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     Date : 19980430

     IMM-2511-97

E n t r e :

     ALEXANDER KLINKO, LYUDMYLA KLINKO

     et ANDRIY KLINKO,

     demandeurs,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Les demandeurs sont citoyens de l'Ukraine. Les commissaires de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui étaient saisis de la demande ont refusé de leur reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention. Les revendications du statut de réfugié des demandeurs découlent des activités du mari et père, Alexander Klinko.

[2]      Alexander Klinko était importateur en Ukraine et était préoccupé par la corruption qui sévissait au sein du gouvernement et suivant laquelle [TRADUCTION] " les fonctionnaires liés à pratiquement chaque opération officielle exigeaient un pot-de-vin ". En 1995, il s'est réuni avec cinq autres hommes d'affaires pour rédiger une plainte officielle qu'ils ont déposée auprès d'un autorité gouvernementale régionale. Le six hommes d'affaires n'avait pas donné de nom à leur groupe et ne se sont rencontrés qu'à quatre reprises. Le plainte a été signée par chacun des six hommes individuellement. Finalement, la plainte a été rejetée au motif que les assertions qu'elle contenait étaient fausses et qu'elles n'étaient pas confirmées.

[3]      C'est après le dépôt de la plainte qu'ont commencé les problèmes d'Alexander, de sa femme Lyudmyla et de leur fils Andriyy et des autres hommes d'affaires. Alexander a notamment été battu, a reçu des appels téléphoniques anonymes, a vu ses biens endommagés ou détruits et a été arrêté en vue d'être interrogé. Lyudmyla a reçu des appels téléphoniques de menaces et on lui a demandé de témoigner contre Alexander. Andriyy a été traumatisé par des " événements troublants " comme la perquisition effectuée chez les Klinko. Alexander et Lyudmyla ont invoqué ces événements pour revendiquer le statut de réfugiés au sens de la Convention du fait de leurs opinions politiques réelles ou imputées et de leur appartenance à un groupe social déterminé (le groupe d'hommes d'affaires)1, et Lyudmyla et Andriy revendiquent le statut de réfugiés au sens de la Convention du fait de leur appartenance à un groupe social déterminé (leur famille).

[4]      Le tribunal a jugé digne de foi le témoignage donné par les demandeurs au sujet des incidents qu'ils ont vécus en Ukraine et il a qualifié de persécution les problèmes vécus par Alexander. Il a également conclu que Lyudmyla avait été victime de harcèlement, mais non de persécution, et que la preuve était insuffisante pour conclure qu'Andriy avait été persécuté.

[5]      Malgré sa conclusion qu'Alexander avait été persécuté, le tribunal a jugé que la persécution ne constituait pas un motif permettant d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a suivi l'arrêt Canada (procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 746, qui donne une interprétation large de l'expression " opinion politique " en affirmant qu'il s'agit de " toute opinion sur une question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé " et le jugement Femenia c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , (30 octobre 1995), IMM-3852-94 (C.F. 1re inst.), dans lequel juge Simpson a déclaré que par " engagé ", il faut entendre " sanctionner, tolérer ou appuyer quelque chose ". Le tribunal a conclu qu'en tant qu'État, l'Ukraine n'avait pas sanctionné, toléré ou appuyé les agissements corrompus de certains de ses douaniers et policiers. Le tribunal a conclu en conséquence que la plainte de corruption portée par Alexander ne constituait pas une opinion politique.

[6]      Les demandeurs soutiennent que la définition du mot " engagé " que l'on trouve dans l'extrait précité du jugement Femenia (" sanctionner, tolérer ou appuyer quelque chose ") est trop étroite. L'avocat n'a toutefois pas proposé de définition plus large à la Cour. Je n'ai aucune raison d'écarter la définition du terme " engagé " qui a été donnée dans le jugement Femenia .

[7]      Si j'ai bien compris, la thèse des demandeurs repose sur l'ampleur de la corruption qui existerait au sein du gouvernement en Ukraine. Le tribunal a conclu que :

     [TRADUCTION]         
     [...] en date d'octobre 1996, [TRADUCTION] "quelque 250 fonctionnaires ont été reconnus coupable de crimes économiques jusqu'à maintenant cette année, et des centaines d'autres ont été accusés [...] En tout, plus de 9 000 fonctionnaires ukrainiens de divers niveaux ont été reconnus coupables de crimes économiques cette année. Dans la plupart des cas, il s'agit de pots-de-vin et de faux et usage de faux.         

Les éléments de preuve soumis au tribunal comprenaient une déclaration du président de l'Ukraine qui avait qualifié en 1994 les crimes commis en Ukraine, et notamment la corruption au sein de la fonction publique, de " cinquième pouvoir " et de force " politique ".

[8]      Il semble que la question qui est soulevée en l'espèce soit celle de savoir si l'appareil étatique, gouvernemental et politique est engagé lorsque la corruption officiel est largement répandue. Ce n'est pas le cas s'il ne s'agit que des quelques douaniers et policiers corrompus. Or, suivant la preuve, 9 000 fonctionnaires ont été reconnus coupables de crimes économiques en 1996 et le président de l'Ukraine a qualifié cette activité, qui s'inscrivait dans le cadre des crimes économiques généraux, de cinquième pouvoir et de force politique. Peut-on dire que l'appareil de l'État n'est pas " engagé " lorsque la corruption des fonctionnaires de l'État est à ce point répandue et affirmer qu'une plainte publique déposées à ce sujet ne constitue pas une opinion politique?

[9]      En l'espèce, le tribunal a conclu, malgré l'ampleur apparente de la corruption officielle, que l'État prenait des mesures contre cette corruption. Bien qu'elle constitue un élément de preuve tendant à démontrer l'ampleur de la corruption, la condamnation de 9 000 fonctionnaires est également un élément de preuve tendant à démontrer que l'État ne sanctionne et ne tolère pas ces agissements. Si l'État ne prenait des mesures que pour la forme contre la corruption, on pourrait peut-être conclure qu'il est complice de cette corruption. Force m'est de conclure que, compte tenu des circonstances de la présente affaire, le tribunal n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu, suivant les éléments de preuve portés à sa connaissance, que l'Ukraine ne sanctionnait, tolérait et n'appuyait pas les agissements criminels de policiers et de douaniers corrompus et, partant, qu'elle n'était pas engagée dans ces actes et qu'en conséquence, la plainte d'Alexander ne constituait pas une opinion politique répondant à la définition du réfugié au sens de la Convention.

[10]      Le tribunal a également rejeté la revendication du statut de réfugié d'Alexander et de Lyudmyla du fait de leur appartenance à un groupe social déterminé, à savoir le groupe d'hommes d'affaires. Il a conclu que les hommes d'affaires ne constituaient pas un groupe, étant donné qu'ils n'avaient pas de nom, que leur plainte avait été déposée individuellement et que les mesures qui avaient été prises contre eux l'avaient été à titre individuel et non en tant que membres d'un groupe. Malgré le fait que je n'aurais peut-être pas conclu aussi aisément qu'ils ne formaient pas un groupe social, cette conclusion est appuyée par les conclusions de fait tirées par le tribunal et la Cour ne devrait pas la modifier.

[11]      Pour ce qui est du groupe de la famille " et l'appartenance à ce groupe social constitue le fondement de la revendication du statut de réfugié d'Andriy et de Lyudmyla ", le tribunal a conclu à bon droit que lorsque la victime principale d'une persécution ne répond pas à la définition du réfugié au sens de la Convention, toute revendication connexe fondée sur l'appartenance au groupe de la famille ne saurait être accueillie. Autrement, comme le tribunal l'a souligné, on pourrait se retrouver devant une anomalie si les revendications connexes étaient accueillies alors que les revendications principales sont rejetées. Un tel résultat ne serait pas logique (voir le jugement Rodriguez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2 septembre 1997), IMM-4573-96 (C.F. 1re inst.), le juge suppléant Heald).

[12]      Je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, non sans une certaine réticence, étant donné que le tribunal a effectivement conclu qu'Alexander avait été victime de persécution, bien que pour un motif ne permettant pas de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. J'encouragerais toutefois les fonctionnaires compétents du Ministère, si une revendication fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ou sur d'autres dispositions applicables de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée ou de ses règlements d'application est présentée, à considérer attentivement les risques auxquels s'exposeraient les demandeurs s'ils devaient être renvoyés en Ukraine.


[13]      L'avocat du défendeur a, avec l'accord de l'avocat des demandeurs, proposé la certification de la question suivante :

     [TRADUCTION]         
     Le dépôt d'une plainte publique au sujet des agissements corrompus largement répandus de douaniers et de policiers relevant d'une autorité gouvernementale régionale et la persécution dont le plaignant est par la suite victime en raison du dépôt de cette plainte alors que ces agissements corrompus ne sont pas officiellement sanctionnés, tolérés ou appuyés par l'État constituent-ils l'expression d'une opinion politique au sens où cette expression est employée dans la définition du réfugié au sens de la Convention au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration?         

     Marshall Rothstein

                                     Juge

CALGARY (ALBERTA)

Le 30 AVRIL 1998.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Date : 1998.04.30

     IMM-2511-97

                         E n t r e :
                             ALEXANDER KLINKO, LYUDMYLA KLINKO et AndriyY KLINKO,

     demandeurs,

                                     et
                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

                            
                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                            

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2511-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALEXANDER KLINKO, LYUDMYLA KLINKO et ANDRIY KLINKO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      16 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Rothstein le 30 avril 1998

ONT COMPARU :

     Me Byron Pfeiffer                          pour les demandeurs
     Me Kim Conboy                          pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Pfeiffer & Berg                          pour les demandeurs
     Ottawa (Ontario)
     Me G. Thomson                          pour le défendeur
     Procureur général du Canada
     Ottawa (Ontario)
__________________

     1      Le dossier ne renferme aucun élément qui permette de conclure que Lyudmyla faisait partie du groupe d'hommes d'affaires ou qu'elle a fait des déclarations publiques au sujet de la corruption elle-même. Il semble que sa revendication soit fondée sur des opinions politiques imputées, étant donné qu'on a présumé qu'elle partageait les convictions de son mari. De plus, sa revendication fondée sur son appartenance au groupe d'hommes d'affaires semble reposer sur l'appartenance de son mari à ce groupe.

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