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                                                                                                                     T-476-96

 

OTTAWA (ONTARIO), le 6 décembre 1996.

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Lutfy

 

AFFAIRE INTÉRESSANT l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, modifiée

 

ET AFFAIRE INTÉRESSANT l'appel interjeté à l'égard de la décision rendue par le registraire des marques de commerce le 28 décembre 1995 relativement à la marque BRITTANIA déposée au nom de Pacific Rim Sportswear Company Ltd. sous le numéro TMA216,726

 

 

ENTRE

 

 

                                           BRITTSPORT LIMITED,

                                                                                                                     appelante

                                                                                                (partie demanderesse),

 

                                                               ET

 

                     PACIFIC RIM SPORTSWEAR COMPANY LTD.,

                                                                                                                        intimée

                                                                                                    (propriétaire inscrit).

 

 

 

                                                       JUGEMENT

 

 

 

 

            L'appel est rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée.

 

 

 

 

           A. Lutfy           

      Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                             

 

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

                                                                                                                     T-476-96

 

AFFAIRE INTÉRESSANT l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, modifiée

 

ET AFFAIRE INTÉRESSANT l'appel interjeté à l'égard de la décision rendue par le registraire des marques de commerce le 28 décembre 1995 relativement à la marque BRITTANIA déposée au nom de Pacific Rim Sportswear Company Ltd. sous le numéro TMA216,726

 

 

 

ENTRE

 

 

                                           BRITTSPORT LIMITED,

                                                                                                                     appelante

                                                                                                (partie demanderesse),

 

                                                               ET

 

                     PACIFIC RIM SPORTSWEAR COMPANY LTD.,

                                                                                                                        intimée

                                                                                                    (propriétaire inscrit).

 

 

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LUTFY

            Conformément à l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce (la «Loi») et à la demande de l'appelante Brittsport Limited, le registraire a, le 13 octobre 1993, donné à l'intimée Pacific Rim Sportswear Company Ltd. un avis lui enjoignant d'indiquer si sa marque «Brittania» était toujours employée et, dans la négative, s'il existait des circonstances spéciales justifiant ce défaut d'emploi. Dans sa décision, Mme Denise Savard, agent d'audience principal du registraire des marques de commerce (le «registraire»), a refusé de radier la marque de commerce de l'intimée relativement aux marchandises décrites comme des «chemises» et des «jeans». C'est cette partie de la décision qui fait l'objet du présent appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi.

 

            Au moment où l'avis a été donné, l'article 45 de la Loi était ainsi rédigé :

 


45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade‑mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless he sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade‑mark requiring him to furnish within three months an affidavit or statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade‑mark is in use in Canada and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since such date.


45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.


            Depuis les modifications entrées en vigueur le 1er janvier 1994[1] et le 1er janvier 1996[2] respectivement, le critère applicable aux instances introduites sous le régime de l'article 45 a considérablement changé. Le 30 mars 1994, à la suite des premières modifications, le Bureau du registraire des marques de commerce a annoncé que les nouvelles dispositions seraient dorénavant appliquées à toutes les instances engagées sous le régime de l'article 45, qu'elles aient été introduites avant ou après le 1er janvier 1994[3]. Dans une décision rendue en 1995[4], le registraire a conclu que les poursuites entamées en vertu de l'article 45 [TRADUCTION] «... n'ont aucune incidence sur les droits substantiels de la partie demanderesse ou sur les droits qui lui sont conférés» et que l'objectif visé par cette disposition est «purement fonctionnel». S'appuyant sur ces principes, le registraire a conclu que les modifications pouvaient être appliquées rétroactivement sans causer de préjudice à la partie demanderesse.

 

            Le registraire a adopté un point de vue analogue en ce qui concerne les modifications du 1er janvier 1996[5].

 

            L'application rétroactive, par le registraire, des modifications apportées à l'article 45 soulève des préoccupations sérieuses. Les règles législatives de fond sont présumées ne pas être rétroactives[6]. Le registraire estime que les modifications du 1er janvier 1994 ne causeront aucun préjudice à la partie demanderesse et qu'aucun droit substantiel ne sera touché. Or, il peut arriver que le propriétaire inscrit subisse un préjudice en raison de la période pertinente prescrite par les dispositions législatives. Dans un certain nombre de décisions, on a tenu compte de la preuve établissant que la marque de commerce déposée avait été utilisée peu de temps après la délivrance de l'avis pour déterminer si, à ce moment, la marque était employée au sens de l'article 45 tel qu'il était rédigé avant les modifications du 1er janvier 1994. Aux termes des nouvelles dispositions législatives adoptées en 1994, cette preuve d'emploi subséquent devrait apparemment être écartée puisqu'elle ne porte pas sur la période pertinente de deux ans.

 

            J'estime donc approprié d'examiner le présent appel en fonction des règles de droit en vigueur au moment où le registraire a donné l'avis, soit le 13 octobre 1993. En raison des motifs examinés plus loin, l'issue de l'appel aurait été la même sous le régime des nouvelles dispositions. Par conséquent, il n'a pas été nécessaire, en l'espèce, de statuer sur la pratique suivie par le registraire en matière de rétroactivité.

 

            L'avocat de l'appelante a invoqué l'affaire McDonald's Corp. c. Silicorp Ltd.[7] dans laquelle le tribunal s'est prononcé sur la portée du contrôle judiciaire applicable dans le cadre d'une instance relative à une opposition. La norme de contrôle applicable dans le cas d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 à l'égard d'une décision rendue par le registraire sous le régime de l'article 45 de la Loi a été énoncée par le juge Teitelbaum dans la décision Belvedere International Inc. c. Sim & McBurney[8]. La présente Cour ne doit intervenir en l'espèce que si le registraire n'a pas interprété correctement les faits qui lui ont été présentés ou si elle a complètement omis de tenir compte de ceux‑ci.

 

            La décision du registraire au sujet des marchandises décrites comme des «chemises» se fonde sur des transactions effectuées en 1992 tandis que sa décision relative aux «jeans» s'appuie sur des éléments de preuve qui visent la période allant de 1990 à 1994.

 

            En 1992, les ventes totales d'articles faisant partie de la collection Brittania s'élevaient à 64 000 $. L'intimée a déposé quatre factures, concernant des ventes faites à Sears Canada en 1992, sur lesquelles apparaît la marque de commerce Brittania. Ces ventes portaient apparemment sur des chemises. Une cinquième facture datée de 1992 et établie au nom de Sears pour la vente de chemises précise clairement qu'il s'agit d'un modèle de vêtements sur lesquels une étiquette Brittania est cousue et une autre est attachée par une ficelle.

 

            Le registraire a conclu que les factures datées de 1992 établissaient un transfert de marchandises et elle a maintenu au registre l'inscription visant les «chemises». L'appelante fait valoir que certains éléments de preuve relatifs aux chemises sont ambigus et qu'ils devraient être écartés. À mon avis, il n'existe aucune ambiguïté importante. J'estime que le registraire a correctement examiné et interprété les faits qui lui ont été présentés relativement aux chemises.

 

            En 1990, les ventes totales pour tous les vêtements de la collection Brittania s'élevaient à 96 000 $. L'intimée a déposé des factures datées de 1990 établies au nom de Sears Canada et de Towers Department Stores sur lesquelles apparaît la marque de commerce Brittania et qui, apparemment, concernent des pantalons. L'une de ces factures mentionne de façon précise un numéro de modèle. L'intimée a d'ailleurs déposé, à titre d'échantillon de ce modèle, une paire de jeans portant la marque de commerce Brittania. Je suis convaincu que la preuve selon laquelle les pantalons Brittania sont des jeans ne comporte aucune ambiguïté en l'espèce. Aucune autre vente de jeans n'a été effectuée antérieurement à la délivrance de l'avis le 13 octobre 1993.

 

            Après cet avis, l'intimée a reçu au moins une commande relative à des jeans Brittania passée par Eaton en mars 1994. Les négociations ayant mené à cette commande ont, au plus tard, commencé dès le mois de septembre 1993. Selon la preuve, l'intimée serait [TRADUCTION] «actuellement en voie de terminer» deux autres commandes. La valeur totale de ces transactions est d'environ 15 000 $.

 

            L'intimée précise qu'en 1993 ses clients habituels ont radicalement changé leurs pratiques commerciales. En effet, les grands magasins de vente au détail ont commencé à compter davantage sur leurs propres marques et moins sur les noms commerciaux de leurs fabricants. C'est notamment pour cette raison que l'intimée a connu des difficultés financières — à cause du nombre réduit de ses ventes — et qu'elle a mis en oeuvre un plan de redressement qui s'est terminé à la fin de janvier 1994. L'intimée ajoute que, pendant cette période, elle a continué à commercialiser sa collection Brittania.

 

            Le registraire a décidé de maintenir l'inscription visant les «jeans» au registre pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné la preuve déposée en l'espèce ainsi que les moyens invoqués par les parties, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la présente affaire constitue un cas limite. Aucun élément de preuve n'établit l'existence de ventes de «pantalons» en 1991, 1992 ou 1993 et M. Lee a uniquement expliqué le défaut d'emploi pour cette dernière année. Néanmoins, il semble que le propriétaire inscrit a continué à commercialiser sa gamme Brittania et qu'il a effectivement pris, avant la date de l'avis, des mesures concrètes pour recommencer à vendre des «pantalons». La commande passée par «Eaton» confirme d'ailleurs l'intention réelle du propriétaire inscrit d'utiliser à nouveau sa marque Brittania. À mon avis, il s'agit là d'un facteur important dont il faut tenir compte. Par conséquent, j'arrive à la conclusion qu'à la date de l'avis la marque de commerce n'était pas «éteinte» en ce qui concerne les «pantalons». Je conclus donc, en gardant à l'esprit l'objet de l'article 45, que les marchandises que constituent les «jeans» doivent être maintenues au registre.

            Cette décision peut être interprétée de deux façons : le registraire a conclu soit qu'on a utilisé la marque de commerce, soit qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi.

 

            Les ventes réalisées après que l'avis a été donné peuvent constituer une preuve pertinente de l'emploi de la marque dans la mesure où des négociations ont eu lieu avant la délivrance de cet avis. Dans l'arrêt John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co. et al.[9], la Cour d'appel a conclu que le transfert de marchandises effectué subséquemment à la délivrance de l'avis peut permettre de satisfaire aux exigences énoncées à l'article 45. Par conséquent, le registraire pouvait légitimement conclure, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, que la marque de commerce était utilisée au moment où l'avis a été donné.

 

            L'arrêt John Labatt Ltd. pourrait ne pas s'appliquer en l'espèce si les modifications apportées à l'article 45 le 1er janvier 1994 sont rétroactives. Suivant ces modifications, le propriétaire de la marque de commerce doit établir que celle‑ci était employée «...au cours des deux ans précédant la date de l'avis...[10]». Les transferts de marchandises effectués après la délivrance de l'avis ne sembleraient donc pas visés par la période pertinente prévue dans cette disposition. Toutefois, je n'ai pas à me prononcer sur cette question en l'instance puisque, selon moi, la décision du registraire de ne pas radier la marque de commerce de l'intimée relativement aux «jeans» parce qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi est bien fondée.

 

            Les circonstances spéciales invoquées pour justifier qu'une marque de commerce n'a pas été employée pendant une période donnée doivent être appréciées en fonction de trois critères : la durée du défaut d'emploi; la mesure dans laquelle les raisons avancées pour justifier ce défaut étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit et, enfin, l'existence, pendant toute la durée du défaut, d'une intention réelle de recommencer à employer la marque sous peu[11]. En l'espèce, on peut qualifier de circonstances indépendantes de la volonté de l'intimée le défaut d'emploi survenu en 1993, compte tenu en particulier du fait qu'il découle de la décision prise par les clients de l'intimée de commercialiser leurs propres noms commerciaux. Comme l'ìntimée avait entamé des négociations avec Eaton antérieurement à la délivrance de l'avis, il existait une intention réelle de recommencer à utiliser la marque de commerce en cause.

 

            La décision du registraire visant les «jeans» peut s'appuyer sur l'arrêt John Labatt Ltd. et l'utilisation de la marque après la délivrance de l'avis ou, si les modifications apportées à l'article 45 sont rétroactives, sur les circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi survenu en 1993.

 

            Par conséquent, j'arrive à la conclusion que la décision du registraire est étayée par la preuve et qu'elle ne se fonde pas sur l'application d'un principe erroné quant à l'utilisation des marchandises constituées des «chemises» et des «jeans». L'appel est donc rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée.

 

 

                                            

JUGE

 

OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 décembre 1996

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                             

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

NO DU GREFFE :                            T-476-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Brittsport Limited,

 

                                                                                                                                             appelante

                                                                                                                        (partie demanderesse),

 

et

 

Pacific Rim Sportswear Company Ltd.,

 

                                                                                                                                                intimée

                                                                                                                            (propriétaire inscrit).

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : Le 6 novembre 1996

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY LE 6 DÉCEMBRE 1996.

 

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Brian IsaacPOUR L'APPELANTE

 

 

Jeffrey ThomasPOUR L'INTIMÉE

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Smart & BiggarPOUR L'APPELANTE

Ottawa (Ontario)

 

 

Ladner DownsPOUR L'INTIMÉE

Vancouver (Colombie-Britannique)



    [1] L.C. 1993, ch. 44, art. 232, proclamé en vigueur par TR/94-1.

    [2] L.C. 1994, ch. 47, art. 200, proclamé en vigueur par TR/96-1.

    [3] Voir le Journal of Trade-Marks, vol. 44, no 2057, à la p. 153.

    [4] Riches, McKenzie & Herbert v. 'Taliano Inc. (1996), 65 C.P.R. (3d) 98, aux p. 99 et 100.

    [5] U.L. Canada Inc. (Re:), [1996] T.M.O.B. no 132 (8 juillet 1996).

    [6] R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., (Toronto, Butterworths, 1994) à la p. 512.

    [7] (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.).

    [8] (1993), 53 C.P.R. (3d) 522 (C.F. 1re inst.).

    [9] (1984), 80 C.P.R. (2d) 228 (C.A.F.).

    [10]     Supra, note 1.

    [11]     Sim & McBurney, supra.

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