Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


    



Date : 20000322


Dossier : T-2044-96

            

ENTRE :

     MARLON BRADFORD WATTS

     demandeur

     et

     LE CONSEILLER CHEF STUART CHRISTOPHER DOOLAN SENIOR,

     LES CONSEILLERS LARRY ANGUS, RAYMOND AZAK,

     PERCIVAL DESMOND BARTON JUNIOR,

     DONALD DOOLAN, ALVIN E. NELSON,

     GEORGE MOORE, HENRY STEVENS,

     JAMES STEVENS, PETER STEVENS

     JUNIOR, RAYMOND ALLAN STEWART

     ET WILLIAM C. STEWART SENIOR,

     poursuivis en leur nom personnel

     et à titre de représentants du

     CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE KINCOLITH

     et de la BANDE INDIENNE DE KINCOLITH et de tous

     ses autres membres à l"exception du demandeur

     MARLON BRADFORD WATTS

     défendeurs


     RAPPORT DE L"ARBITRE

     Concernant les dommages-intérêts et les dépens découlant

     d"un jugement par défaut sur une action pour atteinte au droit de propriété

     et pour perte de jouissance d"une terre située à Kincolith (C.-B.)

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Le présent rapport, visant à déterminer et à recommander les dommages-intérêts et

les dépens, découle d"une action pour atteinte au droit de propriété et pour perte de jouissance d"une terre située à Kincolith, une petite communauté située à l"embouchure de la rivière Nass au nord de la Colombie-Britannique. L"atteinte au droit de propriété concerne une terre détenue par le demandeur, Marlon Watts, qui est maintenant un créancier judiciaire, en vertu d"un certificat de titre relatif à une terre d"une réserve indienne. Le renvoi qui, comme je l"ai dit, vise à établir les dommages-intérêts résultant de l"atteinte au droit de propriété et de la perte de jouissance, est simple. Il soulève toutefois une question intéressante de dommages continus ainsi que la question de savoir si ces dommages peuvent être calculés suivant la date du dépôt de la déclaration jusqu"à la date du renvoi.

[2]      Le renvoi a été entendu à Vancouver le 15 mars 2000, M. Watts étant représenté

par avocat et la bande et le conseil de bande de Kincolith étant représentés par M. Moore, l"administrateur de la bande.

LES FAITS

[3]      La terre en question, soit le lot 1a sur le plan joint au rapport de l"évaluateur, est un

étroit triangle de terre délimité par les eaux de marée de la baie Nass et la rue Front. En raison de l"érosion et de sa grandeur, la terre détenue par M. Watts ne se prête pas à l"usage résidentiel. L"évaluateur, dont j"aborderai le rapport au moment opportun, a examiné la terre sous l"angle de l"usage commercial. Elle a en fait été utilisée pour des fins commerciales vers 1985 par le conseil de la bande indienne de Kincolith, sans la permission de M. Watts, en tant que site pour une antenne radio, deux antennes paraboliques et un bâtiment à pans de bois qui ont été utilisés, à l"époque pertinente, pour le traitement des signaux et leur retransmission à la communauté.

[4]      Lorsque M. Watts s"est opposé à cet empiétement sur sa terre, il y a eu des tentatives

de conclusion d"un règlement négocié, qui aurait comporté un petit versement d"argent et un échange de terres. Cela n"a rien donné. M. Watts a intenté la présente action en septembre 1996, demandant diverses mesures de redressement déclaratoires ainsi que des dommages-intérêts.

[5]      Il a été difficile de signifier la présente action aux défendeurs, d"autant plus que

Kincolith n"est accessible que par bateau et par hydravion. Le 2 mars 1999, M. Watts a obtenu jugement par défaut contre six des défendeurs, tant en leur nom personnel qu"à titre de représentants, contre la bande indienne de Kincolith et contre le conseil de la bande indienne de Kincolith.

[6]      L"administrateur de la bande, M. Moore, a participé au renvoi pour expliquer la

position de la bande indienne de Kincolith. En raison de difficultés financières, la bande avait décidé de ne pas contester les procédures.



[7]      M. Moore a abordé divers sujets, notamment un paiement partiel fait en vertu d"un

règlement qui a avorté vers 1989; le remplissage et la possibilité de contrôle de l"érosion de la propriété de Watts aux frais de la bande; le fait qu"un service communautaire à but non lucratif dépendait de l"équipement situé sur la propriété de M. Watts; le pouvoir de la bande d"exproprier; et le fait que l"équipement de la bande avait été retiré à l"exception d"une antenne radio et du bâtiment à pans de bois. M. Moore a ajouté que la propriété n"était pas taxée en soi et que les frais de services communautaires annuels, s"élevant actuellement à 95 $, n"auraient pas été payés pendant un certain temps, quoique la bande n"avait aucun document à jour à cet égard. Tout cela a peut-être engendré une certaine sympathie, mais il est trop tard ou peut-être trop tôt maintenant, comme je l"indiquerai au moment opportun, pour ces arguments et pour une compensation.

ANALYSE

Le loyer

[8]      L"action pour atteinte au droit de propriété, notamment pour atteinte continue à

ce droit, est simple. Le demandeur a fait effectuer une évaluation, tout à fait conforme aux règles de l"art et facile à comprendre, par Appraisals Northwest, une entreprise oeuvrant à Terrace (Colombie-Britannique), qui indique l"opinion de l"évaluateur quant au loyer qui serait exigible pour l"usage de la terre. Il importe peu qu"il s"agisse d"une terre d"une réserve indienne détenue par certificat de possession, plutôt que d"une terre franche. Tout ajustement a été pris en considération dans l"évaluation de la terre et du loyer actuel des sites d"équipement de communication. J"accepte le fait que la compensation évaluée pour l"occupation des 3 300 pieds carrés de terre de M. Watts par la bande indienne de Kincolith est soit la valeur commerciale de la terre, qui se reflète dans le loyer, soit le loyer normalement payé par les entreprises de communications pour un tel usage. Les chiffres sont presque identiques. Comme je l"ai dit, le loyer est déterminé selon deux méthodes. Selon la première, qui consiste à utiliser le rendement sur le capital investi, le loyer actuel (1999) serait de 710 $ par année, somme que l"on obtient en multipliant le montant de 7100 $ que vaut la terre par un rendement de 10 %, que les exemples justifient.

[9]      Selon la deuxième méthode, l"évaluateur a déterminé la valeur de location actuelle

(1999) de la propriété en la comparant aux autres sites utilisés pour des systèmes de communication par satellite et en faisant des ajustements et a fixé le loyer à 728 $ par année. L"évaluateur a considéré que le loyer ajusté de 1999 était de 725 $ par année. L"évaluateur a ensuite estimé le loyer des années précédentes en utilisant l"indice des prix à la consommation.

[10]      J"accepte tel quel le calcul des dommages fait par l"évaluateur, lesquels s"élèvent

à 13 319,12 $ incluant les intérêts pour la période pertinente, soit du 1er juillet 1985 au 30 novembre 1999, date à laquelle le rapport a été fait. La déclaration a toutefois été déposée en septembre 1996, ce qui limite la présente demande à cette date. Je souligne à ce stade-ci que M. Watts, dont la terre est toujours grevée par le bâtiment et l"antenne radio de la bande de Kincolith, subit un tort continu mais qu"il a un recours qui est actuellement incomplet. Plus précisément, McGregor on Damages , 16th Edition, 1997, Sweet & Maxwell, aborde l"inconvénient pour le demandeur de poursuivre en raison d"une cause d"action qui constitue un tort continu. Jusqu"à ce que toutes les dépendances appartenant à la bande de Kincolith aient été enlevées, M. Watts aura toujours la possibilité d"intenter une action pour obtenir des dommages-intérêts. McGregor souligne que :

[TRADUCTION] En l"espèce, la règle prévoit que lorsqu"un seul acte constitue un tort continu, des dommages-intérêts ne peuvent être accordés en common law que relativement à la perte encourue avant le commencement de l"action par le dépôt du bref.      [Page 273]

L"auteur fait référence à l"affaire Battishill v. Reed [1856] 18 C.B. 696, 139 E.R. 1544, qui portait sur le débordement de gouttières situées au-dessus du mur du demandeur. La cour a conclu que seuls les dommages-intérêts pour la perte subie jusqu"au commencement de l"action pouvaient être accordés. Par conséquent, chaque fois que le demandeur lésé subit un préjudice suffisamment grand pour que cela vaille la peine d"essayer de dissuader l"auteur du délit, il doit intenter une poursuite pour les dommages qui se sont accumulés depuis le dépôt du dernier bref ou de la dernière déclaration. McGregor qualifie cela de résultat non pratique. J"irais plus loin en soulignant que le recours aux tribunaux est un luxe pour toutes les parties concernées, y compris les contribuables qui doivent payer pour l"utilisation des ressources judiciaires limitées. Cela est d"ailleurs reconnu depuis longtemps dans certains ressorts.



[11]      En Angleterre, les règles des tribunaux prévoient, au moins depuis la décision Hole

v. Chard Union [1894] 1 Ch. 293 (C.A.), l"octroi de dommages-intérêts jusqu"à la date de l"évaluation dans les cas de cause d"action continue. Il existe une règle semblable en Ontario. Il n"y a toutefois aucune disposition équivalente dans la Loi sur la Cour fédérale . Il n"y a aucune disposition équivalente dans les règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique que je pourrais appliquer par analogie en vertu de la règle 4 des Règles de la Cour fédérale, soit la règle des lacunes.

[12]      M. Watts a subi une certaine perte de jouissance pendant que la bande indienne de

Kincolith utilisait activement sa propriété pour recevoir des transmissions pour la radio et la télévision et continuera de subir une perte de jouissance semblable aussi longtemps que la bande continuera de laisser en place son bâtiment et de l"équipement. M. Watts peut bien avoir une bonne cause d"action continue. Toutefois, s"il désire présenter une autre demande, fondée sur l"atteinte au droit de propriété ou sur la perte de jouissance survenues depuis le dépôt de la déclaration en septembre 1996, il devra intenter une autre action. À ce moment, il pourrait être loisible à la bande indienne de Kincolith d"invoquer la compensation au moins en ce qui concerne les frais de services communautaires exigibles relativement à la propriété. Je renvoie ici à mon observation précédente que la demande reconventionnelle ou de compensation était tardive dans cette instance et qu"elle est actuellement prématurée puisque qu"aucune autre demande fondée sur l"atteinte au droit de propriété n"a été instituée.

[13]      M. Watts a droit à une partie du loyer, soit au loyer qui aurait été exigible entre

le 1er juillet 1985 et le 13 septembre 1996. La période pour laquelle M. Watts a droit aux dommages-intérêts qu"il réclame au moyen de la présente action est, en chiffres ronds, de 11 ans et 2 mois par rapport à la période de calcul de 14 ans et 5 mois utilisée par l"évaluateur.

[14]      Faire un calcul précis ne vaudrait presque pas la peine, car, selon le calcul de

l"évaluateur qui va jusqu"à la date du rapport, chaque année de location porte intérêts à un taux différent pour tenir compte de la fluctuation des taux d"intérêts pendant les années visées. De plus, les intérêts sont calculés selon différents taux de location ajustés pour chaque année. Les dommages-intérêts bruts, qui s"élèvent à 13 319,12 $, incluant les intérêts, ne sont pas considérables. En chiffres ronds fondés sur une période d"exigibilité des dommages-intérêts de 11 ans et 2 mois, par opposition à la période de calcul de 14 ans et 5 mois utilisée par l"évaluateur, je recommande l"octroi de dommages-intérêts d"un montant de 10 300 $, ce qui inclut les intérêts avant jugement courus jusqu"à la date du dépôt de la déclaration.

Les dépens

[15]      Quant aux dépens, l"avocat de M. Watts a présenté un projet de mémoire de frais

accompagné des pièces justificatives relatives aux principaux postes de déboursés.

[16]      Les honoraires d"avocat sont fondés sur le tarif B, milieu de la colonne III. Fixée

à 18 unités, la réclamation est conservatrice. Elle doit être acceptée telle quelle.

[17]      Les déboursés comprennent les droits habituels de dépôt de la déclaration et de la

demande de renvoi, bien que je ne croie pas que les " droits d"audience " étaient payables en l"espèce.

[18]      J"estime que les frais d"évaluation de 3 745 $ sont justifiés par les travaux effectués

et par le fait que la seule façon de se rendre de Terrace à Kincolith est de noliser un hydravion. Bien que les frais de signification de la déclaration aux défendeurs que le huissier a pu trouver ou identifier soient élevés, ils reflètent également le coût d"un avion nolisé.

[19]      Il y a les réclamations habituelles pour des postes divers comme les photocopies. Il

est réclamé 307,79 $ pour ces dernières. Comparativement aux droits obligatoires que la Cour exige pour les photocopies, il s"agit de déboursés modestes.

[20]      En résumé, le mémoire de frais présenté s"élève à 5 356,95 $. J"estime qu"il doit être

accueilli pour un montant de 5 281,95 $.



CONCLUSION

[21]      Je recommande à la Cour d"octroyer au créancier judiciaire demandeur, Marlon

Bradford Watts, contre le conseil de la bande indienne de Kincolith, la bande indienne de Kincolith, Stuart Christopher Doolan Senior, Percival Desmond Barton Junior, James Stevens, Peter Stevens Junior, Raymond Allan Stewart et William C. Stewart Senior, solidairement :

     1.      des dommages-intérêts, fixés selon la date du dépôt de la déclaration, soit le 13 septembre 1996, au montant de 10 300 $;
     2.      les dépens et les déboursés, incluant la participation au renvoi, au montant de 5 281,95 $;
     3.      les intérêts composés avant renvoi sur le montant de 10 300 $, à partir de la date du dépôt de la déclaration, soit le 13 septembre 1996, au 22 mars 2000 au taux de 5,8 %, qui constitue la moyenne des taux de cette période utilisés par l"évaluateur et mis à jour, ces taux étant fondés sur le taux d"intérêt sur le capital et les recettes qu"utilise le gouvernement du Canada. Ces intérêts s"élèvent en tout, en chiffres ronds, à 2 000 $;
     4.      les intérêts après renvoi au taux commercial préférentiel de la Banque Royale plus 1 % du 2 mars 1999 à la date de l"exécution;

et d"ordonner que ces fonds soient remis en fiducie à l"avocat de M. Watts, David Paterson, en contrepartie de la quittance appropriée, aucun désistement des présentes procédures n"étant requis puisque l"action a fait l"objet d"un jugement.


[22]      Je remercie l"avocat du demandeur pour sa bonne présentation. Je remercie

M. Moore, l"administrateur de la bande, pour sa présentation claire des circonstances dans lesquelles se trouve la bande et des demandes éventuelles.

                             " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire


Le 22 mars 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)


Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :              T-2044-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Marlon Bradford Watts

                     c.

                     La bande indienne de Kincolith et al.

LIEU DU RENVOI :              VANCOUVER
DATE DE L"AUDIENCE :          Le 15 mars 2000

RAPPORT DE L"ARBITRE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

EN DATE DU :              22 mars 2000


ONT COMPARU

M. David Paterson

Avocat                      pour le demandeur

M. George Moore

Administrateur de la bande de Kincolith      pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Paterson

Barrister & Solicitor

Surrey (C.-B.)                  pour le demandeur
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.