En réponse, Lego a produit des actes de procédure, des transcriptions de témoignages, des déclarations et des affidavits qui ont été utilisés et déposés dans des procédures judiciaires publiques engagées dans plusieurs ressorts en dehors du Canada. Nombre de ces documents renferment des déclarations contre intérêt se rapportant à la fonctionnalité de la marque figurative Lego. Les défenderesses voudraient aujourd'hui se soustraire à la règle de l'engagement implicite pour que ces documents puissent être remis aux avocats occupant dans les diverses autres actions qui concernent les mêmes parties et les mêmes points en litige.


Conclusions des parties


Défenderesses


1. Arguments


[4]          Les défenderesses présentent leur requête et demandent la non-application de la règle de l'engagement implicite en raison de circonstances spéciales, pour les motifs suivants :


     1.      les documents demandés sont des documents publics produits dans des procédures engagées dans d'autres pays et renferment des déclarations contre intérêt concernant l'objet de la requête;
     2.      il est dans l'intérêt de la justice d'accorder une dispense d'application de la règle de l'engagement implicite vu que les procédures introduites dans les autres pays concernent essentiellement les mêmes parties et les mêmes points en litige;
     3.      certains des documents publics ne sont peut-être plus entre les mains des greffes ou ont peut-être été détruits par les tribunaux en raison du temps écoulé depuis les premières audiences (ainsi les documents intéressant l'instance Israeli n'existent plus en raison de leur destruction par le tribunal);
     4.      les documents constituent la meilleure preuve existante étant donné que certains des déposants sont décédés;
     5.      les défenderesses veulent utiliser les documents comme moyen de protéger leurs droits et non pour nuire aux droits des demanderesses;
     6.      les demanderesses n'ont pas fait la preuve qu'elles seront préjudiciées par la divulgation;
     7.      les documents en question ne sont pas des documents internes des demanderesses, mais sont reconnus comme documents publics dans divers ressorts;
     8.      si les documents ne sont pas mis à disposition, les tribunaux judiciaires et administratifs des autres pays concernés seront contraints de rendre une décision sans disposer d'un dossier complet.

[5]          Les défenderesses affirment que l'ordonnance du protonotaire refusant la dispense demandée était discrétionnaire et qu'elle peut être infirmée si l'ordonnance est manifestement erronée, c'est-à-dire si l'exercice du pouvoir discrétionnaire s'est fondé sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits. Une telle ordonnance pourrait aussi être infirmée si le protonotaire a tenu compte de facteurs déterminants pour l'issue finale des points en litige, mais cet aspect n'intéresse pas le présent appel. Ce critère constitue la norme de contrôle qui doit nécessairement être observée avant que la décision discrétionnaire d'un protonotaire ne puisse être annulée.


[6]          La règle de l'engagement implicite afférente à l'interrogatoire préalable vise à protéger l'information privée dont la communication ou la divulgation est imposée par un tribunal et qui n'aurait pu être obtenue autrement d'une manière légitime. Il y a engagement implicite lorsque la partie qui reçoit l'information se doit de s'abstenir d'utiliser l'information ainsi divulguée pour un objet ultérieur ou accessoire en dehors du litige auquel elle est destinée. Les défenderesses affirment que cette règle vise à protéger le droit à la confidentialité des renseignements que la partie qui divulgue possède. Selon elles, la règle ne s'applique donc pas aux documents publics.


[7]          Ritvik soutient que, puisqu'elle a tenté d'obtenir les documents publics et a constaté que certains d'entre eux avaient été détruits, il existe des circonstances spéciales qui font que la non-application de la règle de l'engagement implicite est le seul moyen par lequel ces documents puissent être obtenus. Ritvik invoque donc le critère juridique selon lequel une partie peut être soustraite à l'engagement implicite lorsque l'intérêt de la justice l'emporte sur le préjudice que pourrait subir la partie visée par la demande de communication.


[8]          Les défenderesses soutiennent que, si elles sont tenues à l'engagement implicite et empêchées de fournir les documents aux autres avocats locaux, ce seront elles qui subiront une injustice. D'autant que l'objet premier de l'engagement implicite est la protection des renseignements privés et que les documents publics n'ont pas besoin d'une telle protection.


2. Le droit - défenderesses (appelantes)


[9]          Les défenderesses ont invoqué à l'appui de leur position de nombreux précédents, mais se sont fondées sur les principes énoncés dans quelques décisions clés. Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Limited, [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), M. le juge MacGuigan énonce la norme de contrôle à appliquer aux décisions des protonotaires.


     Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
     a)      l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
     b)      l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. (p. 463)

La Cour fait ensuite observer que, lorsque l'un ou l'autre de ces facteurs est présent, le juge se doit d'exercer de novo son propre pouvoir discrétionnaire.


[10]          Évoquant la règle de l'engagement implicite, les défenderesses se réfèrent à la décision de Mme le juge Reed dans l'affaire Canada c. ICHI Canada Ltd. (1991), 40 C.P.R. (3d) 119 (C.F. 1re inst.). Le texte du paragraphe souvent cité est rédigé comme suit :


     La partie défenderesse apprendra, à la lecture des présents motifs, l'existence d'un engagement implicite automatique, de telle sorte que l'information obtenue, lors de l'interrogatoire, ne pourra être utilisée qu'aux seules fins du litige pour lequel elle a été obtenue. Bien entendu, cela ne limite pas l'utilisation d'informations qui, subséquemment, feront partie du dossier public. Cette décision n'affecte pas non plus l'utilisation d'informations obtenues lors de l'interrogatoire préalable qui auraient pu être obtenues d'une autre source. L'engagement implicite ne peut porter sur des documents et des informations obtenus d'une source étrangère à l'interrogatoire préalable, sous prétexte qu'ils ont été obtenus pendant l'enquête préalable. De plus, l'engagement implicite n'empêche pas une partie de demander, dans le contexte d'une instance connexe, d'être relevée de cet engagement implicite, afin que les informations obtenues, lors de l'interrogatoire préalable, puissent être utilisées dans cette autre instance. Toutefois, il s'agit d'une question qui devra être déterminée dans le contexte de cette instance [...] (p. 124)

[11]          Réaffirmant ce principe, la Cour d'appel de l'Ontario note, dans l'arrêt Goodman v. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359, que [TRADUCTION] « l'objet de l'engagement est de protéger, dans la mesure où cela est conforme au bon déroulement de l'action, le caractère confidentiel des documents d'une partie » .


[12]          Dans l'affaire Goodyear Canada Inc. v. Meloche, (1996) 41 C.B.R. (3d) 112; 50 C.P.C. (3d) 398; [1996] O.J. no 1711 (Cour de l'Ont., Div. gén.), la Cour a jugé qu'il ne saurait exister un intérêt de nature privée dans des documents publics.


[13]          À l'appui de ce point de vue, la Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Interpharm Inc., (1993) 156 N.R. 234; 40 C.P.R. (3d) 208; [1993] A.C.F. no 758 (C.A.), que la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas aux documents qui font partie du dossier public ni à ceux qui, bien qu'obtenus à la faveur d'une enquête préalable, auraient pu être obtenus d'une autre source.


Demanderesses


1. Arguments


[14]          Les demanderesses affirment que, en tant qu'ordonnance discrétionnaire, la décision du protonotaire doit être maintenue car il n'a pas été établi qu'elle était manifestement erronée ou fondée sur une mauvaise appréciation des faits. De plus, la décision ne saurait être infirmée du seul fait que le juge conduisant l'audience aurait rendu une décision autre.


[15]          Il est également affirmé que, lorsque la partie soumise à un interrogatoire préalable est contrainte de communiquer les documents sur lesquels elle se fonde dans une instance, qu'il s'agisse ou non de documents publics, il y a engagement implicite.


[16]          Les demanderesses soutiennent que, bien que les documents en question soient des documents publics dans d'autres ressorts, ils ne sont pas accessibles en la forme présentée durant l'interrogatoire préalable. Elles fondent leur position sur le fait que cet « ensemble » particulier de documents n'est pas accessible au public car il a été établi à seule fin de répondre aux questions des défenderesses durant l'interrogatoire préalable. De plus, il n'est pas question ici du droit des demanderesses à la confidentialité des renseignements contenus dans leurs documents, mais c'est plutôt le fait que des documents qui ont été expressément préparés par et pour leurs propres archives sont utilisés contre les demanderesses dans un procès parallèle. C'est cela qui suscite l'opposition des demanderesses.


[17]          Les demanderesses affirment que certains facteurs doivent être pris en compte pour savoir si la non-application de la règle de l'engagement implicite est justifiée. Ce sont : 1) l'existence de circonstances spéciales; 2) la mesure de l'injustice subie par les parties selon que la dispense d'application est accordée ou refusée.


3. Droit - demanderesses (intimées)


[18]          Réfutant les précédents cités par les défenderesses, les demanderesses s'appuient sur la décision VISX Inc. c. Nidek Co., (1998) 80 C.P.R. (3d) 437; [1998] A.C.F. no 409 (1re inst.). Expliquant la règle de l'engagement implicite, M. le juge Rothstein y énonce deux facteurs qui doivent être pris en compte avant qu'une dispense d'application de la règle puisse être accordée. Ce sont : 1) l'existence de circonstances spéciales; 2) la mesure de l'injustice subie par les parties selon que la dispense d'application de la règle est accordée ou refusée.


[19]          Se référant à la décision du protonotaire dans cette affaire-là, le juge Rothstein cite un extrait de ses motifs. Cet extrait s'applique expressément à la présente espèce.


     [TRADUCTION]
         Si, devant les tribunaux anglais, il est possible d'exiger les documents des sources auprès desquelles ils ont été obtenus au Canada, il n'est pas nécessaire d'accorder une exemption de la règle de l'engagement tacite applicable ici. Si les documents ne sont pas exigibles en Angleterre, je ne vois aucune circonstance particulière autorisant la Cour à accorder ici l'exemption.

[20]          Les demanderesses ont également mentionné l'affaire Hayden Manufacturing Co. c. Canplas Industries Ltd., (1998) 161 F.T.R. 57; 86 C.P.R. (3d) 17; [1998] A.C.F. no 1842 (1re inst.), à l'appui de leur position. Discutant en appel la décision du protonotaire, la Cour y déclare que « [...] même dans le cas où j'aurais rendu une ordonnance différente, à moins que le protonotaire adjoint n'ait commis d'erreur de la façon décrite ci-dessus, la Cour en l'espèce ne devrait pas intervenir » .


[21]          Les demanderesses invoquent aussi l'analyse qui est faite de la règle de l'engagement implicite par John Laskin dans l'article intitulé « The Implied Undertaking in Ontario » . Plus précisément, un extrait de la décision rendue par lord Keith dans l'arrêt Home Office v. Harman, [1983] 1 A.C. 280 (C.L.), s'intéresse en particulier à la mesure dans laquelle la règle de l'engagement implicite doit trouver application :


     [TRADUCTION]
     ... le fait qu'un certain degré inévitable de publicité se soit produit n'autorise pas à conclure que la porte devrait par le fait même être ouverte pour une large diffusion des documents par l'autre partie ou par ses avocats, pour quelque autre objet ultérieur... (p. 301)

[22]          La décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Goodman v. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359, appuie elle aussi la position des demanderesses dans leur définition de l'expression « objet accessoire ou ultérieur » . À propos d'un autre extrait de l'arrêt anglais Home Office, la Cour affirme que l'expression sert à


     [TRADUCTION]
     indiquer un objet différent de celui qui était le seul motif pour lequel, en vertu d'une procédure conçue pour atteindre à la justice dans les actions civiles, [une partie] s'est vu accorder l'avantage d'avoir en sa possession des copies des documents d'autres personnes, avantage qu'elle n'aurait pas autrement obtenu. (p. 374)

Motifs du protonotaire

[23]          Lors de la première audition de cette affaire, le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête des défenderesses en dispense d'application de la règle de l'engagement implicite, dispense qui leur aurait permis de mettre les documents « publics » à la disposition des autres avocats locaux. La décision a été ainsi rendue parce que le protonotaire a estimé que les défenderesses n'avaient pas suffisamment établi qu'elles devraient être soustraites à la règle eu égard aux critères énoncés dans l'arrêt Goodman. Décrivant le critère d'appréciation ainsi appliqué, le protonotaire Lafrenière a estimé que le préjudice que pourraient subir les demanderesses ainsi que l'importance générale de défendre la règle de l'engagement implicite l'emportaient suffisamment sur l'intérêt des défenderesses à disséminer l'information à des fins accessoires.


Analyse


[24]          Vu la norme de contrôle selon laquelle la décision d'un protonotaire doit être « entachée d'erreur flagrante » dans une situation comme celle-ci, plusieurs facteurs doivent être considérés. Ce sont entre autres les facteurs suivants : 1) les documents en question étaient-ils effectivement publics; 2) est-ce l' « ensemble » des documents ou chacun d'eux individuellement qui est protégé par l'engagement implicite; 3) dans quelle mesure chacune des parties subira-t-elle un préjudice ou une injustice si ses arguments ne sont pas retenus; 4) existe-t-il des circonstances spéciales qui permettraient aux défenderesses d'être dispensées de la règle de l'engagement implicite?


[25]          S'agissant du principe général à la base de la règle, la Cour a rappelé, dans l'affaire Mark Anthony Properties Ltd. c. Victor International Inc., [2000] A.C.F. no 180 (1re inst.) :

     l'existence d'un engagement implicite automatique qui protège les renseignements divulgués au cours de l'enquête préalable, à l'exception de deux catégories de renseignements communiqués lors de l'enquête préalable, à savoir les renseignements qui deviennent ensuite publics et les renseignements qui auraient pu être obtenus autrement que dans le cadre de l'enquête préalable. Il y a engagement implicite, que les parties aient conclu ou non une entente de non-divulgation. (par. 7) (non souligné dans l'original)

L'expression en italique vise à retenir l'attention, en raison de son incidence possible sur l'interprétation que donne de la règle Mme le juge Reed dans l'affaire Canada c. ICHI, précitée.


[26]          Dans l'affaire ICHI, la règle pourrait être interprétée comme une règle selon laquelle des documents qui sont des copies de documents produits lors de l'interrogatoire préalable échappent au rayon d'application de l'engagement implicite parce qu'ils sont publics et qu'ils peuvent donc être obtenus par d'autres moyens. Toutefois, l'expression « auraient pu être obtenus » , dans la décision Mark Anthony, pourrait être vue comme une expression modifiant l'interprétation de Mme le juge Reed. Les mots « auraient pu » semblent indiquer que, bien qu'une partie ait obtenu la possession d'un document à la faveur d'un interrogatoire préalable, s'il était possible de l'obtenir par d'autres moyens légitimes, alors la règle n'est pas applicable puisque le document ne pourrait alors être considéré comme un document privé. S'il est possible d'obtenir un document sans l'intervention de la partie visée par l'interrogatoire préalable, alors il ne peut être considéré comme un document privé et confidentiel. Comme il est indiqué dans plusieurs décisions mentionnées, notamment l'affaire Nap, Inc. c. Reitmans Inc., (1996) 114 F.T.R. 6; 67 C.R.R. (3d) 235; [1996] A.C.F. no 561 (1re inst.), « l'engagement implicite est un engagement envers la Cour, qui découle de la communication obligatoire de renseignements privés d'une partie » (non souligné dans l'original).


[27]          L'ensemble particulier de documents qui constitue l'objet de la présente requête fait surgir un dilemme inusité. Les demanderesses ont préparé les documents et les ont produits aux défenderesses en réponse à des questions précises de l'interrogatoire préalable. Et, même si, considérés isolément, ils peuvent constituer des documents publics, cette présentation particulière de documents groupés n'est pas publique. Essentiellement, les défenderesses voudraient que les documents soient soustraits à la règle de l'engagement implicite afin de s'épargner le temps, le travail et les ressources nécessaires pour obtenir les documents par elles-mêmes. Cependant, il faut alors se demander si c'est l'ensemble des documents qui est protégé, ou bien chacun des documents. C'est là une énigme additionnelle quand l'on constate que plusieurs des documents demandés ne sont plus accessibles au public, et cela pour diverses raisons, notamment le fait que les tribunaux qui les conservaient les ont depuis détruits.


[28]          Nombre des documents demandés peuvent être trouvés dans les dossiers publics de procédures judiciaires à travers le monde. Ce serait pour elles un exercice long et coûteux, mais les défenderesses pourraient donc déployer les efforts nécessaires et obtenir les documents en dehors du mécanisme de l'interrogatoire préalable, et elles ne subiraient ainsi aucun préjudice. Si l'affaire est considérée sous cet angle, le principe de l'engagement implicite cesse d'être un facteur à considérer, et les défenderesses sont alors libres de communiquer les documents à tous les avocats concernés. Mais qu'en est-il des documents détruits qui sont aujourd'hui en la seule possession des demanderesses?


[29]          Si la décision du protonotaire est maintenue et que la règle de l'engagement implicite est considérée comme une règle protégeant chacun des documents séparément, alors les défenderesses demeurent dans la même position que celle qu'elles occupent aujourd'hui. Toutefois, si c'est l'ensemble des documents qui est protégé et non chacun d'eux, alors la position des défenderesses change.


[30]          Eu égard à la décision rendue par Mme le juge Reed dans l'affaire ICHI, et après application des critères énoncés dans l'affaire Aqua-Gem, il n'est pas possible d'affirmer que le protonotaire a commis une erreur manifeste dans l'application générale du critère. Toutefois, même si l'ensemble de documents soumis en réponse aux questions des défenderesses lors de l'interrogatoire préalable est sans doute protégé vu la manière dont il a été constitué, le fait que chacun des documents fasse partie du dossier public dans divers ressorts signifie que les documents eux-mêmes ne sont pas protégés. Or, cela signifie également que les défenderesses sont libres d'obtenir les documents des ressorts en question et ne peuvent compter sur les demanderesses pour être libérées de l'engagement qui s'applique à l'ensemble tout entier.


[31]          Nonobstant l'application ci-dessus de la règle de l'engagement implicite, les défenderesses ont suffisamment établi un cas où des circonstances spéciales peuvent exister. Selon le critère énoncé dans l'arrêt VISX, il y a circonstances spéciales lorsque les greffes qui ont conservé nombre de ces documents ont fait depuis procéder à leur destruction. Dans le cas présent, les documents étaient des documents publics, et les défenderesses ont bien tenté de les obtenir, mais, sans qu'elles y soient pour quoi que ce soit, elles ont constaté que cela était impossible. Comme les seules copies restantes sont en la possession des demanderesses, les documents détruits échappent à la règle de l'engagement implicite. Leur production est ordonnée parce qu'une injustice plus grande serait subie par les défenderesses, sachant que les documents existaient mais ont été détruits, que par les demanderesses, qui connaissent leur contenu.


Conclusion


[32]          L'appel formé contre l'ordonnance du protonotaire Lafrenière est accueilli en partie, comme il est indiqué ci-après.



     ORDONNANCE


     La Cour déclare par conséquent que les documents publics, notamment les actes de procédure, les transcriptions de procès et d'appels, les déclarations et les affidavits afférents aux procédures introduites dans l'affaire Inter Lego A/S v. Exin Lines Bros. SA et al., dans la Cour de district de Tel Aviv, en Israël, CA 513/89 (Winograd), communiqués comme pièces lors de l'interrogatoire préalable de M. Sten Juul Petersen, et qui ne sont plus conservés par des sources publiques, ne sont pas sujets à la règle de l'engagement implicite. Le protonotaire n'ayant pas tenu compte de ce facteur lorsqu'il a rendu l'ordonnance contestée, il a rendu ladite ordonnance sans invoquer le critère qui s'imposait, et il a appliqué à ces circonstances inusitées un principe de droit erroné. Vu la destruction présumée desdits documents - destruction qui semble véridique, ou qui est véridique - aucune ordonnance de la Cour ne pourrait permettre à leurs propriétaires de protéger la confidentialité de leur contenu. C'est là après tout l'objet de la règle de l'engagement implicite.


[33]          La Cour rejette le reste de l'appel, puisque les défenderesses n'ont pas démontré que les actes de procédure, les transcriptions de procès et d'appels, les affidavits et les déclarations issus de procédures connexes introduites auprès d'autres instances étrangères ne peuvent plus être obtenus des greffes concernés. Par conséquent, le protonotaire a conclu à juste titre que l'ensemble des documents produits lors de l'interrogatoire préalable est protégé par la règle de l'engagement implicite. Si les documents demandés sont ailleurs accessibles au public, alors il appartient aux défenderesses de les obtenir, parce qu'il n'échoit pas à la Cour de dire quels éléments de preuve peuvent être introduits dans des instances conduites en dehors de sa compétence territoriale.


[34]          Les dépens partie-partie suivront l'issue de la cause, si tels dépens sont éventuellement adjugés.



                     « F. C. MULDOON »
                             Juge


Ottawa (Ontario)

Le 1er novembre 2000








Traduction certifiée conforme




Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER





No DU GREFFE :              T-2799-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      KIRKBI AG ET AUTRE

                     c. RITVIK HOLDINGS INC. ET AUTRE



LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)


DATE DE L'AUDIENCE :          LE 5 JUIN 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE MULDOON


EN DATE DU              1 er NOVEMBRE 2000


ONT COMPARU :


MARK ROBBINS              REPRÉSENTANT LES DEMANDERESSES

DINO CLARIZIO              REPRÉSENTANT LES DÉFENDERESSES


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


BERESKIN & PARR              POUR LES DEMANDERESSES

TORONTO (ONTARIO)


DIMOCK STRATTON          POUR LES DÉFENDERESSES

CLARIZIO

TORONTO (ONTARIO)

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