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Date : 20010817

Dossier : IMM-6268-99

Référence neutre : 2001 CFPI 915

ENTRE :

                 MIKLOS CSONKA, MIKLOSNE CSONKA,    

             LAJOS NAGY et MIKLOS HERMAN CSONKA

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.        LES FAITS


[1]    Les demandeurs qui demandent en l'espèce le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée du 29 novembre 1999 selon laquelle le statut de réfugié leur a été refusé, sont Miklos Csonka, le demandeur principal, son épouse Miklosne Csonka et leurs fils Lajos Nagy, né le 21 janvier 1981, et Miklos Herman, né le 19 juin 1985. Les demandeurs sont des citoyens hongrois tsiganes et fondent leurs revendications du statut de réfugié sur le motif de la race et de la nationalité.

[2]    Au moment de l'audience du 29 novembre 1999, Lajos Nagy avait 18 ans et Miklos Herman Csonka était âgé de 14 ans.

[3]    Le tribunal a fondé sa décision sur son analyse de la preuve documentaire touchant à la disponibilité de la protection de l'État en Hongrie. Il a conclu que les revendicateurs n'avaient pas renversé la présomption selon laquelle la Hongrie est capable de les protéger. Le tribunal n'a pas tenu compte du témoignage des revendicateurs selon lequel la Hongrie ne les avait pas protégés et ne les protégerait pas s'ils devaient maintenant y retourner.

[4]    En outre, le tribunal a conclu que le témoignage du demandeur principal sur cette question n'était pas crédible. Il a affirmé : [TRADUCTION] « [D]e nombreuses incohérences et des éléments peu vraisemblables dans le témoignage du revendicateur principal ont amené le tribunal à conclure que son témoignage n'était pas crédible ni digne de foi » .


[5]                 Le tribunal a de plus déclaré que le fait que le revendicateur principal était au Canada entre novembre 1995 et mars 1996 et au Japon entre novembre 1996 et mai 1997, était pertinent à l'analyse du bien-fondé de sa crainte. Le tribunal a affirmé que le revendicateur n'avait pas envisagé de revendiquer le statut de réfugié et que dans les deux cas il était retourné en Hongrie. Le tribunal n'a pas cru l'explication du revendicateur pour s'être à nouveau prévalu de la protection du pays de nationalité, à savoir qu'il était seul, sans sa famille.

[6]                 Le tribunal a conclu que le comportement du revendicateur principal n'était pas compatible avec celui d'une personne craignant avec raison la persécution et a établi qu'un tel comportement avait un impact défavorable sur la crainte subjective du revendicateur et, en bout de ligne, sur sa crédibilité.

[7]                 À l'égard des diverses revendications, le tribunal a conclu de la façon suivante :

[TRADUCTION]                                                                                                                                                                                                                                                                                          Quoique les revendications aient été entendues conjointement, il est admis que chacune doit être examinée et tranchée séparément. Le tribunal conclut que chaque revendication est fondée sur le même ensemble de faits allégués et qu'il n'existe pas d'éléments distincts justifiant des conclusions différentes quant à la question de savoir s'ils sont des réfugiés au sens de la Convention. [Non souligné dans l'original.]

B. LES QUESTIONS ET LES PRÉTENTIONS

    (a)     Les demandeurs


[8]                 Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions litigieuses dans leurs prétentions écrites : (1) le défaut du tribunal de prendre en compte un rapport psychologique qui concluait que le revendicateur principal souffrait du syndrome de stress post-traumatique; (2) le fait que des décisions types et partiales inspirées des documents d'information sur les cas types aient été rendues; (3) les erreurs dans l'évaluation de la preuve documentaire quant à la disponibilité de la protection de l'État pour les Rom en Hongrie; (4) les nouveaux documents obtenus après l'audience qui n'ont pas été pris en compte dans l'analyse effectuée par le tribunal; et (5) le fait que le tribunal a commis une erreur en greffant sa conclusion quant à la crédibilité sur le témoignage de l'épouse du revendicateur et sur celui de son fils Lajos.

[9]                 Toutefois, dans son argumentation, l'avocat des demandeurs a fait valoir que le motif principal est que le tribunal n'a pas nommé le représentant à l'enfant mineur, Miklos, qu'exige le paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration (la Loi).

[10]            Il a déclaré qu'aucun représentant à l'enfant mineur n'avait été commis d'office, rien à cet effet n'apparaissant dans la transcription ni sur la page titre de la décision du tribunal où on trouve un espace laissé en blanc sous les mots imprimés « représentant désigné » et le tribunal n'ayant mentionné nulle part dans ses motifs qu'un représentant avait été commis à l'enfant mineur.


[11]            L'avocat des demandeurs mentionne que, pendant que le père témoignait, un de ses fils, on ne sait pas lequel, a tenté de parler mais que le président de l'audience lui a dit : [TRADUCTION] « [P]uis-je vous demander de nouveau de ne pas intervenir pendant le témoignage de votre père. C'est important. La crédibilité est aussi en cause [...] » . (Voir la transcription à la page 572.)

[12]            L'avocat des demandeurs a mentionné un incident qui est survenu alors que l'enfant mineur avait quatre ans et demi et que la mère a relaté dans son témoignage. L'enfant a été gravement brûlé pendant qu'il jouait dans leur appartement avec un ami qui vivait dans le même édifice. L'ami lui a lancé une allumette en disant : [TRADUCTION] « Je ne t'aime plus parce que tu es un Tsigane » . Ses vêtements ont pris feu et il a été hospitalisé pendant six semaines.

[13]            L'avocat des demandeurs fait valoir qu'un représentant devait être commis d'office à l'enfant. Dans la présente affaire, le tribunal a conclu que le témoignage du père n'était pas crédible. En conséquence, la revendication distincte de l'enfant mineur a été entachée par cette conclusion quant à la crédibilité, ce qui ne se serait pas produit si la mère avait été commise d'office comme représentante de son enfant mineur. Le témoignage de la mère a été jugé crédible.

    (b)       Le défendeur


[14]            L'avocat du défendeur a soutenu que la question du représentant commis d'office n'avait pas été mise de côté. Il a affirmé que quelqu'un avait été nommé comme représentant de Lajos Nagy et a souligné deux extraits de la transcription. Dans un des extraits, à la page 548, l'avocat des demandeurs questionne le demandeur principal, Miklos Csonka : [TRADUCTION] « [É]tant donné que vous avez été nommé représentant de votre fils, Lajos Nagy, pouvez-vous dire au tribunal si le père de Lajos Nagy était aussi un Rom? »

[15]            L'avocat du défendeur a indiqué, aux pages 645 et 646 du deuxième extrait de la transcription, le passage où l'avocat des demandeurs, s'adressant au président de l'audience, a mentionné qu'il voulait demander à Lajos Nagy s'il était satisfait, même s'il avait effectivement un représentant, étant donné que le témoignage de ses parents avait un impact sur sa revendication.

[16]            Il indique l'endroit à la page 524 de la transcription où le revendicateur principal, le père, reconnaît qu'il a signé le FRP pour son fils mineur.

[17]            L'avocat du défendeur a affirmé que la Cour devrait examiner les circonstances et a fait valoir que le défaut d'avoir commis d'office un représentant a été sans conséquence, s'il y a eu un tel défaut. Il a mentionné que M. Lajos Nagy a aussi témoigné.

[18]            Quoi qu'il en soit, il a soutenu que l'incident entre les deux enfants, celui de l'allumette lancée et des vêtements brûlés, ne justifie pas une crainte de persécution notamment en raison du fait que cet événement est survenu sept ans et demi avant que la famille s'enfuît de la Hongrie.


C. LA LOI

[19]            Le paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration (la Loi) traite de la représentation et est rédigé comme suit :                             


(4) La section du statut commet d'office un représentant dans le cas où l'intéressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas, selon elle, en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause. [Non souligné dans l'original]

(4) Where a person who is the subject of proceedings before the Refugee Division is under eighteen years of age or is unable, in the opinion of the Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate another person to represent that person in the proceedings. [emphasis mine]


D. ANALYSE

[20]            Un examen du dossier révèle ce qui suit :

          (a)         Miklosne Csonka, qui avait déposé un FRP distinct, a témoigné à l'audience et n'a pas été contre-interrogée. Bien que son témoignage se rapporte à des expériences vécues par ses fils, elle en a témoigné comme étant le fondement de sa crainte de retourner en Hongrie;

          (b)       Lajos Nagy, qui a aussi déposé un FRP distinct, a témoigné et n'a pas été contre-interrogé non plus. Il a corroboré le témoignage de son père et décrit les agressions physiques qu'il a subies lorsqu'il avait 14 ans, les menaces contre leur maison ainsi que le manque de protection policière.


[21]            Mon examen de la transcription me convainc qu'aucun représentant n'avait été commis d'office à l'enfant mineur. La plus grande partie des extraits de la transcription mentionnés par l'avocat du défendeur se rapportent à Lajos Nagy qui était âgé de 18 ans au moment de l'audience. La nomination d'un représentant pour un enfant mineur est obligatoire aux termes de la Loi et doit être clairement inscrite au dossier, ce qui n'était pas le cas dans la présente affaire. (Voir par analogie, Weerasinge c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 330, quant au consentement à une audience devant un tribunal constitué d'un seul membre.)

[22]            Il faut rappeler l'article 10 des Règles de la section du statut de réfugié qui prévoit la jonction d'instances. Le paragraphe 10(2) prévoit que, sous réserve d'une demande d'audiences séparées prévue suivant le paragraphe 10(3), les revendications des membres d'une même famille sont traitées conjointement, ce qui est la situation dans la présente affaire.

[23]            Je suis d'avis que la décision du tribunal devrait être annulée quant à tous les demandeurs et, ce faisant, j'évite la question de savoir si le défaut d'avoir commis d'office un représentant à l'enfant mineur entraîne la nullité de la décision quant aux autres membres de l'unité familiale.


[24]            La décision de la Cour d'appel fédérale dans Kissoon c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 301, une affaire relative au non-respect du paragraphe 29(5) de la Loi, qui oblige l'arbitre à désigner un représentant à un enfant mineur qui n'est pas représenté par son père, sa mère, son tuteur ou son curateur, permet d'affirmer que la décision qui en résulte est nulle et non seulement annulable. Bien que la distinction ne soit plus aussi nette (voir Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, chapitre 5, aux pages 223 et suivantes) aucune preuve de préjudice ou de manquement à la justice naturelle n'est nécessaire lorsqu'il s'agit du non-respect d'une disposition d'une loi. Il est évident que le non-respect du paragraphe 69(4) de la Loi quant à l'enfant mineur Miklos Herman Csonka entraîne l'annulation de la décision rendue à son égard.

[25]            La situation quant à Miklosne Csonka et à son fils Lajos est différente. La décision du tribunal quant à leurs revendications doit être annulée suivant la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Retnem c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 317. Dans cette affaire, les revendications du statut de réfugié d'un homme et de son épouse avaient été jointes et le tribunal avait rejeté la revendication de l'épouse « pour les mêmes motifs » que ceux invoqués à l'égard de son mari.

[26]            M. le juge MacGuigan était d'avis que le tribunal avait commis une erreur dans le traitement de la revendication de l'épouse de l'appelant. À son avis, il y avait des éléments distinctifs dans la revendication de l'épouse et le tribunal ne pouvait pas simplement décider de la revendication de l'épouse « pour les mêmes motifs » que ceux invoqués pour son mari.


[27]            Dans la présente affaire, le tribunal a conclu que chaque revendication était fondée sur le même ensemble de faits allégués et qu'il n'existait pas d'éléments distincts justifiant des conclusions différentes quant à la question de savoir si les revendicateurs étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[28]            Je constate les erreurs suivantes dans les conclusions que le tribunal a tirées par rapport aux deux demandeurs en question :

          (1)       Premièrement, alors que le tribunal a conclu que le témoignage de Miklos Csonka n'était pas crédible, il n'a pas tiré d'inférences défavorables quant à Mme Csonka et son fils Lajos. Le tribunal ne pouvait pas tout simplement ternir le témoignage de ces deux demandeurs en se reposant sur les conclusions qu'il avait tirées que le demandeur principal n'était pas crédible;

          (2)        deuxièmement, ces deux demandeurs ont, à mon avis, présenté des éléments distincts dans leur revendication qui justifiaient des commentaires et une analyse par le tribunal.


[29]            La revendication de Miklos Csonka est aussi un cas à part à cause des conclusions défavorables tirées par le tribunal quant à sa crédibilité et du fait qu'il s'était à nouveau réclamé de la protection de la Hongrie. C'est le défaut du tribunal d'avoir mentionné et pris en compte le rapport psychologique qui accompagnait les représentations écrites de son avocat qui justifie l'annulation de la décision quant à Miklos Csonka. À cet égard, je partage l'opinion de M. le juge Denault dans l'affaire Khawaja c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1999), 172 F.T.R. 287, qui a déclaré qu'un tribunal avait tort de conclure qu'un revendicateur n'était pas crédible sans prendre en compte et sans examiner le contenu du rapport psychologique établissant un syndrome grave de stress post-traumatique.

E. DÉCISION

[30]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée à l'égard de tous les demandeurs et leurs dossiers de revendication sont renvoyés à un tribunal différemment constitué pour réexamen. Aucune question n'a été soumise aux fins de la certification.

« J. François Lemieux »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 août 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


Date : 20010817

Dossier : IMM-6268-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 AOÛT 2001

En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

MIKLOS CSONKA, MIKLOSNE CSONKA,

             LAJOS NAGY et MIKLOS HERMAN CSONKA

                                                                                               demandeurs

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée à l'égard de tous les demandeurs et leurs dossiers de revendication sont renvoyés à un tribunal différemment constitué pour réexamen. Aucune question n'a été soumise aux fins de la certification.

« J. François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

                        

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                           IMM-6268-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Miklos Csonka et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le 28 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                  Le 17 août 2001

ONT COMPARU

Rocco Galati                                                                                                pour les demandeurs

James Brender                                                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER         

Galati Rodrigues                                                                                          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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