Décisions de la Cour fédérale

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                                                                                                                                 Date : 20010330

                                                                                                                             Dossier : T-824-00

                                                                                                   Référence neutre : 2001 CFPI 268

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                 REDDY RAJAGOPAL CHAVALI, REDDY KRISHNAVENI CHAVALI,

                                     et REDDY VENKATASUBBARAMI CHAVALI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA;

                               SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L'ONTARIO;

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA;

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ONTARIO

et LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE,

AINSI QUE :

LE BARREAU DU HAUT-CANADA,

LAWYERS' PROFESSIONAL INDEMNITY COMPANY; CHARLES HARNICK;

LES JUGES W.D. CHILCOTT, J.B. CHADWICK, DOUGLAS CUNNINGHAM,

PETER A. CUMMING, DOUGLAS COO, ARCHIBALD;

THOMAS J. LOCKWOOD; LOCKWOOD & ASSOCIATES; NELLIGAN-POWER;

MARK GEDDES; DAVID CHICK; ARTHUR AULT;

GOWLING, STRATHY & HENDERSON;

ANDRIDGE CAPITAL CORPORATION; GEORGE GATY;

CHATEAU ROYALE PROFESSIONAL BUILDING INC;

LA BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA; PEAT MARWICK THORNE INC;

SOCIÉTÉ TRUST ROYAL DU CANADA; LA BANQUE TORONTO-DOMINION;

ALLAN O'BRIEN; JAMES MORTON; JERRY LEVITAN; KANNY NG;

MAJESTIC KEY MANAGEMENT LTD; SAMUEL TALBERT;

COLETTE TALBERT; PIAZZA, BROOKS & SIDDONS;

LA VILLE D'OTTAWA;

SOLMON ROTHBART GOODMAN; ANDRE BLUTEAU; MONICA CHARLES;

FELIX CHARLES ET KAY CHARLES

défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 24 octobre 2000, le Conseil canadien de la magistrature, ci-après appelé le défendeur, a présenté une requête par écrit conformément à la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, sous sa version modifiée, afin de faire radier une déclaration déposée contre lui.

[2]                La requête vise à obtenir une ordonnance radiant la déclaration en date du 9 mai 2000 dans laquelle Reddy Rajagopal Chavali, Reddy Krishnaveni Chavali et Reddy Venkatasubbarami Chavali, ci-après appelés les demandeurs, ont engagé devant la Cour fédérale une action contre 42 défendeurs, y compris le Conseil canadien de la magistrature, Sa Majesté La Reine du chef du Canada et du chef de l'Ontario, les procureurs généraux du Canada et de l'Ontario et six juges de la Cour supérieure de justice de l'Ontario.

[3]                L'action comporte un certain nombre de demandes fondées essentiellement sur les allégations suivantes : bris d'un accord de fiducie; conflit d'intérêts et faute professionnelle d'un conseiller juridique; magistrature partiale; complots entre différents défendeurs pour empêcher les demandeurs de financer ou refinancer leurs nombreuses propriétés, saisies illégales et non nécessaires des propriétés des demandeurs par certains défendeurs, pour lesquelles une indemnité très élevée est réclamée, ainsi que d'autres fautes qui auraient été commises par les nombreux défendeurs.


[4]                Les demandeurs soutiennent qu'ils ont subi un préjudice d'une valeur de 95 000 000 $ et réclament également des dommages-intérêts punitifs de 10 000 000 $, des intérêts et des frais, de même que des jugements déclaratoires et des ordonnances de la Cour.

[5]                Le défendeur demande à la Cour de rendre une ordonnance radiant la déclaration et rejetant l'action intentée contre lui, conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998).

A)         COMPÉTENCE

[6]                Avant d'analyser la requête portant radiation, j'examinerai d'abord la question de savoir si la Cour a compétence pour statuer sur la requête. Le Conseil canadien de la magistrature n'a pas soulevé la question de la compétence. Toutefois, il m'apparaît important de souligner que la Cour fédérale est un tribunal créé par la loi et ne possède pas une compétence inhérente. Ce sont les cours supérieures des provinces qui sont investies d'une compétence générale et inhérente. De plus, même si les parties n'ont pas soulevé la question de la compétence, il m'apparaît nécessaire de l'examiner. Dans l'affaire Okanagan Helicopters Ltd., le juge Mahoney s'est exprimé comme suit :

... la Cour elle-même est tenue d'examiner la question de sa compétence même si les plaidoiries ne la soulèvent pas[1].


[7]                Les dispositions pertinentes quant à la compétence de la Cour sont l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867[2] :


3. Tribunal de droit, d'equity et d'amirauté du Canada, la Cour fédérale du Canada est maintenue à titre de tribunal additionnel propre à améliorer l'application du droit canadien. Elle continue d'être une cour supérieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.           


3. The court of law, equity and admiralty in and for Canada now existing under the name of the Federal Court of Canada is hereby continued as an additional court for the better administration of the laws of Canada and shall continue to be a superior court of record having civil and criminal jurisdiction.


101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occasion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.


101. The Parliament of Canada may, notwithstanding anything in this Act, from Time to Time provide for the Constitution, Maintenance, and Organization of a General Court of Appeal for Canada, and for the Establishment of any additional Courts for the better Administration of the Laws of Canada.


[8]                Dans l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd., la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois volets à appliquer pour décider si la Cour fédérale a compétence dans une affaire donnée :

            A)        Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

B)                  Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

C)                 La loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [3].


[9]                En 1980, avant la décision rendue dans l'affaire ITO, le juge en chef Laskin a donné une indication claire de la portée et des limites de la compétence de la Cour fédérale :

[TRADUCTION] De toute évidence, le fait que la Cour fédérale devra peut-être appliquer le droit provincial pour trancher une réclamation ne constitue pas un obstacle à sa compétence, lorsque la réclamation repose sur un fondement valable selon le droit fédéral. Il est plus difficile de déterminer à quel moment le droit provincial constituant le fondement de la demande est important au point où l'affaire n'est plus fondée sur le droit fédéral.

(...)

Le simple fait que Sa Majesté du chef du Canada soit demanderesse ne lui donne pas le droit d'utiliser la Cour fédérale comme tribunal où faire valoir ses réclamations. (...) En bref, il découle de l'arrêt McNamara qu'il faut qu'il existe une législation fédérale applicable pour appuyer les réclamations présentées en l'espèce par Sa Majesté; sinon, on ne respecterait pas les dispositions de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui autorise notamment le Parlement « à établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada » [4].

[10]            Plus récemment, dans l'arrêt Canadian Liberty Net, la Cour suprême du Canada a précisé et confirmé l'importance du critère énoncé en 1986 dans l'affaire ITO. Le juge Bastarache a réitéré les limites du mandat dont la Cour fédérale est investie en vertu de la Constitution :

La condition relative à l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l'attribution législative de compétence vise principalement à garantir le respect par les tribunaux fédéraux des limites constitutionnelles de leur compétence. Comme l'a souligné le juge Wilson dans Roberts, précité, les deuxième et troisième conditions énoncées dans l'arrêt ITO, précité -- règles de droit fédérales servant de fondement et validité constitutionnelle de ces règles de droit -- sont indispensables (page 330) :

Bien qu'il y ait nettement un chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère applicable pour établir la compétence de la Cour fédérale, le deuxième, tel que je le comprends, exige qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l'objet de la contestation, en l'espèce le droit relatif aux Indiens et à leurs intérêts dans les terres des réserves... [Non souligné dans l'original.]]


Le différend à l'égard duquel on plaide l'existence d'une compétence doit être principalement et essentiellement fondé sur des règles de droit fédérales. Si le différend ne se rattache qu'indirectement à un ensemble de règles de droit fédérales, il est alors possible que, en exerçant compétence, la Cour fédérale outrepasse son rôle au regard de la Constitution[5].

[11]            Le présent litige est essentiellement une affaire qui est fondée sur les règles délictuelles applicables en common law et qui devrait être portée devant une cour supérieure investie d'une compétence inhérente.

[12]            Appliquant les principes énoncés ci-dessus à la présente affaire, j'en arrive à la conclusion qu'il n'existe essentiellement aucun lien entre la demande formulée contre le Conseil canadien de la magistrature et une règle de droit fédérale applicable.

[13]            Par conséquent, j'estime que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre la demande engagée contre le Conseil canadien de la magistrature.

[14]            Cependant, pour le cas où j'aurais commis une erreur en concluant que je n'ai pas compétence pour trancher la présente requête, j'examinerai maintenant la requête en radiation du défendeur, le Conseil canadien de la magistrature, comme si j'avais compétence.


B)        Règle 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)

[15]            La règle applicable aux requêtes en radiation est la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, sous sa version modifiée, qui est ainsi libellée :


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure. Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

    (b) is immaterial or redundant,

    (c) is scandalous, frivolous or vexatious,

    (d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

    (e) constitutes a departure from a previous pleading, or

    (f) is otherwise an abuse of the process of the Court, and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.                                        


[16] De plus, il convient de souligner qu'il appartient manifestement à l'auteur de la requête de prouver l'existence de motifs justifiant la radiation de la déclaration.

[17]            Dans l'arrêt Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Can., la Cour suprême du Canada a énoncé le critère à appliquer dans les requêtes en radiation :

Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au-delà de tout doute"(...)[6].


[18]            Toutefois, dans l'affaire Operation Dismantle c. La Reine, la Cour suprême du Canada a statué que la règle énoncée dans l'arrêt Inuit Tapirisat, précité, n'exige pas que les allégations reposant sur des hypothèses et des conjectures soient tenues pour avérées :

...La nature même d'une telle allégation, c'est qu'on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d'accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées[7].

[19]            Le défendeur a fait valoir que la déclaration n'énonce aucune allégation qui le concerne spécifiquement non plus qu'aucun fait au sujet de sa participation à une faute reprochée.

[20]            Après avoir relu la déclaration, je conviens avec le défendeur qu'aucune allégation spécifique n'est formulée contre lui. En fait, je ne vois aucun fondement factuel que les demandeurs peuvent invoquer au soutien de leur réclamation visant le défendeur. À mon avis, la déclaration ne permet pas de lier le défendeur à l'une ou l'autre des allégations que les demandeurs formulent ou à l'indemnité qu'ils réclament.

[21]            Un droit d'action doit être fondé sur des faits pertinents et non sur des hypothèses. Une réclamation, qu'une personne peut faire valoir au moyen du système judiciaire, ne peut être fondée que sur des faits pertinents. La déclaration qui ne repose sur aucun droit d'action n'est pas valable et devrait être radiée.


[22]            Pour les motifs exposés ci-dessus, j'en arrive à la conclusion que la déclaration n'énonce aucun fait pertinent au soutien des allégations formulées contre le défendeur, le Conseil canadien de la magistrature. Par conséquent, je conclus à l'absence de droit d'action contre le défendeur et j'ordonne que la déclaration déposée contre le Conseil canadien de la magistrature soit radiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'action que les demandeurs ont engagée contre le Conseil canadien de la magistrature est rejetée pour cause d'absence de compétence.

2.          Si la Cour a compétence, la requête portant radiation de la déclaration déposée contre le défendeur, le Conseil canadien de la magistrature, est accueillie sans que les demandeurs soient autorisés à modifier leur déclaration.

            3.         Les frais sont accordés au défendeur, le Conseil canadien de la magistrature.

« Edmond P. Blanchard »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                          T-824-00

INTITULÉDE LA CAUSE :                        REDDY RAJAGOPAL CHAVALI et autres

c.

SA MAJESTÉ LA REINE et autres

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                         MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Reddy Rajaagopal Chavali,

Reddy Krishnaveni Chavali et

Reddy Venkatasubbarami Chavali              demandeurs, en leur propre nom

Me Suzanne Pereira                                      pour les défendeurs Sa Majesté La Reine

du chef du Canada et le

procureur général du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg                                    pour les défendeurs Sa Majesté La Reine

Sous-procureur général du Canada                    du chef du Canada et le

Ottawa (Ontario)                                               procureur général du Canada



[1]               Okanagan Helicopters Ltd. c. Canadien Pacifique Ltée, [1974] 1 C.F. 465.

[2]            La Loi constitutionnelle de 1867 [30 et 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), Annexe à la Loi constitutionnelle de 1982, item 1)]. La Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.).

[3]            ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et al., [1986] 1 R.C.S. 752, page 766.

[4]             R. c. Rhine, [1980] 2 R.C.S. 442.

[5]            Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, paragraphe 43.

[6]            Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Can., [1980] 2 R.C.S. 735.

[7]               Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, paragraphe 27.

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