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Date : 20181115


Dossier : T‑805‑16

Référence : 2018 CF 1156

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2018

En présence de la protonotaire Mireille Tabib, responsable de la gestion de l’instance

ENTRE :

HANJIN SHIPPING CO. LTD.

demanderesse

et

OGO FIBERS INC.

ET

SEVEN SEAS SHIPPING NORTH AMERICA LTD.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Jin Han Kim, qui prétend être le syndic de la faillite de la demanderesse, a déposé la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à être substitué à la demanderesse afin de poursuive la présente action.

[2]  Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la requête sera accueillie, mais les dépens, fixés à 3 955 $, seront payables immédiatement par le syndic aux défenderesses.

[3]  Une brève chronologie de l’instance aidera à comprendre comment une affaire apparemment simple est devenue litigieuse et à expliquer l’adjudication des dépens.

[4]  L’action en l’espèce a été intentée par Hanjin Shipping Co. Ltd. (Hanjin) en mai 2016, dans le but de recouvrer près de 850 000 $ en frais de surestaries, d’entreposage et de déroutement pour du fret expédié par les défenderesses qui est demeuré non réclamé et non livré à ses destinations prévues.

[5]  En août 2016, Hanjin éprouvait des difficultés financières et, dans le but de restructurer ses dettes, elle a demandé d’être placée à l’abri de ses créanciers devant les tribunaux de la Corée en vertu de mesures législatives qui semblent similaires à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 (la LACC). En octobre 2016, Hanjin a demandé et obtenu que ses biens soient protégés au Canada aux termes de la LACC, et elle aussi obtenu une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique suspendant toute procédure contre elle et nommant Tai‑Soo Suk en qualité de représentant étranger de Hanjin. L’ordonnance de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’a pas été portée à la connaissance de la Cour, et ce, peut‑être en raison du fait que Hanjin est la demanderesse, et non la défenderesse, dans la présente action.

[6]  Étant donné que le déroulement de cette action n’a pas dépassé l’étape des actes de procédure, elle a été placée en gestion d’instance en 2017. À l’insu de la Cour, le Tribunal de faillite de la Cour du district central (6e Division) de Séoul a officiellement déclaré Hanjin en faillite le 17 février 2017. L’avocat de Hanjin a informé la Cour de la situation de Hanjin qu’au cours de l’été 2017, mais il l’a avisée qu’il n’avait reçu aucune instruction quant aux intentions de Hanjin ou du syndic.

[7]  Ce n’est qu’en décembre 2017 que Jin Han Kim, le syndic de faillite allégué de Hanjin, a signifié et déposé un avis de reprise d’instance et un affidavit à l’appui, comme le prévoit l’article 117 des Règles des Cours fédérales (les Règles). L’affidavit avait été signé au nom du syndic par Wook Chong, qui se présentait comme le représentant du syndic. L’affidavit ne faisait pas mention de l’instance devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique, il n’expliquait pas la divergence apparente d’identité du représentant autorisé de Hanjin pour les besoins des deux instances canadiennes et il ne contenait même pas en annexe de copie de l’ordonnance du tribunal coréen qui avait prononcé la faillite de Hanjin et qui avait nommé Jin Han Kim à titre de syndic.

[8]  Les défenderesses se sont opposées, aux termes de l’article 117 des Règles, et la Cour a fixé un échéancier en vue de la présentation de la requête en substitution et de la décision sur celle‑ci aux termes de cet article. L’instruction de cette requête ne s’est pas déroulée sans anicroche.

[9]  Le syndic n’a pas respecté la date limite pour faire signifier son dossier de requête. Il a plutôt tenté de présenter un affidavit révisé de Wook Chong à l’appui de son avis de reprise d’instance, dans lequel il voulait faire établir la nomination du syndic, et il abordait et expliquait le changement de représentant officiel ainsi que son pouvoir d’agir au nom du syndic. Dans le but d’éviter une requête contestée, la Cour a autorisé le dépôt du nouvel affidavit et a permis aux défenderesses de contre‑interroger Wook Chong par écrit avant de décider de maintenir ou de retirer leur opposition à la reprise d’instance. Non seulement le syndic a‑t‑il omis de produire des réponses aux questions du contre‑interrogatoire dans les délais impartis par la Cour, mais il s’est aussi opposé à douze des 48 questions qui lui avaient été posées. Les défenderesses ont été forcées de présenter une requête afin d’obtenir une décision sur les objections et de forcer la production de réponses de manière péremptoire, requête que la Cour a accueillie dans une ordonnance datée du 12 juin 2018, avec dépens payables immédiatement par le syndic.

[10]  Même alors, le respect par le syndic de l’ordonnance du 12 juin 2018 n’a pas été de premier ordre. Les réponses qu’il a fournies omettaient la question 37 et n’étaient pas accompagnées d’une traduction en anglais d’un document rédigé en langue coréenne que Wook Chong avait produit en réponse à la question 22 du contre‑interrogatoire et qui a été déposé en tant que pièce 2.

[11]  Les défenderesses ont maintenu leur opposition à la reprise d’instance, ce qui a incité le syndic à déposer la présente requête. Une traduction non officielle de la pièce 2 est jointe au dossier de requête, mais elle n’a pas été produite au moyen d’un nouvel affidavit. La question 37 demeure sans réponse.

[12]  Invoquant l’omission de la part du syndic de se conformer rigoureusement à l’ordonnance du 12 juin 2018, les défenderesses ont demandé, à titre préliminaire, que soient mises en application les sanctions prévues dans l’ordonnance du 12 juin en cas de défaut de la part du syndic de s’y conformer, c’est‑à‑dire la radiation de la déclaration et le rejet de l’action. J’ai rejeté la demande des défenderesses à l’audience, puisque j’étais convaincue que le syndic avait respecté pour l’essentiel l’ordonnance du 12 juin 2018. Compte tenu de l’objet des questions auxquelles le syndic avait omis de répondre de manière complète et en temps opportun, j’étais et je demeure convaincue que la position des défenderesses n’a pas été compromise et que le défaut de la part du syndic de fournir les réponses demandées peut, relativement à l’objet visé par les questions, entraîner une inférence négative en sa défaveur.

[13]  Je vais maintenant me pencher sur le fond de la requête du syndic.

[14]  L’article 117 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, est ainsi libellé :

(1) Sous réserve du paragraphe (2), en cas de cession, de transmission ou de dévolution de droits ou d’obligations d’une partie à une instance à une autre personne, cette dernière peut poursuivre l’instance après avoir signifié et déposé un avis et un affidavit énonçant les motifs de la cession, de la transmission ou de la dévolution.

(2) Si une partie à l’instance s’oppose à ce que la personne visée au paragraphe (1) poursuive l’instance, cette dernière est tenue de présenter une requête demandant à la Cour d’ordonner qu’elle soit substituée à la partie qui a cédé, transmis ou dévolu ses droits ou obligations.

(3) Dans l’ordonnance visée au paragraphe (2), la Cour peut donner des directives sur le déroulement futur de l’instance.

(1) Subject to subsection (2), where an interest of a party in, or the liability of a party under, a proceeding is assigned or transmitted to, or devolves upon, another person, the other person may, after serving and filing a notice and affidavit setting out the basis for the assignment, transmission or devolution, carry on the proceeding.

(2) If a party to a proceeding objects to its continuance by a person referred to in subsection (1), the person seeking to continue the proceeding shall bring a motion for an order to be substituted for the original party.

(3) In an order given under subsection (2), the Court may give directions as to the further conduct of the proceeding.

[15]  La justification alléguée de la reprise d’instance en l’espèce est la faillite de la demanderesse ainsi que la nomination de Jin Han Kim à titre de syndic de faillite. La question dont la Cour est saisie consiste à savoir si Jin Han Kim a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le droit de Hanjin en tant que demanderesse dans la présente action lui a été cédé en sa qualité de syndic de faillite.

[16]  Dans son affidavit, Wook Chong affirme ce qui suit : [traduction] « Le 17 février 2017, les tribunaux de la Corée ont déclaré Hanjin en faillite et ont nommé un administrateur de faillite, à savoir le cabinet d’avocats Daeryook & Aju, et plus particulièrement M. Jin Han Kim, à titre de syndic, comme il appert de la décision de la Cour des faillites de la Corée ainsi que de la traduction anglaise non officielle de celle‑ci, qui sont jointes en liasse à la pièce A en annexe. » La difficulté liée à cette preuve comporte deux volets.

[17]  En premier lieu, la pièce A est rédigée en coréen, et la traduction non officielle n’est simplement que cela, une traduction non officielle. Le paragraphe 68(1) des Règles prévoit que les documents dont le dépôt est exigé dans le cadre d’une instance qui ne sont pas rédigés en français ou en anglais doivent être accompagnés d’une traduction française ou anglaise et « d’un affidavit attestant la fidélité de la traduction ». L’affidavit de Wook Chong n’atteste pas la fidélité de la traduction. En contre‑interrogatoire, on a demandé au témoin s’il comprenait et était capable de lire et d’écrire la langue écrite coréenne, ce qu’il a confirmé. On lui a demandé si la traduction non officielle était [traduction] « une traduction correcte en anglais du texte en langue coréenne de la pièce A », et il l’a confirmé. Toutefois, une traduction correcte n’équivaut pas à une traduction fidèle.

[18]  Même en tenant pour acquis que la distinction n’a pas d’importance et que la pièce A et sa traduction non officielle sont admissibles, la pièce A n’est pas, selon la traduction non officielle même, une décision ni une ordonnance d’un tribunal, mais bien un [traduction] « avis d’ordonnance de faillite », autrement dit, un avis de l’ordonnance, plutôt que l’ordonnance même.

[19]  Si ce document avait constitué l’intégralité de la preuve au dossier dont je dispose, j’aurais pu hésiter à donner gain de cause au syndic. Heureusement pour lui, dans le cadre de leur contre‑interrogatoire, les défenderesses ont elles‑mêmes demandé que soit produite l’ordonnance de faillite mentionnée dans l’avis d’ordonnance de faillite produit comme pièce A. Cela a permis au syndic de produire, en tant que pièce 1 jointe à l’affidavit en réponse de Wook Chong, une copie d’un certificat notarié enregistré qui comportait la décision originale en langue coréenne du Tribunal de faillite de la Cour du district central (6e Division) de Séoul, datée du 17 février 2017, prononçant la faillite de Hanjin et nommant Jin Han Kim à titre de syndic de faillite, ainsi qu’une traduction accompagnée d’une déclaration sous serment attestant qu’il s’agissait d’une traduction conforme de l’original.

[20]  La production de ce document élimine tout doute quant à la faillite de Hanjin et à la qualité pour agir de Jin Han Kim à titre de syndic dûment nommé. Dans la mesure où la désignation antérieure de Tai‑Soo Suk en tant que représentant officiel de Hanjin dans le cadre de l’instance sous le régime de la LACC a pu créer de la confusion, l’affidavit de Wook Chong explique que la désignation est devenue caduque lorsque la restructuration des dettes de Hanjin a échoué et que la faillite de celle‑ci a été officiellement prononcée. Par conséquent, je suis convaincue que Hanjin a été déclarée en faillite et que Jin Han Kim a été nommé syndic à la faillite par la Cour des faillites de la Corée.

[21]  Les défenderesses s’opposent en affirmant que le syndic n’a pas réussi à prouver que, selon le droit coréen, la faillite a pour effet d’opérer dévolution en faveur du syndic d’une chose non possessoire, comme le droit d’action qui est revendiqué dans la présente instance.

[22]  Le contenu du droit étranger est un fait dont la Cour ne prend pas connaissance d’office, et le syndic n’a pas déposé d’affidavit d’un avocat autorisé à exercer le droit en Corée qui aurait donné un avis sur la teneur et l’effet du droit coréen en matière de faillite en ce qui concerne la transmission et la dévolution des droits d’un failli dans une instance. Toutefois, selon un principe juridique bien connu, quand l’application des règles de droit international privé nécessite que la Cour applique le droit d’un pays étranger et qu’aucune preuve n’a été produite quant à la teneur de ce droit étranger, la Cour doit présumer qu’il est similaire à son propre droit. L’avocat des défenderesses, invoquant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Fernandez c « Mercury Bell » (Le), [1986] 3 CF 454, se dit d’avis que la présomption d’identité ne s’applique pas au droit législatif, comme les lois sur la faillite. Je ne suis pas d’accord avec les défenderesses sur l’interprétation qu’elles font de la ratio decidendi de l’arrêt « Mercury Bell ». Il est généralement reconnu que cette ratio est énoncée au paragraphe 11 des motifs des juges majoritaires, qui ont été rédigés par le juge Marceau et qui se lisent ainsi :

Une constante se dégage toutefois de la lecture des différents jugements, soit la réticence des juges à trancher des litiges mettant en cause des étrangers et le droit d’un autre pays en se fondant sur des dispositions de notre législation particulières à des situations locales, liées à des conditions locales ou établissant des exigences réglementaires. Cette réticence procède d’une distinction entre les dispositions de fond à caractère général, et les autres dispositions, qui sont à caractère interne ou réglementaire; […] La Cour n’écarte pas le principe voulant que l’affaire soit régie par la loi étrangère et que la décision qui la concerne doive être prise sur le fondement de cette loi; elle dit simplement que la loi étrangère, selon les informations qui lui ont été régulièrement présentées, est semblable à sa propre loi. Il s’agit, ainsi que le note Castel, d’une règle établie à seule fin de commodité qui, à ce qu’il me semble, ne peut être raisonnablement acceptable que lorsqu’elle se limite à des dispositions de la loi susceptibles d’une certaine universalité. Tel est, à mon avis, le critère en fonction duquel doit être tranché le présent litige.

[23]  Dans l’arrêt « Mercury Bell », la Cour d’appel fédérale a statué que les dispositions de base du Code canadien du travail, LRC 1970, c L‑1, qui donnent effet aux conventions collectives et qui confèrent le droit aux employés individuels à l’action en réclamation du salaire prévu par la convention, étaient fondamentales et pouvaient avoir un certain caractère d’universalité suffisant pour présumer que la loi étrangère était similaire. Dans le même ordre d’idées, je suis convaincue que les dispositions de base de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑3 (la LFI), selon lesquelles tous les biens d’un failli, y compris la totalité de ses dettes et de ses choses non possessoires, sont dévolus au syndic dès le prononcé de la faillite, sont fondamentales et ont un caractère d’universalité suffisant, de sorte qu’on peut présumer que la loi de la Corée est similaire. Je suis donc convaincue que les droits de Hanjin dans la présente action ont été dévolus et cédés au syndic dès que la faillite de Hanjin a été prononcée et que Jin Han Kim a été nommé syndic à sa faillite.

[24]  Les défenderesses contestent également la requête du syndic en invoquant l’omission de la part de celui‑ci de faire la preuve qu’il a le pouvoir de reprendre l’instance et de nommer Wook Chong pour que celui‑ci agisse en son nom dans le cadre de celle‑ci. Je dois préciser ici que les défenderesses ne laissent pas entendre (et n’ont certes pas établi) que l’avocat du syndic n’a pas réellement été mandaté par le syndic ni que Wook Chong prétend faussement avoir obtenu le pouvoir d’agir pour le compte du syndic. De fait, en l’absence d’une preuve – dont le fardeau incombe à la partie qui soulève la question, établissant qu’un avocat n’est pas en réalité mandaté par la partie qu’il prétend représenter ou qu’une fraude est perpétrée envers la Cour en ce qui concerne l’identité du véritable mandant, on doit présumer que l’avocat a été régulièrement autorisé par la partie en cause.

[25]  Les défenderesses font plutôt valoir que les pouvoirs que le syndic prétend exercer en cherchant à être substitué à la demanderesse dans le cadre de la présente action exigent certaines formalités et autorisations, en l’absence desquelles celui‑ci n’est pas valablement autorisé à agir. En particulier, les défenderesses attirent l’attention sur les traductions anglaises des dispositions législatives coréennes que son avocat a trouvées sur un site Web prétendument publié par le ministère de la Législation gouvernementale de la République de Corée et qui semblent indiquer que certaines réclamations doivent être évaluées en bonne et due forme, que les actions en recouvrement doivent être autorisées en bonne et due forme et que la nomination de procureurs en vue de la réalisation des dettes doit être approuvée en bonne et due forme par la Cour des faillites coréenne avant qu’une instance puisse être valablement introduite ou reprise par un syndic. Les défenderesses font également valoir que même si la Cour devait conclure que le contenu des lois coréennes en matière de faillite n’a pas été adéquatement prouvé, la présomption d’identité fait en sorte que la Cour doit s’en remettre à l’article 30 de la LFI, qui exige que le syndic obtienne la permission des inspecteurs pour intenter toute procédure judiciaire ou pour employer un avocat pour entreprendre toute affaire.

[26]  Je conclus toutefois que la question du pouvoir du syndic de prendre des décisions quant à la disposition des biens du failli, y compris l’introduction d’une instance en vue du recouvrement de dettes, ainsi que la question de la validité et de la portée du pouvoir de Wook Chong d’agir pour le compte du syndic ne sont pas pertinentes quand il s’agit de statuer sur les questions précises qui doivent être tranchées en l’espèce et qui consistent à savoir si la reprise d’instance devrait être admise et si le syndic devrait être substitué à Hanjin.

[27]  Il existe une présomption selon laquelle les actes des personnes qui ont l’état de représentant, de mandataire, de syndic ou d’administrateur et qui sont censées agir à ce titre relèvent de l’étendue de leur pouvoir. La personne représentée par un tiers qui agit à ce titre est liée par les actes de son représentant, même si celui‑ci a excédé l’étendue de son pouvoir. L’absence de pouvoir du représentant aura comme conséquence d’engager sa responsabilité personnelle à l’égard de ses actes non autorisés. Ce principe a été expressément appliqué aux actes non autorisés de syndics de faillite et il découle du raisonnement selon lequel la règle qui exige que certaines étapes soient autorisées existe pour protéger les biens du failli et les droits des créanciers, et non pour protéger des tiers, y compris les débiteurs du failli (In re Plourde : Marcoux c Filion, EYB 1979 – 135960; Landry c Banque de Montréal, 2010 QCCS 2116; Canada (Procureur général) c Roy, 2007 CAF 410).

[28]  Par conséquent, je suis convaincue qu’il n’est pas nécessaire, pour que la Cour fasse droit à la requête du syndic demandant qu’il soit substitué à la demanderesse dans la présente action, que celui‑ci prouve qu’il a satisfait à toutes les conditions de forme de la loi coréenne afin d’exercer les droits et les pouvoirs rattachés aux affaires qui lui ont été dévolues en sa qualité de syndic de faillite.

[29]  S’il avait fallu que la Cour, pour accueillir la requête, soit convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que ces formalités ont été respectées, je n’aurais peut‑être pas fait droit à la requête. La preuve dont je dispose suffit à établir que Jin Han Kim a souscrit une procuration en faveur de Wook Chong. La preuve indique également que Wook Chong a des motifs raisonnables de croire que la procuration a été souscrite conformément au pouvoir exprès qui a été conféré par la Cour des faillites de la Corée dans une ordonnance datée du 19 avril 2017 et qu’il croit que le pouvoir ainsi conféré comprend celui de reprendre cette instance au nom du syndic. Toutefois, l’ordonnance datée du 19 avril 2017 a seulement été produite en langue coréenne par Wook Chong, en tant que pièce 2 jointe à ses réponses aux questions du contre‑interrogatoire. Comme je l’ai mentionné auparavant dans les présents motifs, la traduction anglaise non officielle de ce document n’a jamais été régulièrement produite en preuve accompagnée d’un affidavit attestant qu’il s’agissait d’une traduction fidèle de l’original. Par conséquent, la Cour n’a aucune raison de douter de la sincérité de Wook Chong lorsqu’il affirme croire qu’il est autorisé en bonne et due forme à agir pour le compte du syndic dans le cadre de la présente instance et que le syndic est autorisé en bonne et due forme à lui déléguer la conduite de l’instance, mais la Cour ne dispose d’aucun fondement probatoire qui la convaincrait que l’interprétation que fait Wook Chong de l’ordonnance du tribunal coréen du 19 avril 2017 est correcte.

[30]  Pour ce motif, je refuse d’accorder ce volet du redressement recherché dans l’avis de requête du syndic, qui sollicite une ordonnance [traduction] « reconnaissant la procuration souscrite par Jin Han Kim en faveur de Wook Chong ». Quoi qu’il en soit, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, cette reconnaissance n’est pas nécessaire pour donner effet à la reprise d’instance, au remplacement de la demanderesse et à la présomption voulant que l’avocat du syndic a été régulièrement mandaté et que ses actes dans la présente instance lient le syndic. Pour le moment, la qualité pour agir et les pouvoirs de Wook Chong ne sont pas pertinents quant à la conduite de l’action.

[31]  Quoique la requête du syndic ait en fin de compte été accueillie et que l’objection des défenderesses ait été rejetée, les dépens de la présente requête devraient néanmoins être supportés par le syndic. Comme je l’ai mentionné, la preuve produite à l’origine par le syndic dans le but d’établir la reprise d’instance était particulièrement médiocre, notamment en raison du fait que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique avait déjà reconnu une autre personne à titre de représentant officiel de Hanjin dans le cadre de ses affaires en matière d’insolvabilité. Le syndic a omis de présenter sa meilleure preuve dès la première occasion en ne produisant pas une copie et une traduction convenablement certifiées de la décision qui justifiait la dévolution, et il a en fait semblé attendre jusqu’au dernier moment possible pour le faire. La gestion par le syndic de ce qui aurait dû être une affaire simple a été caractérisée par des retards et par la production de renseignements et de documents incomplets et prêtant à confusion qui ont suscité de la méfiance et des soupçons chez les défenderesses.

[32]  Compte tenu de la faillite de Hanjin et de la présomption d’insolvabilité de l’actif qui a été dévolu au syndic, il sera ordonné que les dépens soient payables immédiatement; une directive sera donnée afin de permettre aux défenderesses de déposer une requête en cautionnement pour frais avant qu’elles soient forcées de prendre toute autre mesure dans la présente action.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. la reprise de l’instance de la demanderesse, Hanjin Shipping Co. Ltd., par le syndic de faillite, M. Jin Han Kim, soit par les présentes reconnue, et que ce dernier soit par conséquent substitué à la demanderesse dans la présente action.

  2. l’intitulé soit par les présentes modifié, de manière à ce que Jin Han Kim, en sa qualité de syndic à la faillite de Hanjin Shipping Co. Ltd., soit désigné comme partie demanderesse.

  3. les dépens, qui se chiffrent à 3 955 $, soient payables immédiatement par la demanderesse aux défenderesses, et que la partie demanderesse avise la Cour sans délai lorsque le paiement aura été effectué.

  4. les défenderesses disposent de trente jours à compter de la date du paiement des dépens pour faire signifier et déposer un dossier de requête relativement à toute requête en cautionnement pour frais. La requête devra être accompagnée d’une lettre avisant la Cour que la requête est ou n’est pas contestée et, si une audience est nécessaire, proposant un calendrier pour la tenue d’une réunion préparatoire et de l’audition de la requête, y compris les lieux et dates de disponibilité réciproques des avocats pour l’audience. Si la requête doit être plaidée par écrit, les délais impartis par les Règles des Cours fédérales s’appliqueront.

  5. les échéances des mesures subséquentes qui pourront être prises dans le cadre de la présente action soient par ailleurs suspendues jusqu’à ce que les délais applicables à la signification et au dépôt d’une requête en cautionnement pour frais soient expirés ou qu’une requête ait été déposée et tranchée, selon la dernière de ces éventualités.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de décembre 2018

 

C. Laroche, traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑805‑16

 

INTITULÉ :

HANJIN SHIPPING CO. LTD. c OGO FIBERS INC. ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE (par vidéoconférence) :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 OCTOBRE 2018

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

 

 

LE 15 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jean‑Marie Fontaine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William M. Sharpe

 

POUR LES DéFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

ROUTE Transport & Trade Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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